compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. François Fortassin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Article 31 et état A (pour coordination) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2012
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Loi de finances pour 2012

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2012, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 106, rapport n° 107).

Je rappelle que nous avons achevé hier soir l’examen des articles de la seconde partie.

Nous en sommes parvenus au vote sur l’ensemble.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2012
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi de finances, je donne la parole à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, après vingt jours de débats en séance, précédés des travaux en commission – plusieurs commissions outre celle des finances ont eu à se prononcer sur les différents amendements –, que retenir de ce premier examen d’un projet de loi de finances par un Sénat majoritairement de gauche ?

Comme nous l’avions annoncé d’emblée, nous n’avons pas élaboré un contre-budget, la Constitution ne nous en donnant pas les moyens. D’ailleurs, le projet de loi de finances lui-même n’est pas cette année un véritable budget : il prend une place finalement assez étroite dans le continuum engagé au début de septembre avec le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2011, auquel il faut intégrer le projet de loi de financement de la sécurité sociale et qui s’achèvera avec le quatrième collectif, que nous examinerons la semaine prochaine en séance publique et dès demain en commission.

Il est du reste frappant de constater que les principales mesures des plans Fillon qui doivent prendre effet en 2012 se trouvent non pas dans le projet de loi de finances mais dans les autres textes que je viens de citer.

Néanmoins, comme nous le souhaitions, nous qui siégeons sur les travées de la gauche avons envoyé un message au Gouvernement : il existe une alternative à la politique que le Gouvernement nous présente comme la seule possible.

Sans revenir sur nos différents débats, je rappellerai simplement que nous avons mis en en évidence le décalage permanent entre le discours du Gouvernement et ses actes. Le Gouvernement se pose en champion de la maîtrise des dépenses et en ennemi des hausses d’impôts. Il fait exactement l’inverse en prélevant 43 milliards d’euros supplémentaires entre 2010 et 2012, tout en repoussant le véritable effort sur les dépenses à l’après-2013. Il n’assume pas les hausses d’impôts massives qu’il met en œuvre.

Pour rétablir nos comptes publics, il faut des prélèvements obligatoires justes, équilibrés et certainement en hausse. Plus personne ne le conteste. Il faut une trajectoire équilibrée entre mesures de recettes et de dépenses, et le retour à l’équilibre doit se faire dans la justice. Nous essayons d’en être les garants sur les travées de la gauche. Ce sont les positions que j’ai défendues de la place où je suis, celle de rapporteur général.

Sur les recettes, nous avons proposé, notamment en revenant sur les dispositifs de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, de modifier le partage de l’effort en le faisant peser beaucoup moins sur les ménages et la consommation, et plus sur le patrimoine.

Quand à l’ampleur de l’effort en recettes, si l’on prend en compte les « plus » et les « moins », nos votes ont conduit à le majorer d’une dizaine de milliards d’euros. Je rappelle que nous avons voté en première partie une mesure portant sur l’impôt sur les sociétés à très fort rendement ; j’avais indiqué, dès que son chiffrage avait été connu, qu’elle n’aurait vraisemblablement pas vocation à figurer dans le texte définitif. Je sais que le texte repart en commission mixte paritaire et que l’Assemblée nationale aura le dernier mot.

Une dizaine de milliards d’euros ! Je serais surprise que, quel que soit le gouvernement au pouvoir dans la deuxième partie de 2012, ce ne soit pas le montant minimal d’effort supplémentaire nécessaire pour respecter l’objectif de déficit de 4,5 % du PIB en 2012. En tout cas, je constate que, la semaine dernière, l’OCDE a considéré que la crédibilité de la France exigerait qu’elle prenne des mesures supplémentaires à hauteur de 8 milliards d’euros.

Personne ne peut prédire l’avenir, je n’y prétends pas, mais personne ne peut affirmer non plus que nos votes conduiraient à un « choc fiscal » délirant ? Nos votes reflètent une conception prudente de la politique budgétaire et une volonté de maîtriser l’évolution de notre ratio d’endettement public. La confrontation que nous aurons en 2012 sur ces sujets s’imposera à tous. Notre conception est à l’exact opposé de la politique conduite par le Gouvernement depuis cinq ans, qui a consisté à sacrifier les recettes publiques jusqu’en 2010, pour ensuite, dos au mur, contenir le dérapage des comptes en taxant à tout va et en détruisant les services publics, particulièrement ceux de proximité, par une RGPP aveugle.

