M. Jacky Le Menn. C’est sûr !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Permettez-moi de dire, au nom de la commission des finances du Sénat, que rien ne sera plus important, plus payant, en définitive, en termes de crédibilité, et donc de confiance des Français, que de montrer que le Gouvernement tient le cap du redressement des comptes publics, sans prendre en considération les intérêts catégoriels dont les défenseurs ne manquent pas de faire monter les enchères chaque fois qu’une échéance électorale se profile. C’est avant tout en fonction de cela que nos concitoyens se détermineront en 2012. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat d’orientation des finances publiques peut parfois donner l’impression d’un exercice rituel sans grande portée, mais il s’inscrit de nouveau cette année dans un contexte particulier.

Pour les finances sociales, il intervient en effet à un moment charnière.

Cela est vrai tout d’abord d’un point de vue économique : après la récession sans précédent de 2008 et de 2009, la reprise apparaît aujourd’hui stabilisée, bien qu’encore modeste, avec une prévision de croissance du PIB de 2 % pour 2011 et de 2,25 % pour 2012, ce qui permet enfin d’envisager un niveau de recettes plus proche de ce que nous avons connu les années précédentes.

Sur le front des réformes, ensuite, après le traitement de la dette sociale et la réforme des retraites à la fin de 2010, d’autres mesures de nature structurelle doivent encore impérativement être prises : je pense en particulier, naturellement, à la réforme de la dépendance, annoncée pour la rentrée prochaine.

Sur un plan institutionnel, enfin, la loi du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, le programme de stabilité pour la même période présenté au conseil Écofin, débattu et voté à l’Assemblée nationale et au Sénat à la fin du mois d’avril, le projet de révision constitutionnelle en cours de discussion sont autant de nouveaux éléments qui délimitent le cadre dans lequel se préparent les textes financiers de l’automne prochain.

L’objectif général est, bien entendu, la réduction des déficits et le rétablissement de l’équilibre des comptes sociaux.

Vous le savez, mes chers collègues, du fait de la récession sans précédent de 2008-2009, le déficit du régime général, qui était de 10,2 milliards d’euros en 2008, avait doublé en 2009, pour s’établir à 20,3  milliards d’euros, et s’est encore accru en 2010, pour atteindre 23,9 milliards d’euros.

Fort heureusement, pour la première fois, en 2011, on observe un reflux, avec un déficit prévisionnel de 19,5 milliards d’euros – seulement, oserai-je dire ! Cependant, les prévisions du Gouvernement pour les quatre années suivantes ne permettent pas d’espérer un redressement plus significatif. C’est donc un déficit des comptes sociaux d’environ 20 milliards d’euros qu’il faudra continuer à enregistrer chaque année, ce qui n’est clairement pas soutenable à moyen terme.

Je ferai maintenant quelques remarques sur la situation actuelle des comptes sociaux.

Tout d’abord, pour la première fois depuis la survenue de la crise, l’écart entre la progression des recettes et celle des dépenses sera positif en 2011 : les premières pourraient augmenter de 5,3 %, grâce à une bonne tenue de la masse salariale, qui devrait s’accroître de plus de 3,2 %, et les dépenses verraient leur croissance contenue à 3,4 %. Il faut absolument qu’il en soit encore ainsi les prochaines années si l’on veut que l’amorce de redressement observée aujourd’hui se poursuive.

Ensuite, en 2010, pour la première fois depuis 1997, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, a été respecté. Il devrait l’être de nouveau cette année.

En outre, cette performance a été obtenue avec un objectif de progression particulièrement bas : 2,7 % en 2010, soit un rythme de croissance inférieur à la moyenne des années précédentes, qui se situait autour de 3,5 %. Le comité d’alerte, réuni le 30 mai dernier, a certes mis en garde le Gouvernement contre un risque de dépassement, aussi bien pour les dépenses de soins de ville que pour celles de l’hôpital, mais il a aussi fait valoir que les dotations mises en réserve en début d’année, soit 530 millions d’euros, permettront, le cas échéant, d’y faire face.

