Mme la présidente. La parole est à Mlle Sophie Joissains.

Mlle Sophie Joissains. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue François Marc et du groupe socialiste tend principalement à poser le principe selon lequel aucune entreprise ne peut acquitter un impôt sur les sociétés dont le taux réel serait inférieur à la moitié du taux normal, soit 16,66 %, visant ainsi les grands groupes qui bénéficient d’une imposition sur les bénéfices à des taux effectifs très faibles.

Le texte n’a pas été modifié par la commission des finances. Le rapporteur, notre excellent collègue Philippe Dominati, dont je tiens à saluer la qualité du rapport, a proposé au nom de la commission de rejeter cette proposition de loi.

Pour des raisons évidentes et difficilement contournables, la commission des finances réserve toute modification fiscale aux seules lois de finances, selon sa jurisprudence constante.

Le groupe socialiste souhaite mettre fin aux abattements et réductions d’assiette d’impôt sur les sociétés, qui conduisent les grandes entreprises à bénéficier d’un taux effectif d’impôt sur les sociétés inférieur à celui s’appliquant aux PME ou aux TPE. Selon notre collègue François Marc, la minoration de l’impôt sur les sociétés aurait pour effet immédiat de gonfler les dividendes des actionnaires.

En conséquence, le groupe socialiste propose de supprimer le régime du bénéfice mondial consolidé, d’empêcher toute entreprise d’acquitter un impôt sur les sociétés dont le taux réel serait inférieur à la moitié du taux normal et de moduler le taux de l’impôt sur les sociétés entre 30 % et 36,66 %, en fonction de l’affectation du bénéfice réalisé : plus bas si affecté à l’emploi à l’investissement, plus haut si affecté à la distribution de dividendes.

M. Jean Desessard. Cela paraît excellent !

Mlle Sophie Joissains. Par le but qu’elle vise, cette proposition de loi rejoint de légitimes préoccupations de justice sociale. Il est primordial, pour atteindre ce but plus que tout autre tant il est générateur d’espoir, de se donner les moyens d’agir avec efficacité. Pour cela, aucune incertitude ne peut demeurer. J’en relève malheureusement un certain nombre.

Les chiffres mettant en exergue un écart de taux réel d’impôt sur les sociétés acquitté sont différents selon les études. Les calculs de la Cour des comptes donnent des taux effectifs supérieurs à ceux du Conseil des prélèvements obligatoires.

Les écarts de taux existent, bien sûr, mais au-delà de la pétition de principe, il est important d’agir sans approximation. À cet effet, la direction générale du Trésor est en train de réaliser une étude pour préciser les chiffres.

Avant de prendre une décision, il convient également de procéder à une évaluation de l’intérêt du bénéfice mondial consolidé. Dans quelle mesure son coût est-il plus important que son intérêt ? Attendons pour le savoir la remise au Parlement, le 30 juin prochain, du rapport du Gouvernement évaluant l’efficacité et le coût de toutes les dépenses fiscales.

Le relèvement du taux d’imposition sur les bénéfices des grands groupes devra certainement être discuté. Toutefois, la proposition du groupe socialiste de relever le taux réel à un taux minimum de 16,66 % est, dans l’attente des nécessaires évaluations que nous venons d’évoquer, une mesure dont on ne connaît pas le véritable impact et qui, au-delà de son effet d’annonce, pourrait se révéler prématurée, voire dangereuse.

Rappelons que, à l’heure où l’on parle de convergence fiscale, le taux nominal d’impôt sur les sociétés est plus faible en Allemagne qu’en France, soit de 30 % au lieu de 33,33 % et, surtout, les cotisations sociales sont nettement moins importantes outre-Rhin, soit de 13 % du PIB, contre plus de 16 % en France.

Deux questions se posent : est-ce le moment d’augmenter la pression fiscale sur les entreprises françaises, plus faibles en export que les entreprises allemandes, même lorsqu’il s’agit de grands groupes ? Si oui, de quelle manière et dans quelle proportion ?

Dans ce schéma généreux, n’oublions pas la dépréciation de l’euro par rapport au dollar ou au yuan.