Ma sévérité est justifiée par le contexte car, si une solution crédible n’est pas trouvée au sein de la zone euro, nul ne sait où l’approfondissement de la crise nous conduira. Je ne fais pas de procès d’intention au Président de la République ni au Gouvernement dans les négociations qu’ils mènent avec les partenaires européens, mais je doute de leur capacité à situer les enjeux à la bonne hauteur. En effet, aucune règle d’or ne nous dispensera de nous préoccuper du soutien à l’économie et à la croissance. Or je constate que la croissance est la grande oubliée des pourparlers. Je n’entends ni le Gouvernement ni le Président de la République poser ce problème dans les discussions qu’ils mènent.

Dans ces conditions, c’est un projet de loi de finances pour 2012 précaire qui sera examiné lundi par la commission mixte paritaire, laquelle butera très rapidement sur les points les plus durs. Et je vous donne rendez-vous très vite puisque, dès demain matin, nous entamons le projet de loi de finances rectificative.

Mais nous nous rendrons compte également que les parlementaires, au-delà de leurs orientations politiques, partagent des aspirations communes, en particulier dans le domaine du logement ou des finances des collectivités territoriales, comme le débat que nous avons eu l’a bien illustré.

Nous avons adopté au Sénat des amendements émanant de tous les groupes. Les députés ont repris dans le collectif budgétaire des thématiques qui avaient d’abord été défrichées au Sénat, lors de l’examen des articles de la première partie, tel le régime des jeunes entreprises innovantes. Il peut y avoir matière à accords partiels, et c’est dans cet état d’esprit que nous irons, lundi prochain, en commission mixte paritaire.

Avant de conclure, je tiens à remercier Mme la ministre, qui a été présente pratiquement tout au long de nos débats, malgré le contexte politique actuel qui pouvait l’appeler en d’autres enceintes. Elle a joué le jeu du dialogue républicain, qui a quelquefois été vif, ce qui est normal dans une confrontation entre gauche et droite.

Je veux aussi remercier le président de la commission des finances, que nous appelons de moins en moins « monsieur le rapporteur général » (Sourires.) et qui s’habitue à ses nouveaux habits. Je remercie tous nos collègues pour leurs initiatives et leurs interventions, et plus spécialement mes collègues de gauche pour leur soutien et leur solidarité dans des débats qui ont parfois été difficiles car, s’il faut qu’une partie de l’hémicycle s’habitue à être dans l’opposition, l’autre partie doit, elle, s’habituer à être dans la majorité.

M. Alain Dufaut. Ce n’est pas très dur !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous avons constaté que nous pouvions avoir des positions différentes. Mais, si je suis garante des intérêts de l’État au poste que j’occupe, pour autant je n’oublie pas d’où je viens et où je vais.

Je remercie enfin les présidents successifs, sous la conduite desquels nos débats se sont tenus sans heurt violent. Quelques hésitations ont été notées, mais nous n’avons eu recours à aucun moment au scrutin public, il faut le remarquer, car ce n’est pas toujours le cas.

Mais le marathon continue : rendez-vous la semaine prochaine pour le projet de loi de finances rectificative ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Madame la rapporteure générale, je m’associe à vos félicitations.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais à mon tour adresser quelques mots de remerciement à Mme la ministre du budget, Valérie Pécresse, qui a été extrêmement active et tonique dans les réponses qu’elle a bien voulu nous apporter, en soutenant la position d’un gouvernement courageux dans de telles circonstances.

J’associe bien entendu à ces remerciements ses collaborateurs, M. le président et l’ensemble des vice-présidents qui ont conduit nos débats, les quatorze secrétaires, le service de la séance, ainsi que ceux des comptes rendus, qui ont relaté fidèlement nos échanges.

Je remercie également les quarante-sept rapporteurs spéciaux de la commission des finances. Chacun d’entre eux a exercé sa fonction avec beaucoup de soin et avec talent. Bien sûr, je salue la capacité de travail de notre rapporteure générale, qui, sur bien des points, me semble-t-il, s’est inscrite dans la continuité de certaines réflexions ou méthodes de travail de notre commission. Je ne pense pas lui faire du tort en disant cela, car, bien sûr, en ce qui concerne l’ensemble des questions d’ordre politique et de stratégie fiscale, nous sommes en profond désaccord.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. En effet !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je remercie les quatre-vingt-onze rapporteurs pour avis des cinq autres commissions et de la commission des affaires européennes, ainsi que les collègues de tous les groupes qui ont été nombreux, dans ce Sénat inédit, à faire vivre la discussion budgétaire.