C’est un très grand progrès. Je me félicite de ce que nous puissions, deux années de suite, tenir parfaitement nos objectifs et que le Gouvernement applique cette nouvelle discipline avec rigueur. Les dépassements constatés les années précédentes commençaient à représenter des sommes considérables : plus de 20 milliards d’euros cumulés depuis 1997 !

Je voudrais encore insister sur un point, que la commission des affaires sociales a l’intention d’aborder dans les mois à venir : la dette des hôpitaux. Celle-ci continue de s’accroître ; à la fin de 2010, elle atteignait 27,3 milliards d’euros, ce qui, là encore, est excessif. La question de sa soutenabilité va bientôt se poser.

L’année dernière, nous avions mis en exergue trois sujets : la dette sociale, les retraites et l’assurance maladie. Des réformes ont été menées sur les deux premiers à la fin de 2010 ; je voudrais y revenir un instant.

En ce qui concerne tout d’abord le traitement de la dette sociale, en novembre a été définitivement adoptée la loi organique qui a autorisé un allongement de la durée de vie de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES. Celle-ci devait reprendre, en 2011, 65 milliards d’euros de dette accumulée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, dont 55 milliards d’euros au premier semestre, ce qui a été fait.

Nous étions partisans, vous vous en souvenez, d’un accroissement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, pour financer la reprise de dette, car cet impôt présente l’avantage d’être lisible et de reposer sur une assiette large, couvrant l’ensemble des revenus. Le Gouvernement a choisi d’autres options ; je ne reviens pas sur nos débats d’il y a bientôt un an, mais je regrette que l’on ait complexifié le dossier. Il importe dorénavant surtout qu’une nouvelle dette sociale ne se reconstitue pas. J’y reviendrai.

En ce qui concerne ensuite la réforme des retraites, nous en avons longuement débattu dans cette enceinte. Un bon équilibre, nous semble-t-il, a été trouvé entre l’allongement de la durée d’activité, élément essentiel du rétablissement financier, et la mobilisation de recettes supplémentaires, indispensables pour faire face aux échéances des années à venir.

Néanmoins, le retour à l’équilibre de la branche à l’horizon de 2018 n’est pas garanti. La Cour des comptes évalue même les risques pesant sur les prévisions de déficit à l’horizon de 2020 à environ 10 milliards d’euros.

C’est pourquoi nous pensons que, au-delà d’un suivi vigilant de la mise en œuvre de la réforme et de ses implications financières, il ne faut pas abandonner l’étude d’une réforme plus structurelle du système de retraite, qui permettrait de le rendre plus lisible, plus simple, plus équitable et financièrement pérenne.

Quelles sont les perspectives pour les comptes sociaux en 2012 ?

La trajectoire fixée pour la réduction des déficits est clairement établie : elle figure dans la loi de programmation des finances publiques, dans le programme de stabilité européen, dans le document du Gouvernement préparatoire au débat d’orientation de ce jour.

C’est une trajectoire ambitieuse, qui conduit à ramener l’ensemble des déficits publics à 4,6 % du PIB en 2012 et à 3 % en 2013, et, pour les comptes sociaux, à revenir à un besoin de financement inférieur à 1 % du PIB en 2013 et à 0,5 % en 2014.

Pour y parvenir, le Gouvernement évoque deux pistes : la maîtrise des dépenses et la sécurisation des recettes.

La maîtrise des dépenses est naturellement une priorité. Elle doit se poursuivre, notamment en ce qui concerne les dépenses d’assurance maladie.

À ce sujet, la Cour des comptes se montre une nouvelle fois très sévère, par exemple lorsqu’elle relève « l’anomalie que constitue depuis plusieurs années le financement par l’emprunt de l’équivalent de quatre semaines de soins courants ».

