M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Lorsque nous proposons de taxer les achats d’espaces publicitaires sur de grandes plates-formes Internet, nous observons que c’est la seule solution pour récupérer un peu de contribution, afin de faire participer ces fonctions économiques à nos besoins collectifs, à nos services publics. (Mme la ministre opine.)

Souvenons-nous que l’entreprise la plus emblématique, celle qui a d’ailleurs suscité l’intérêt du Président de la République pour le sujet, c’est une entreprise dont le siège est en Irlande.

Mme Christine Lagarde, ministre. Effectivement !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Bien entendu, nous ne pouvons que compatir au malheur actuel des structures financières de ce pays. Nous sommes solidaires dans l’euro, et un dispositif d’aide mutualisé est susceptible de se mettre en place.

Cependant, madame le ministre, n’est-il pas indispensable, par souci d’équité à l’égard d’autres États comme la Grèce ou le Portugal, de demander au gouvernement irlandais, au titre des conditionnalités, de bien vouloir réviser sa politique fiscale ?

Mme Nicole Bricq. Ah ! Il y a longtemps que nous le demandons !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Un certain consensus existe ici même sur le sujet, me semble-t-il.

Ne conviendrait-il pas de demander au gouvernement irlandais d’éviter de pratiquer du dumping et d’avoir des attitudes qui – on peut le constater avec les problèmes que connaît aujourd’hui l’Irlande – ne sont pas une solution pour disposer d’un modèle économique pérenne, pour se mettre à l’abri des difficultés ou des crises ?

De telles politiques, qui sont des politiques non coopératives, devraient normalement évoluer au moment où il est fait appel à la solidarité communautaire, qui est sans doute la seule solution pour disposer d’une visibilité sur les années à venir.

Nous inscrivons nos propositions dans ce cadre pour que les acheteurs de biens ou de services sur les grandes plates-formes soient soumis à une taxation raisonnable et que les petits États qui ont mis en place des fiscalités très attractives se voient contrariés dans leurs politiques non coopératives.

Ces politiques ont d’ailleurs été critiquées, en termes beaucoup plus vifs que ceux que je viens d’employer, par le président de notre commission des finances, qui a déclaré : « Le Grand-Duché nous fait les poches ! » En effet, la TVA s’applique, même si c’est à un taux faible, aux plates-formes qui sont installées sur son territoire,…

M. Jean-Jacques Jégou. Et même sur notre territoire !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … et non pas aux consommateurs de services auxquels il est fait appel et qui habitent dans les États les plus peuplés de l’Union européenne.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je voudrais à présent, en quelques mots, évoquer les dépenses.

Même si la norme de dépenses est de plus en plus exigeante, certaines économies évoquées dans le projet de loi de finances mériteraient d’être documentées avec davantage de précision.

Je rappelle que, dans ce projet de budget pour 2011, les recettes nettes ne couvrent que 70 % des dépenses nettes, ce taux se situant à mi-chemin entre le point le plus bas qui avait été atteint en 2009, à savoir 55 %, et le niveau de 2007, c’est-à-dire 86 %.

Il est donc indispensable d’agir sur les dépenses, et de le faire de façon volontaire. À cet égard, si nous observons un réel effort sur le personnel, et plus encore sur les investissements – les dépenses les plus maltraitées dans ce budget –, nous constatons que, en raison des contraintes qu’elles subissent, les dépenses de fonctionnement et d’intervention n’ont pas diminué de 5 %, comme cela avait été annoncé au printemps. Il faut dire que, compte tenu des dépenses concernées, constituées notamment de nombreuses dépenses de guichets, c’est-à-dire de droits qu’il faut bien honorer, il était difficile d’atteindre cet objectif.

Enfin, notre dernière préoccupation en matière de dépenses tient à la permanence des méthodes employées. Les normes exprimées en taux d’évolution, aussi excellentes soient-elles, n’ont en effet de sens que si les bases retenues sont homogènes, c’est-à-dire si l’on ne procède pas, chaque année, à des rectifications opportunes de périmètres. De ce point de vue, il est de mon devoir de dire que la situation n’est pas encore satisfaisante, et que l’État est encore très loin de s’astreindre à la discipline en vigueur chez les agents économiques privés, en particulier les grandes entreprises.

