M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il n’y a pas grand-chose à ajouter… (Exclamations ironiques sur les travées de lUMP.)

M. Gérard Longuet. Alors ne dites rien !

M. Jean Desessard. … tant mes collègues opposés à cette réforme se sont exprimés de façon excellente.

Je souhaite, néanmoins, revenir sur le mode de scrutin. Et à qui vais-je ici m’adresser ? Aux centristes !

M. Nicolas About. Parlez plutôt à vos collègues de l’opposition !

M. Jean Desessard. Premièrement, ce sont eux qui font la décision aujourd’hui, et, deuxièmement, ils sont favorables à un scrutin proportionnel.

M. Nicolas About. Vous n’avez pas voté pour ce mode de scrutin, donc vous n’avez pas de leçon à nous donner !

M. Jean Desessard. Si, j’ai voté pour, monsieur About.

M. Jean-Louis Carrère. M. About a tout oublié ! Il ne voit plus que le remaniement.

M. Jean Desessard. En tout cas, je me souviens que, lors de l’examen du présent texte en première lecture, vous hésitiez à voter pour la création du conseiller territorial. Néanmoins, vous avez dit au ministre : « Je vous fais confiance et on verra par la suite. J’espère que vous tiendrez compte de notre point de vue lors du choix du mode de scrutin ».

M. Nicolas About. J’ai fait voter le Sénat sur cette question.

M. Jean Desessard. J’étais présent, je suis allé vous voir et je vous ai demandé : « Pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi leur faites-vous confiance ? Vous les connaissez ! » (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Et vous m’avez répondu : « Je leur fais confiance ! »

M. Nicolas About. J’espérais que vous me soutiendriez.

M. Jean Desessard. Aujourd’hui, monsieur About, lorsque vous êtes intervenu à la tribune – je vous ai bien écouté –, vous avez affirmé que vous aviez été trompé et que vous le regrettiez. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Et qu’avez-vous ajouté ? Que vous ne vous laisseriez pas faire la prochaine fois.

Cela m’a fait penser au pistolet avec des flèches en plastique de mon enfance, qui faisait : « pan » et c’est tout ! (Mêmes mouvements.) Si vous croyez qu’un tel jouet va impressionner Sarkozy et les membres de l’UMP, qui sont si brutaux…

M. Nicolas About. Vous êtes un rigolo !

M. Jean Desessard. Je voulais donc intervenir pour souligner les différents reculs des centristes. Certes, ces derniers sont un peu ridicules, à s’agiter de façon frénétique comme des poissons que l’on tient hors de l’eau, ou à avaler tant de boas. Ils sont coincés et ne savent pas quoi faire, car leur groupe est divisé ! Néanmoins, malgré le ridicule de leur position actuelle, je compatis.

M. Jean Desessard. En effet, il nous arrive à nous aussi de nous trouver dans la même situation. Comme la vie politique de notre pays est régie par le bipartisme, nous sommes obligés de composer et de nouer des alliances avec d’autres formations. Et quand notre principal allié se fait pressant, nous sommes parfois contraints de lui dire : « Bon, d'accord, de toute façon nous n’avons pas le choix, mais faites attention la prochaine fois ! » Je compatis donc à vos difficultés actuelles, chers collègues.

Par ailleurs, je vous ai écouté monsieur Maurey. Après avoir pesé le pour et le contre, vous avez décidé de vous abstenir. Mais non ! Il s’agit non pas de faire des comparaisons, mais de savoir quelles sont vos valeurs fondamentales.

M. Nicolas About. Bon sang, mais c’est bien sûr !

M. Jean Desessard. La valeur fondamentale que vous, les centristes, vous défendez, c’est l’indépendance, et celle-ci est permise par le mode de scrutin.

M. Nicolas About. Vous l’avez refusé !

M. Jean Desessard. Or le mode de scrutin que vous vous apprêtez à voter aujourd'hui, chers collègues, conduira à la mise à mort des centristes et de la diversité politique dans les territoires. Toutes les difficultés que vous éprouvez aujourd’hui à justifier au Sénat une réponse positive, tous ces boas que vous êtes contraints à avaler, vous les connaîtrez, demain, dans les vingt-deux régions.

