M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

M. Yvon Collin. Eh oui ! Vous avez fait vôtres les recommandations de ces banquiers, occupés à soigner leurs bonus, en mettant en place des mécaniques financières qui ont fait exploser la finance et l’économie mondiale.

Hé oui ! Vous n’avez pas vu et vous ne voyez toujours pas que c’est ce système économique qui est aujourd’hui comme hier responsable de l’état de nos finances publiques, comme l’est l’impéritie des intermédiaires financiers dont il va falloir acquitter la facture, facture qui augmente tous les jours pour certains de nos plus proches voisins, et cela à des risques incalculables !

Quant à la menace des marchés financiers, plutôt que de l’agiter, il serait souhaitable, monsieur le ministre, de prévenir les abus et de tenir les engagements que vous avez pris de réduire l’exposition des populations à leurs excès.

Mais il y a plus : il y a vos contradictions.

Il vous faudra bien reconnaître qu’avant la crise économique votre politique budgétaire était insoutenable. Vous avez pris des engagements à crédit, comme le niveau de la dette publique, qui ne pouvait qu’augmenter, nous le rappelle crûment.

L’année 2007 le montre avec éloquence : au cours de cette période, pourtant de forte croissance, vous avez creusé le déficit public de 0,4 point de PIB. Dans le même temps, notre voisin allemand, auquel vous vous référez fréquemment, améliorait sa position budgétaire de 1,9 point de PIB. Et la dégradation des comptes publics français aurait été encore plus nette si la conjoncture n’avait pas été porteuse, puisque notre solde structurel s’est alors alourdi de 0,9 point de PIB.

Vous avez choisi l’impasse budgétaire bien avant que l’impasse de votre système économique de prédilection n’apparaisse, et avec l’éclat dramatique que chacun a pu observer.

Je ne vous reprocherai pas de n’avoir pas tenu les objectifs de dépenses publiques que vous aviez affichés. Je ne souscris pas à la diabolisation de la dépense publique qui n’est fondée sur rien et ne mène nulle part.

En revanche, vous n’avez pas eu le courage de déployer les moyens de votre politique sur le front des prélèvements obligatoires. Vous avez sciemment baissé la contribution des plus aisés de nos concitoyens au financement des biens publics, si nécessaires à notre dynamisme économique et à notre cohésion sociale. Plutôt que de desserrer les contraintes qui s’exercent en ce domaine, vous les avez assumées avec entrain, vous montrant insouciant de toute cohérence financière. C’est ce point qui nous distingue, monsieur le ministre.

Or le projet de loi constitutionnelle que vous nous soumettez s’inscrit dans le prolongement de cette politique dépourvue d’orientation viable. C’est un rideau de fumée supplémentaire tiré par votre gouvernement. Et il s’agit d’une fumée dangereuse !

Tout d’abord, ce texte est inutile. Nous disposons d’outils surabondants permettant de contraindre une majorité à dévoiler ses options budgétaires. Ainsi, vous avez fait adopter une loi de programmation des finances publiques. Or, politiquement, je ne vois pas réellement la différence entre ce texte et les lois-cadres que vous introduisez dans notre droit. De fait, la différence n’est que juridique ! Mais êtes-vous si incertain de vos engagements que vous vous sentiez obligé de vous lier comme Ulysse au mât de son navire ? Il est vrai que vous n’avez pas respecté cette loi ! Mais c’est votre responsabilité !

Pour ma part, je n’ai pas le goût d’alourdir de principes juridiques les choix politiques. Cette mode des règles qui suppose un haut degré de suffisance de la part des concepteurs de celles-ci n’a fait la preuve de son efficacité ni au Royaume-Uni, sous la dénomination « règle d’or », ni en Europe, sous l’appellation « pacte de stabilité et de croissance ». Elle est source, au contraire, de bien grands dangers, notamment d’inertie, en lieu et place de la nécessaire agilité budgétaire. En créant une nouvelle convention, elle comporte aussi le risque – il serait bien naïf de le mésestimer –, d’alimenter la spéculation financière et de divertir l’attention des vrais problèmes du moment.

On a pleinement pu constater cet « effet lampadaire » pendant la crise. La Commission européenne engagea des procédures de déficit excessif à tour de bras, endommageant la réputation financière des États européens. Elle fut aveugle aux déséquilibres de la finance privée et ne sut point voir à quel point parfois les positions budgétaires n’étaient présentables que grâce à ces déséquilibres.