Nous partageons bien entendu ce constat, de même que les priorités qui en découlent : premièrement, assurer, année après année, le strict respect de l’ONDAM ; deuxièmement, restaurer l’équilibre des comptes d’ici à 2014 ; troisièmement, ouvrir sans tarder une réflexion sur des sujets clés en termes d’efficience du système de soins, comme l’amélioration de la prise en charge globale des patients alors que l’offre de soins est de plus en plus spécialisée.

Comme les années précédentes, la Cour des comptes propose un certain nombre de pistes, par exemple s’agissant du médicament. Elle insiste sur la nécessité que les négociations conventionnelles puissent déboucher sur un résultat compatible avec le respect de l’ONDAM pour 2012, soit 2,8 %, et sur celle de faire preuve d’une très grande vigilance à l’égard de la politique d’investissement hospitalier. Nous faisons nôtres nombre de ces préconisations.

Or, madame la ministre, au regard de ces propositions, le rapport préparatoire au débat d’orientation des finances publiques établi par le Gouvernement demeure extrêmement vague et imprécis, puisqu’il se borne à mentionner, pour l’essentiel, les dix priorités de gestion du risque assignées aux agences régionales de santé en juillet 2010, à savoir notamment les transports sanitaires, la chirurgie ambulatoire, l’imagerie médicale…

Notre commission l’a dit à de multiples reprises, il est temps de passer à un niveau d’encadrement plus rigoureux. Il est impératif de fixer des objectifs chiffrés et précis pour chacune des mesures énoncées si l’on veut qu’elles aboutissent. Les écarts entre professionnels et établissements sont importants. Il est possible de les corriger de manière à améliorer l’efficience du système, ainsi que sa qualité. Bien souvent, d’ailleurs, on constate que les établissements les plus performants en termes de gestion sont aussi ceux où la qualité des soins est la meilleure. Il est donc essentiel de créer cette dynamique en mettant un terme à la trop grande inertie observée au cours des dernières années.

La seconde piste est la sécurisation des recettes.

Il faut bien entendu continuer à traquer les niches sociales et les diverses exemptions qui réduisent l’assiette sociale. Cela étant, comme notre commission l’a déjà affirmé à de nombreuses reprises et comme le dit avec force la Cour des comptes, ce ne sera pas suffisant et il faudra rapidement mobiliser de nouvelles recettes. Sinon, il nous sera impossible de résorber le socle de 20 milliards d’euros de déficit dont nous pâtissons aujourd’hui.

Tels sont, madame la ministre, mes chers collègues, les éléments que la commission des affaires sociales et son rapporteur général, M. Alain Vasselle, souhaitaient soumettre à votre réflexion dans le cadre de ce débat. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin. (Mme Françoise Laborde applaudit.)

M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que notre pays n’a pas été en mesure de présenter un seul budget en équilibre depuis trente ans – il me semble que M. Fourcade a été le dernier ministre des finances à y parvenir –,…

M. Yvon Collin. … l’appel à une discipline budgétaire plus rigoureuse semble sonner le glas de nos illusions, et la crise politico-économique particulièrement inquiétante que traverse la Grèce depuis plusieurs mois montre que l’Europe tout entière est gagnée par l’orthodoxie budgétaire.

C’est d’ailleurs un vieux débat que les tensions persistantes au sein de la zone euro ont ravivé : une union monétaire peut-elle durablement survivre sans une forme de fédéralisme budgétaire ?

Jusque récemment, cette question ne préoccupait guère qu’une poignée de chercheurs. Elle est désormais posée avec insistance par les investisseurs et les économistes du monde entier. L’heure n’est donc plus aux demi-mesures ; elle est à la mobilisation générale contre les déficits, si nous voulons garder notre crédibilité aux yeux de nos partenaires et pouvoir espérer un retour durable de la croissance.

Le débat d’aujourd’hui est l’occasion privilégiée, madame la ministre, de tirer un premier bilan de la politique budgétaire et fiscale menée par le Gouvernement depuis un an.