Dans ces vingt-deux régions, il y aura des assemblées territoriales dans lesquelles les centristes n’auront pas la parole et ne seront pas indépendants !

Monsieur Maurey, il ne s’agit pas simplement de vous abstenir. Si vous croyez vraiment au centrisme, si vous voulez que ce courant d’idées, qui est important, ait son indépendance politique, donnez-lui les moyens d’exister dans les départements. Il en va de même d'ailleurs pour les écologistes. (Exclamations sur les travées de lUnion centriste.)

M. Nicolas About. C’est bien de le reconnaître.

M. Jean Desessard. Mais oui ! Toutefois, aujourd’hui, c’est vous qui avez le pouvoir.

Évidemment, monsieur About, vous vous justifiez en affirmant que l’Assemblée nationale a décidé pour vous. Celle-ci vous a donné une grande claque. Et vous, vous dites : « Elle ne nous en donnera pas une seconde ! » Au lieu de défendre la diversité politique et une tendance politique qui doit exister, de même que le courant écologiste d'ailleurs, vous considérez que le Sénat doit garder le dernier mot et vous agissez comme l’Assemblée nationale vous a demandé de le faire. (M. Nicolas About proteste.) Tout de même, ce n’est pas un argument sérieux !

Nous, les écologistes, nous sommes également condamnés par ce mode de scrutin, mais nous ne mettrons pas de nous-mêmes la tête sur le billot. Pour cette raison, nous refusons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Nicolas About. Il faut garder le sens des réalités.

M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, par-delà nos sensibilités politiques respectives, nous avons en commun, dans cette enceinte, de représenter nos territoires dans leur diversité.

Pour cette raison, nous étions tous prêts à accompagner toute initiative de réforme des collectivités territoriales. Ainsi, nous nous étions engagés sans réserve au sein de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, présidée par Claude Belot, et nous avions abouti à un texte consensuel intitulé Faire confiance à l’intelligence territoriale.

C'est pourquoi aussi nous étions prêts à faire nôtres les mots clefs utilisés par le Président de la République dans ses divers discours – rappelez-vous, mes chers collègues – destinés à justifier cette réforme : clarification, simplification, lisibilité, efficacité et optimisation.

Toutefois, et c’est bien le problème, ces mots clefs ne connaissent aucune traduction dans les choix proposés. Entre les intentions exprimées et le présent projet de loi, la dichotomie et la contradiction sont flagrantes. Non seulement le texte, tel qu’il est issu des travaux de la commission mixte paritaire, ne sert pas les objectifs visés, mais il aggrave encore les incertitudes dans lesquelles vous plongez les collectivités territoriales.

C’est d'ailleurs pour cette raison que la commission mixte paritaire, adoptant votre réforme, a frôlé l’échec. Vous le savez bien, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État : non seulement ce texte ne clarifie et n’optimise rien, mais il crée davantage de complexité et d’opacité, sans que jamais cela se traduise par des économies sur le plan financier. Au contraire, la réforme coûtera très cher, nous l’avons démontré dans cette enceinte à maintes reprises.

Au-delà de ces divers arguments, deux raisons majeures me paraissent devoir être retenues pour rejeter votre réforme, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État.

La première a trait au choix du postulat qui est au cœur de votre texte, à savoir la confusion entre la région et le département qui culmine avec la création du conseiller territorial.

Ce faisant, et cela a été répété à de nombreuses reprises, vous dénaturez ces deux collectivités, vous niez la réalité du fonctionnement de nos territoires.

Vous le savez bien, l’organisation territoriale de notre pays s’articule autour de deux grands types d’acteurs. D’une part, la région est l’échelon de mise en œuvre des politiques stratégiques, des grands équipements, souvent engagés en partenariat avec l’État et l’Europe. D’autre part, se trouvent les acteurs de la proximité, issus du département, de la commune et de la communauté de communes. Le département est l’échelon des solidarités sociales et des solidarités territoriales, ces deux dernières étant indissociables.

