M. Jacques Blanc. C’est un procès d’intention !

Mme Nicole Bricq. Notre proposition de loi remédie à cette opacité en appliquant les règles du Grenelle et en les introduisant aux articles 3, 4 et 5, dans le cadre des procédures d’autorisation de permis de recherches et d’exploitation d’hydrocarbures liquides ou gazeux.

Par ailleurs, ces articles permettent de rendre le dispositif plus lisible, en soumettant le code minier aux dispositions de la convention d’Aarhus et de la Charte de l’environnement, qui, dans la hiérarchie des normes, prévalent sur les lois ordinaires et, a fortiori, sur les ordonnances ou les autres textes de nature réglementaire.

À ce jour, madame la ministre, nous ne savons pas si le Gouvernement a l’intention d’introduire ces références dans le code minier, comme il le laisse entendre. Il n’a toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement la ratification de cette ordonnance. Or, aux termes de l’article 38 de la Constitution, celle-ci doit expressément être législative.

Vous ne devriez donc pas voir d’objection à ce que ces principes, auxquels vous êtes attachée, entrent immédiatement en application grâce à notre proposition de loi.

Il faut, par cohérence, mettre en regard notre proposition de loi et le texte de la commission, laquelle a amendé la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale, la rendant à nos yeux encore plus dangereuse, comme mon collègue Michel Teston le montrera.

Ce texte, en l’état, constitue un recul de la majorité par rapport à la proposition initiale du groupe de l’UMP, au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Je regrette le temps, chers collègues, où nous étions tous unis pour réclamer l’abrogation des permis ! Cependant, ce recul de la majorité n’est pas vraiment une surprise, car le Gouvernement n’a jamais été clair, oscillant entre une réponse à la mobilisation populaire afin d’éviter qu’elle ne s’amplifie,…

M. Didier Guillaume. C’est tout !

Mme Nicole Bricq. … et la défense des permis qu’il avait octroyés, afin de ne pas être contraint de se dédire.

Il n’a jamais clairement pris de décision formelle visant à stopper cette activité et à reprendre la procédure en toute transparence. Il n’a pas imposé de moratoire formel,…

Mme Nicole Bricq. … tout au plus a-t-il demandé aux entreprises concernées de bien vouloir suspendre leurs opérations jusqu’à la remise d’un rapport sur le sujet par une mission interministérielle, rapport attendu pour une date désormais indéterminée, puisqu’il devait être rendu le 31 mai et que nous sommes aujourd'hui le 1er juin.

S’agit-il pour le Gouvernement de prendre ses responsabilités ou de gagner du temps ? Nous penchons pour la seconde hypothèse.

M. Jacques Blanc. C’est un procès d’intention ! C’est inacceptable !

M. Didier Guillaume. C’est la réalité !

Mme Nicole Bricq. À la différence de la majorité, le groupe socialiste est resté constant dans ses positions.

M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission de l'économie. Des mots !

Mme Nicole Bricq. Je les rappelle, en trois mots : l’interdiction, l’abrogation et la transparence.

Le Premier ministre, le 12 avril dernier, n’avait-il pas solennellement déclaré devant nos collègues députés : « Il faut tout remettre à plat, et donc il faut annuler les autorisations qui ont déjà été données » ?

M. Roland Courteau. Il l’a dit !

Mme Nicole Bricq. Entre-temps, on l’a bien compris, les sociétés ont multiplié les interventions auprès des élus, et le texte issu de l’Assemblée nationale, repris par la commission, n’a plus rien à voir ni avec celui de M. Jacob, président du groupe de l’UMP à l’Assemblée nationale, ni avec le vôtre, chers collègues du groupe de l’UMP du Sénat.

Il convient tout de même de s’interroger : pouvez-vous croire que les sociétés, après avoir obtenu ou conservé les permis, vont désormais déclarer benoîtement qu’elles utilisent la technique de fracturation hydraulique ? Ce serait de votre part faire preuve d’une grande naïveté ! Elles trouveront la parade.

À cet égard, je citerai le président-directeur général de Total, notre champion national en la matière,…

M. Bruno Sido. On est bien content de l’avoir !

Mme Nicole Bricq. … qui déclarait devant l’assemblée générale des actionnaires, à propos du texte issu de l’Assemblée nationale : « Ce texte est habile. On va s’en sortir […] ».

M. Bruno Sido. Avec de nouvelles méthodes !

Mme Nicole Bricq. Je dispose, si vous le souhaitez, du compte rendu intégral de son intervention.