La présentation des comptes d’une entreprise obéit en effet à des normes strictes, et les analystes financiers veillent scrupuleusement à ce que toute rectification de méthode soit justifiée et détaillée. (Mme la ministre opine.)

En guise de conclusion, je dirai quelques mots sur la loi du 1er août 2001 organique relative aux lois de finances, dont nous allons fêter le dixième anniversaire au cours de l’exercice à venir.

Si elle a permis d’innover et de fixer un cap en matière de pluriannualité, il me semble que seule la révision constitutionnelle annoncée par le Premier ministre et le Président de la République permettra d’assurer tout à la fois la prééminence des lois financières sur toute autre forme de législation et la pluriannualité, donc le respect par les lois financières annuelles des engagements pris à ce titre à l’échelon européen.

Dans un registre plus critique, force est de constater que la LOLF n’a pas permis de redonner du sens au principe d’universalité budgétaire. L’« agencisation » de l’État, c’est-à-dire la prolifération des affectations de recettes, qui permettent de sanctuariser certaines dépenses et certaines fonctions, n’a fait que galoper année après année, loi de finances après loi de finances. (M. Jean-Jacques Jégou opine.) En la matière, nous sommes très loin des intentions initiales, qui trouvaient leur source dans l’ordonnance du 2 janvier 1959, l’une des pierres angulaires de la Ve République.

En multipliant ainsi les affectations, les opérateurs – que nous avons le plus grand mal à contrôler –, les agences et les taxes en tout genre, nous avons largement tourné le dos aux principes de bon sens sur lesquels nous avions fondé le redressement de l’État à partir de 1958.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Enfin, si la démarche de performance est utile et nécessaire, les observateurs que nous sommes ont parfois le sentiment qu’elle s’est transformée en machine administrative, dépourvue de réelle signification politique, qui tourne sur elle-même pour sa propre satisfaction.

Il faut s’interroger sur l’usage que l’on fait des indicateurs de performance. S’agit-il de critères permettant de piloter l’allocation des ressources et de réaliser des économies budgétaires, ou de simples pratiques administratives qui ne trouvent leur justification qu’en elles-mêmes ?

Madame, monsieur les ministres, nous allons cheminer ensemble quelques semaines, d’abord au cours de cette discussion budgétaire, ensuite lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, dont nous pourrons peut-être anticiper certains aspects dès le projet de loi de finances initiale, afin d’avoir une vue d’ensemble des enjeux et des questions les plus essentielles qui devront être exposés à nos concitoyens.

La commission des finances souhaite qu’un esprit de responsabilité nous anime, et que, sans occulter aucun sujet, nous fassions en sorte de disposer pour l’année 2011 d’un cadre budgétaire raisonnable, susceptible de résoudre quelques-unes de nos contradictions. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, et M. Jean-Jacques Jégou applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame, monsieur les ministres, permettez-moi tout d’abord de vous dire combien nous nous réjouissons de vous retrouver au banc du Gouvernement. C’est la marque de l’estime que nous vous portons, et je voudrais former des vœux pour que l’action que vous menez, sans doute l’une des plus délicates et des plus éprouvantes qui soit, porte ses fruits.

J’apprécie à sa juste valeur le message que vous venez d’adresser au pays, depuis cette tribune, en cette fin d’année 2010 : l’essentiel de la crise, la plus dure que nous ayons endurée depuis la Seconde Guerre mondiale, est sans doute aujourd’hui derrière nous ; la France convalescente doit maintenant s’atteler résolument au rétablissement de ses comptes publics, sans compromettre la reprise, mais en s’efforçant de rompre avec trois décennies de laisser-aller et de faux-semblants, d’illusionnisme à crédit, en quelque sorte. Rien n’est donc acquis. Dans un monde ouvert, nous devons rester compétitifs, ce qui suppose, notamment, de ne pas décrocher avec l’Allemagne, notre principal partenaire.

Vaste programme, auquel je ne puis, bien sûr, que souscrire ! Cependant, si l’objectif fait consensus, la méthode proposée m’interpelle et c’est sur ce point que je souhaiterais faire entendre une analyse qui divergera sans doute quelque peu de celle qui a été développée par le Gouvernement.