En faisant le choix du conseiller territorial, vous allez « rétrécir » les régions et vous allez faire perdre aux départements leur caractère de proximité.

Le présent texte – faut-il le rappeler ? – sera adopté, le cas échéant, contre l’avis de l’Association des régions de France, l’ARF et de l’Assemblée des départements de France, l’ADF.

La seconde raison qui justifie le rejet de la réforme qui nous est soumise tient à la construction et à l’architecture mêmes du projet de loi.

La remise en ordre définitive des compétences est renvoyée au 1er janvier 2015. Néanmoins, dans l’immédiat, le Gouvernement supprime la clause générale de compétence. Comment comprendre et suivre une telle logique ? Soit le texte qui nous est présenté est bon et il est alors inutile de prévoir d’ores et déjà d’y revenir, soit il n’est pas approprié – nous le savons par avance –, et il n’y a alors aucune raison de l’adopter. Cette curiosité me paraît en outre jeter le discrédit sur le travail législatif.

Vous pouvez d’ores et déjà constater le trouble d’une grande part des élus locaux. À la disparition des leviers fiscaux, vous vous apprêtez aujourd’hui, pour le département et la région, à ajouter la perte des leviers d’action en supprimant la clause générale de compétence.

Dans le département que je représente, tous les élus territoriaux, quelle que soit leur sensibilité politique, ont aujourd’hui les yeux tournés vers le Sénat. Si la Haute Assemblée rejette ce texte, alors non seulement elle aura justifié sa raison d’être, ce qui n’est pas secondaire, mais surtout elle aura montré sa capacité à défendre nos concitoyens ancrés dans leur territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On pourrait s’en passer !

M. Yannick Bodin. Monsieur le ministre, quelle était votre ambition annoncée dès les premiers mots du discours que vous avez prononcé au début de notre débat ? C’était, d’une part, simplifier, et, d’autre part, réaliser des économies. Avouez que, malheureusement, le projet de loi est un ratage complet. Tout est devenu encore plus confus.

Je citerai quelques exemples.

Sur le plan fiscal, les collectivités territoriales subissent une perte d’autonomie et des incertitudes pèsent sur les ressources, en particulier pour les années futures.

Sur le plan des compétences, où en sommes-nous ? Qui fait quoi ? Comment s’y retrouver ? On supprime la clause générale de compétence,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Yannick Bodin. ... mais on la conserve pour le sport, la culture, le tourisme...

M. Jean-Louis Carrère. Non ! Pas pour le tourisme !

M. Yannick Bodin. On la rétablit aussi en cas d’accord intervenu autour d’un projet d’intérêt général.

En fait, où est la clarté ? C’est la confusion générale ! D’ailleurs, nombre de maires nous demandent ce que cela signifie.

M. Jean-Louis Carrère. Cela signifie qu’il faut voter socialiste et communiste aux prochaines élections !

M. Yannick Bodin. Que pourrons-nous véritablement faire dans les années qui viennent ?

Sur le plan institutionnel, je ne viserai que le nombre des conseillers territoriaux. La région d’Île-de-France en comptera 308 – soit trois fois plus que le nombre d’élus au Sénat américain –, au lieu de 209 conseillers régionaux aujourd’hui. Monsieur le président, pourriez-vous lui prêter l’hémicycle du Sénat pour permettre à ses futurs conseillers territoriaux de se réunir ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Oui, moyennant finance !

M. Jean-Louis Carrère. M. Larcher ne sera peut-être plus président !

M. le président. Il faut refaire le schéma directeur ! (Sourires.)

M. Yannick Bodin. Enfin, pour ce qui concerne la parité, le recul est historique : notre pays était montré du doigt par la plupart des démocraties ; désormais, il sera montré des deux mains. (Sourires.)

Vous aviez dénoncé le fameux millefeuille, mais que nous donnez-vous à la place de celui-ci ? Le pudding ! (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. On n’avait pas encore entendu cette remarque ! C’est la première fois !