En fait, majorité et Gouvernement, vous cherchez à éteindre la contestation. Je crois que vous n’y parviendrez pas !

M. Jacques Blanc. On cherche à régler le problème !

Mme Nicole Bricq. Vous prenez prétexte de l’absence de distinction dans notre droit français entre hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. Or notre proposition de loi souligne le caractère central de ce problème dès le deuxième paragraphe de notre exposé des motifs, connu de tous depuis le 24 mars. D'ailleurs, le permis de Montélimar, auquel je me suis déjà référée, est extrêmement clair sur ce sujet.

Hormis le fait que le Gouvernement avait la responsabilité d’anticiper cette difficulté juridique avant d’accorder les permis, pourquoi ne l’a-t-il pas fait depuis ? Il peut encore opérer cette distinction dans le cadre de l’ordonnance portant codification de la partie législative du code minier, comme le groupe socialiste le proposera par voie d’amendement.

M. Didier Guillaume. C’est essentiel !

Mme Nicole Bricq. Je souhaite que la discussion permette au Gouvernement d’étayer sa position à ce sujet devant la représentation nationale.

M. de Margerie…

M. Bruno Sido. Encore lui !

Mme Nicole Bricq. … – Oui, monsieur Sido, il a le mérite de ne jamais employer la langue de bois, il est franc ! – a répondu aux associations contestataires qui s’étaient introduites dans son assemblée générale « qu’il respectait la loi » et qu’il convenait de changer les lois si elles n’étaient pas satisfaisantes.

M. Bruno Sido. Eh oui !

Mme Nicole Bricq. C’est justement ce que nous vous proposons de faire en distinguant hydrocarbures conventionnels et non conventionnels ! Ainsi, nous lèverons l’obstacle juridique à l’interdiction et à l’abrogation. La majorité pourrait se saisir de cette proposition pour démontrer qu’elle ne s’inscrit pas dans une simple stratégie de contention de la contestation, mais bien dans le cadre d’un débat démocratique menant à une prise de décision concertée et responsable.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous croyons que le choix d’une politique énergétique globale est une question clé de l’avenir des États de l’Union européenne. Elle doit être posée au peuple français.

Souhaitons-nous durablement nous rendre dépendants des énergies fossiles ? Que faisons-nous de l’accord de décembre 2007, obtenu à l’unanimité sous la présidence française, qui fixe pour les vingt-sept pays de l’Union européenne des objectifs ambitieux de réduction de gaz carbonique, d’économie d’énergie et de développement des énergies renouvelables ?

M. Bruno Sido. Absolument !

Mme Nicole Bricq. Dans le schéma économique et financier qui est ouvert par l’octroi des permis, il s’agit non pas de garantir notre indépendance énergétique, mais d’autoriser des opérateurs privés à réaliser des profits importants dans le plus court laps de temps par une exploitation intense. Est-ce cela que veulent les Français ?

Mme Nicole Bricq. Voulons-nous plutôt opérer une transition socialement acceptable vers une économie moins prédatrice ?

Ces questions, il appartient aux Français d’y répondre dans le débat qui s’ouvre pour l’échéance de 2012 et pas à une poignée d’opérateurs attirés par un nouvel Eldorado ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, au nom du groupe du RDSE.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes confrontés à un mode de gouvernance de moins en moins satisfaisant. Le Parlement est amené à légiférer sur la question complexe des gaz de schiste alors que rien, absolument rien ne justifie une telle précipitation si ce n’est la mobilisation citoyenne, laquelle est bien évidemment légitime. Mais, nous, parlementaires, devons-nous réagir à chaud et dans l’urgence ? Personnellement, je ne le crois pas, à plus forte raison au sein de notre Haute Assemblée, connue pour sa grande sagesse.

On nous demande de faire du mauvais travail législatif pour tenter de corriger les erreurs et les égarements du Gouvernement et d’un ministre d’État. On nous demande ainsi d’adopter au plus vite, sans même disposer de tous les éléments scientifiques et objectifs, une proposition de loi rédigée à la hâte par nos collègues députés.

Or, avant même son adoption définitive, il est évident que ce texte n’apportera pas de solution satisfaisante et raisonnée à la question très complexe de l’exploitation des gaz de schiste. Il est donc de nature à ne satisfaire personne ; la forte mobilisation citoyenne ne faiblira pas, les industriels concernés ne pourront poursuivre leurs recherches et notre pays risque de se priver de ressources essentielles, à un moment où nous redéfinissons notre politique énergétique, que nous souhaitons toujours fondée sur le principe de l’indépendance.