Celle-ci arrive très correctement à son terme et, pour reprendre une image qui m’est coutumière, je dirai que le serpent parlementaire est arrivé finalement au moment prévu. J’emploie cette image, car il est vrai que nos discussions ont parfois tendance à s’éterniser, avant de connaître de brusques accélérations, ce qui nous a d’ailleurs valu de ne pas siéger lundi matin.

Je me réjouis de la bonne concertation à laquelle nous sommes parvenus entre la commission des finances et les commissions saisies pour avis. Nous nous y étions engagés au début du parcours budgétaire afin d’anticiper et de gérer, autant que faire se pouvait, les difficultés. Cette souplesse a assurément été profitable. Une telle concertation est de bonne méthode et je forme le vœu qu’elle se poursuive.

Le projet de loi de finances comporte, comme d’habitude, des articles de législation et des articles de crédits. Mais on y trouve aussi des dispositions de portée générale aussi lourdes que celles relatives à la péréquation horizontale entre les collectivités territoriales. Je ne reviendrai pas sur le fond du sujet, les membres de la commission des finances connaissent ma position. Mais je ne suis pas mécontent de ne pas avoir à approuver ce projet de loi de finances telle qu’il résulte des votes du Sénat car, par la même occasion, j’éviterai de voter ce dispositif de péréquation, qui me semble prématuré et qui, en tout cas, a été adopté sans l’appui de réelles simulations.

Plus généralement, c’est presque avec plaisir que je voterai contre le projet de loi de finances résultant des travaux de notre Haute Assemblée.

Les amendements votés en première partie majorent de 29,5 milliards d’euros les recettes fiscales et de 617 millions d’euros les prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales. Le solde est étonnant : alors que, dans le projet de loi initial du Gouvernement, le déficit prévu était de 82 milliards d’euros, le solde est positif de 138 milliards d’euros à l’issue des votes du Sénat, soit une amélioration purement optique de 220 milliards d’euros !

Il n’a échappé à personne que cet exercice était purement virtuel – Mme la rapporteure générale en faisait état hier –, mais il me ferait presque regretter la bonne vieille ordonnance organique du 2 janvier 1959, qui permettait de rejeter les mesures nouvelles, mais non de toucher au premier euro des crédits votés antérieurement.

Seules ont été adoptées les missions « Aide publique au développement », « Anciens combattants », ce dont je me réjouis puisque j’en suis le rapporteur spécial, « Conseil et contrôle de l’État », « Défense », « Engagements financiers de l’État », « Médias », « Pouvoirs publics », « Régimes sociaux et pensions », « Remboursements et dégrèvements » et « Sécurité civile ».

Il est bien clair qu’un budget ainsi tronqué ne saurait, pour des raisons évidentes, être sincère. Le rejet de certains grands budgets ne constitue guère que des réductions indicatives de crédits.

Au-delà des apparences, qui ne trompent personne, la vérité est que le texte que la majorité du Sénat s’apprête à voter est exclusivement axé sur une majoration des recettes,…

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Comme le vôtre !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … alors qu’aucun véritable effort n’est engagé sur les dépenses. Non seulement les réductions de crédits que les plans Fillon rendaient nécessaires et que les députés avaient votées ont été annulées, mais les budgets des principales missions ont été rejetés au motif que les dépenses prévues n’étaient pas suffisantes.

M. François Marc. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Pour ma part – c’est en tout cas mon appréciation –, j’estime que le message ainsi adressé à l’opinion publique par ce Sénat inédit n’est pas un message de responsabilité. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. Jean-Michel Baylet. Pourquoi « inédit » ?

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Voilà enfin l’animation de fin de discussion budgétaire que j’attendais !

M. Roland Courteau. Expliquez-vous ! Le Sénat est démocratiquement élu !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nul ne le conteste !

Mes chers collègues, le Gouvernement avait veillé à procéder à une répartition équitable de l’effort, en imputant la majeure partie des nouvelles recettes sur les grandes entreprises et les détenteurs de patrimoine, tout en demandant une contribution aux ménages, dans des proportions acceptables.

