M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, quel qu’eût été le résultat des dernières élections, nous avions de toute manière le devoir de réagir rapidement à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 4 mai.

Vous avez d’ailleurs pu constater, madame la garde des sceaux, que le Sénat, parce qu’il était sans doute moins préoccupé par d’autres considérations que l’Assemblée nationale (Sourires.), a immédiatement constitué un groupe de travail sur le sujet. Il faut en remercier les initiateurs, ainsi que tous les participants : ils ont permis d’aboutir dans des délais raisonnables à la rédaction d’une législation qui ne soit pas critiquable sur le plan constitutionnel.

Grâce à l’effort de tous, nous avons abouti, me semble-t-il, à un bon résultat.

M. le président de la commission et Mme la garde des sceaux ayant déjà développé les différents aspects de ce texte, je me contenterai de quelques remarques, mes chers collègues.

Nous avons tout d’abord rencontré des difficultés en ce qui concerne le « chantage sexuel ». Je me suis opposé avec la plus grande vigueur à tout mélange entre le chantage et le chantage sexuel. Il me semble toutefois que, pour ce qui concerne l’assimilation au harcèlement sexuel, l’Assemblée nationale a permis de lever les quelques incertitudes qui subsistaient. Avant cela, nous avions bien entendu affirmé qu’il n’y avait aucun risque de confusion entre l’agression sexuelle et le « chantage sexuel ». Les termes retenus par l’Assemblée nationale permettent de penser qu’il n’y aura pas de déqualification et que les deux délits resteront effectivement distincts.

Je rappelle d’ailleurs que, si l’on a évoqué cette question, c’est parce que le viol est souvent déqualifié en agression sexuelle, pour les raisons que j’ai déjà exposées, et qui sont d’ailleurs reconnues, y compris par les juridictions elles-mêmes. Il s’agit parfois de permettre aux victimes d’être plus rapidement reconnues dans leurs droits. Nous savons très bien que, actuellement, certaines cours d’assises, dont celle de Seine-et-Marne, que je connais bien, sont encombrées par les affaires de viol, qui peuvent représenter jusqu’à neuf affaires sur dix. Cette saturation des cours d’assises est l’une des raisons de la requalification en agression sexuelle.

Je la déplore sur le plan des principes, mais il arrive que l’on fasse primer l’efficacité, sans parler des cas où il y a doute.

Autre point : je regretterai toujours que nous n’ayons pas conservé le terme d’« agissements » à propos du harcèlement. C’est assez curieux comme raisonnement, mais j’en rends responsable au premier chef mon excellent ami Guy Geoffroy ! (Sourires.)

En effet, dans la définition du harcèlement moral, on parle d’agissements répétés, et non de propos. Nous avons opté pour les « propos et comportements » répétés. Sauf que le comportement, ce n’est pas un agissement ! Les juges s’en débrouilleront, mais l’absence d’harmonie entre les deux incriminations pose problème. À mon avis, nous aurions dû supprimer « propos » et ne garder qu’« agissements », ce qui eût été beaucoup plus simple, en définitive. Mais c’est un détail, et nous n’allons pas nous battre pour cela !

Il était également important à nos yeux d’assurer une harmonisation dans le droit du travail - malheureusement, faute de temps, nous n’avions pas pu le faire - et dans le droit de la fonction publique, notamment en matière de discriminations. Nous avions pourtant bien travaillé, en incluant l’orientation ou l’identité sexuelle. À l’occasion de la définition de ce délit de harcèlement, nous avons incontestablement ouvert une porte vers cette harmonisation. Il faudra maintenant vérifier l’application à d’autres domaines. Nous avons là un vrai problème d’harmonisation.

Il n’en demeure pas moins que je me pose toujours la question de la méthode. C’est toute la question du code suiveur. Car il existe deux possibilités : soit l’on procède par simple renvoi au code pénal dans le code du travail, soit l’on reproduit in extenso les dispositions du premier dans le second. Dans ce dernier cas, il ne faut pas oublier de reproduire l’intégralité des nouvelles dispositions lorsque le texte cité est modifié.

Reste que nous n’avons jamais tranché définitivement cette question de méthode. Il me semble que nous devrions tout de même choisir une bonne fois pour toutes, au lieu de privilégier tantôt une solution, tantôt l’autre, ce qui aboutit à quelques distorsions.

En l’occurrence, nous avons fait le choix de reproduire intégralement les dispositions du code pénal dans le code du travail et dans la loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Ne revenons pas sur ce choix : il en a été ainsi décidé, et c’est très bien comme cela !

Les députés prétendent que l’on ne doit pas viser les « relations de travail » dans le code du travail. Or, mes chers collègues, je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 2002 : que l’on emploie ou non ce terme, cela ne change strictement rien, car, de toute façon, ce sont les droits de la personne au travail qui sont visés, tels qu’ils sont énoncés à l’article L. 120-2 du code du travail.

Enfin, par rapport au texte initial, il me semble qu’il convient d’être prudents à propos de l’amendement que vous aviez déposé sur la vulnérabilité économique ou sociale, madame la ministre, même si la formule est tout à fait acceptable. En effet, les circonstances aggravantes renvoient généralement à des conditions objectives, comme l’âge ou l’état de dépendance. En outre, pour d’autres crimes ou délits, les circonstances aggravantes sont les mêmes dans tout le code pénal, mais elles ne correspondent pas à ces conditions-là. Il faudra donc vérifier si cela ne peut pas être étendu à d’autres crimes ou délits, car on risque sinon d’introduire une distorsion entre diverses infractions.

Je doute quelque peu de l’efficacité de l’article 7. En tout état de cause, il n’y aura pas de saisine du Conseil constitutionnel, bien entendu. Je ne pense pas non plus qu’une question prioritaire de constitutionnalité puisse prospérer sur ces bases, pour la simple et bonne raison que nous avons, me semble-t-il, pris toutes les garanties pour que la légalité des délits et des peines soit assurée.

Au final, nous avons en effet accompli un beau travail parlementaire, avec bien sûr la coopération de la Chancellerie, qui était dans son rôle. Pour ma part, je n’ai jamais dit que le Gouvernement n’aurait pas dû déposer de projet de loi. Les différentes propositions de loi et le projet de loi ont permis à chacun de progresser.

Le plus important, c’est que les faits dont il s’agit soient enfin punis. C’est la raison pour laquelle mon groupe votera ce texte, comme il l’a fait lors de la lecture au Sénat et lors de la commission mixte paritaire.

Ce projet de loi montre aussi que, parfois, notre société évolue dans le bon sens.

M. Charles Revet. Heureusement !

M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas toujours le cas, hélas ! Mais, dans le cas présent, il y a une réelle prise de conscience collective des drames que vivent beaucoup de victimes de harcèlement sexuel. On parle des femmes, mais il ne faut pas oublier non plus tous ceux qui sont victimes de harcèlement, sexuel ou moral, en raison de leur orientation.

Nous avons fait du bon travail. Espérons maintenant que les juridictions traiteront sévèrement tous ceux qui ne respectent pas la personne humaine. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre des droits des femmes, monsieur le président-rapporteur, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de l’examen du projet de loi relatif au harcèlement sexuel.

Je rappelle que le Gouvernement avait demandé l’examen de ce texte en procédure accélérée, une demande parfaitement justifiée puisque, à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel avait répondu, le 4 mai 2012, en prononçant l’abrogation immédiate de l’article 222-33 du code pénal, qui définit le délit de harcèlement sexuel. Le texte avait été jugé insuffisamment précis quant aux éléments constitutifs de l’infraction.

Les sénateurs et sénatrices de toutes les sensibilités se sont mobilisés : sept propositions de loi ont été déposées au Sénat et une commission spéciale a été constituée, qui a procédé à de nombreuses auditions. Mesdames les ministres, je crois pouvoir dire que vous avez pu vous appuyer sur ces travaux pour élaborer votre projet de loi.

Le présent texte répond à un double objectif : d’une part, combler le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel ; d’autre part, donner la définition la plus précise possible du harcèlement sexuel, en la rapprochant de la directive européenne.

L’examen par le Sénat a permis d’apporter plusieurs modifications. Je pense notamment à l’alourdissement des peines et des amendes, mais aussi à la création d’une nouvelle circonstance aggravante : le fait de profiter de la particulière vulnérabilité ou dépendance de la victime résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale. Je veux ici vous remercier, mesdames les ministres, d’avoir, lors de la lecture du projet de loi au Sénat, permis que cette circonstance aggravante soit inscrite dans le texte, ce qui est une première. Je reprends à mon compte le point de vue de notre collègue Jean-Jacques Hyest, et je pense tout comme lui que cette circonstance aggravante pourra par la suite opportunément être étendue à d’autres délits.

Le Sénat a également ajouté le critère de l’identité sexuelle à la liste des discriminations énoncées à l’article 225-1 du code pénal. L’article 2 ter permet aux associations de lutte contre le harcèlement sexuel d’exercer les droits reconnus à la partie civile, conformément au souhait de ces associations, qui est ici pris en compte.

Des coordinations et mises en cohérence ont, bien entendu, été introduites dans le code du travail et dans le code du travail applicable à Mayotte, ainsi que dans le statut de la fonction publique. Peut-être conviendra-t-il d’ailleurs ultérieurement de modifier plus largement le statut de la fonction publique, car les fonctionnaires ont des droits et des obligations comme les autres salariés.

L’Assemblée nationale a elle-même apporté des modifications au texte, en particulier en supprimant, à l’article 1er, la mention des « ordres, menaces ou contraintes », pour conserver la seule référence à « toute forme de pression grave », afin d’éviter, comme l’a souligné Jean-Jacques Hyest, toute déqualification de l’agression sexuelle.

Nos collègues députés ont aligné la sanction prévue pour le harcèlement moral sur celle qui est introduite pour le harcèlement sexuel.

Ils ont souhaité maintenir la définition in extenso du harcèlement sexuel et du harcèlement moral dans le code du travail, plutôt que de procéder à un renvoi au code pénal. On ne va pas refaire le débat ; la question de la méthode peut effectivement se poser, mais la solution retenue ne me semble pas devoir poser de problèmes.

Les députés ont également adopté un amendement rendant obligatoire l’affichage dans les entreprises du texte des articles 222-33 et 222-33-2 du code pénal.

Enfin, ils ont introduit un article 7, qui a d’ailleurs été réécrit par les rapporteurs en CMP, et qui prévoit que le tribunal correctionnel ou la cour d’appel peuvent accorder, à la demande de la partie civile, réparation du préjudice subi par les victimes de harcèlement sexuel lorsque l’action publique est éteinte en raison de la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai 2012.

Nous allons donc approuver les conclusions de la commission mixte paritaire, et ce, comme cela a été fait à l’Assemblée nationale et lors de la CMP, par un vote unanime de toutes les composantes politiques de notre assemblée.

Mes chers collègues, nous avons atteint notre objectif : voter une loi suffisamment claire, qui servira à protéger les victimes et à décourager les harceleurs.

La campagne d’information que vous allez lancer, madame la ministre des droits des femmes, et la circulaire ministérielle que vous allez adresser au parquet, madame la garde des sceaux, constituent bien évidemment des éléments forts : il faut que cette loi soit connue et que les tribunaux l’appliquent.

Mes chers collègues, nous avons connu de nombreuses lois qui n’avaient comme unique raison d’être que la satisfaction du besoin de communication de l’ancien Président de la République ! (Protestations sur les travées de l'UMP.) Aujourd'hui, nous sommes pleinement satisfaits de voter cette loi utile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Christian Cointat. Nous aussi, nous le sommes !

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, je veux dire, à mon tour, ma satisfaction à l’issue de nos débats, à la fois passionnés et passionnants, mais aussi difficiles.

En effet, si nous étions, d’entrée de jeu, unanimes sur les objectifs, l’unanimité sur les moyens à mettre en œuvre ne s’est, en revanche, que progressivement construite au fur et à mesure de l’élaboration du texte aujourd'hui soumis à notre vote, chaque mot ayant pris son importance.

Il s’agissait pour le législateur de définir, sans en exclure aucun, des comportements, ou des situations, que j’aurais qualifiés, dans ma vie antérieure de vétérinaire, de « protéiformes », c'est-à-dire susceptible de revêtir de multiples aspects.

Pourtant, c’était une nécessité que notre droit, qui organise et garantit les équilibres sociaux et sociétaux, ne se satisfasse pas du vide juridique créé.

De même, il était essentiel de légiférer pour les victimes, pour toutes les victimes, quels que soient leur personnalité et le lieu dans lequel elles évoluent. Chacun, chacune d’entre nous est concernée. Tous les lieux de travail, les espaces de loisirs, associatifs et sportifs – on pense notamment aux compétitions -, tous les lieux d’enfermement aussi sont autant d’endroits où les relations humaines peuvent dégénérer en des rapports de proie à prédateur, sans fuite possible pour la proie, le prédateur pouvant, par son emprise, réduire l’autre à n’être plus qu’un simple objet de possession. Ici, les mots sont utilisés non pas pour définir le droit, mais pour détruire, pour posséder, voire pour tuer.

Il fallait non seulement définir le délit, mais le faire par rapport à l’acte lui-même, et non par rapport aux effets qu’il produit sur la victime. Or il me semble que nous y sommes parvenus aujourd'hui.

Quelle que soit la victime, homme, femme ou enfant, quelles que soient ses forces ou ses faiblesses, quelle que soit sa force ou sa faiblesse, c’est bien le harcèlement sexuel en tant qu’acte qui est reconnu comme délictueux.

Pour les victimes les plus fragiles, les circonstances aggravantes ont été clairement identifiées, ce qui constitue une grande avancée.

Légiférer était aussi, selon moi, une nécessité pour les auteurs.

Notre collègue Muguette Dini a dit tout à l'heure que certains auteurs s’abstiendraient de commettre des actes délictueux, se félicitant d’un effet préventif du texte. Ce sera sans doute le cas pour certains d’entre eux, mais pas pour tous, et je pense ici aux auteurs réellement pathologiques, à ceux qui sont mal structurés, à ceux qui ont clairement inscrit dans leur personnalité ce comportement de harceleur.

Pour ces auteurs-là, qui ont, eux aussi, un comportement et des symptômes extrêmement protéiformes, le premier obstacle sur la voie de la réitération ou de la récidive est d’abord la reconnaissance du délit, et donc l’étape pénale. C’est une constante pour les harceleurs, pour les manipulateurs. La première étape de la prise en charge est celle de la société, celle du droit, celle du pénal. Il était donc essentiel de réécrire les dispositions abrogées dans les termes qui nous sont aujourd'hui proposés afin de protéger les autres victimes.

Pour autant, cela ne suffira pas. Le texte est écrit, reste à l’appliquer, sans oublier, comme je le soulignais dans mon intervention liminaire à la tribune, que, quand la plainte a été déposée, la relation entre victime et auteur continue, qu’elle se maintient dans les mêmes termes, c'est-à-dire comme avant la reconnaissance éventuelle du délit. N’oublions pas que, dès qu’une plainte est déposée, il y a un délit, que ce soit du côté de l’accusé ou du côté de l’accusant, et il faut absolument aller à la source pour faire sortir la vérité. En effet, les dénonciations calomnieuses détruisent et tuent, elles aussi. Or elles sont souvent utilisées par les harceleurs pathologiques et par les manipulateurs, qui inversent la réalité. Il importe alors de prendre en considération le comportement pathologique.

Madame la garde des sceaux, madame la ministre, aucun appel au secours ne doit plus jamais rester sans réponse, comme un cri lancé dans le désert ; aucune main ne doit rester tendue en vain pendant des semaines, des mois ou des années, sans que la justice entende, réponde, sanctionne et protège !

Je compte sur vous pour donner des instructions générales en ce sens ou publier des circulaires afin que ces plaintes soient partout considérées comme prioritaires et qu’elles soient traitées en urgence jusqu’à leur terme.

Je compte sur vous pour favoriser l’interdisciplinarité avec le secteur médico-psychiatrique et les travailleurs sociaux, notamment.

Je compte sur vous aussi pour prendre des mesures afin de soutenir les aidants, les associations, les syndicats ou tous les autres partenaires susceptibles d’aider les victimes. Elles prolongeront efficacement la loi.

Confiante dans les décisions que vous allez prendre, et pour toutes les raisons que j’ai dites, je voterai, avec mon groupe, les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour je me réjouis que nous ayons pu respecter le calendrier que nous nous étions fixé et que nous soyons en mesure d’adopter aujourd’hui, avant la fin de la session extraordinaire, une nouvelle définition du délit de harcèlement sexuel.

Nous pouvons nous féliciter de la rapidité avec laquelle le Parlement aura adopté ce texte, car elle témoigne d’une volonté partagée sur toutes les travées de la Haute Assemblée de combler au plus vite le vide juridique choquant qui résultait de l’abrogation, par le Conseil constitutionnel, de l’ancien article 222-33 du code pénal.

Il me semble que cette mobilisation des pouvoirs publics, faisant écho au fort émoi et à la mobilisation des victimes et des associations de défense des droits des femmes, une mobilisation à laquelle le Sénat a contribué en mettant rapidement en place un groupe de travail, envoie un signal fort.

Le harcèlement sexuel est un fait social grave que la société ne doit pas, ne doit plus tolérer. Ces comportements ne doivent pas rester impunis et la loi doit les sanctionner.

La nouvelle définition du délit que nous nous apprêtons à adopter marque de réels progrès par rapport à la disposition précédente : en sanctionnant à la fois les comportements répétés et l’acte unique d’une particulière gravité, elle prend mieux en compte la réalité vécue du harcèlement sexuel, celle que nous ont décrite non seulement les associations qui viennent en aide aux victimes, les associations de défense des droits des femmes, mais aussi les associations des lesbiennes, des gays, des bisexuels et transgenres.

En désignant comme élément intentionnel du délit l’atteinte à la dignité, cette définition devrait, en outre, faciliter l’administration de la preuve devant les tribunaux, même si la recherche d’un acte sexuel reste l’élément intentionnel pour l’acte unique d’une particulière gravité.

En ma qualité de présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, je me réjouis que le texte que nous allons adopter prenne en compte certaines des recommandations à portée législative que nous avions adoptées à l’unanimité.

Nous avions ainsi souhaité que l’état de vulnérabilité de la victime, qui figurait parmi les circonstances aggravantes prévues par le projet de loi et par le texte de la commission des lois du Sénat, englobe la vulnérabilité économique et sociale. Le Sénat nous a entendus en adoptant une définition qui vise expressément « la particulière vulnérabilité ou dépendance de la victime résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale ». L’Assemblée nationale a confirmé et ajusté cette formulation, ce dont je me réjouis.

Nous avions souligné la nécessité d’effectuer la coordination nécessaire avec la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires au motif que l’administration et les agents publics ne pouvaient rester à l’écart de la réforme du délit de harcèlement sexuel.

La commission des lois nous a rejoints en complétant le projet de loi au travers de l’adoption d’un nouvel article 3 bis, ensuite confirmé et complété par l’Assemblée nationale.