La situation de nos finances publiques est, je le répète, exceptionnellement grave, et il n’est guère besoin d’accumuler les chiffres pour le montrer ; deux ou trois suffiront : notre déficit public dépasse 8 % du PIB, pour la deuxième fois depuis 1945, notre dette publique est supérieure à 80 % du PIB et son évolution est éminemment dangereuse, le déficit de l’État atteint près de 150 milliards d’euros et celui de la sécurité sociale sera de 20 milliards d’euros en 2011, voire de 23 milliards d’euros. 

Alors que le Gouvernement s’évertue à présenter la dépense publique comme seule responsable du déficit budgétaire colossal de la France, la Cour des comptes dénonçait déjà, voilà un an, les deux causes essentielles de ce dernier : pour un tiers, il est dû à la crise financière ; pour les deux tiers restants, il résulte, pour l’essentiel, des cadeaux fiscaux qui ont « plombé » les recettes de l’État et l’ont, à l’évidence, appauvri.

En dix ans, les recettes de l’État auront reculé à concurrence de plus de quatre points de PIB, soit de plus de 80 milliards d’euros, sans que cela engendre aucun résultat sur le plan de l’emploi, cette masse d’argent étant en grande partie détournée vers des placements financiers.

Pis encore, les deux tiers de la dette publique sont souscrits par des étrangers. Notre pays, comme tous ceux de la zone euro, est sous la pression permanente des marchés, dont la contrainte, loin de diminuer, s’est encore exacerbée cette année, au point d’ailleurs que les notes attribuées par les agences de notation à la France sont régulièrement instrumentalisées à des fins politiques, le plus souvent afin de justifier des coupes budgétaires permettant à l’État de se désengager toujours plus.

Ces marchés, que nous voulions de bonne foi, les uns et les autres, réguler sont aujourd’hui plus forts que les États et s’immiscent peu à peu dans les futures campagnes électorales, avec les risques politiques que l’on imagine, notamment celui de la tentation du vote populiste, nationaliste et contestataire.

Dans son dernier rapport, la Cour des comptes soulignait l’urgence de réduire puis de supprimer les déficits structurels, estimés à plus de 5 % du PIB, en diminuant la dépense. Pour autant, agir sur celle-ci ne nous exonérera pas de rechercher des recettes supplémentaires, sans porter atteinte aux contribuables les plus modestes et aux classes moyennes, toujours hantées par la peur du déclassement social. Plus encore, cette action sur la dépense ne saurait être dissociée de la mise en place d’une fiscalité plus progressive et plus juste, dans un souci d’équité et d’efficacité économique. Notre débat d’aujourd’hui est donc l’occasion de rappeler, avec force, que celui qui gagne le plus doit être celui qui paye le plus d’impôts.

Il ne me paraît plus pertinent de dépenser des milliards d’euros pour financer les dépenses fiscales, comme on le fait depuis de trop nombreuses années. Il est urgent de mettre fin à cette pratique. Ce constat est d’autant plus unanime que la dernière loi de finances avait pour fil conducteur la chasse aux niches fiscales. Mais les règles de bonne conduite que nous nous donnons alors que nous nous trouvons dans une situation difficile sont peu respectées, voire pas du tout. Nous adoptons des normes et nous les violons dans le texte suivant.

Qu’en sera-t-il, madame la ministre, de la réduction promise des niches, dont l’efficacité économique est contestée, tant par la Cour des comptes que par le Conseil des prélèvements obligatoires ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Bonne question !

M. Yvon Collin. Trop de niches ont été créées, notamment depuis 2002. On en compte encore quelques centaines, représentant plusieurs dizaines de milliards d’euros annuels de pertes de recettes ; nul ne connaît exactement leur coût. Or, madame la ministre, si vous entendez raboter davantage les niches fiscales en 2012, alors annoncez aussi que vous allez augmenter les impôts, particulièrement l’impôt sur le revenu, avec toutes les conséquences politiques que cela peut entraîner à la veille de rendez-vous électoraux de tous les dangers. Oui, madame la ministre, comment allez-vous concilier tempérance budgétaire et vigilance politique ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est bien dit !

