M. Marc Daunis, président du groupe de travail. Relatif !

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteur. Très relatif !

La Cour de justice de l’Union européenne, disais-je, a reconnu que l’application du droit de la concurrence à l’échelle européenne pouvait exercer un effet de discrimination à rebours au détriment des coopératives. Le statut des coopératives ne leur permet pas d’avoir accès au marché des capitaux, qui autorise la libre concurrence.

La Cour, dans sa « sagesse » – c’est une qualité que je ne lui reconnais pas sur tous les sujets –, a considéré que les États membres pouvaient prévoir des contreparties fiscales destinées à compenser certains des handicaps que rencontrent les coopératives, notamment dans l'accès aux marchés de capitaux.

Pour favoriser la reprise d’entreprise sous forme de SCOP, plusieurs solutions sont proposées.

Premièrement, nous pourrions mettre en place un mécanisme de portage.

Deuxièmement, il faut pouvoir trouver les financements nécessaires. Diverses possibilités sont envisagées, dont la création d’une banque publique d’investissement. Notre rapport, monsieur le ministre délégué, souligne que les critères d’attribution des crédits d’OSEO ne s’adaptent pas toujours parfaitement aux coopératives. C’est un problème qu’il faudra résoudre.

Troisièmement, nous pourrions instaurer un fonds de développement coopératif. En Italie, cet outil existe déjà. Il est financé grâce à un prélèvement de 3 % sur les bénéfices des coopératives. Ce fonds pourrait soutenir la création et le développement de sociétés coopératives.

Il serait utile que le monde coopératif français s’inspire du modèle italien. Je rappelle, au passage, que le fait coopératif n’est pas géré par l’État, même si celui-ci peut donner un coup de pouce, encadrer et être partenaire, pour permettre les reprises d’entreprise sous forme de SCOP.

Quatrièmement, enfin, il faudra également adapter les procédures concernant l’aide au reclassement. Aujourd’hui, pour pouvoir bénéficier de l’aide à la reprise d’entreprise, il faut être chômeur, c'est-à-dire que l’entreprise doit avoir fermé ou être déclarée en faillite.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Exact !

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteur. Il est absurde d’attendre, pour agir, que l’entreprise soit fragilisée. Nous pourrions la favoriser plus en amont !

M. Marc Daunis, président du groupe de travail. Très bien !

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteur. Voilà pourquoi le rapport prévoit toute une série de mécanismes pour lever les freins à la constitution de groupes coopératifs. Nous souhaitons, notamment, que soit institué un droit de préférence pour les salariés qui souhaitent présenter une offre de reprise coopérative. S’il n’y a pas de repreneur et que l’entreprise est viable, pourquoi ne pas favoriser une reprise par les salariés, afin de maintenir, ainsi que nous y sommes tous attachés, le maintien de certaines activités sur le territoire national ?

Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, pour ne pas trop dépasser mon temps de parole, je vous renvoie à la lecture du rapport pour ce qui concerne la partie bancaire, que nous aborderons plus particulièrement lors du débat sur les banques, et la partie habitat. Sur ce dernier point, le groupe de travail a repris les travaux déjà engagés par le Parlement, en particulier par le Sénat.

En conclusion, monsieur le ministre délégué, je voudrais insister sur un aspect particulièrement étonnant de mon point de vue.

Bien qu’appartenant au monde coopératif, j’ignorais que les programmes scolaires faisaient l’impasse sur la notion de coopérative.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteur. Les cours d’économie au lycée l’ignorent. Sous votre amicale pression, votre collègue Vincent Peillon, attentif à juste titre à l’avenir des programmes scolaires, ne pourrait-il pas remédier à cet état de fait ?

La remarque s’adresse également à votre collègue ministre de l’agriculture pour ce qui concerne l’enseignement agricole. C’est d’ailleurs un comble quand on connaît la force du monde coopératif dans ce secteur !