Monsieur le ministre, il faut se méfier des concours de beauté ! Ils poussent à des surenchères, dont les artifices séducteurs éloignent du principe de réalité et exposent ceux qui les emploient à la versatilité des appréciations des jurys au moindre écart de présentation.

Au demeurant, dans le concours de beauté auquel vous nous demandez de participer, vous êtes loin du compte.

Ainsi, vous êtes bien éloigné de la nouvelle règle budgétaire allemande. Nous verrons d’ailleurs bien si celle-ci sera plus respectée dans le futur que ne l’aurait été par le passé une éventuelle règle similaire.

Vous êtes également bien éloigné d’une règle claire. Votre projet de loi constitutionnelle correspond, en réalité, à une kafkaïsation de notre droit.

Vous créez des lois-cadres auxquelles vous conférez une dignité normative supérieure à celle des lois ordinaires. D’où provient cette supériorité ? De la Constitution, que vous nous demandez de réformer à cet effet. Fort bien !

Le procédé ne serait pas tout à fait inédit, soutient-on, puisque les lois organiques sont désignées comme s’imposant aux lois ordinaires. Mais voilà : les lois organiques diffèrent des lois ordinaires par leur contenu et par leur procédure d’adoption. Rien de tel avec vos super-lois de finances.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais si !

M. Yvon Collin. Quel sera précisément le contenu des lois-cadres ?

Mme Nicole Bricq. Mystère et boule de gomme !

M. Yvon Collin. Au demeurant, on ne le sait pas. Votre texte évoque, outre les mesures qu’il mentionne, des dispositions supplémentaires que la future loi organique prévue pour déterminer le champ des lois-cadres pourrait leur attribuer. C’est tout à fait incohérent !

Comment une loi organique pourrait-elle élargir le champ de ces lois-cadres en sus de ce que prévoit la Constitution ? Cela reviendrait à lier le législateur, sans nul fondement constitutionnel solide, et ne pourrait pas être jugé conforme à la Constitution. Or, nous le savons, le Conseil Constitutionnel examinera automatiquement la loi organique annoncée.

Enfin, pour rester dans Kafka ou Ubu, il serait au moins souhaitable que le Gouvernement ou la commission nous éclaire sur l’objet du vote. On veut faire d’un objectif, nécessairement soumis à des aléas, une norme. Mais comment sanctionnera-t-on celle-ci ? Le texte précise seulement que les écarts entre l’exécution et les objectifs devront être compensés. Mais de quels écarts s’agit-il ? On nous renvoie à la loi organique. Or ce problème est essentiel. En effet, les écarts seront compensés soit terme à terme, soit eu égard à leurs effets sur le solde public, ce qui n’est pas du tout la même chose. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

La logique de votre texte, à savoir tendre vers l’équilibre des comptes des administrations publiques, voudrait que la compensation se fasse au vu du solde constaté. Mais, monsieur le ministre, la mécanique que vous mettez en place va dans le sens contraire. Or, économiquement, c’est bien le solde qui compte. Mais peu importe à ce stade. Ce que je retiens, c’est le flou de votre projet de loi constitutionnelle.

Et le brouillard s’épaissit quand on s’interroge sur les modalités de la compensation, dont le principe est posé. Quand interviendra-t-elle ? Dès sa constatation ? Mais les écarts d’exécution ne sont jamais constatés instantanément, vous le savez bien ; il faut parfois attendre des années la révision des comptes nationaux pour que l’exécution soit connue. Même en comptabilité publique, il y a des délais. Il faut à tout le moins attendre les lois de règlement. Faudra-t-il patienter jusque-là ? Sera-t-il possible de constater alors un quelconque écart puisque, par hypothèse, celui-ci devra être comblé ?

Vraiment, le présent texte ne tient pas la route. Je prendrai un autre exemple. Vous prétendez que les lois-cadres comporteront des planchers de recettes et des plafonds de dépenses s’imposant aux lois financières. Or la loi de finances comporte certes des évaluations de recettes, mais n’envisage aucune évaluation de dépenses. Elle prévoit des crédits, qui correspondent non pas à des obligations, mais à des autorisations de dépenser. On ne voit donc pas sur quoi reposera la norme de dépenses de la loi-cadre s’agissant des lois de finances.