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent la mise en place d’un taux d’impôt sur les sociétés qui varie selon le niveau du bénéfice qu’elles mettent en réserve ou distribuent. Cette proposition paraît séduisante, mais la différenciation nécessite un suivi complet des affectations comptables du bénéfice sur plusieurs années, suivi qui n’a jamais réussi à être mis en œuvre.

C’est une matière complexe, fluctuante, et les risques de délocalisation sont, hélas, bien présents.

La direction du Trésor et le Gouvernement travaillent sur l’exactitude des chiffres, l’évaluation du coût et l’efficacité des dépenses fiscales.

Dans un esprit pragmatique, qui est aussi celui de l’équité, le Président de la République a d’ores et déjà annoncé la mise en place dans le collectif budgétaire de juin prochain d’une prime aux salariés que devront verser les entreprises qui distribuent des dividendes. C’est, certes, une manière différente d’aborder l’exigence de justice sociale, mais cette mesure sera peut-être perfectible. En tout cas, elle aura l’avantage indéniable de pouvoir être appréhendée par le salarié de manière directe en le remettant au cœur de la bonne marche de l’entreprise.

Dans ces conditions, et pour toutes les raisons évoquées, le groupe UMP votera contre l’ensemble de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que s’achève la discussion générale, je souhaite vous faire part de quelques observations.

D’abord, je remercie les auteurs de cette proposition de loi de nous donner l’occasion de mener une réflexion sur les niches fiscales. Hier matin, en commission des finances, nous tentions de mieux appréhender le concept même de niche fiscale, qui n’est pas simple. Il sera de la responsabilité du Parlement d’en dessiner les contours afin de clarifier nos débats sur des questions qui peuvent choquer l’opinion publique et susciter de vives protestations et de réelles incompréhensions.

Les niches mettent en effet à mal le pacte républicain et l’idée que nous nous faisons de l’égalité des Français devant l’impôt. Sur ces questions extrêmement graves, nous ne pouvons nous contenter d’effets tribunitiens, faute de quoi nous égarerions nos concitoyens, les empêchant de s’approprier les motifs qui rendent nécessaires un certain nombre de réformes.

Outre les auteurs de la proposition de loi, je remercie également le rapporteur général Philippe Marini, le rapporteur de ce texte, Philippe Dominati, ainsi que M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui a bien voulu suppléer les ministres en charge de l’économie et de la fiscalité, retenus sans doute par d’autres travaux, pour freiner toute tentation de créer de nouvelles niches fiscales ou sociales.

Le sujet qui nous inspire ce matin, c’est la mondialisation et les défis qu’elle suscite.

Depuis plusieurs semaines, j’assiste en quelque sorte au procès de Total. M. Rebsamen s’est lâché sur ce thème, mais je le mets en garde : évoquer ces questions, qui suscitent une incompréhension absolue, c’est manier de la nitroglycérine !

Si j’ai bien compris, en 2009, Total n’a pas payé d’impôt en France. Mais sur le plan mondial, l’entreprise a acquitté 7,7 milliards d'euros d’impôt pour un bénéfice net d’un peu plus de 8 milliards d'euros. Cela veut dire que les entités économiques paient l’impôt dans le pays où elles réalisent des bénéfices. Il s’agit de savoir si Total a fait des bénéfices en France.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Les raffineries de Total sont-elles rentables ? Les activités développées en France par Total sont-elles globalement rentables ? Manifestement non ! Peut-être y a-t-il eu de l’optimisation fiscale, conséquence de la subtilité des textes que nous votons désormais au fil des lois de finances, lesquelles auront, je l’espère, le monopole des dispositions fiscales.

Monsieur Rebsamen, je vous mets donc en garde. La vraie question est de savoir si Total a fait ou non des bénéfices en France. Il n’en a probablement pas fait, et c’est pour cela que l’entreprise ne paie pas d’impôt en France. Par conséquent, invoquer devant l’opinion publique l’argument selon lequel Total n’a pas payé d’impôt en France peut être rentable à court terme sur un plan électoral, mais ce n’est pas ainsi que nous améliorerons la compréhension collective des problèmes que nous avons à résoudre pour relancer la croissance, l’emploi et lutter contre le chômage. Donc, évitons de nous laisser aller à des considérations quelque peu tribunitiennes.