C’est pourquoi, avec mes collègues du groupe du RDSE, nous avions souhaité un débat sur la question des gaz de schiste plutôt qu’une loi. Il est encore trop tôt, nous semble-t-il, pour légiférer sur le sujet.

Mes chers collègues, personne n’ignore que les gaz de schiste suscitent des convoitises et font naître de nombreuses inquiétudes auxquelles la science n’a pas encore apporté toutes les réponses. Toutefois, l’enjeu est considérable ! Or nous ne savons pas grand-chose, si ce n’est, au vu des expériences pratiquées dans d’autres pays, que l’exploitation du gaz de schiste est loin d’être neutre d’un point de vue écologique, du moins pour le moment et en l’état des outils techniques et scientifiques dont nous disposons.

Les gisements sont très profonds – jusqu’à trois kilomètres sous la surface de la terre – et la seule pression ne suffit pas à faire émerger l’huile et le gaz de schiste. Si ces sources ont longtemps été délaissées, c’est parce qu’elles sont plus difficiles et potentiellement plus coûteuses à exploiter.

La technique retenue depuis une dizaine d’années pour les exploiter consiste à forer verticalement jusqu’au schiste, puis horizontalement, avant, depuis la surface, d’injecter sous pression un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques destiné à fracturer la roche et à permettre au gaz de circuler pour être pompé. C’est désormais la fameuse technique de la fracturation hydraulique.

De nombreux arguments sont avancés pour plaider purement et simplement contre l’exploitation des gaz de schiste.

Tout d’abord, les grandes quantités d’eau nécessaires à la fracturation hydraulique effrayent. Selon l’Institut français du pétrole, chaque fracturation nécessite de 10 000 à 15 000 mètres cubes d’eau, dont seule une partie est récupérée. Sachant que chaque puits peut être fracturé plusieurs fois, la consommation d’eau requise est absolument considérable. Il est vrai que cette perspective va à l’encontre de notre politique de protection des sources d’eau potable, surtout à l’heure où la menace de sécheresse devient une réalité sur nos territoires.

Ensuite, les produits chimiques utilisés seraient toxiques et pollueraient les nappes phréatiques. Plusieurs affaires récentes de pollution de l’eau ont suscité l’émoi aux États-Unis comme au Canada. Le documentaire Gasland a particulièrement choqué l’opinion en montrant un robinet d’eau prenant feu. Cependant, une étude scientifique américaine récente, si elle met en évidence des cas de contamination de l’eau potable, estime que la contamination serait plutôt due à un défaut de cimentation du puits.

Par ailleurs, les rejets accidentels de méthane, gaz à effet de serre, sont aussi pointés du doigt, tout comme le retraitement de boues toxiques remontant à la surface.

Enfin, l’implantation de machines à forer et les installations connexes constituent indéniablement des nuisances pour les riverains, notamment du fait du bruit qu’elles provoquent, sans parler de leur impact sur les paysages.

De ce point de vue, la technique de la fracturation hydraulique est dangereuse et va à l’encontre des principes les plus fondamentaux du Grenelle de l’environnement. La lutte contre les gaz à effet de serre ou l’objectif de protection des sources d’eau potable sont tout simplement relégués au second plan de notre politique énergétique et environnementale.

Notre ambition n’était-elle pas non de nous tourner vers de nouvelles énergies fossiles de substitution, dont l’extraction a un impact incertain et pourrait présenter de graves risques pour l’environnement, mais de développer des énergies renouvelables ? Mon collègue Robert Tropeano, particulièrement mobilisé dans son département de l’Hérault, développera ces arguments au cours de son intervention dans la discussion générale.

Outre le fait que la prospection d’énergies fossiles est contraire à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les conséquences environnementales pour la santé publique des techniques d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste, si elles sont potentiellement graves, sont peu connues. Là est le problème fondamental. Pour ma part, j’insiste sur le fait que, indiscutablement, une incertitude scientifique demeure.

La recherche sur les possibilités d’exploiter demain des gisements potentiels de gaz de schiste n’a jamais été conduite jusqu’à son terme en France, ce qui pose également problème.

Les incertitudes sont encore immenses, ainsi que les divergences de point de vue, nous le savons. La semaine dernière, par exemple, c’était au tour de la très sérieuse commission en charge de l’énergie et du changement climatique de la Chambre des communes britannique de donner son avis. Selon elle, la fracturation hydraulique ne présente aucun risque pour l’environnement. Alors qui croire ?

Avec la majorité de mes collègues du groupe du RDSE, je pense qu’il est indispensable de lancer le plus rapidement possible un programme de recherche scientifique sur les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux, à l’échelon national, voire européen.

Mes chers collègues, c’est la raison, et non l’émotion, qui devrait guider notre réflexion. Nous attendons réellement, je le répète, que la science nous éclaire. Nous avons besoin de travaux scientifiques sérieux pour faire les bons choix. Nous n’en disposons pas aujourd'hui.

Une fois de plus, nous légiférons dans l’urgence – c’est une habitude – et sous l’emprise de l’émotion, alors que les expertises attendues sur ce sujet ne sont même pas achevées et connues. La mission d’information créée à l’Assemblée nationale le 1er mars dernier devrait rendre ses conclusions dans quelques jours. La mission confiée au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et au Conseil de l’environnement et du développement durable publiera, quant à elle, son rapport définitif dans le courant du mois de juin. N’aurait-on pas pu attendre quelques semaines ?

Pourquoi tant de précipitation ? Le Gouvernement semble agir sans réflexion suffisante sur un sujet très grave. Il a mis le feu aux poudres ne se laissant d’autre choix a posteriori que de légiférer pour éteindre l’incendie.

M. Roland Courteau. Il y a les élections !

M. Yvon Collin. C’est un véritable problème de gouvernance, madame le ministre ! Toute cette affaire du gaz de schiste a été particulièrement mal gérée.

M. Jacques Blanc. Pas par elle !

M. Yvon Collin. C’est d’ailleurs un cas d’école à enseigner à l’ENA, un exemple de ce qu’il ne faut pas faire, un contre-exemple de gouvernance démocratique et avisée.

M. Yvon Collin. En mars 2010, malgré tous les griefs évoqués et les questions qui demeurent en suspens, des permis de forage de prospection ont été accordés sur le territoire français à plusieurs industriels, américains et français, pour des recherches de gaz de schiste dans le sud-est du pays et d’huile de schiste en Île-de-France. Cette décision a été prise, on peut le dire, en catimini et sans la moindre consultation.

M. Roland Courteau. En cachette !

M. Yvon Collin. Les populations, les associations et les élus concernés n’ont eu aucune connaissance de ces projets et ils ont découvert leur existence par hasard. Quant aux élus locaux et aux parlementaires, ils ont été abasourdis d’apprendre ces projets dans la presse. On peut aisément comprendre le tollé que ces nouvelles ont suscité, tollé que, pour notre part, nous regrettons.

Je le répète, car cela choque particulièrement le groupe du RDSE : aucune concertation n’a eu lieu. Comment peut-on tolérer que des actes administratifs ayant des conséquences aussi importantes sur les territoires soient pris dans de telles conditions ? Les territoires concernés par certains de ces permis sont des parcs naturels régionaux, dont l’intérêt patrimonial est reconnu. Certains sont mêmes candidats au classement au patrimoine mondial de l’UNESCO !

Les acteurs locaux auraient par la suite dû être associés à la mission sur les enjeux de l’exploitation des hydrocarbures de schiste lancée il y a quelques semaines par le Gouvernement, embarrassé sans doute face à l’ampleur de la contestation sur le terrain. Mais cela n’a pas été le cas et, à ma connaissance, cela ne l’est d’ailleurs toujours pas.

Enfin, il n’est pas admissible que les demandes d’exploration du sous-sol ne soient toujours pas soumises à des enquêtes publiques locales. Sur ce point, une mise à jour du code minier est attendue. Ce code, qui engage l’avenir de notre sous-sol, doit être réformé dans son ensemble. Un texte est annoncé, mais combien de temps faudra-t-il encore attendre pour qu’il soit inscrit à l’ordre du jour des assemblées parlementaires ?

Madame le ministre, les paroles et les actes doivent être en harmonie, particulièrement si vous souhaitez donner l’exemple en matière de protection de l’environnement et de gestion des ressources énergétiques.

Depuis le Grenelle de l’environnement, l’État invite chacun, et notamment les collectivités territoriales, à s’engager toujours davantage en faveur de la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles, de la réduction des pollutions, des consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre.