Le budget proposé par la majorité sénatoriale fait porter la totalité de l’effort virtuel supplémentaire sur les entreprises, y compris les PME, et sur les épargnants.

Je rappellerai les principales mesures adoptées par ordre décroissant de rendement.

La mesure la plus remarquable est l’écrêtement de la déductibilité des intérêts d’emprunt par rapport au résultat fiscal d’une entreprise. Cette innovation complète en matière de fiscalité représenterait, selon les estimations du Gouvernement, un rendement potentiel supplémentaire pour l’impôt sur les sociétés de 17 milliards d’euros, alors que son produit total doit être de l’ordre de 47 milliards d’euros cette année. On peut considérer qu’il s’agit là, sans doute, de l’adoption d’un amendement mal identifié.

La suppression de l’exonération des heures supplémentaires relève, quant à elle, d’une position politiquement plus argumentée : elle représenterait une recette de 4,5 milliards d’euros, dont les deux tiers proviendraient des cotisations sociales versées par les entreprises, le tiers restant portant atteinte au pouvoir d’achat des salariés.

Par ailleurs ont été votés le rétablissement, quelques mois après sa suppression, de la première tranche de l’ISF et la suppression des allégements de droits de succession et donation, avec un seuil abaissé à 50 000 euros, deux mesures qui touchent les classes moyennes urbaines.

Enfin, je citerai le plafonnement de différents avantages fiscaux, la suppression du plafond de droits de mutation à titre gratuit applicables aux cessions de valeurs mobilières et l’alourdissement de la fiscalité des dividendes.

Au total, le rendement de l’impôt sur les sociétés est considérablement « amélioré », de plus de 20 milliards d’euros, tandis que le poids des impôts sur l’épargne et le patrimoine est aggravé de 3,5 milliards d’euros et celui de l’impôt sur le revenu de 2,4 milliards d’euros.

Nous verrons lors de l’examen du collectif budgétaire si les votes de la majorité sénatoriale s’ajoutent, en totalité ou partiellement, aux efforts déjà demandés par le Gouvernement dans le cadre des deux plans Fillon.

Retenons cependant que les recettes fiscales nettes créées par le Sénat représentent 1,3 % du PIB. Et même si, dans le collectif budgétaire, la majorité rejetait certaines recettes supplémentaires proposées par le Gouvernement, l’excédent de prélèvements résultant de ses votes pourrait dépasser un point de PIB, ce qui est une augmentation considérable de la fiscalité.

Est-ce vraiment le signal de confiance dont notre économie a besoin ? L’intérêt national ne justifierait-il pas d’autres comportements, en particulier celui d’accepter le débat sur l’insertion dans la Constitution d’un mécanisme de « frein à la dette », autrement dit une règle d’or ?

Peut-être est-ce sur ce terrain, mesdames et messieurs de la majorité sénatoriale, que vous pourriez répondre à l’appel à la cohésion nationale et à l’intérêt général que nous vous lançons ? Un tel comportement responsable serait à l’honneur de notre pays et n’aliénerait en rien la liberté du futur gouvernement quel qu’il soit.

Bref, j’espère que, dans les difficultés économiques, financières et monétaires actuelles, nous pourrons faire en sorte que notre pays montre à l’ensemble de ses partenaires sa solidité, sa cohésion et son union, au service d’un retour progressif à l’équilibre de nos finances publiques. Tel est le vœu que je forme pour 2012 ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

M. le président. Je vais maintenant donner la parole à ceux de nos collègues qui l’ont demandée pour expliquer leur vote.

J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation des débats décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de dix minutes et la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe de cinq minutes.

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour ma part, contrairement à M. le président de la commission des finances, je voterai le projet de loi de finances.

« La France vit au-dessus de ses moyens ! » : c’est avec cette formule que Mme la ministre du budget avait présenté, dans la presse économique, le projet de loi de finances pour 2012 et les nécessaires efforts qu’il faudrait accomplir pour réduire nos déficits.

Selon vous, nous serions en quelque sorte des cigales inconscientes ayant dépensé sans compter depuis trop d’années. J’invite donc les membres du Gouvernement à aller tenir au plus tôt ce discours, convenable en bonne société, devant une agence de Pôle emploi, la file d’attente d’un bureau municipal du logement, les urgences d’un hôpital de banlieue ou parmi les familles reçues aux Restaurants du cœur, dont la fréquentation s’est accrue de 25 % en trois ans !

Je vous invite, avec tous ceux qui voudront vous accompagner, à tenir ce que vous appelez le « langage de vérité » devant les 4 millions de chômeurs, les 9 millions de travailleurs pauvres ou les 8 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté.

Ce sont nos compatriotes, mes chers collègues, et nous devons, sans cesse, garder à l’esprit, même et surtout quand nous parlons du budget de la France, ces réalités que rien ne peut dissimuler. Quand on veut taper sur les pauvres, on les insulte. Ce discours culpabilisant, nous ne pouvons l’accepter, nous ne l’acceptons pas et nous ne l’accepterons jamais !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Thierry Foucaud. Passons aux faits et aux chiffres.

Cela fait dix ans que la droite gère les affaires du pays, et cela fait dix ans qu’explosent les déficits, que grossit la dette, que se creusent les inégalités, que gonflent les patrimoines des plus riches et le trésor des groupes.

Pensez-y : les 10 % les plus riches détiennent la moitié du patrimoine, et les groupes du CAC 40 valent 1 000 milliards d’euros à la Bourse !

Le Sénat passé à gauche, une première inflexion se manifeste.

En revenant en première partie sur la baisse de l’impôt de solidarité sur la fortune, nous avons permis 2 milliards d’euros de recettes fiscales nouvelles et la fin provisoire d’un cadeau indécent en cette période.

Rappelons que le Gouvernement avait également prévu de procéder au quasi-gel de la progression des allocations logement, atteinte intolérable au pouvoir d’achat de millions de familles modestes ! Cette mesure a heureusement été supprimée par le Sénat.

Dans sa version initiale, le projet de loi de finances pour 2012 obéissait à un principe très grave et très simple : réduire la dépense publique et augmenter les impôts, les victimes de la rigueur étant, chaque fois, les plus modestes, ce qui revient à faire payer le déficit – fruit de longues années de cadeaux fiscaux aux groupes et aux plus riches – par le plus grand nombre, des retraités et smicards aux petits entrepreneurs ou aux artisans.

La démarche de la nouvelle majorité sénatoriale, à laquelle nous avons pris une part importante, voire décisive, a consisté à remettre les choses à l’endroit.

Nous nous sommes résolument attaqués à la question du déficit public.

L’adoption d’amendements déposés par la majorité sénatoriale a fait progresser le rendement de l’impôt sur les sociétés de 20 milliards d’euros ; celui de l’imposition des patrimoines, de 2 milliards d’euros ; celui de l’impôt de solidarité sur la fortune, de 2 autres milliards d’euros ; celui de l’impôt sur le revenu des plus aisés, de 3 milliards d’euros !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Thierry Foucaud. Il a été clairement démontré que sans hausse des impôts nous n’arriverons jamais à rien ! Encore faut-il qu’elle soit juste et, en l’occurrence, ce fut le cas. La hausse des impôts, dès lors qu’elle sert le bien commun, nous la revendiquons.

L’examen des crédits des missions budgétaires a procédé de la même démarche, de la même logique d’efficacité et de justice, loin de la ligne du Gouvernement, qui ne cesse de réduire les moyens du service public pour mieux le dénigrer. Il suffit, pour s’en convaincre, d’entendre le discours de M. Chatel sur l’éducation nationale, qui ne serait pas assez « performante » !

C’est en toute connaissance de cause que la majorité sénatoriale a voté contre l’adoption des crédits de la majorité des missions, conduisant d'ailleurs au paradoxe d’un excédent budgétaire tout à fait virtuel. Sur ce point, je partage l’opinion du président de la commission des finances.

Ainsi, nous avons rejeté les crédits, au demeurant la plupart du temps insuffisants, des missions « Enseignement scolaire », « Justice », « Travail et emploi », « Solidarité, insertion et égalité des chances » ou encore « Sécurité ».

En effet, nous ne croyons ni au dogme du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, ni à la logique punitive de votre politique judiciaire, ni au développement de l’emploi précaire, ni à l’assistanat sous conditions – une honte ! –, qui sont autant de caractéristiques de votre démarche.