Autre question que nous devons nous poser : pourquoi l’entreprise Total ne fait-elle pas de bénéfices en France ? Nos lois, nos réglementations sont-elles compatibles avec l’espérance de bénéfices ? Ne sont-elles pas activatrices de délocalisation de certaines activités ? Il va falloir que nous remettions en cause un certain nombre de nos conventions de langage et de pensée.

Nous avons dû, au fil des années, puisqu’il faut aller à la conquête des marchés du monde, imaginer des fiscalités plus modernes, compétitives par rapport aux régimes fiscaux en vigueur dans d’autres pays.

Je me trouvais voilà une semaine aux Pays-Bas, avec plusieurs membres de la commission des finances. Nous nous demandions pourquoi un certain nombre de grandes sociétés internationales y avaient leur siège. Ce pays a, au moins autant que nous, compris les enjeux de la mondialisation.

Notre dispositif de bénéfice mondial consolidé permet à un groupe de déduire les pertes de ses filiales implantées à l’étranger des bénéfices réalisés en France par ses sociétés rentables. Mais lorsque ses filiales déficitaires deviennent excédentaires, elles paient l’impôt dans le pays où elles sont établies et, à ce moment-là, les résultats enregistrés en France n’intègrent pas les bénéfices constatés à l’étranger. Autrement dit, monsieur le ministre, nous jouons assez systématiquement perdants. (M. François Rebsamen approuve.)

Cette situation doit inspirer une réflexion : avez-vous d’autres solutions ? Quelles réponses peut-on apporter ?

Mme Nicole Bricq. C’est important !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Telles sont les interrogations sur lesquelles j’appelle votre attention.

Les Pays-Bas, pour reprendre cet exemple, ont inventé un système de ruling : il permet, par le biais d’une négociation débouchant sur une convention, d’aboutir à un accord avec les dirigeants du groupe.

La France n’est pas isolée dans le monde ; elle est en compétition avec d’autres pays, notamment avec les Pays-Bas. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, une directive européenne permettrait d’harmoniser l’assiette des impôts sur les sociétés : c’est l’objet de l’ACCIS, l’assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés.

Essayer de réguler au plan national une question qui doit être traitée à l’échelon européen ne peut s’apparenter, j’en ai bien peur, qu’à un exercice de pure gesticulation. Il est aisé de débattre de cet important sujet à la tribune ; cela nous permet de rendre compte à nos concitoyens des efforts que nous avons menés pour améliorer le rendement fiscal. Mais il faut en être conscient, cela revient à cracher en l’air !

Nous devons également nous interroger sur les prix de transfert. En effet, à l’échelon des groupes, il peut être commode d’optimiser en facturant depuis un pays où les bénéfices sont soumis à des taux relativement modiques vers un autre pays où les bénéfices sont imposés à des taux beaucoup plus élevés. Ne nous payons pas de mots ; l’instauration d’un système de ruling peut permettre d’apporter des réponses pragmatiques.

Chers collègues socialistes, je vous remercie de nous avoir permis de mener cette réflexion commune. Toutefois, je ne partage pas les convictions que vous avez défendues ce matin et je doute que, avec votre proposition de loi, vous puissiez atteindre les cibles que vous visez, qu’il s’agisse de la suppression du régime du bénéfice mondial consolidé, qu’il s’agisse du plancher de cotisations ou de la régulation en fonction de l’affectation des résultats c'est-à-dire selon que l’on distribue ou que l’on mette en réserve les bénéfices. Tout cela me paraît quelque peu théorique, technocratique, et me semble se prêter à de nouvelles optimisations.

Vous posez de véritables questions, mais, selon moi, vous devrez reprendre votre copie, car vos réponses sont illusoires. Dans ces conditions, je ne voterai pas les articles de votre proposition de loi.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’un second texte est inscrit à l’ordre du jour de ce matin. Je vous recommande donc d’user de votre temps de parole avec économie.

La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Ollier, ministre. Madame la présidente, Mme Bricq m’a reproché d’avoir parlé trop longtemps. Toutefois, je tiens à répondre à ceux qui m’ont interrogé,…

Mme Nicole Bricq. Justement, vous ne leur avez pas répondu !

M. Patrick Ollier, ministre. … car je m’en voudrais d’être discourtois avec les intervenants. J’ai beaucoup de respect pour la Haute Assemblée et pour ceux qui ont travaillé sur cette proposition de loi.

Je l’ai indiqué tout à l’heure, le chiffrage du taux effectif de l’impôt sur les sociétés est une affaire de convention. Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe socialiste, vous vous demandez pour quelle raison les entreprises du CAC 40 ne sont imposées qu’à 8 %, alors que les PME le sont à des taux plus lourds.

La réalité est beaucoup plus complexe : parmi les grandes entreprises, certaines réalisent d’importants bénéfices en France et payent beaucoup d’impôts, d’autres enregistrent des déficits et ne sont donc, par définition, pas taxables. Les chiffres que vous avancez sont d’ailleurs contestés par des études s’appuyant sur d’autres conventions.

Monsieur Rebsamen, vous m’avez reproché d’être politique. Mais vous l’avez été bien plus que moi, et avec beaucoup plus de talent. Je ne tiens pas me frotter à vous sur ce terrain-là ! (Sourires.) En revanche, je tiens à vous le dire, vos jeux de mots me semblent quelque peu douteux…

Vous avez évoqué tout à l’heure l’impôt minimum : il s’agit de l’impôt forfaitaire annuel, supprimé au début de cette législature parce qu’il frappait fort injustement les PME.

Messieurs Collin, Rebsamen et Foucaud, vous vous êtes interrogés sur le bénéfice mondial consolidé. Vous avez raison, un nombre très restreint d’entreprises est concerné. Les chiffres sont clairs, il s’agit de deux grands groupes et de trois PME. Chacune de ces entreprises fait l’objet d’un agrément, et donc d’un examen précis. Mlle Joissains l’a relevé à juste titre, et je l’en remercie, vous n’aurez pas beaucoup à attendre pour obtenir des réponses à vos questions, car, comme il s’y était engagé, le Gouvernement remettra le 30 juin 2011 une évaluation d’ensemble des niches fiscales, dont fait partie le régime du BMC.

Je partage l’opinion du président Arthuis, qui s’est exprimé avec grand talent. Je vais essayer de cheminer sur ses traces… Nous devrions être fiers d’avoir un groupe comme Total en France.

M. François Marc. Mais personne n’a prétendu le contraire !

M. Patrick Ollier, ministre. En tout cas, je ne vous ai pas entendu le dire ! Je vous ai surtout entendu reprocher à Total de ne pas payer d’impôt sur les sociétés !

M. François Marc. Nous sommes fiers des travailleurs de Total !

M. Patrick Ollier, ministre. Oui, monsieur Marc, nous sommes effectivement fiers des salariés de Total et eux-mêmes sont certainement très fiers de travailler dans ce groupe.

Cela ne vous aura pas échappé, Total fait de l’exploitation pétrolière. Monsieur Marc, monsieur Rebsamen, monsieur Foucaud, monsieur Collin, je ne pense pas que l’exploitation pétrolière puisse se faire autour du Palais du Luxembourg ou du Palais Bourbon ! Total n’a pas d’activité produisant des effets qui pourraient déterminer le paiement de l’impôt sur les sociétés en France. C’est bien connu, notre pays a beaucoup d’idées, mais pas de pétrole !

Voilà pourquoi il faut être prudent dans ses propos. Si Total ne paye pas d’impôt sur les sociétés, c’est peut-être tout simplement, si l’on y réfléchit bien, parce que cette entreprise ne fait pas de bénéfices en France.

M. Jean Desessard. Nous allons vérifier !

M. René-Pierre Signé. L’argument est spécieux !

M. Patrick Ollier, ministre. En revanche, le groupe paye beaucoup d’autres contributions sur ses bénéfices. Les chiffres qu’il a communiqués font état de 800 millions d’euros d’impôts.

Dans le cadre de l’agrément lié au bénéfice mondial consolidé, le groupe a pris des engagements, notamment celui d’investir en France 4,5 milliards d’euros sur la période 2009-2011. Il n’y était pas obligé, et pourtant il l’a fait ! Pour ma part, je préfère rendre hommage aux initiatives prises par le groupe et constater les faits.

Je terminerai en évoquant la question de l’impôt minimum, que plusieurs d’entre vous ont soulevée.

Dans le texte que nous examinons, vous proposez d’appliquer un taux minimum d’impôt de 16,5 % sur le bénéfice imposable. Je ne comprends pas bien cette proposition.

Aujourd'hui, le taux d’imposition applicable aux bénéfices est de 33 %. Votre proposition revient à taxer non plus les bénéfices, mais un solde comptable intermédiaire qui ne tiendrait pas compte des dépenses des entreprises et des besoins de financement de l’investissement. Or nous voulons, pour notre part, encourager le financement de l’investissement. Il est normal qu’une société qui investit puisse bénéficier de déductions de ses charges financières ou de ses amortissements.

Monsieur le président de la commission, je souscris aux réponses que vous avez apportées aux autres questions soulevées par les orateurs. Je connais votre compétence et votre volonté de rigueur dans le domaine des niches fiscales.

Vous avez probablement raison lorsque vous évoquez les lois et les réglementations « activatrices » de délocalisations. Le Gouvernement réfléchit aux pistes que vous avez mentionnées. Vous avez cité l’exemple des Pays-Bas, mais vous auriez pu prendre tout aussi bien celui de l’Irlande qui, avec un taux très incitatif de 12 %, attire un certain nombre de sociétés sur son territoire.

Pour conclure, je tiens à remercier le groupe socialiste d’avoir lancé ce débat qui a permis au Gouvernement, soutenu par le président de la commission, M. Arthuis, son rapporteur, M. Dominati, et Mlle Joissains, pour le groupe UMP, de rétablir un certain nombre de vérités.

Mme la présidente. La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi  tendant à améliorer la justice fiscale, à restreindre le « mitage » de l'impôt sur les sociétés et à favoriser l'investissement
Article 2

Article 1er

L’article 209 quinquies du code général des impôts est abrogé.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.

M. Thierry Foucaud. Monsieur le ministre, je n’avais pas prévu d’intervenir sur les articles, mais j’ai changé d’avis après avoir entendu vos propos.

On nous dira bientôt que, puisque Renault construit des voitures en Slovénie ou en Turquie, le groupe ne fait pas de bénéfices en France et qu’il n’est donc pas taxable.

M. Jean Desessard. Et Servier ?

M. Thierry Foucaud. Le même raisonnement pourrait s’appliquer à de multiples entreprises ! Je tiens à rappeler que le groupe Total distribue tout de même des dividendes en France.

Mes chers collègues, je veux vous faire part de mon étonnement : depuis des années, nous ne cessons de mener des débats sérieux, approfondis, parfois empreints de gravité, sur la situation de nos comptes publics, la nécessité de respecter nos engagements, notamment européens, de réduire les déficits publics.

Or, au moment où nous sommes saisis d’un texte qui porte en partie remède à la situation, j’entends M. le ministre, M. le rapporteur et, à l’instant, M. le président de la commission des finances nous dire que c’est une très mauvaise idée de demander aux entreprises de contribuer un peu plus, elles aussi, à l’effort exigé de tous.

Quelle drôle d’idée en effet de rendre aux salariés, sous forme de service public financé par leurs impôts, une partie de la richesse nationale qu’ils ont produite par leur travail, plutôt que de la perdre dans la distribution de dividendes et d’investissements financiers à l’étranger !

Monsieur le président de la commission des finances, il existe bien des dividendes ! D’ailleurs, même le Président de la République, à quelques mois de l’élection présidentielle, s’en aperçoit et propose d’en redistribuer une partie !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Vous voulez taxer tout le monde !

M. Thierry Foucaud. Nous voulons taxer ceux qui font de l’argent, notamment ceux qui possèdent des actifs financiers.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ils font de l’argent ailleurs !

M. Thierry Foucaud. Ils font aussi de l’argent en France ! Et cet argent ne profite ni à l’emploi ni à la production dans notre pays.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais les groupes payent des impôts à l’étranger ! C’est la mondialisation.

M. Thierry Foucaud. Monsieur le président de la commission des finances, vous évoquez souvent l’économie ouverte, la mondialisation et la globalisation.