Le projet de loi de finances pour 2011 s’inscrit dans la démarche de programmation approuvée par notre assemblée au début du mois, que nos amendements ont d’ailleurs rendue plus opérationnelle. Car c’est à la condition de nous doter de règles de gouvernance des finances publiques véritablement contraignantes que nous pouvons espérer revenir à 6 % de déficit l’an prochain, et à 3 % d’ici à 2013… ou 2014. Vous connaissez notre prudence sur le sujet, même si elle n’exprime aucune divergence de fond avec l’exécutif.

Comment parvient-on à ce résultat ? Le discours que vous tenez se veut clair et sans ambiguïté : l’objectif sera atteint, prioritairement, par la réduction de nos dépenses publiques. Avec un taux rapporté à la richesse nationale largement supérieur à 50 %, nous figurons incontestablement en tête des pays qui souffrent d’une addiction profonde à l’égard de la dépense publique ! Or, je le souligne d’emblée, ce projet de budget n’apparaît pas, c’est le moins que l’on puisse dire, totalement convaincant sur ce point.

S’il ne fallait retenir qu’un seul développement du travail, toujours aussi fouillé et remarquablement précis, du rapporteur général Philippe Marini, ce serait celui-ci : près des deux tiers de l’amélioration du solde du budget de l’État en 2011 résultera d’économies de constatation liées à la non-reconduction des dépenses du plan Campus et aux investissements d’avenir. Le reliquat s’explique, pour une large part, par le contrecoup de la fin du plan de relance et de la réforme de la taxe professionnelle. L’évolution spontanée des recettes, en phase de reprise de l’activité, fait le reste…

Je ne reviens pas sur ces mécanismes, excellemment décrits par Philippe Marini. Les dépenses augmentent de 4,5 milliards d’euros, il est vrai exclusivement imputables à la charge de la dette et aux pensions.

Certes, les autres dépenses, prises globalement, sont stables en valeur. Mais je veux rappeler ici que les conférences sur le déficit du printemps dernier avaient assigné deux objectifs forts d’économies au budget de l’État : une diminution de 10 % des dépenses d’intervention et de fonctionnement au cours de la période 2011-2013, et une réduction de 5 % dès la première année d’application de la loi de programmation. Avec une contraction de 1 % des interventions de guichet et hors guichet, et de 0,5% des crédits de titre 3 entre la loi de finances initiale pour 2010 et le projet de loi de finances pour 2011, convenons, madame, monsieur les ministres, que nous sommes loin de l’objectif assigné au printemps !

J’entends bien l’argumentaire du Gouvernement, qui invoque, sur les interventions, 3,7 milliards d’euros d’économies brutes par rapport à l’évolution tendancielle. Mais le détail de ces économies fait encore défaut. Surtout, Bercy tarde à nous apporter la preuve que vos ministères ont décidé de rompre avec ce qu’il faut bien appeler les « combines », qui permettent d’améliorer la présentation, au détriment du respect de la norme de dépense.

Le rapporteur général les a décrites, en évoquant malicieusement une « charte de débudgétisation ». Je n’en retiendrai qu’une, emblématique, même si la discussion budgétaire devrait en atténuer la portée : l’enveloppe de 340 millions d’euros soustraite à la mission « Ville et logement », grâce à l’extension du champ de la contribution sur les revenus locatifs aux offices d’HLM et aux sociétés d’économie mixte, sous le prétexte fallacieux de mettre en place une péréquation interne aux prestataires du logement social… Les mauvaises habitudes ont décidément « la peau dure » ! (M. Claude Bérit-Débat marque son approbation. – M. Thierry Repentin applaudit.)

Je ne nie pas la difficulté de l’exercice. Le poids des dépenses de « guichet » est incontestable, au moins autant que celui des intérêts catégoriels que leurs bénéficiaires savent si bien défendre lorsqu’ils sont remis en cause. Force est toutefois de constater qu’après trois ans de révision générale des politiques publiques et de discours volontaristes prononcés dans des enceintes solennelles, l’action sur la dépense publique, mes chers collègues, reste toujours embryonnaire et a quelque peine à convaincre. À l’heure de la double norme, des choix vont pourtant devoir être faits. Je souhaite que la commission des finances y prenne toute sa part et soit, elle aussi, une force de proposition.