Comme la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, nous prive de la possibilité réelle de modifier l’allocation des ressources publiques, les crédits ont été votés à zéro euro. En conséquence, si la loi de finances était votée en l’état, nous ne pourrions ni payer les enseignants, ni verser les allocations adulte handicapé, ni aider les familles à payer leurs loyers, ni ouvrir les antennes de Pôle emploi au service des chômeurs. Notons tout de même que, si les policiers n’étaient pas rémunérés, le maintien de l’ordre aurait quelque peine à être assuré !

On pourrait s’amuser de tout cela si l’on n’était pas conduit finalement à s’interroger sur le devenir de la loi organique relative aux lois de finances.

Mes chers collègues, il aura suffi d’une discussion budgétaire avec deux assemblées de majorités différentes pour montrer que la LOLF n’est en aucune manière l’outil dont nous avons besoin pour débattre du budget de la Nation.

M. François Marc. Très bien !

M. Thierry Foucaud. La LOLF, c’est tout ou rien !

M. Thierry Foucaud. Soit on accepte ce que propose le Gouvernement, soit nos débats comptent pour zéro ! Telle est la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

M. Robert Hue. Bravo !

M. Thierry Foucaud. Que devient le droit parlementaire d’amendement dans cette affaire ?

Notre groupe est fier d’avoir été le seul à s’opposer en 2001 à cette mécanique de liquidation du débat parlementaire qu’est devenue la loi organique. Une loi qu’il faudra changer, et vite !

Nous n’avons pas encore été au bout de la logique de gauche dans ce budget réécrit par le Sénat.

Nous regrettons, par exemple, que notre assemblée n’ait pas été plus loin sur les dotations aux collectivités locales.

Quand on dégage 30 milliards d’euros de recettes nouvelles, on peut faire mieux que préserver 200 millions d’euros de dotations supprimées à l’Assemblée nationale ; on peut faire mieux qu’accepter les 250 millions d’euros d’un fonds de péréquation intercommunal mal conçu.

Il faut s’engager dans une véritable péréquation verticale alimentée par la taxation des fonds spéculatifs, comme l’a proposé plusieurs fois notre collègue Marie-France Beaufils. On peut faire mieux que ponctionner 70 millions d’euros – pour faire on ne sait quoi – dans la caisse du Centre national du cinéma. On peut aussi faire mieux pour les transports franciliens qu’opposer la modernisation nécessaire du matériel et des réseaux à une plus juste politique tarifaire, comme le propose le Gouvernement !

Cette autocritique vaut pour la prochaine fois, pour que nous fassions encore mieux !

Mais démonstration a été faite que l’on pouvait solliciter des ressources nouvelles pour répondre aux défis du temps, qu’il s’agisse de la rénovation des politiques publiques ou de la réduction des déficits. Vous le savez, des pistes ont été dégagées pour une conception nouvelle de l’action publique, faisant de la dépense publique un moteur de la croissance, comme cela a d'ailleurs toujours été le cas.

Des champs de débats sont ouverts et appellent des réponses dans les semaines qui viennent. Transports, éducation, santé, solidarité, politique industrielle, emploi : tous ces thèmes seront au cœur du débat politique des mois à venir.

Demain, il est plus que probable que la commission mixte paritaire aboutira à un échec et que le texte voté par l’Assemblée nationale sera, en définitive, assez largement repris.

J’ignore ce que les agences de notation penseront du passage d’un excédent virtuel de 138 milliards d’euros à un déficit de 80 milliards d’euros, mais je sais que le peuple de notre pays refuse déjà la caporalisation budgétaire de l’accord Merkel-Sarkozy.

Vous préférez, en matière budgétaire, la contrainte des marchés à l’encombrante contrainte de la démocratie : quelle drôle d’idée ! Pourtant, la taxation des transactions financières, désormais nécessaire est possible, comme l’a montré l’adoption ici même d’un amendement allant en ce sens. Je rappelle à ce propos que 750 milliards d’euros font l’objet de transactions chaque mois sur la place de Londres.

Pour l’heure, en conclusion, je veux remercier les agents du Sénat de leur compétence et de leur disponibilité, saluer les assistants et collaborateurs parlementaires qui nous ont aidés à nourrir le débat, et dire mon mépris aux lobbyistes qui ont tenté, une fois de plus, de « privatiser » le débat public.

Finalement, je tiens à vous indiquer que, pour la première fois depuis longtemps, le groupe CRC votera en faveur du projet de loi de finances tel que largement amendé par le Sénat et sa nouvelle majorité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV. – Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)