M. Yvon Collin. On le voit bien, votre marge de manœuvre risque d’être fort étroite.

Pourtant, s’il est une mesure qui pourrait faire l’unanimité ou presque, c’est bien la taxation des activités des marchés financiers, lesquels sont aujourd’hui à la source des risques d’éclatement de la zone euro en cas de crise politique majeure en Grèce.

Plus que jamais, je déplore le sort réservé par notre assemblée à la proposition de loi que j’avais déposée avec tous les membres de mon groupe et dont l’objet était d’instituer une taxation des transactions financières. Elle visait à remédier à une réalité que nous condamnons tous, à savoir la prédominance des marchés et le règne de la spéculation, par l’instauration d’une taxe « intelligente » et suffisamment rentable pour combler efficacement le déficit de l’État. Cette proposition de loi, si elle a obtenu un succès d’estime, n’a pas été adoptée par notre assemblée.

Depuis 2008, le Gouvernement s’est engagé à réduire substantiellement l’influence néfaste des paradis fiscaux. On nous avait promis qu’il serait mis fin à certaines pratiques douteuses, tendant à l’opacité, dont peuvent tirer profit particuliers et entreprises dans certains territoires non coopératifs. On nous avait promis que cet effort serait poursuivi dans le temps avec la plus grande fermeté. Certes, reconnaissons-le, à l’occasion des derniers débats budgétaires, la France a développé ses dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale, en partie grâce au travail formidable de notre commission des finances, de son président et de son rapporteur général.

Toutefois, sans une volonté politique de long terme, il est vain d’espérer le succès contre un système dont beaucoup d’acteurs ont su s’adapter par le passé et qui met en péril les intérêts vitaux de notre pays.

Oui, il est temps de mettre fin à l’activité de ces ports de l’économie souterraine, de ces havres de la spéculation, de ces blanchisseries de l’argent sale que sont les paradis fiscaux ! Madame la ministre, le Gouvernement a-t-il vraiment cette volonté ?

M. Jacky Le Menn. On peut en douter !

M. Yvon Collin. Nous en jugerons sur pièces lors des prochains débats budgétaires.

Madame la ministre, vous dites vouloir réguler le capitalisme, augmenter les recettes fiscales et résorber nos déficits. Eh bien, à moins d’un an de l’élection présidentielle, nous sommes à la croisée des chemins. La situation actuelle le montre clairement : une autre société est à construire pour que notre économie retrouve la prospérité. C’est à cette condition que nous regagnerons la confiance des Français, objectif que nous devons atteindre sans plus tarder si nous voulons éviter des lendemains politiques qui déchantent. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – MM. le président et le rapporteur général de la commission des finances applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, ce débat d’orientation des finances publiques est certes un exercice obligé, puisqu’il est prévu par la loi organique relative aux lois de finances, mais il intervient au terme d’une législature qui aura été marquée par l’aggravation des déficits publics, et moins d’un an avant le grand rendez-vous de l’élection présidentielle et des élections législatives, qui pourraient conduire à modifier les termes de la gestion des affaires publiques.

De fait, notre participation à ce débat est sous-tendue par une aspiration légitime à voir émerger et appliquer, à compter du printemps de 2012, d’autres orientations politiques que celles qui sont actuellement à l’œuvre.

Nous sommes convaincus que l’on peut réduire les déficits publics autrement qu’en comprimant au-delà de l’admissible les dépenses publiques, notamment par le biais d’une réforme fiscale digne de ce nom.

Celle que vous avez engagée depuis 2007 est à sens unique : vous allégez toujours davantage la part de la charge fiscale globale reposant sur les revenus les plus élevés, les patrimoines les plus importants ou les plus grandes entreprises, tout en reportant le poids de la crise sur les PME et les TPE, qui n’ont pas de service de la comptabilité pour organiser une « optimisation fiscale » et dont la trésorerie est faible ou nulle, les retraités, qui voient le pouvoir d’achat de leur pension fondre au rythme de la hausse continue des prix à la consommation, les salariés modestes et moyens, qui n’ont que leur salaire pour vivre…