Mais il faut aller au-delà et s’interroger également sur les recettes.

J’entends bien, là aussi, le discours sur la nécessité de les « protéger », le cas échéant en modifiant les modalités de calcul de l’impôt et en atténuant la portée des « niches fiscales ». Vous me permettrez cependant de ne pas me trouver en pleine communion de pensée avec ces « éléments de langage », qui visent à bien signifier que le Gouvernement n’augmentera pas les prélèvements obligatoires, conformément à une promesse faite avant la crise, dans des circonstances bien différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. Soyons francs : cette position de principe, affirmée sur tous les tons et de manière quelque peu rigide, ne me paraît pas responsable !

Je souhaite dissiper toute ambiguïté : je ne me fais pas ici l’apôtre des prélèvements obligatoires, pas plus que de la dépense publique. Je dis simplement que la charge pesant sur le contribuable doit être évaluée à l’aune de son efficacité économique dans un monde ouvert et qu’elle doit être équitablement répartie. De ce point de vue, au risque de me répéter une nouvelle fois, je rappelle qu’il n’y a pas d’impôt qui ne soit pas d’une façon ou d’une autre un impôt acquitté par les ménages. Ce sont toujours les ménages qui, en dernier ressort, participent au financement de l’impôt. La seule question que l’on doive se poser à leur égard est donc celle de l’équité dans la répartition de l’effort qui leur est demandé.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Pour la première fois depuis 2002, j’ai ainsi voté contre le projet de loi de financement de la sécurité sociale, parce que, en conscience, je ne pouvais pas admettre les expédients et, pourquoi ne pas le dire, les « bricolages » conçus à la va-vite pour colmater la dette de la sécurité sociale et le déficit de la branche famille. (MM. Jean-Pierre Plancade, Jean-Jacques Jégou, Jean-Pierre Fourcade et Michel Bécot applaudissent.) La solution à mettre en œuvre était pourtant évidente : il fallait majorer la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, de 0,26 point.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’était une question de lisibilité et de justice à l’égard des générations à venir…

M. Jean-Claude Frécon. Effectivement, de justice !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … qui n’ont pas à supporter les conséquences des gestions hasardeuses passées. C’était, au fond, une question de respect de nos concitoyens, qui, selon moi, sont parfaitement aptes à comprendre le langage de vérité que la situation actuelle nous impose le devoir de leur tenir. Au surplus, n’est-ce pas aussi, mes chers collègues, une question d’indépendance nationale ? Vient un moment où le choix de la dette perpétuelle aliène la liberté de la nation.

MM. Jean-Jacques Jégou. Très bien !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La commission des finances veut tenir ce langage de vérité. Elle accompagnera – croyez-le bien, madame, monsieur les ministres – le Gouvernement dans son travail de remise en cause des niches fiscales. Elle apporte sa contribution, dans le cadre du présent projet de loi de finances, à la réflexion sur les « nouvelles assiettes », avec les amendements du rapporteur général créant une imposition sur les achats de publicité en ligne et de services de commerce électronique. À cet égard, nous devrons nous interroger sur les nouvelles formes de fraude que facilitent ces nouveaux moyens de communication et d’échanges. La proposition de taxation des résidences secondaires et de tout récepteur de télévision, à raison d’une seule contribution à l’audiovisuel public par résidence et quel que soit le nombre de récepteurs, va dans le même sens.

Mais notre réflexion doit aller plus loin. Je parlais à l’instant d’efficacité économique et de justice. Traduit en termes simples, cela veut dire TVA sociale – que je veux bien nommer « TVA anti-délocalisation » –, cela veut dire aussi suppression du bouclier fiscal !

La TVA anti-délocalisation, pourquoi et comment ? Parce que dans une économie mondialisée, tout impôt supplémentaire portant sur les facteurs de production – j’y insiste – organise méthodiquement les délocalisations d’activité et d’emploi. Les ressources provenant des cotisations sociales doivent donc être remplacées par un impôt de consommation, qui mettra enfin sur un pied d’égalité les importations et les produits nationaux.

Madame la ministre, vous soulignez l’importance de la consommation, mais c’est bien souvent l’activation des importations. Par conséquent, la justice, c’est de faire supporter le financement de la protection sociale, à laquelle nous prétendons, par tous ceux qui consomment. Car ceux qui ne consommeraient que des produits venant de l’étranger ne participeraient pas au financement de leur protection sociale.