Les collectivités locales tentent du mieux qu’elles le peuvent de répondre à ces exigences nouvelles, qui sont pourtant souvent sources de lourdes contraintes pour elles. Mais le Gouvernement, lui, de son côté, semble mener une tout autre politique, à l’opposé de ses déclarations médiatiques.

L’année dernière, sans aucune consultation préalable, le Gouvernement, par la signature d’un ministre d’État, a pris la décision d’autoriser des explorations en vue d’une exploitation, potentiellement très polluante, d’énergies fossiles. Au moment même où étaient délivrées ces autorisations, le Grenelle de l’environnement était présenté aux parlementaires. Quelle crédibilité accorder au Gouvernement face à une telle dissonance politique ?

Le comble de l’ironie est que le ministre de l’écologie qui a alors délivré les permis d’exploration, aujourd’hui député, a déposé une proposition de loi pour abroger les autorisations. Nous ne sommes plus à une incohérence près dans ce dossier ! Pensez aussi, madame le ministre, à l’image que nous donnons à nos concitoyens des politiques et de leurs convictions, et plus encore à ce que signifie le principe de responsabilité politique.

Quant aux industriels, ils sont aussi beaucoup trop discrets sur leurs méthodes. Qui peut nous garantir qu’il n’existe pas aujourd’hui d’autre technique d’exploration et d’exploitation du gaz de schiste que la fracturation hydraulique ? Pour ma part, je n’en connais pas, mais la science et les techniques vont vite. Là encore, le manque de transparence et d’information du public ainsi que l’opacité d’une filière sont patents et contribuent à la situation de blocage actuelle.

La polémique a obligé le Gouvernement à instaurer un moratoire et à confier, après coup, au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et au Conseil de l’environnement et du développement durable une mission destinée à l’éclairer sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux des hydrocarbures de roche-mère que sont le gaz et les huiles de schiste.

On ne peut pas nier que, dans cette affaire, tout a été fait dans le désordre le plus total. À croire que ce désordre a été organisé pour permettre à quelques-uns de parvenir à leurs fins…

Après avoir proposé l’annulation pure et simple des permis, les députés ont révisé leur copie et préféré proscrire la technique elle-même. Du point de vue de la stricte sécurité juridique, ce choix semble plus pertinent, j’en conviens.

M. Yvon Collin. Néanmoins, au regard du manque de connaissances scientifiques sur le sujet et compte tenu des enjeux énergétiques auxquels nous sommes confrontés, est-il responsable pour le législateur d’adopter un tel texte ? Les membres du groupe du RDSE n’en sont pas du tout convaincus.

La sécurisation et la diversification de nos approvisionnements énergétiques sont des questions majeures en toile de fond du débat que nous avons aujourd’hui sur l’exploitation du gaz de schiste.

La France dispose d’une soixantaine de gisements pétroliers et gaziers, principalement situés dans le Bassin aquitain et dans le Bassin parisien, dont la production représente à peine 1 % à 2 % de la consommation nationale. En France, 98,5 % du gaz naturel consommé est donc importé. Notre facture d’importation gazière s’élève à 10 milliards d’euros et ne pourra aller qu’en augmentant dans la mesure où notre consommation de gaz est appelée à croître dans les cinquante années à venir.

Malgré les efforts faits pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée en matière de développement d’énergies renouvelables, la France, il faut le rappeler, est toujours aujourd’hui une grande consommatrice d’hydrocarbures et le restera sans doute encore longtemps. Même si l’on peut regretter cet état de fait, il faudra faire avec. Dès lors, l’exploitation de nouvelles ressources paraît presque inévitable et représenterait même un grand intérêt pour notre indépendance énergétique.

Selon une étude publiée en avril 2011 par l’EIA – l’Energy Information Administration –, la France serait, avec la Pologne, le pays d’Europe dont les ressources en gaz de schiste sont les plus importantes. La question de l’exploration et de l’exploitation de ces gisements se pose donc avec une particulière intensité d’un point de vue économique. Nos sous-sols pourraient nous permettre d’acquérir une plus grande indépendance sur le plan énergétique en nous rendant moins tributaires du marché mondial du gaz. On sait les conséquences que cela pourrait avoir sur les prix du gaz pour nos concitoyens. Notre rôle de parlementaires n’est-il pas aussi de veiller à cela ?

Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’exploitation des gisements de gaz de schiste a permis aux États-Unis de passer devant la Russie en termes de production de gaz naturel. Ils prennent ainsi la tête du classement mondial. Je n’admire évidemment pas la situation actuelle des États-Unis concernant l’exploitation de leur gaz de schiste – les polémiques vont bon train, je l’ai dit, et certains cas de pollution grave sont avérés –, néanmoins leur exemple prouve à quel point cette ressource peut représenter un enjeu non négligeable, qu’il serait sans doute irresponsable d’ignorer et de refuser a priori.

De fait, l’exploitation des gaz et huiles de schiste dans le monde serait susceptible de modifier profondément et durablement la carte de la production d’énergie. Cette question ne doit donc pas être traitée à la légère. Au-delà de la question écologique, qui se pose avec acuité, c’est tout le marché des ressources énergétiques et l’ensemble des politiques énergétiques mondiales qui pourraient être bouleversés.

Pour en prendre la mesure, encore faudrait-il avoir de véritables certitudes sur le niveau réel des ressources mondiales en gaz et en huile de schiste. À cet égard, le travail des scientifiques n’est pas non plus achevé, ce qui fait cruellement défaut à notre réflexion.

Le débat que nous avons aujourd’hui met une nouvelle fois en évidence l’opposition entre l’enthousiasme pour de nouvelles sources d’énergie et les risques réels que leur exploitation fait peser sur l’environnement. Cela symbolise clairement l’éternel paradoxe auquel nous sommes soumis : notre civilisation peine à satisfaire sa boulimie énergétique, mais elle voudrait être moins dépendante du nucléaire, surtout après les événements de Fukushima. Et je ne parlerai même pas de la fin annoncée de l’ère du pétrole...

L’orientation de notre politique énergétique mérite d’être mise à plat. Nous appelons de nos vœux un plus grand débat sur la politique énergétique de la France. Pourquoi pas un Grenelle de l’énergie, madame le ministre ? Agir dans la précipitation n’est jamais un gage de qualité. L’obscurantisme ne doit pas non plus prendre le pas sur le principe de précaution. Il n’appartient pas au législateur d’interdire aujourd’hui une technique qui sera peut-être mieux maîtrisée demain. C’est selon nous un non-sens.

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe du RDSE demandent à l’unanimité un grand débat public, démocratique et transparent sur l’exploitation des gaz de schiste dans notre pays. Nous regrettons d’avoir à nous prononcer sur cette proposition de loi alors que des études sont encore en cours et que des rapports sont sur le point d’être rendus.

Dans ces conditions, et pour les multiples raisons que je viens d’évoquer à cette tribune, aucun des membres du groupe du RDSE n’approuvera la présente proposition de loi : certains se prononceront contre, d’autres s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.

M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat sur les hydrocarbures de schiste intervient au moment même où le marché européen de l’électricité et du gaz est bouleversé par la décision allemande d’une sortie rapide du nucléaire.

Ce choix de la première puissance économique européenne va provoquer un bouleversement sur tout le vieux continent.

Tout d’abord, parce que l’Allemagne sera contrainte à court terme de recourir au charbon, sa première ressource, qui représente 45 % de sa production d’énergie. Le prix à payer – vous y avez fait allusion, madame la ministre – sera une augmentation importante des émissions de gaz à effet de serre.

Ensuite, parce que ses centrales nucléaires, qui produisent actuellement 23 % de l’électricité allemande, seront remplacées par des centrales à gaz alimentées principalement par la Russie. Cela augmentera inévitablement le prix du kilowattheure en Allemagne, et par ricochet dans le reste de l’Europe.

Le troisième pilier de la politique énergétique allemande pour compenser l’arrêt des réacteurs nucléaires repose sur les énergies renouvelables. Cependant, cela sera insuffisant à court et à moyen terme.

En attendant, que fera l’Allemagne ? Elle n’aura d’autre choix que d’importer du courant nucléaire, peut-être un peu de Tchéquie, mais essentiellement de France, notamment si elle veut éviter le risque d’un black-out tel que celui qu’elle a connu en 2006 et qui a eu des répercussions à l’autre bout de l’Europe, au Portugal et en Espagne.

Ce sera peut-être une bonne chose pour notre balance commerciale, puisque nous leur vendons déjà de l’électricité en été, mais cela posera un véritable problème pour notre approvisionnement, car chaque hiver la France doit importer son électricité.

En résumé, chacun a le droit de choisir son mix énergétique, mais il faut savoir que tout choix a des répercussions sur les autres nations européennes.