J’ai choisi deux exemples montrant que les grands groupes nous ont administré de nouvelles preuves du bien-fondé des politiques de concurrence fiscale, lesquelles ont cours depuis si longtemps qu’on a oublié qu’elles étaient censées nous permettre de sortir de la crise des années soixante-dix.

Premier exemple, le groupe Lactalis, qui exploite quelques-unes des marques leaders de l’agro-alimentaire, notamment des produits frais, dans notre pays, vient d’annoncer qu’il a utilisé une part importante de son trésor de guerre, accumulé au détriment de ses salariés payés à bas prix et des coopératives laitières auxquelles ils imposent le prix de la matière première, pour réaliser une OPA sur le groupe italien Parmalat.

Autre exemple, l’entreprise Renault, à peine remise de la rocambolesque affaire d'espionnage industriel qui ne semble avoir été qu'une machination interne à l'encontre de quelques cadres, vient d'annoncer son intention de développer ses activités de recherche et développement à l'étranger, notamment en Roumanie. Depuis quelques très anciens accords qu’elle avait passés avec le régime de Ceausescu, elle est fortement implantée dans ce pays, où elle fait construire une large part des véhicules qu’elle réimporte ensuite en France pour les vendre sous la marque Dacia.

Mes chers collègues, la démonstration est ainsi faite qu'il est urgent de ne rien changer, conformément aux conclusions du rapport de notre collègue Philippe Dominati.

La réalité, c’est que la France, bien qu’elle ait l'impôt sur les sociétés le moins rentable de toute l'Union européenne, continue malgré tout de voir partir ses industries, cependant que ses industriels sont plus préoccupés par leurs parts de marché extérieur que par le développement de leur potentiel de production, de leurs capacités de recherche et de conception sur le territoire français.

Monsieur le président de la commission, les quelques entreprises, dont Renault fait d'ailleurs partie, qui tirent aujourd'hui profit du régime du bénéfice mondial consolidé n'ont pas besoin de telles dispositions fiscales pour s'en sortir au mieux. Ainsi, Renault dans le passé – j’ai souvent cité cet exemple – aurait pu éviter de placer au chômage technique certains de ses salariés si 1 % seulement des dividendes versés aux actionnaires avaient été consacrés au paiement des salaires ! Avec ou sans tous ces régimes de faveur, ces entreprises continueraient de procéder comme elles le font depuis trop longtemps.

Les chiffres l'attestent, le régime du bénéfice mondial consolidé ne semble pas se traduire dans notre pays par un effort particulier en direction des salaires, de l'emploi ou du développement des capacités d'innovation et de production. C’est pourquoi il est temps de mettre un terme à ce dispositif qui, en réalité, n'est qu'un cadeau fiscal sans objet et sans intérêt.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Évitons la tentation du repli sur soi, ne dressons pas partout des barrières, des frontières, mais, au contraire, engageons ensemble un débat sur la mondialisation et ses enjeux.

Monsieur Foucaud, je l’ai dit, nous étions la semaine dernière aux Pays-Bas, non pas à Rotterdam, mais à La Haye.

Ne croyez-vous pas, puisque nous parlons de la mondialisation, que nous pourrions à cette occasion évoquer la question des ports et celle de leur fonctionnement ? Pensez-vous que l'attitude de certains syndicats portuaires français soit bénéfique pour notre pays et facilite la création des emplois que vous appelez de vos vœux ?

Aussi, j’invite un certain nombre de personnes à se remettre fondamentalement en cause et à délaisser les considérations tribunitiennes. C'est ainsi que l'on redonnera confiance et espoir.

M. Jean Desessard. Et les salaires des patrons ? Ils ont augmenté de 24 % !

M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, je demande la parole pour répondre à M. le président de la commission.

Mme la présidente. Mon cher collègue, je ne peux vous la donner, car vous n'avez pas été mis en cause personnellement, et je souhaite que nous avancions. (M. Thierry Foucaud proteste.)

Je mets aux voix l'article 1er.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que l'avis du Gouvernement est également défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 198 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 337
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l’adoption 150
Contre 181

Le Sénat n'a pas adopté.