Je répète ici ma conviction que cet impôt nous permettrait de faire l’économie du coûteux crédit d’impôt recherche, qui, je persiste à le penser, n’empêche pas certaines délocalisations. Madame, monsieur les ministres, le crédit d’impôt recherche finance aussi des travaux de recherche conduits en Europe centrale. Trop de témoignages prouvent qu’une partie non négligeable des travaux de recherche ouvrant droit au crédit d’impôt recherche ne sont pas réalisés en France. L’allégement des charges sociales sur les salaires des chercheurs serait, convenons-en, une solution plus satisfaisante.

Mais il n’est pas possible d’en rester là. Le pendant de l’objectif de compétitivité, je le disais à l’instant, c’est aussi celui de justice. La fiscalité ne doit pas seulement être efficace, elle doit aussi être lisible et équitable, pour être acceptable et acceptée par tous.

Depuis deux ans, la commission des finances fixe donc le même rendez-vous au Gouvernement : celui du bouclier fiscal, qui demeure une mauvaise réponse apportée à un problème réel. La crise a rendu caduc cet instrument et la Commission européenne vient, je le crois, de lui porter le « coup de grâce » en contestant sa conformité au droit communautaire. Mettre en œuvre les prescriptions de Bruxelles contraindrait l’administration française à rembourser au contribuable le montant d’impôts acquittés à l’étranger, ce qui finirait de légitimer le procès en iniquité dressé contre le « bouclier ». Le mécanisme, convenons-en, est « à bout de souffle » ! Je vous le disais lors du débat sur le projet de loi de programmation : le temps des « rafistolages » est maintenant terminé !

Je me réjouis donc des inflexions entendues ces dernières semaines, notamment dans les propos du Président de la République, sur des évolutions possibles, pour ne pas dire souhaitables. Mais il faudra aller jusqu’au bout !

Le Sénat connaît nos propositions sur le « triptyque », devenu entre-temps la « tétralogie » : suppression de l’ISF et du bouclier fiscal – puisque le bouclier fiscal n’est que la très mauvaise réponse à ce très mauvais impôt qu’est l’ISF –, institution d’une nouvelle tranche d’imposition à l’impôt sur le revenu – qui est un revenu du patrimoine lorsqu’il excède un certain niveau ; le revenu du travail a des limites : vient un moment où c’est la notoriété, la célébrité, oserais-je dire « l’actif incorporel » du bénéficiaire ; c’est donc un revenu du patrimoine et non plus seulement un revenu du travail – et hausse du barème d’imposition des plus-values mobilières et immobilières. Je pense également qu’une réflexion sur l’imposition des successions – j’y insiste – devrait utilement compléter ce tableau, afin notamment de contribuer au financement de la dépendance.

Le précédent gouvernement nous avait confirmé qu’il souhaitait organiser un débat approfondi sur le sujet au premier semestre de l’année prochaine. Je pense, pour ma part, que ce débat peut débuter dès maintenant. Pourquoi devrions-nous l’ajourner encore une fois, avec le risque de reporter d’un an la mise en œuvre de ces dispositions ?

Ma conclusion, voilà un an, en prologue à l’examen du projet de loi de finances pour 2010, était un appel à refonder le pacte républicain sur l’impôt pour permettre à la France de sortir de la crise plus compétitive, plus dynamique et plus solidaire. Je serais tenté de reprendre la même formulation et de souligner l’urgence qui s’attache aujourd’hui à apporter les réponses à la hauteur des défis que nous devons affronter.

Le projet de budget pour 2011, an I de la nouvelle programmation triennale, est un premier pas. À nous de le guider dans la bonne direction ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP. – MM. Jean-Pierre Plancade et Jean-Claude Frécon applaudissent également.)

M. le président. Je rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, si l’examen du projet de loi de finances est un exercice comptable, les discussions budgétaires permettent de juger des choix économiques et politiques d’un gouvernement. En l’occurrence, le projet de loi de finances pour 2011 fait-il les bons choix ? Répond-t-il aux objectifs d’efficacité et de justice fiscale que nos entreprises et nos concitoyens sont en droit d’attendre dans la période actuelle de sortie de crise ?