M. Yannick Bodin. Et, malheureusement, le pudding est reconnu comme étant assez indigeste.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non ! C’est très bon !

M. Yannick Bodin. Vous le savez d’autant plus que vous nous proposez de le déguster par morceaux : on en mangera une part successivement en 2011, en 2012, en 2013, en 2014 et en 2015. Messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, ce ne sera pas plus digeste pour autant ! D’ici à 2015, le pudding aura un peu séché et il sera tombé en miettes.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce sera une tarte allégée !

M. Yannick Bodin. Mes chers collègues, mes amis de gauche, nous devrons remettre de l’ordre dans tout cela, et le plus tôt sera le mieux.

M. Robert del Picchia. On a le temps !

M. Yannick Bodin. En attendant, avec détermination, nous voterons contre le projet de loi.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

J’ai été saisi de trois demandes de scrutin public émanant, la première, du groupe UMP, la deuxième, du groupe socialiste et, la troisième, du groupe CRC-SPG.

Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 97 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 330
Majorité absolue des suffrages exprimés 166
Pour l’adoption 167
Contre 163

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur quelques travées de l’Union centriste. – Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Il n’y a pas de quoi être fier !

M. le président. Je tiens en cet instant à remercier la commission des lois, son rapporteur et son président, ainsi que l’ensemble des collègues qui ont participé à ces longs débats passionnés et passionnants, et, enfin, le Gouvernement.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi de réforme des collectivités territoriales
 

3

Modification de l'ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avions décidé de consacrer notre prochaine séance de questions cribles thématiques à l’outre-mer et l’Union européenne.

À la demande du groupe socialiste et du groupe UMP, je vous propose de reporter le thème que nous avions choisi.

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité engager une nouvelle concertation avec l’ensemble des groupes politiques. Il ressort de cette concertation un nouveau thème qui pourrait être l’avenir de la filière photovoltaïque.

Je remercie le Gouvernement qui vient de me faire savoir que M. Jean-Louis Borloo pourrait répondre à nos questions. Je tiens donc à l’en remercier, ainsi que M. Henri de Raincourt, qui a bien voulu faciliter ce changement.

4

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 9 novembre 2010, le texte de deux décisions du Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution de la loi organique relative à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire et de la loi portant réforme des retraites.

Acte est donné de ces communications.

La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le président, je rappelle à nos collègues membres de la commission des lois que celle-ci va maintenant procéder à l’audition de MM. Brice Hortefeux et Alain Marleix au sujet du projet de loi de finances pour 2011.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente-cinq, sous la présidence de M. Bernard Frimat.)

PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Exception d'irrecevabilité (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale de financement de la sécurité sociale pour 2011
Question préalable

Financement de la sécurité sociale pour 2011

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2011 (projet n° 84, rapports nos 88 et 90).

Mes chers collègues, je vous rappelle que, hier, la discussion générale a été close et que le Sénat a repoussé la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Question préalable

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale de financement de la sécurité sociale pour 2011
Demande de renvoi à la commission

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Le Texier et Jarraud-Vergnolle, MM. Cazeau, Daudigny et Desessard, Mmes Demontès, Campion, Alquier, Printz et Schillinger, MM. Le Menn, Kerdraon, Godefroy, Jeannerot, S. Larcher et Gillot, Mmes San Vicente-Baudrin et Ghali, M. Teulade et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°2.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2011 (n° 84, 2010-2011).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Raymonde Le Texier, auteur de la motion.

Mme Raymonde Le Texier. « Pourquoi ferais-je quelque chose pour les générations futures alors qu’elles n’ont rien fait pour moi ? ». Avec cet aphorisme, Groucho Marx avait fait un bon mot. Nicolas Sarkozy en a fait une politique et ce gouvernement y puise sa méthode : mesures à courte vue, accumulation de dettes et report de leur financement sur les jeunes générations.