S’il ne devait ressortir qu’une seule chose de nos débats, je privilégierai ce devrait être le souci d’inscrire du réel dans les programmes scolaires, car il est important que l’enseignement reconnaisse l’économie sociale et solidaire, donc les coopératives, qui constitue un pan entier de la société française. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la crise qui touche l’ensemble de l’économie mondiale depuis 2008 a au moins eu un mérite, celui de mettre en lumière un modèle auparavant sous-estimé : l’économie sociale et solidaire.

Source d’emplois non délocalisables, conciliant performance économique, progrès social, préservation de l’environnement et développement local, l’économie sociale et solidaire, dans le contexte actuel, ne manque pas d’atouts.

De manière générale, si les structures se réclamant de l’économie sociale et solidaire ont mieux résisté à la crise que les entreprises traditionnelles, certaines ont été affectées par la baisse des crédits.

En effet, entre 2007 et 2012, l’État s’est nettement désengagé, comme le reflète symboliquement la suppression, en 2010, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, de la délégation interministérielle à l’innovation, à l’expérimentation sociale et à l’économie sociale.

De plus, le gel des dotations d’État aux collectivités a contribué à fragiliser les acteurs associatifs de l’économie sociale et solidaire.

La nouvelle majorité a pris la mesure de l’importance de l’ESS, qui emploie environ 2,3 millions de salariés en France et a créé quelque 440 000 emplois ces dix dernières années. La création, dont nous nous réjouissons, d’un ministère délégué chargé de l’économie sociale et solidaire est l’illustration de cette reconnaissance.

Le Sénat s’est également saisi de cette thématique en constituant, en février dernier, au sein de la commission des affaires économiques, un groupe de travail dédié. Ce dernier, dont je salue ici le travail, a publié à la fin du mois de juillet un premier rapport comprenant plusieurs recommandations, relatives notamment aux coopératives, que Mme Marie-Noëlle Lienemann vient d’évoquer.

S’appuyant sur ces travaux, le Gouvernement s’est attelé à la préparation d’un texte de loi annoncé en conseil des ministres le 5 septembre dernier. La concertation, menée en liaison avec les commissions du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, devrait s’achever à la fin de l’année.

Ce futur texte suscite une grande attente dans l’ensemble de la galaxie de l’économie sociale et solidaire. Cependant, certaines pistes évoquées posent question.

La première interrogation porte sur la nature même du futur texte de loi que le Gouvernement entend présenter au Parlement. Il était initialement prévu une « loi fondatrice d’orientation et de programmation pour l’économie sociale et solidaire ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

La seconde question qu’il faudra traiter concerne les modalités de définition du périmètre de l’économie sociale et solidaire. Il importe que toutes ses formes – associations, fondations, mutuelles et coopératives – soient prises en compte et que des impératifs, notamment celui de propriété impartageable, soient requis pour qu’une structure puisse être considérée comme relevant de l’économie sociale est solidaire.

La future banque publique d’investissement est elle aussi au centre des préoccupations. L’enjeu du financement des structures relevant de l’économie sociale et solidaire est crucial. Sur les 20 milliards d’euros dont la banque publique d’investissement disposera, une première tranche de 500 millions d’euros devrait être réservée à ce secteur. Une question subsiste : ce financement, monsieur le ministre délégué, constituera-t-il un premier volet qui en appellera d’autres ?

Par ailleurs, le Gouvernement envisagerait de créer des « certificats mutualistes », afin de permettre aux acteurs de l’ESS de lever des capitaux. Vous le savez, les représentants de grandes mutuelles ont émis des réserves quant à cette mesure. Qu’en est-il de cette disposition ?

Plus généralement, les acteurs de l’économie sociale et solidaire sont en quête de représentativité, voire de reconnaissance, eux qui sont encore largement exclus, fort injustement d’ailleurs, du dialogue social et de l’élaboration des grands chantiers gouvernementaux.

Du fait de leur transversalité, les organisations représentatives doivent être associées aux grandes réformes du quinquennat : la réforme territoriale, le chantier de la petite enfance ou ceux de la dépendance et de la lutte contre la pauvreté.