La Constitution mérite bien mieux que votre projet de loi constitutionnelle. Mais sortons des vertiges de perplexité qu’inspire un texte si incertain et retrouvons la terre ferme et solide de notre tradition démocratique, constitutionnelle et parlementaire !

Si un seul motif devait justifier le report de l’examen de votre projet de loi à des temps plus inspirés, ce serait celui que je vais maintenant exposer brièvement. Nous ne pouvons, dans cette assemblée, nous rallier à l’attentat contre le Parlement que représente la sanctuarisation de la matière fiscale dans les lois financières.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Yvon Collin. Incidemment, je ne vois pas comment la commission des finances, qui a toujours plaidé pour le monopole des lois de finances en matière de détermination des prélèvements obligatoires, pourrait voter ce texte sans se renier, puisque les lois de financement de la sécurité sociale se voient reconnaître une compétence concurrente, à la satisfaction, j’imagine, de la présidente de la commission des affaires sociales et de son rapporteur général.

Mais pour nous, parlementaires ordinaires, ce point est beaucoup moins important que la perspective d’être privés de toute initiative dans ces domaines si essentiels à la dignité d’un Parlement, en dehors de l’examen des lois de finances. Je rappelle que celles-ci sont à l’initiative du Gouvernement. C’est donc conditionnellement sur son initiative que la nôtre pourra désormais s’exercer. Une telle réduction de nos pouvoirs n’est pas tolérable.

De surcroît, cette disposition surchargerait encore les débats, déjà si lourds, que nous menons chaque automne, débats au demeurant enserrés dans le carcan de délais très stricts. Elle nuirait non seulement à notre pouvoir d’initiative, mais aussi, sans aucun doute, à la qualité, déjà médiocre, de la loi fiscale. Que n’avez-vous pris le temps d’examiner le bouclier fiscal ?

Enfin, cette réduction de notre initiative parlementaire ne concernerait pas que la matière fiscale proprement dite. Étant donné la place que peuvent occuper les outils fiscaux dans les politiques publiques, nous serions démunis, au-delà de toute raison, d’une partie considérable de nos compétences.

Le Parlement, que vous prétendez respecter, ne peut pas tolérer ce qui serait non pas un simple recul, mais, je le répète, une véritable atteinte aux droits et aux prérogatives des parlementaires.

C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, comme plusieurs autres membres du groupe du RDSE, je vous invite à approuver la présente motion tendant au renvoi à la commission du projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En règle générale, hormis à la fin, l’intégralité de la présentation d’une motion tendant au renvoi à la commission n’a rien à voir avec l’objet même de la motion !

Celle de M. Collin n’a pas dérogé à la règle. Au demeurant, après les nombreux discours sur la politique économique de cet après-midi, elle fut intéressante.

M. Jean Desessard. C’est normal !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour ma part, je ne me permettrais pas de porter quelque jugement que ce soit en matière de discipline budgétaire, domaine dans lequel tout le monde a péché.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais si, ma chère collègue !

Mme Nicole Bricq. Je ne crois pas au péché !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Disons alors que tout le monde a commis des fautes !

Monsieur Collin, la fin de votre intervention m’a particulièrement intéressé…

M. Yvon Collin. Vous avez préféré la fin de mon exposé ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais oui, parce que, justement, la commission des lois s’est efforcée, avec un certain succès, de faire en sorte que le droit d’initiative des parlementaires soit parfaitement préservé. Elle a examiné un certain nombre d’amendements, dont la plupart ont été adoptés par vos collègues qui siègent en son sein. Par conséquent, le renvoi du présent projet loi constitutionnelle à la commission ne servirait pas à grand-chose. C’est pourquoi celle-ci émet un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Baroin, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cette motion.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 45.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Demande de renvoi à la commission (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques
Discussion générale

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 15 juin 2011, à quatorze heures trente et le soir :

1. Suite du projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques (n° 499, 2010 2011).

Rapport de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois (n° 568, 2010-2011).

Avis de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 578, 2010-2011).

Avis de MM. Jean Arthuis et Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances (n° 591, 2010-2011).

Avis de M. Jean-Paul Emorine, fait au nom de la commission de l’économie (n° 595, 2010-2011).

2. Projet de loi organique modifiant l’article 121 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée) (n° 554, 2010-2011).

Rapport de M. Christian Cointat, fait au nom de la commission des lois (n° 586, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 587, 2010-2011).

3. Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (n° 566, 2010-2011).

Rapport de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 589, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 590, 2010-2011).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART