M. Thierry Repentin, rapporteur. Quelle horreur ! (Sourires.)

M. Philippe Dallier. Je ne peux les suivre sur ce point, car ce serait faire peu de cas de ceux que l’on appelle les « petits » propriétaires, qui ont souvent emprunté pour acheter le bien loué ou qui complètent leur retraite grâce au loyer perçu. Ils subiraient de plein fouet les effets d’une telle mesure.

Alors, que faire ? Attendre que la progression de l’offre amène une baisse des prix ou infliger, par la loi, une purge au marché ? Je dois dire que ni l’une ni l’autre de ces deux options ne me convainc.

S’en remettre à l’autorégulation du marché, c’est prendre le risque de voir durer longtemps encore cette crise. Notre société ne le supporterait pas.

Utiliser des méthodes d’encadrement drastique des prix serait la garantie de tuer dans l’œuf tout effort d’amélioration durable de la situation du marché locatif.

La bonne réponse est à l’évidence, me semble-t-il, d’essayer d’agir à la fois sur le volume de l’offre et sur les prix, sans tuer le marché locatif, ce qui est le plus délicat.

S’agissant tout d’abord de l’offre, il est vrai que nous ne construisons pas assez, particulièrement en Île-de-France. Pourquoi ? Nous avons manifestement un problème de foncier, tout le monde le reconnaît. Il faut donc inciter les propriétaires – à commencer par l’État, qui est, directement ou indirectement, le plus gros d’entre eux – à vendre.

Il me semble d’ailleurs que l’État a besoin d’argent pour se désendetter : cela devrait donc l’incliner à bouger, ce qu’il fait pour l’heure trop lentement au gré des élus. Consentir une décote de 20 %, de 25 % ou de 30 % représenterait déjà de sa part un effort significatif. Étant donné la situation budgétaire du pays, il ne serait à mon avis pas raisonnable, monsieur Repentin, qu’il aille jusqu’à donner les terrains, fût-ce pour réaliser des logements sociaux.

Nous avons également, mais l’on en parle peu, un problème de gouvernance de la politique du logement en Île-de-France, particulièrement dans la zone dense. Ce problème n’a jamais été abordé au Parlement.

Qui pis est, faute d’avoir réglé cette question, nous avons, au travers de la loi relative au Grand Paris, confié au préfet de région le soin de territorialiser les objectifs de construction de logements.

M. Philippe Dallier. En quelque sorte, nous avons fait de l’anti-décentralisation, alors que ce sont les maires qui délivrent les permis de construire.

Je prends le pari, mes chers collègues, que cette démarche ne sera guère plus efficace que la fixation d’objectifs par la région d’Île-de-France dans son schéma directeur : des chiffres sur du papier…

Quant à ceux qui plaident pour la création d’un syndicat du logement d’Île-de-France à l’image du STIF, le Syndicat des transports d’Île-de-France,…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Non, surtout pas à l’image du STIF !

M. Philippe Dallier. … je leur répondrai que ce n’est pas avec un comité Théodule de plus que l’on résoudra un problème aussi difficile que celui-là. À une question politique, il faut une réponse politique, sûrement pas une réponse technocratique.

Mes chers collègues, en Île-de-France, nous n’en sortirons pas tant que nous n’aurons pas traité le problème de la gouvernance de la politique du logement, comme il nous faudra d’ailleurs traiter celui de la gouvernance des autres grandes politiques publiques.

Il faudra certainement faire de la peine à ceux qui, à droite comme à gauche, ne veulent rien changer en ce domaine, mais ne sommes-nous pas ici pour promouvoir l’intérêt général ? Il faudra faire comprendre à un certain nombre d’élus, présidents de région ou de conseil général, que le système actuel est dépassé.

Dans mon rapport sur le Grand Paris, rendu voilà maintenant quatre ans, j’avais formulé des propositions fortes dans ce domaine, malheureusement restées lettre morte.

M. Jean-Pierre Caffet. À qui la faute ?

M. Philippe Dallier. Mais, au-delà du manque de foncier disponible et du problème de la gouvernance, il y a aussi un autre facteur à prendre en considération : la capacité financière des collectivités locales à assumer la charge représentée par l’arrivée de nouveaux habitants.

En effet, il est bien beau de construire, mais encore faut-il que les équipements publics suivent. Pardonnez-moi de prendre l’exemple de ma commune, que je crois significatif.

En 1995, lorsque je suis devenu maire, elle comptait 17 365 habitants, contre 21 470 aujourd’hui, soit une augmentation de près de 25 % en un peu plus de quinze ans. Nous avons dû construire une salle de sports, un conservatoire, une crèche, réaliser une nouvelle école et en agrandir deux autres, tandis que nous attendons un collège depuis dix ans. Mais pour financer tous ces équipements, nous n’avons rien reçu de plus que ce qui était prévu au titre de la part « population » de la dotation globale de fonctionnement, la DGF. En conséquence, nous avons été contraints d’opposer un sursis à statuer à nombre de demandes de permis de construire, parce que les équipements publics, notamment les écoles, ne pouvaient pas suivre. (M. le rapporteur pour avis marque son approbation.) Il y a là, à l’évidence, un stock important de projets qui pourraient voir le jour assez rapidement, et ma commune ne doit pas être la seule dans ce cas.

Libération du foncier, réforme de la gouvernance en Île-de-France, aides aux maires bâtisseurs : tant que nous n’agirons pas simultanément sur ces trois points et que nous nous en remettrons à l’évolution naturelle du marché, fût-elle dopée par une mesure du type de celle qui est proposée par le Gouvernement, nous ne réglerons rien à brève échéance, pas plus que nous n’apporterons de réponse au problème de la flambée des prix, qu’il convient, à mon sens, d’analyser autrement que sous l’angle unique du déséquilibre entre l’offre et la demande.

M. Philippe Dallier. Oui, les prix sont élevés parce que l’offre est insuffisante, c’est une certitude. Mais est-ce bien la seule raison ? Nos politiques publiques n’ont-elles pas, depuis des années, contribué à cette flambée des prix ? La question mérite d’être posée et, pour ma part, je suis aujourd’hui tenté d’y répondre par l’affirmative.

M. Thierry Repentin, rapporteur. Ah !

M. Philippe Dallier. La logique suivie jusqu’à présent a toujours consisté à renforcer ou à garantir la solvabilité tant des accédants à la propriété que des locataires.

Mais, ce faisant, je crains que nous n’ayons poussé le marché à la hausse, jusqu’à des excès que nous venons de corriger, notamment pour le dispositif Scellier,…

M. Thierry Repentin, rapporteur. Un peu tardivement !

M. Philippe Dallier. … qui cependant n’est pas seul en cause.

Ajoutez à cela des taux d’intérêt extrêmement bas sur une longue période, et vous obtiendrez l’explication de cette flambée des prix.

La quasi-totalité des avantages ainsi accordés à coups de dépenses budgétaires ou fiscales ont aussitôt été digérés par le marché, qui a instantanément transformé cet apport d’argent public en hausse des prix des biens et des loyers.

Il nous faut donc sortir de cette logique, mais comment ?

Certaines municipalités tentent de réguler les prix pour les primo-accédants en négociant avec les promoteurs. La démarche est simple : pas d’accord, pas de permis de construire !

Outre qu’imposer un tel bras de fer est à la limite de l’abus de pouvoir, cela favorise uniquement le primo-accédant, en le faisant bénéficier d’une belle plus-value latente, tandis que les acheteurs suivants subiront la stricte loi du marché. Ce type de système a donc des effets pervers.

Je crois qu’il faut plus simplement utiliser les règles du marché pour jouer contre le marché. Les choses sont simples : s’il n’y a pas de preneur pour un bien, le prix baisse. Nous devrions en tirer la leçon et, systématiquement, assortir les aides publiques, toutes les aides publiques, qu’elles soient consenties à l’acheteur, au vendeur, au bailleur ou au locataire, d’un barème qui ne se bornerait pas à les plafonner, mais qui les supprimerait au-delà d’un certain montant de loyer ou de prix de vente.

Nous pourrions également moduler le montant de chacune de ces aides en fonction d’un indice synthétique qui prendrait en compte les ressources de chacun, le prix, mais aussi la qualité du bien concerné, afin de pousser à l’amélioration de celle-ci.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais c’est de l’économie administrée !

M. Philippe Dallier. Prenons le cas des aides personnelles au logement, dont on ne parle pas souvent. Leur attribution est certes soumise à des critères, notamment de surface et de ressources, mais elles sont versées même si les loyers sont manifestement exorbitants.

Monsieur le ministre, je vous ai déjà donné l’exemple d’un appartement de trente-huit mètres carrés, en piteux état, à la limite de l’indécence, loué pour près de 750 euros par mois –soit quelque 20 euros du mètre carré – et situé aux Pavillons-sous-Bois, en plein cœur de la Seine-Saint-Denis. Cet appartement est loué à une famille disposant de peu de ressources, mais solvabilisée grâce aux quelque 500 euros d’aide personnalisée au logement dont elle bénéficie. Dans un tel cas, le propriétaire ne s’inquiète guère du risque de non-versement de la part restant à la charge du locataire, puisqu’il a l’assurance que la collectivité lui paiera au moins 500 euros par mois pour ses trente-huit mètres carrés. Recourir à un système tel que la garantie contre le risque locatif ou la garantie contre les loyers impayés ne l’intéresse même pas, car la seule aide personnalisée au logement lui assure déjà un niveau de rentabilité suffisamment élevé…

Il faut que nous mettions un terme à ces abus insupportables. À mon sens, il est possible de le faire sans encadrer brutalement les loyers, mesure qui, même assortie d’un zonage, entraînerait à l’évidence des effets pervers, monsieur Repentin.

Il suffirait de ne plus verser d’aide personnelle au-delà d’un certain niveau de loyer. Croyez-moi, en l’absence d’APL, le propriétaire qui, aujourd’hui, utilise les possibilités qu’offre le système ne trouverait aucun preneur. Il serait alors bien obligé de baisser le montant du loyer. C’est pour lutter contre ce genre d’abus qu’il faut corriger notre système d’aides personnelles.

Mes chers collègues, entre la fixation ou l’encadrement strict des prix et le libre jeu de la loi du marché, il y a certainement une troisième voie, que nous n’avons pas encore véritablement explorée. Malheureusement, le texte dont nous débattons ne nous permet pas, en l’état, de le faire. Je crois pourtant sincèrement que c’est là l’une des solutions pour rendre plus efficaces les sommes considérables d’argent public que nous consacrons chaque année, directement ou indirectement, aux aides au logement de toute nature.

J’en viens maintenant au texte proposé par le Gouvernement et adopté par l’Assemblée nationale.

Est-ce un texte utile ? Je répondrai, monsieur le ministre, par l’affirmative à cette question. S’il faut vous rassurer après tout ce que je viens de dire, je vous indique d’ores et déjà que je soutiendrai vos amendements visant à rétablir la rédaction initiale du projet de loi.

Je les voterai parce qu’il s’agit d’une mesure facultative, qui constituera donc un outil de plus à la disposition de ceux qui souhaiteront y recourir. Cela étant, je ne crois pas que sa mise en œuvre donnera les résultats que certains semblent en attendre, c'est-à-dire une accélération forte de la construction permettant enfin une baisse des prix.

Je ne le crois pas, tout d’abord, parce qu’il est fort probable que très peu d’élus utiliseront ce nouveau dispositif. Monsieur le ministre, les élus locaux ont tous une politique du logement, certes plus ou moins volontariste et parfois malthusienne, qui peut d’ailleurs également résulter de contraintes locales, mais ils en ont une. Cette politique est traduite, comme l’impose la loi, dans les documents d’urbanisme.

Dans ces conditions, offrir aux élus la possibilité de construire 30 % de plus permettra à ceux dont l’action s’inscrivait déjà dans cette logique de gagner du temps, mais au détriment de la concertation, tandis que cela ne changera rien pour les autres.

M. Thierry Repentin, rapporteur. Ne soutenez pas le texte du Gouvernement !

M. Philippe Dallier. J’ai tenté tout à l’heure de vous convaincre du fait que je faisais partie des maires bâtisseurs. J’ai bien l’intention de poursuivre sur cette voie, mais votre texte ne me sera pas utile ; il pourrait même me créer un certain nombre de problèmes.

Dans ma commune, la superficie moyenne des parcelles en secteur pavillonnaire est de 265 mètres carrés, avec un COS de 0,60. Autoriser un accroissement de la densité dans un tel contexte poserait des difficultés.

En ce qui concerne le logement collectif, ce sont davantage les équipements publics que la volonté de construire qui nous manquent.

Si l’on considère que, de surcroît, ma commune est devenue, cette année, contributrice au Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, on mesure que les moyens dont je dispose ne vont pas aller en s’accroissant, alors que la population a déjà fortement progressé.

On nous demande de construire plus : j’y suis prêt, monsieur le ministre, comme beaucoup d’autres élus. Il faut simplement, si j’ose dire, que l’on nous y aide !

Voilà pourquoi je n’utiliserai pas l’outil que nous présente ce texte. Je m’en expliquerai auprès de la population de ma commune, et je pense pouvoir la convaincre sans trop de difficulté du bien-fondé de cette décision, d’abord parce que nous construisons déjà beaucoup. Il est d'ailleurs assez amusant de constater que mon opposition municipale de gauche me le reproche…

En outre, si je suis persuadé qu’il faut lutter contre l’étalement urbain, je sais aussi que le concept de densification doit être manié avec prudence. Quand vous habitez au cœur de la Seine-Saint-Denis, cette notion évoque malheureusement davantage les horreurs architecturales et urbanistiques des années soixante et soixante-dix que le Paris d’Haussmann, pourtant plus dense que la cité des 4 000 de La Courneuve. C’est ainsi !

Enfin, monsieur le ministre, je vous soutiendrai, mais j’éprouve néanmoins une forte réticence à favoriser un enrichissement sans cause des heureux propriétaires de terrains, qui n’en demandaient pas tant et qui vont profiter de cette aubaine en augmentant le prix de vente de leur bien. (Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Joël Labbé et Jacques Mézard applaudissent.)

Certes, cela ne devrait pas avoir d’incidence sur le prix de vente des appartements, puisque l’on construira plus. Il aurait cependant été judicieux, et même d’intérêt public, surtout si l’on souhaite aussi voir les prix de vente diminuer, de taxer intégralement la plus-value en question et d’attribuer le produit de cette taxe à la collectivité locale concernée, afin de l’aider à construire les équipements publics nécessaires. Cela reviendrait en quelque sorte à recréer un versement pour dépassement du plafond légal de densité, dont beaucoup de communes ne disposent pas ou plus, malheureusement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jarlier.

M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément, cette période pré-électorale ne nous permet pas de légiférer dans de bonnes conditions, c’est le moins que l’on puisse dire ! La situation est même surréaliste, voire caricaturale.

Moins de quinze jours après la déclaration du Président de la République du 29 janvier, le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire a été présenté en urgence à l’Assemblée nationale.

Les élus, comme beaucoup de socioprofessionnels, ont regretté cette précipitation et le manque de concertation en amont de l’élaboration d’un texte qui vise à modifier considérablement les compétences fondamentales des communes, à savoir le droit des sols et l’urbanisme, sans parler des conséquences immédiates qu’a eues l’annonce de cette mesure : blocage des promesses de vente des terrains dans l’attente d’une majoration des droits à construire, mais surtout augmentation des prix, avec la perspective d’une belle inflation du coût du foncier !

Aujourd’hui, moins d’une semaine après la discussion du texte à l’Assemblée nationale et seulement vingt-quatre heures après son examen en commission au Sénat, c’est un autre sujet qui nous est soumis en séance publique. J’en veux pour preuve que même le titre du projet de loi initial a été modifié et qu’il n’est plus question de droits à construire dans le texte issu des travaux de la commission.

Certes, l’aliénation du domaine privé de l’État à un prix inférieur au marché lorsqu’elle est destinée à permettre la réalisation de programmes de logements au moins pour partie sociaux est une démarche positive, mais elle ne constitue qu’une réponse partielle à la crise du logement, comme d’ailleurs l’augmentation des droits à construire initialement prévue par le projet de loi.

En réalité, au-delà de cette modification profonde apportée au texte, c’est une promesse électorale qui s’est substituée à une autre, et je pense sincèrement que le Parlement ne peut légiférer efficacement en suivant le rythme des déclarations successives des candidats à l’élection présidentielle.

Cela étant dit, la France compte aujourd’hui 3,5 millions de demandeurs de logement, dont 1,4 million attendent l’attribution d’un logement social. Monsieur le ministre, je profite de cette occasion pour vous dire que cette situation concerne aussi les habitants de l’Auvergne.

M. Jacques Mézard. Tout à fait !

M. Pierre Jarlier. Il sera d’autant plus difficile de répondre à leurs attentes en matière de logement social que nos organismes d’HLM ont subi un prélèvement de 2 millions d'euros au titre de la fameuse péréquation, parfaitement injuste, qui a été mise en place l’an dernier.