Qu’il s’agisse de geler le barème des aides au logement, de maintenir le taux de la TVA à 19,6 %, de réévaluer forfaitairement la taxe foncière, de réduire l’aide aux associations, qui maintiennent un lien social fort dans notre pays, de diminuer le soutien au spectacle vivant ou d’augmenter les droits d’inscription à l’université, le principe est toujours le même : solliciter sans cesse les plus modestes, au seul motif qu’ils sont les plus nombreux et que cela minimise l’effort demandé à chacun. À vous qui vous souciez du poids des prélèvements obligatoires, permettez-moi de dire que ces mesures pèsent lourdement sur le reste à vivre de tous les foyers concernés.

La législature 2007-2012 restera, dans l’histoire parlementaire de notre pays, comme l’une de celles où l’argent public aura été le plus largement distribué à ceux qui sont déjà amplement pourvus. Elle avait commencé avec la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, qui avait habilement masqué derrière l’aveuglante affaire des heures supplémentaires la réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune, le renforcement du bouclier fiscal et l’optimisation des donations-partages ; elle se termine avec l’allongement prévisible du nombre d’annuités nécessaires pour accéder à la retraite et la division par deux du rendement de l’ISF. La « niche Copé » permet désormais aux grands groupes de réaliser des opérations capitalistiques sans avoir à acquitter beaucoup d’impôts, les restaurateurs ont obtenu une baisse de TVA sans contrepartie, et les établissements financiers auront pu disposer de l’argent public sans qu’on leur impose d’exigence particulière quant à son emploi.

Vous avez privatisé Gaz de France, ouvert les services postaux à la concurrence et banalisé le livret A, mettant ainsi à la disposition des établissements bancaires ordinaires une part toujours plus importante de l’épargne populaire. Vous avez réduit de façon systématique les services publics ; la mise en œuvre de la RGPP y a largement contribué, en mettant à mal la qualité de vie de nos concitoyens : l’école, la police, la justice sont particulièrement concernées, ainsi que le secteur de la santé.

En effet, la sécurité sociale aura subi pendant cette législature de douloureuses attaques. La réforme de l’hôpital s’est traduite concrètement par la réduction du nombre des services hospitaliers et l’augmentation du reste à charge pour les assurés. Cette dernière est largement due à la tarification à l’activité, qui tend à transformer nos hôpitaux publics en prestataires de services sanitaires accessibles selon les capacités financières du malade.

Bien entendu, cette législature aura été marquée par la réforme des retraites. Elle a suscité un puissant mouvement revendicatif, que nous avons relayé jusqu’au cœur de cette assemblée. Cette supposée réforme s’appuie de fait sur un double processus : l’accroissement de la contribution des assurés, notamment par l’augmentation de la durée de cotisation et par la diminution de la valeur de chaque trimestre de cotisation, conjugué à la réduction des prestations servies par la modification des bornes d’âge et des conditions de référence. Tout cela va entraîner une augmentation du nombre de celles et de ceux qui ne pourront justifier d’une carrière complète ou qui subiront une décote sur le montant d’une pension restant indexée sur l’évolution des prix. C’est cette indexation, plus sûrement que toute autre mesure, qui constitue, sur la durée, le mode opératoire de cette réforme. La réduction des droits sociaux collectifs est au cœur de cette évolution.

Ainsi, tout au long de la législature écoulée, des mesures ont contribué à réserver les fruits de la croissance aux plus aisés et à partager les fruits amers de l’austérité entre les autres. Je me souviens notamment d’une mesure emblématique des choix du Gouvernement : la fiscalisation des indemnités journalières versées aux accidentés du travail, prétendument pour des raisons d’équité avec les salariés recevant une rente pour maladie professionnelle.

Pour notre part, nous avons toujours défendu d’autres options et nous continuerons de le faire, notamment cet automne lorsque nous examinerons le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.

À l’occasion de ce débat d’’orientation des finances publiques, je voudrais rappeler quelques-unes de nos propositions.

Je commencerai par une observation liminaire : les deux assemblées semblent s’opposer irréductiblement sur le principe de la règle d’or budgétaire que certains souhaitent imposer à notre pays. Comme le disait mon collègue Thierry Foucaud lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle, cette règle d’or n’a pas vocation à tenir bien longtemps contre le mur de l’argent. Ce n’est pas parce que le Gouvernement suit aveuglément une ligne fondée sur la diminution des dépenses publiques qu’il s’agit là de la seule méthode pour réduire les déficits. D’ailleurs, cela ne marche pas, puisque le déficit budgétaire de 2010 s’est avéré plus élevé que celui de 2009, sans que cela soit réellement imputable aux dépenses publiques.

Pour notre part, nous nous en tiendrons à un rejet pur et simple de la règle d’or, dont l’application reviendrait pratiquement à une « mise en congé » du Parlement, si l’on en croit les attendus du texte adopté par l’Assemblée nationale, qui accorde de fait une prééminence aux commissions des finances des deux assemblées et rend tout à fait secondaire, pour ne pas dire purement formel, le rôle des autres commissions permanentes. La portée et l’intérêt d’un débat comme celui-ci seraient d’ailleurs, dans ce cadre, encore plus limités, surtout si l’on donne un poids particulier aux textes de programmation des finances publiques.

Nos propositions quant au devenir des finances publiques reposent prioritairement sur l’exigence d’une réforme fiscale de grande ampleur, donnant une traduction concrète au principe républicain selon lequel chacun contribue selon ses capacités.

Le produit de l’impôt sur le revenu et celui de l’impôt sur les sociétés sont particulièrement faibles au regard des montants qu’il devrait être possible de recouvrer. L’existence d’une législation fiscale dérogatoire foisonnante est cause d’un manque à gagner de 40 milliards d’euros au titre de l’impôt sur le revenu et de presque le double s’agissant de l’impôt sur les sociétés. Les niches fiscales – prélèvements libératoires, crédits et réductions d’impôts – dans un cas et les mesures spécifiques – niche Copé, crédit impôt recherche, report des déficits – dans l’autre sont à l’origine de cette situation hallucinante. Vous prétendez vouloir y remédier : nous jugerons sur pièces, pour reprendre une expression volontiers utilisée en commission des finances.

Comme nous l’avons indiqué ce matin, un rapport de la direction générale du trésor et de la politique économique confirme l’analyse du Conseil des prélèvements obligatoires : les plus grandes entreprises, notamment les leaders du CAC 40, paient moins d’impôt sur les sociétés que les autres ! Et les éléments de comparaison européenne sont sans équivoque : malgré un taux très théorique de 33,33 %, l’impôt sur les sociétés, rapporté au chiffre d’affaires des entreprises, est plus faible en France que dans tous les autres pays d’Europe ; il est même moins élevé que celui qui est supporté par les entreprises soumises au droit irlandais ! Il est donc plus que temps de passer ces mesures dérogatoires au révélateur de leur efficacité économique et sociale, notamment au regard du coût supporté par la collectivité.

En ce qui concerne l’imposition des revenus, nous avons connu plusieurs décennies de réduction de son taux maximal et de « reformatage » du barème, par des mesures visant à diminuer la progressivité de l’impôt. Dans le même temps, nous avons assisté à la montée en charge de la contribution sociale généralisée, considérée de plus en plus comme le « premier étage » de la fiscalité pesant sur les revenus. Au rebours des modifications auxquelles vous avez procédé, une véritable réforme fiscale doit redonner de la progressivité à l’impôt sur le revenu.

Le troisième grand chantier est celui de la fiscalité locale.