L’article emblématique du présent projet de loi organise, selon les propres termes de M. le rapporteur, « la plus importante reprise de dette sociale jamais effectuée ». Ainsi, 130 milliards d’euros seront transférés à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, laquelle verra sa durée de vie augmenter de quatre ans. Ce sont par conséquent les actifs de 2025 qui paieront les dépenses de 2010.

Le Fonds de réserve pour les retraites, qui aurait dû être augmenté jusqu’en 2020, subira un prélèvement, au rythme de 2 milliards d’euros par an, jusqu’en 2018. La réserve financière que le gouvernement socialiste avait constituée pour permettre l’équité entre les générations a été détournée de sa fonction. Les actifs de demain ne devront plus compter que sur eux-mêmes.

C’est cette crainte qu’exprimaient ces jours derniers les jeunes manifestants que le Gouvernement a dédaignés. Quand nos enfants voient à quel point il leur est difficile d’entrer sur le marché du travail, quand ils constatent que leurs parents sont chassés de l’emploi bien avant 60 ans, quand ils remarquent que les parcours professionnels sont de plus en plus précaires et discontinus, ils comprennent très bien sur quoi repose le plan de financement du gouvernemental : un pari sur leur précarité présente et future.

M. le rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse, Dominique Leclerc, analyse de la façon suivante les effets des mesures d’âge adoptées : deux tiers de réductions des dépenses, un tiers de rentrées liées à l’augmentation des cotisations.

Pour ce qui concerne les réductions des dépenses, c’est assez simple : le versement beaucoup plus tardif de pensions inférieures en raison de carrières incomplètes et de conditions de plus en plus exigeantes pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein permet de réaliser des économies. Mais à quel prix ?

Quant aux rentrées financières liées à la croissance des cotisations sociales et au maintien des salariés en activité au-delà des seuils de 60 et 65 ans, on peut s’étonner. En effet, tous les pays qui ont changé la donne en matière d’emploi des seniors ont mis en place des politiques ambitieuses pour modifier à la fois les mentalités et l’organisation du travail. Ce gouvernement pense, lui, que, en fragilisant les personnes et en agitant le spectre de la misère, la situation évoluera d’elle-même. En clair, il s’en « lave les mains ».

De projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS – en projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement n’a cessé de se tromper, mais surtout de nous tromper. De prévisions irréalistes en déficits surdimensionnés, nous avons pu constater que la crédibilité des hypothèses économiques était le cadet de ses soucis.

Monsieur le ministre, cette année, vous nous présentez un PLFSS prenant en considération une hypothèse de déficit tendanciel de 32,5 milliards d’euros et un objectif de déficit ramené à 25,5 milliards d’euros une fois les mesures de recettes et d’économie mises en œuvre. Il est basé sur une évolution de la masse salariale de 2,9 %, une croissance du PIB de 2 % en volume. Certes, tous les économistes tablent sur une croissance de 1,5 %, mais il serait dommage de s’appuyer sur le travail des experts quand l’approximation sert mieux vos intérêts…

En revanche, on ne peut s’empêcher de saluer vos talents d’artiste : en effet, pour faire « passer » un déficit énorme, il suffit d’en annoncer un pire encore et de faire croire que la différence constitue un gain substantiel devant être mis au crédit du Gouvernement. Je connais des dames qui depuis des années développent la même théorie auprès de leur conjoint en période de soldes…

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État. Venez à Troyes, c’est 40 % moins cher !

Mme Raymonde Le Texier. Pourquoi pas ? Mais les personnes en question savent bien que cette attitude correspond seulement à de la mauvaise foi. C’est du boniment.

Une autre grande idée développée par le Gouvernement en matière d’innovation gestionnaire nous a beaucoup intéressés : c’est la technique du tonneau des danaïdes appliquée aux relations entre branches. C’est ainsi que l’on organise le transfert des ressources pérennes de la branche famille au remboursement de la dette sociale. D’excédentaire, puis de conjoncturellement déficitaire, celle-ci finira par se trouver structurellement déficitaire. Creuser des trous pour en boucher d’autres est non pas une technique de gestion, mais un processus de délitement, que ce dernier soit organisé par incompétence ou obtenu par calcul.