Vous ne serez pas surpris si je vous dis que j’ai des doutes quant à la pertinence des options retenues, du moins d’un grand nombre d’entre elles.

Une nouvelle fois, le projet de loi de finances est fondé sur des prévisions de croissance à l’évidence trop optimistes. Je sais bien qu’il n’est pas facile de prévoir avec justesse le taux de croissance de l’année suivante. Des prévisions restent des prévisions. Et d’ailleurs, en matière budgétaire, ne faudrait-il pas, madame, monsieur les ministres, méditer cette pensée de San Antonio, alias Frédéric Dard ? : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ». La politique, ce n’est l’art de faire des prévisions – art très difficile, surtout quand il concerne l’avenir ! –, c’est plutôt l’art de prendre les bonnes décisions pour améliorer le quotidien des Français et l’attractivité économique de notre pays.

Ce projet de loi de finances pour 2011 table sur une hypothèse de croissance du PIB de 2 % en 2011. Pourtant, la moyenne des prévisions du groupe d’experts relatives à la croissance française est de 1,53 % et la prévision du FMI de 1,6 %. Cet écart, nous le savons bien, n’est pas anodin en termes de recettes.

Certes, depuis quelques mois, on sent bien s’installer un cycle de reprise assez classique. Le commerce mondial reprend des couleurs, stimulant au passage nos exportations. La demande mondiale adressée à la France aurait augmenté de 11,8 % cette année et on estime qu’elle sera de 7,7 % pour 2011.

Vous l’avez dit, madame, monsieur les ministres, l’investissement des entreprises redémarre. La consommation reprend et elle pourrait croître de 1,7 % en 2011. Enfin, l’emploi se redresse, ce qui engendrera des gains de pouvoir d’achat. Et le taux d’inflation se maintiendrait autour de 1,5 % en 2011 comme en 2010.

Si on ne peut que souhaiter toutes ces prévisions, il faut surtout faire preuve d’une politique volontariste pour permettre leur réalisation. Et de ce point de vue, un certain nombre d’éléments invitent à la prudence et doivent nous amener à exprimer de profondes réserves.

S’agissant de la reprise mondiale comme moteur de la croissance, vous savez qu’elle est soumise à des aléas.

Même si 2011, avec une prévision de croissance mondiale de 3,9 %, devrait confirmer la reprise amorcée en 2010, n’oublions pas que depuis l’éclatement des bulles immobilières, en particulier aux États-Unis et en Espagne, les ménages et les entreprises demeurent très endettés. Et cette situation pèsera encore sur l’investissement.

Par ailleurs, j’ajouterai que dans le contexte d’un marché du travail encore très déprimé, la consommation pourrait être moins dynamique que prévu. D’autres incertitudes existent. Je pense notamment à l’évolution des cours du baril de pétrole. Petit rappel : la direction générale du Trésor fonde ses prévisions sur un prix du baril à 80 dollars alors que le groupe technique a établi une fourchette comprise entre 77 dollars et 92 dollars. Quant au taux de change, c’est également souvent une source d’inquiétude, en particulier pour la zone euro. Si le taux de change entre l’euro et le dollar est stabilisé à 1,30 dollar pour 1 euro en 2011, des instituts prévoient la poursuite de la baisse du dollar en 2011 tandis que d’autres tablent sur son appréciation.

Enfin, quels seront les effets de la normalisation des différentes politiques budgétaires réclamées par le FMI ?

Pour améliorer leur solde budgétaire, de nombreux pays ont mis en place des plans d’austérité, qui ne seront pas sans conséquences sur la demande.

Par ailleurs, si le G20 ne manifeste pas davantage d’empressement à réguler les marchés financiers et à diminuer l’incitation des opérateurs à l’emballement mimétique, nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles tensions obligataires, bancaires ou boursières.

Or, au regard des dernières décisions du sommet de Séoul, auquel vous avez participé, madame le ministre, on ne peut qu’être déçu : la supervision des marchés de gré à gré d’actifs dérivés sera renforcée là où il conviendrait d’imposer des chambres de compensation ; les règles prudentielles de Bâle III sont certes entérinées, mais les mesures ajoutées à l’intention des SIFI limitent, vous le savez, leur portée.