Notre délégation avait, en outre, souhaité que la loi confirme expressément l’obligation pour l’État et les collectivités territoriales de prendre les dispositions nécessaires à la prévention du harcèlement sexuel dans leurs administrations respectives. Nous avions envisagé d’introduire cette obligation dans la loi du 13 juillet 1983, mais le Sénat n’avait pas adopté nos amendements, considérant que cette obligation s’imposait déjà implicitement à l’État et aux collectivités territoriales.

Je me réjouis que l’Assemblée nationale ait partagé notre préoccupation et ait donné une confirmation légale à cette obligation par un autre biais, en insérant la prévention du harcèlement sexuel au nombre des obligations de prévention imposées à l’employeur, public ou privé, avec l’article L. 4121-2 du code du travail.

Toutefois, je souhaiterais revenir sur trois de nos recommandations qui n’ont pas de portée législative directe, mais qui me semblent importantes pour accompagner la loi.

Dans notre troisième recommandation, nous avions invité Mme la garde des sceaux, responsable de la définition de la politique pénale, à veiller à ce que le nouveau délit de harcèlement sexuel ne soit plus utilisé pour sanctionner des agissements relevant d’incriminations pénales plus lourdes.

La modification opérée par l’Assemblée nationale, qui a recentré la définition de l’acte unique grave sur la notion de « pression grave » pour éviter une possible confusion avec les incriminations de viol et d’agression sexuelle, participe de cette même préoccupation et me paraît, à titre personnel, aller dans le bon sens.

Nous ne devons plus accepter que le harcèlement sexuel soit utilisé pour « déqualifier » des agressions ou des tentatives d’agression.

C’est pourquoi, à titre personnel, j’avais plaidé avec mon groupe pour que nous allions plus loin afin d’écarter totalement le risque de déqualification pour des incriminations relevant du viol et de l’agression sexuelle, d’autant que la formulation retenue ne garantira pas le même niveau de protection aux populations transgenres.

Enfin, dans ses deux premières recommandations, la délégation avait demandé la réalisation d’une nouvelle enquête sur les violences faites aux femmes en France, ainsi que la création d’un observatoire national des violences envers les femmes.

Je me réjouis que la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, et sa rapporteure, Ségolène Neuville, aient apporté leur appui à ces deux demandes, et je juge très encourageants les engagements que vous avez pris, madame la ministre des droits des femmes, devant notre assemblée. Je me félicite que vous nous rejoigniez sur les missions du futur observatoire national, qui ne devra pas se contenter de collecter des données, mais qui devra également être une plateforme d’action permettant de coordonner l’intervention des différents acteurs publics, institutionnels, sociaux ou associatifs.

Je pense, comme vous, que nous aurons besoin de faire le point, dans un proche avenir, sur l’application de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, et de prendre en considération les premiers retours que nous aurons de l’application de la loi relative au harcèlement sexuel, afin d’y apporter les éventuelles retouches qui seront apparues, à l’expérience, nécessaires.

C’est par un effort constant que nous pourrons faire reculer, dans notre pays, cette plaie sociale que constituent les violences envers les femmes, violences dont le harcèlement sexuel constitue le premier maillon. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le délit de harcèlement sexuel est une invention relativement récente dans notre droit, qui traduit une réalité sociale dont les statistiques officielles peinent à rendre compte avec précision.

Selon les années, les tribunaux ne sont amenés qu’à prononcer entre 70 et 85 condamnations sur ce chef. Bien sûr, ces chiffres, quelque peu abstraits, ne disent rien des victimes silencieuses, contraintes de ne pas faire valoir leurs droits en raison des pressions qu’elles subissent ou de la peur qui les tétanise.