Une autre technique de gestion intéressante consiste à élaborer des indicateurs et à les doter d’objectifs sans lien avec la réalité et sans visée en termes de santé publique. Les objectifs nationaux de dépenses d’assurance maladie – ONDAM – en sont l’exemple le plus frappant. La progression de celui qui est affecté aux dépenses médico-sociales a été arbitrairement fixée à 3,8 %. Or, jusqu’à présent, sa hausse n’a jamais été inférieure à 6 %. Le vieillissement de la population, les retards structurels dans la prise en charge du handicap expliquent cet état de fait. Mais alors que l’ONDAM est en nette régression, le Gouvernement affiche sa volonté de créer de plus en plus de places d’accueil, que ce soit à travers le plan Solidarité- Grand Âge ou lors de la conférence nationale du handicap, ce qui n’est pas compatible.

Si la question des ressources est déterminante pour l’avenir de notre régime, c’est parce que la protection sociale est également déterminante pour l’avenir de notre société. Pourtant, face à la dérive de nos comptes sociaux, vous ne proposez, comme chaque année, monsieur le ministre, qu’une série de « mesurettes » qui ont pour seul effet de diminuer les prestations en augmentant le reste à charge. Pendant ce temps, c’est en centaine de milliards d’euros que se chiffre le déficit et en dizaine de milliards d’euros qu’il s’enracine.

Face à une telle situation, la question de l’élaboration d’une réforme fiscale basée sur la justice sociale se pose. Mais comment pourriez-vous y parvenir ? Vous traînez le bouclier fiscal comme un boulet et, alors que vous « grattez » jusqu’à trois mois d’aide personnalisée au logement, ou APL, en supprimant la rétroactivité de cette prestation aux étudiants, notamment, vous faites des chèques de 30 millions d’euros à la plus grande fortune de France !

Alors que vous ne cessez de brandir la menace de la fin de l’État providence, vous n’engagez aucun chantier d’importance. Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale se caractérise par l’absence totale de réflexion sur le quotidien de nos territoires confrontés aux déserts médicaux, aux hôpitaux en souffrance, aux dépassements d’honoraires, à l’absence de politique de santé publique, aux difficultés d’accès aux soins.

En revanche, comme d’habitude, cette année a connu son lot de déremboursements et autres franchises. À tel point que si l’assurance maladie couvre encore bien le gros risque, la médecine de première ligne n’est plus prise en charge qu’aux alentours de 55 %.

Cette stratégie donne déjà des résultats : plusieurs enquêtes ont montré récemment une augmentation sensible du renoncement aux soins pour raisons financières. Pis, l’érosion du remboursement des soins affecte la légitimité du système ; les actifs cotisent aujourd’hui pour une protection sociale dont ils verront diminuer la couverture dans l’avenir. Jusqu’à quand la solidarité intergénérationnelle y survivra-t-elle ?

Bref, même en ignorant les besoins existants, vous n’arrivez plus à régler les affaires courantes.

Pendant que filent les déficits, les niches fiscales, au sens large, excèdent 200 milliards d’euros. Elles ont un coût budgétaire faramineux, alors que nul n’évalue leur efficacité et que leurs effets pervers dépassent parfois leurs bienfaits supposés. Certaines sont même détournées et servent aux contribuables les plus fortunés à réaliser une optimisation à grande échelle. Pourtant, l’augmentation de leur nombre s’est accélérée. Depuis 2002, on en comptabilise deux cents supplémentaires.

Pour ce qui concerne la branche famille, le même diagnostic peut être posé. Élus locaux, nous savons à quel point la demande de structures de garde pour la petite enfance est forte et à quel point l’offre collective n’est pas à la hauteur des besoins constatés. Pourtant, dans la plupart des familles, le travail des femmes est devenu une nécessité absolue. L’accès à un service de la petite enfance devrait être un droit.

Mais, en l’occurrence, il n’est question que de « siphonner » les recettes de la branche famille pour couvrir la prolongation de la dette sociale, et de « mégoter » trois mois d’APL.