Nous approuvons donc l’objectif de créer rapidement des logements. La densification, donc l’augmentation des droits à construire, peut constituer une réponse adaptée si elle satisfait à plusieurs conditions : être en cohérence avec le projet urbain défini par les élus ; reposer sur une base juridique solide pour éviter les contentieux, déjà nombreux en matière de droit des sols ; faire l’objet d’une concertation avec la population, dans le respect de notre Constitution ; enfin, être mise en œuvre dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales et de leur compétence en matière de droit des sols.

Force est de constater que ces conditions ne sont pas vraiment réunies dans le cadre du dispositif qui nous a été proposé, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, ce dispositif est applicable de façon arbitraire sur l’ensemble du territoire, et ignore ainsi les spécificités locales. De ce fait, il remet en cause les choix opérés par les assemblées délibérantes à l’issue d’une réflexion collective sur le développement de leur territoire, qu’il s’agisse de la forme urbaine, de la mixité sociale ou de l’habitat. Nous sommes là bien loin de la politique d’urbanisme de projet que vous préconisez, monsieur le ministre !

En deuxième lieu, le dispositif impose, avant même que l’organe délibérant ne décide du champ d’application de la mesure, une concertation avec les habitants sur la base d’une note d’information, alors que c’est précisément l’inverse qu’il faudrait faire. À l’évidence, la pression d’intérêts particuliers risque de s’exercer, en l’absence de définition préalable d’un cadre compatible avec l’esprit du projet urbain défini dans le PLU. Nous sommes, là encore, bien loin de l’urbanisme de projet.

En troisième lieu, cette mesure ne contraindra pas les collectivités qui, par principe, se prononceront contre, non pas parce qu’elles ont déjà mis en œuvre la densification sur leur territoire, comme le permet déjà le droit existant, mais parce qu’elles sont fondamentalement opposées à toute contrainte de ce type, malgré le manque patent de logements, notamment sociaux, sur leur territoire. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes qui n’appliquent pas l’article 55 de la loi SRU.

Ce sont pourtant ces communes que le texte devrait viser spécifiquement. La mesure sera donc vraisemblablement inefficace là où elle devrait être appliquée en priorité.

Ce constat m’amène à proposer à notre assemblée l’adoption d’un article additionnel qui tend à réintroduire sous une autre forme le principe de la majoration des droits à construire dans le projet de loi.

Il s’agit d’abord de cibler la mise en œuvre de la majoration des droits à construire sur les secteurs tendus qui connaissent un déséquilibre manifeste entre l’offre et la demande de logements.

Je propose ensuite d’instaurer dans ces secteurs un débat préalable obligatoire en conseil municipal pour définir les modalités de cette densification.

Une telle mesure serait doublement utile.

D’une part, la tenue de ce débat assurerait la cohérence de la majoration des droits à construire avec le projet urbain, notamment avec les objectifs fixés à l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme, qui est le pivot du projet d’aménagement et de développement durable, le PADD, en matière de respect des objectifs de développement durable, de mixité sociale, de diversité des formes urbaines.

D’autre part, cela permettrait que le dispositif puisse concerner toutes les communes situées en secteur tendu sans qu’une délibération puisse s’y opposer, dès lors que son champ d’application serait défini par l’organe délibérant. Ainsi, la concertation pourrait se dérouler sur la base d’objectifs fixés par les élus.

Cette méthode aurait de surcroît l’avantage de privilégier l’intérêt général de la commune et de la prémunir contre la pression des intérêts particuliers qui ne manquera pas de se manifester si le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale est rétabli.

Enfin, le principe de spécialité des compétences des établissements publics de coopération intercommunale n’est pas compatible avec la possibilité, pour une commune, de prendre une décision contraire à celle de l’EPCI compétent en matière d’urbanisme. Une telle possibilité est pourtant prévue dans le texte initial ; il faut évidemment supprimer cette disposition.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle que soit l’issue de nos débats de ce soir sur une approche trop réductrice et segmentée de la crise du logement dans notre pays, il est temps de placer le logement au rang de grande cause nationale et de préparer à ce titre un grand projet de loi sur ce sujet, ainsi que sur la mobilisation du foncier, intégré dans un nouveau plan de cohésion sociale. Je forme le vœu que ce soit une priorité de la prochaine législature, quel que soit le résultat des élections à venir. (Applaudissements sur les travées de l'UCR, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Thierry Repentin, rapporteur. Nous sommes d’accord !