Ce qui est en jeu, ce n’est rien de moins que l’aggiornamento de l’économie sociale et solidaire. Pour ce faire, celle-ci devra pouvoir bénéficier d’un cadre législatif et réglementaire modernisé, de ressources pérennisées, et ses représentants devront être écoutés et considérés comme des partenaires. Ce faisant, elle pourra constituer un des leviers incontournables du redressement de notre économie et de la France ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, ce débat sur l’économie sociale et solidaire fait suite au très bon rapport rédigé par mes collègues Marie-Noëlle Lienemann et Marc Daunis dans le cadre du groupe de travail sur l’économie sociale et solidaire.

Je souhaite débuter mon intervention en insistant sur la nécessité de prendre en considération la grande diversité existant au sein des coopératives. Comme l’a proposé Marc Daunis, il est important de réfléchir aux périmètres et aux valeurs des grandes et des petites coopératives.

J’insiste également sur la nécessité de pousser l’innovation et d’encourager un certain nombre de structures coopératives, qui me paraissent particulièrement pertinentes dans le contexte social et économique actuel.

Je souligne fortement que les SCIC, les sociétés coopératives d’intérêt collectif, créées par la loi du 17 juillet 2001, permettent une coopération concrète très intéressante, pour ce qui concerne notamment l’accès au capital des collectivités locales, des communes, des agglomérations, des conseils généraux et des régions avec les structures financières de l’économie solidaire, mais aussi avec de simples citoyens. Ces collectifs sont opportuns, car ils permettent de porter un projet pendant des années. J’ai pu le constater concrètement en Seine-Saint-Denis, comme sur tout le territoire. Il serait bon que les pouvoirs publics et votre ministère, monsieur le ministre délégué, soutiennent ce type de coopératives.

Mes collègues ont également évoqué les coopératives d’activités et d’emploi. Il est vrai que les créateurs d’entreprise ont besoin d’un accompagnement, et pas seulement pendant quelques mois. Ces structures offrent la possibilité de mettre en place cet accompagnement, et donc de soutenir des créations durables, qui se consolident.

L’importance des coopératives d’habitat a également été soulignée, car elles permettent de lutter contre la spéculation immobilière, qui est un vrai souci dans bon nombre de territoires, tout en restant dans une logique solidaire et collective, mais en n’attendant pas tout de l’État.

Tous ces dispositifs sont à encourager. C’est dans ces secteurs qu’il faut porter l’effort pour alléger des procédures encore un peu lourdes et améliorer le régime juridique. Les préconisations du rapport sur ce sujet paraissent extrêmement importantes. Il faudrait également créer un statut adapté aux coopératives d’habitants.

Dans la période difficile que nous traversons, toutes ces dynamiques doivent être fortement encouragées.

Il est également urgent, je rejoins mes collègues sur ce point, d’inciter à la reprise d’entreprises sous forme de SCOP. Il convient de lever l’obstacle que constitue la nécessité pour les salariés de disposer d’emblée de la majorité du capital social. Il faut leur laisser le temps, comme le souligne le rapport, soit cinq à dix ans, de parvenir à cette majorité. Il serait utile, également, d’instaurer un droit d’information des salariés, ainsi qu’un droit de préférence systématique à leur profit lors des projets de cession.

Je l’ai constaté encore très récemment, y compris dans le cas de PME en difficulté – elles sont aujourd’hui nombreuses dans le tissu industriel –, lorsque des salariés apprennent tardivement qu’ils sont licenciés, il est compliqué pour eux de rassembler l’argent et de monter, en quelques semaines, le dossier visant à créer une SCOP.

Il nous paraît donc essentiel de favoriser de façon systématique la reprise d’entreprises par les salariés (M. Jean Desessard applaudit.), celles en difficulté comme celles dont les dirigeants partent à la retraite.

Il y a là un gisement colossal d’emplois durables et soutenir cette démarche serait, monsieur le ministre délégué, réellement contribuer à la relance industrielle que le Président de la République a appelée de ses vœux et à laquelle nous travaillons tous.

On pourrait aussi envisager la mise en place de dispositifs d’appui à ces salariés, qui ne se limiteraient pas à un soutien financier de l’État ; cette aide pourrait prendre la forme d’un encouragement à des réseaux d’accompagnement de salariés. Dans la période de crise et de mutation que nous connaissons actuellement, il y a là aussi une opportunité de créer de nouvelles entreprises et de répondre à nos objectifs. Ainsi, favoriser une mutation industrielle répondrait à notre volonté de mettre en place une transition énergétique.

En cette période de crise financière, économique, sociale, écologique, en cette heure où nous observons une montée préoccupante de la précarité et du chômage, mais où nos concitoyens expriment aussi une aspiration démocratique, l’économie sociale et solidaire démontre qu’il est possible de faire autrement, de créer des structures viables économiquement tout en respectant l’humain.

L’économie sociale et solidaire prolonge, en la renouvelant, en l’actualisant, la belle tradition de l’économie sociale, tant il est vrai que, depuis la fin des années quatre-vingt, un certain nombre de réseaux sont venus l’enrichir. Aujourd’hui, c’est un réel moyen de nous aider à faire face à la crise de façon non marginale.

À côté du secteur public et du secteur privé, ce troisième secteur économique présente de multiples atouts.

Premièrement, il contribue, avec l’État et les collectivités territoriales, à la mobilisation citoyenne, qu’il s’agisse de salariés, de créateurs d’activités, d’épargnants, de cadres acceptant d’apporter gratuitement leur parrainage et leurs compétences aux créateurs d’emplois, de consommateurs ou d’habitants.

Tout cela constitue pour notre pays un réseau de compétences, de vigilance, d’action, de démocratie économique ; dans le contexte national et international que nous connaissons, c’est un plus qui peut être très précieux.

Deuxièmement, l’économie sociale et solidaire participe traditionnellement de la volonté d’internaliser des coûts sociaux et écologiques en concourant activement à la création de nombreux emplois utiles socialement, des emplois d’insertion, et en s’efforçant toujours de privilégier les services et produits utiles sur les plans social comme environnemental, ce qui réduit d’autant les coûts en aval.

Troisièmement, l’économie sociale et solidaire – cet aspect a déjà été largement développé par les orateurs qui m’ont précédée, mais il est important – permet un enracinement dans les territoires tant ruraux qu’urbains, notamment ceux qui sont en grande difficulté. Cet enracinement est très intéressant, dans la mesure où, depuis de nombreuses années maintenant, les collectivités locales, à tous les niveaux, se sont engagées dans ce secteur, qu’elles sont même organisées en réseau national et qu’elles peuvent être des partenaires très utiles pour le ministère.

De ce point de vue, la création récente d’un ministère chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation est pour le groupe écologiste porteuse d’un grand espoir. Il s’agit de rompre avec les dix années pendant lesquelles nous n’avions plus de ministre chargé de ce secteur, le secrétariat d’État à l’économie solidaire piloté par Guy Hascoët ayant disparu en 2002. Les réseaux ont connu dix années difficiles.

Mme Aline Archimbaud. En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, il s’agit donc de mettre fin à la marginalisation de l’économie sociale et solidaire, en instaurant des dispositifs massifs ainsi qu’une réflexion et un cadre de valeurs fortes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le président du groupe de travail, madame la rapporteur, mes chers collègues, le secteur de l’économie sociale et solidaire rassemble en France plus de 200 000 entreprises : coopératives, mutuelles, associations et fondations.

Avec près de 2 millions de salariés, ce secteur est fortement créateur de richesses pour notre pays. Les entreprises qui le constituent jouent un rôle de premier plan dans plusieurs secteurs, comme la banque, l’assurance, l’agriculture, la santé ou la distribution. Elles doivent ainsi constituer, par leur nature et leur histoire, un point de référence dans la lutte contre le chômage.