Tout a été dit sur les raisons qui ont conduit le Conseil constitutionnel à invalider l’article 222-33 du code pénal, y compris le fait que, dès le vote de la loi du 17 janvier 2002, qui modifiait la définition du harcèlement sexuel, la doctrine s’était interrogée sur la rédaction adoptée par le législateur. Je ne reviendrai donc pas sur ces éléments, que mon collègue Nicolas Alfonsi, éminent juriste, a brillamment développés.

Vous le savez, madame la garde des sceaux, la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai dernier était prévisible dans ses considérants. Néanmoins, elle a eu le mérite de remettre en lumière la question du harcèlement sexuel et, plus largement, celle des droits des femmes dans notre société et de la lutte contre les formes de violence ou de mépris dont elles sont les victimes. Le silence sur ces questions fera toujours le jeu de ceux qui abusent de leur position dominante pour attenter à la dignité des femmes ; l’ensemble de la représentation nationale, dans toutes ses composantes, ne cessera jamais de réprouver ces comportements.

Légiférer à nouveau sur le harcèlement sexuel, comme nous y a exhorté le Conseil constitutionnel, nous permet non seulement de réparer la malfaçon votée en 2002 mais encore de moderniser notre droit. C’est ainsi que l’article 1er du projet de loi prévoit la création d’un nouveau délit de chantage sexuel, défini comme « le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

À l’issue de la première lecture, nous aurions pu craindre qu’il s’opère une certaine confusion avec la tentative de viol ou d’agression sexuelle, en raison de la proximité des éléments matériels posés par le code pénal pour définir ces infractions. Nous comptons cependant sur votre vigilance, madame la garde des sceaux, pour que la loi que nous allons voter soit appliquée à la lettre, et que les déqualifications ne deviennent pas un outil de régulation face à l’engorgement ou à la lenteur des tribunaux.

Toujours dans cet objectif de modernisation de notre droit, le travail conjoint et convergent de nos deux assemblées a permis de renforcer la protection dont doivent bénéficier les salariés et les fonctionnaires dans leurs relations de travail. Les discriminations qui résulteraient de faits de harcèlement sexuel ou moral doivent être sanctionnées à leur juste mesure, y compris lorsqu’elles touchent les personnes amenées à témoigner de tels faits.

Sur cette question, il me semble que le texte de la commission mixte paritaire répond parfaitement à l’évolution de l’ordre public social depuis l’introduction dans notre droit du harcèlement par la loi du 22 juillet 1992. La violence du monde du travail, le plus souvent sournoise et insidieuse, appelle des réponses claires et fortes du législateur. Il appartient désormais aux pouvoirs publics de donner corps à ce message. L’obligation pour les employeurs d’informer les salariés sur les lieux de travail des dispositions légales relatives aux harcèlements sexuel et moral va dans le bon sens.

La lutte contre les discriminations relève elle aussi de la modernisation de notre droit. La version finale de ce projet de loi dépasse le cadre auquel il était initialement circonscrit : au départ, il s’agissait simplement de combler dans les meilleurs délais le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel. Les conclusions de la commission mixte paritaire retiennent ainsi les dispositions relatives à la lutte contre les discriminations opérées à raison de l’identité sexuelle de la victime. Nous nous satisfaisons naturellement de cette avancée pour l’égalité, dont le Sénat dans toute sa diversité est d’ailleurs à l’origine.

Pour conclure, j’appelle votre attention, madame la garde des sceaux, sur le chapitre qui va s’ouvrir lorsque ce texte aura été promulgué. On peut dire en effet que le Parlement et le Gouvernement ont bien travaillé, mais cette œuvre commune restera vaine tant que l’égalité entre les hommes et les femmes ne progressera pas, tant que les victimes n’oseront pas parler et tant que la peur ne frappera pas ceux qui se rendent coupables de harcèlement. La mobilisation des pouvoirs publics est donc indispensable. Cela implique que l’ensemble de nos concitoyens soient sensibilisés à la question du harcèlement.

Les radicaux de gauche et l’ensemble des membres du RDSE joindront naturellement leurs voix à l’unanimité que requiert ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)