M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.

M. Claude Dilain. Monsieur le ministre, nous sommes au moins d’accord sur un constat : certains territoires de notre pays manquent cruellement de logements.

M. Benoist Apparu, ministre. Nous sommes d’accord !

M. Claude Dilain. Dans ces conditions, nous pourrions être tentés de soutenir votre proposition, mais l’étude de l’article unique qui constituait votre projet de loi a fait naître en moi de graves inquiétudes.

La première de ces inquiétudes a trait au respect du principe de la libre administration des collectivités territoriales, garantie par l’article 72 de la Constitution. Vous me rétorquerez que votre projet de loi ne contrevient nullement à ce dernier, puisque vous daignez accorder aux collectivités territoriales le pouvoir de dire non. Dont acte, en tout cas sur le plan juridique !

Cependant, considérons le champ politique.

Il est tout de même surprenant de réduire la liberté de s’administrer des collectivités locales à la simple possibilité de faire jouer un droit de veto, alors que la France déploie depuis trente ans des efforts, parfois douloureux, pour tendre vers la décentralisation. Il s’agit là, mine de rien, au détour d’un projet de loi, d’amorcer un retour à la centralisation, au rebours du mouvement engagé par notre pays depuis trente ans. Il n’est pas neutre que l’on nous propose d’inverser ainsi le processus de décision.

J’y vois en outre une contradiction. Je pourrais comprendre que l’État impose aux collectivités territoriales des mesures conformes à l’intérêt supérieur du pays. Mais, dans cette hypothèse, il ne faut pas permettre aux collectivités territoriales de s’en exonérer grâce à une simple « note d’information »… Si l’intérêt supérieur de la nation est en jeu, la mesure doit être d’application générale ; sinon, il faut respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales.

Ma deuxième inquiétude porte sur la densification, qui ne peut se résumer à une simple augmentation du nombre des logements : il faut aussi que les équipements publics suivent. Les communes riches pourront faire face à cette exigence, mais pas les autres ; il faudra les y aider.

J’espère que les maires bâtisseurs ne seront pas tous aidés de la même façon. Vous avez parlé de péréquation, monsieur le ministre : il aurait fallu l’instaurer dans le même mouvement. Sinon, nous risquons de l’attendre aussi longtemps que Godot… Ne renouvelez pas les erreurs commises dans les années soixante, quand on a construit des logements, sous la pression de l’urgence, en se disant que le reste suivrait. Or « le reste » n’a jamais suivi, et l’on sait ce qu’il est advenu de nombreux grands ensembles construits à cette époque, qui se sont totalement paupérisés.

Ma troisième inquiétude concerne la nature des logements devant être construits. Rien n’est prévu pour orienter le type de construction et améliorer la pluralité de l’offre. Le risque est grand que l’on continue à construire des logements privés là où l’on en a déjà réalisé beaucoup dans le passé, et des logements conventionnés dans les secteurs où ils représentent déjà une forte proportion du parc. Au pire, on ne construira rien du tout.

Monsieur le ministre, je n’oppose nullement le logement social au logement privé, au contraire de ceux qui stigmatisent le logement social en racontant n’importe quoi à son sujet ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

M. Benoist Apparu, ministre. Certains stigmatisent le logement privé ! Cela marche dans les deux sens.

M. Claude Dilain. Des maires prétendent qu’ils ne peuvent pas construire de logements sociaux parce que la population de leur commune, c'est-à-dire leurs électeurs, n’en veut pas. Cela n’a rien d’étonnant, car ils passent leur temps à dénigrer le logement social à tort et à travers : ce sont eux qui opposent logement social et logement privé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, il faut à la fois préserver la cohésion de la société française et accorder l’offre et la demande de logements sociaux. À mon départ de la mairie de Clichy-sous-Bois, j’ai calculé qu’il faudrait vingt et un ans pour épuiser la liste d’attente, sans tenir compte des nouveaux demandeurs !

En conclusion, j’estime que la mise en œuvre du dispositif proposé par le Gouvernement présente des risques énormes en regard de bénéfices faibles, même s’ils sont réels. Dans ces conditions, je voterai contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)