La disparition de la taxe professionnelle, remplacée par la contribution économique territoriale, la CET, a constitué l’évolution de grande ampleur de la législature. Le lien avec le territoire, prétendument protégé par la CET, est en réalité de plus en plus ténu. Pour ne donner qu’un exemple, les régions n’ont plus le moindre pouvoir en matière fiscale, s’agissant du moins de ce qui constituait jusqu’alors leur principale ressource. Cette rupture du lien avec le territoire constitue une atteinte évidente au principe de libre administration des collectivités et un moyen puissant de « museler » les initiatives budgétaires et l’action de ces dernières au bénéfice des populations. Quelles marges de manœuvre et d’action reste-t-il aux collectivités territoriales une fois déduites les dépenses et charges obligatoires ? Quels choix originaux sont-elles encore en mesure de faire en l’absence de souplesse des recettes fiscales ?

Pourtant, les investissements des collectivités sont des leviers formidables pour le développement de l’activité économique. Leur réduction n’est pas, comme vous le disiez tout à l’heure, madame la ministre, un élément positif ; au contraire, elle représente un risque de dégradation de la situation, particulièrement dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics. Selon les données pour 2008 de la direction générale des collectivités locales, 800 000 emplois dépendraient de ces investissements.

Quant à la péréquation, elle reste à construire et ne sera pas possible tant qu’aucune recette fiscale digne de ce nom n’en assurera le financement.

Nous persistons et signons : il est possible de taxer les actifs financiers des entreprises, parce que le monde économique a évolué et que les richesses produites doivent servir l’emploi et non la spéculation. Un outil de péréquation pertinent et performant, indispensable pour nos collectivités, pourrait ainsi être créé grâce à cette nouvelle ressource.

La révision des valeurs locatives est un chantier qui n’est que partiellement ouvert, puisque seules les activités commerciales sont concernées.

La taxe foncière sur les propriétés bâties est maintenant le premier impôt sur le patrimoine dans notre pays. Au cours de la législature, aucune mesure n’a été prise à ce sujet, hormis la réévaluation forfaitaire et automatique de la valeur des bases chaque année. Sans même que les taux bougent, les contribuables ont vu progresser de 1 % à 2 % le montant de la taxe à payer. Il est grand temps de procéder à une révision de l’ensemble des valeurs locatives.

Madame la ministre, comment entendez-vous stabiliser en valeur la contribution du budget de l’État à la vie des collectivités territoriales tout en prenant en compte l’application de la réforme de l’intercommunalité, sinon en remettant en cause les dotations des communes ?

S’agissant de la sécurité sociale, nous sommes partisans de la socialisation des dépenses liées à la prise en charge de la dépendance. Nous sommes opposés à la mise en place de tout dispositif de caractère individuel, concurrentiel ou assurantiel destiné à couvrir, sans doute assez mal, ces dépenses. Il nous semble logique et normal que les ressources nécessaires pour relever les défis du grand âge soient assises sur des cotisations sociales collectives. En 1945, la France a fait le choix de répondre collectivement aux besoins sociaux : quoi qu’on en dise, c’est bel et bien cette réponse collective et mutualisée qui a contribué à élever la qualité de vie, au plan sanitaire, de la population. C’est d’ailleurs parce qu’il convient de rendre toute sa pertinence au choix fait à la Libération que nous devons envisager de revenir sur la politique de réduction des cotisations sociales des entreprises, source du gaspillage de plus de 30 milliards d’euros de ressources publiques, au profit du développement de l’emploi partiel, des bas salaires et de la précarité !

C’est aussi en faisant en sorte qu’il soit employé au mieux du point de vue tant de l’efficacité économique que de la justice sociale que l’on fait bon usage de l’argent public ! Quand on favorise le développement des bas salaires, on ne doit pas s’étonner ensuite de constater une perte d’intérêt pour le travail : les bas salaires vont souvent de pair avec une médiocre qualité de l’emploi. Les 2,7 millions de chômeurs officiellement dénombrés – chiffre plus élevé qu’en 2007 – et les 4 millions de chômeurs que compte en réalité notre pays ne sont-ils pas les meilleurs témoins du fait qu’il est temps de changer de politique ?

Nous ferons tout pour que les sujets soulevés au cours de cette discussion soient présents dans le débat qui s’instaurera en vue des prochaines échéances électorales. Les électeurs ont leur mot à dire sur des choix qui les concernent directement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)