Madame, monsieur les ministres, vous connaissez mon engagement en faveur d’une taxation des transactions financières. Notre proposition de loi avait été discutée ici même en juin dernier et, malgré un accueil très favorable, elle n’avait pu être adoptée au motif d’arguments techniques, qui semblent aujourd’hui se dissiper devant la volonté du Président de la République. Nous ne pouvons que nous en réjouir : il est toujours difficile d’avoir raison très tôt... Mais, peu importe, sachez que nous vous soutiendrons si, au cours de la présidence française du G20, cette disposition forte devait voir le jour.

Alors, oui, nous en convenons tous, il est nécessaire d’agir sur l’endettement de notre pays. D’ailleurs, nous n’avons pas le choix : c’est une question de bon sens ! Qui plus est, nous avons des engagements européens à respecter.

M. le rapporteur général a excellemment démontré les dangers d’un endettement massif, qui pourrait atteindre un jour 90 % du PIB. Il est nécessaire de réagir d’autant plus rapidement que les marchés restent très préoccupés par la soutenabilité des dettes publiques en Europe. Le cas préoccupant de l’Irlande, qui succède à celui de la Grèce, a entraîné de nouveaux mouvements de panique boursière. En cas de nouvelle crise, la France n’est pas à l’abri de voir la prime de risque sur ses emprunts souverains se tendre fortement. Le poids de sa dette pourrait lui faire perdre sa note « triple A », une note qui permet à notre pays de financer ses déficits à un faible coût.

Dans cette perspective, afin de faire glisser le déficit public de 7,7 % à 6 % en 2011, il est prévu, grâce à l’article 5 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, de compléter la norme « zéro volume » par une norme « zéro valeur ». On ne peut pas vous reprocher de chercher à être vertueux, mais, ce que l’on peut regretter, ce sont les choix qui sont faits pour y parvenir.

En dehors d’une baisse des crédits de fonctionnement et d’intervention qui serait de 5 % l’année prochaine, nous connaissons bien désormais la principale ficelle de la baisse des dépenses publiques. C’est toujours la même, la fameuse RGPP, avec, en particulier, son fameux principe du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Madame, monsieur les ministres, ne pensez-vous pas que la suppression de tous ces postes pourrait, à terme, avoir une incidence sur le pouvoir d’achat et donc sur la croissance ?

Vous mettez en avant votre capacité à diminuer les dépenses de façon volontaire. Pourtant, c’est aussi grâce à une extinction automatique des dépenses consacrées au plan de relance que vous pouvez vous prévaloir de cette maîtrise. Au même titre, la suppression des programmes liés aux investissements d’avenir entraîne une moindre dépense de 35 milliards d’euros dans le présent projet de loi de finances.

Mais, je vous l’accorde, c’est bien par un rétablissement des recettes de l’ordre de 11,1 milliards d’euros que vous pouvez vous satisfaire d’une réduction du déficit structurel. Pour autant, la part des recettes fiscales nettes dans le PIB ne fait que diminuer depuis 2004. Comment l’État entend-il poursuivre ses missions à long terme, si cette décrue se poursuit ?

Pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu, c’est bien un choix politique qui avait été opéré par la loi TEPA, avec l’instauration de l’impopulaire bouclier fiscal. Vous l’aviez dit vous-même, monsieur le ministre – en d’autres temps ! –, c’est un impôt injuste.

À défaut de reconnaître que c’était une erreur, je suis heureux de constater que le Président de la République commence à nous entendre et je salue l’idée d’une taxation des revenus du patrimoine, même si je regrette qu’il faille attendre encore plusieurs mois pour la mettre en chantier. Le calendrier politique prime une nouvelle fois sur le calendrier parlementaire.

Concernant l’impôt sur les sociétés, un impôt théoriquement de 33 %, le Conseil des prélèvements obligatoires a publié un rapport édifiant, qui démontre la manière dont les grandes entreprises du CAC 40 réduisent fortement le montant du bénéfice assujetti à l’impôt sur les sociétés. C’est ainsi que le taux de l’impôt sur les sociétés tombe à 20 % pour les entreprises de moins de 500 salariés, à 13 % pour celles qui comptent plus de 2 000 salariés et à seulement 8 % pour celles du CAC 40.