Cependant, l’économie sociale reste, dans certains secteurs, moins développée que chez nos voisins européens. Notre économie est ainsi privée de l’apport d’entreprises qui sont souvent celles qui favorisent l’émergence de nouvelles activités et proposent des projets structurant le développement national ou local.

Il nous paraît essentiel d’améliorer l’environnement dans lequel les entreprises de cette nature peuvent se développer et de favoriser l’essor de nouveaux projets et d’entrepreneurs sociaux.

C’est un défi pour notre pays, car nous sommes convaincus que ces activités constituent un gisement de richesses et d’emplois considérables. Je souhaite que notre pays relève ce défi et poursuive une politique ambitieuse de développement de l’économie sociale et de l’entrepreunariat social.

En effet, le précédent gouvernement a beaucoup œuvré pour ce secteur. Dans le cadre du programme d’investissements d’avenir – précédemment appelé « Grand emprunt » –, la Caisse des dépôts et consignations s’est vu confier, à la fin de 2010, une enveloppe de 100 millions d’euros pour soutenir le secteur de l’économie sociale et solidaire, via un appel à projets.

L’objectif est d’aider au développement de plus de 2 000 entreprises et à la création ou à la consolidation de plus de 60 000 emplois. Il était alors également prévu de faciliter l’accès de ces entreprises à des financements bancaires ou liés au marché de l’épargne solidaire.

Un appel à candidatures visait à retenir les partenaires financiers avec lesquels des co-investissements seront obligatoirement réalisés en complément de l’apport du programme d’investissements d’avenir. Il possède un caractère pérenne afin de permettre l’entrée régulière de nouveaux intervenants jusqu’au 31 décembre 2014. Tout financeur de l’économie sociale et solidaire souhaitant se porter candidat peut le faire à tout instant, dès lors qu’il répond aux conditions du cahier des charges.

Je tiens à préciser que ce niveau d’ambition, jamais atteint, avait été salué par l’ensemble des acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Il nous plairait donc, monsieur le ministre délégué, que vous puissiez nous faire un état des lieux de cet appel à projets que le précédent gouvernement avait lancé.

L’une des caractéristiques majeures du secteur de l’économie sociale et solidaire, qui en fait sa richesse mais engendre également une difficulté d’appréhension à la fois sectorielle et globale, c’est sa très grande diversité.

En découlent donc, j’en conviens volontiers avec vous, des sujets de préoccupation, des besoins, des attentes très diverses à l’égard de la puissance publique, avec des spécificités particulières correspondant à ses nombreuses composantes.

Rappelons en effet qu’historiquement la sphère de l’économie sociale et solidaire englobe les coopératives, les mutuelles, les associations, les fondations. Plus récemment, le secteur de l’entrepreneuriat social revendique aussi son appartenance à cette grande famille.

Les différentes composantes de ce secteur considèrent que les approches qu’elles privilégient, les valeurs et les principes sur lesquels reposent les activités qu’elles développent se sont avérés pleinement appropriés au contexte de crise économique et sociale que connaît le monde depuis 2008. Ces activités sont d’autant plus pertinentes qu’elles ont, dans l’ensemble, mieux résisté à la crise que les secteurs de l’économie classique, notamment en termes d’emplois.

Incontestablement, nous avons pu voir les limites et les risques que comporte une approche purement économique.

C’est donc dans ce contexte que le secteur de l’économie sociale et solidaire peut constituer un modèle alternatif qui pourrait contribuer à surmonter la crise. Il serait une référence pour le nouveau modèle de développement à concevoir pour les décennies à venir.

Au vu de ces éléments, mais aussi de l’annonce faite par le gouvernement Fillon à la fin de 2010 et selon laquelle une fraction du grand emprunt, à hauteur de 100 millions d’euros, serait consacrée au soutien et au développement de l’économie sociale et solidaire dans notre pays, les acteurs de ce secteur ont un degré d’attente très élevé.

Aussi serait-il bon, monsieur le ministre délégué, que le Gouvernement tienne pleinement compte de cette espérance et veille à prendre les décisions nécessaires pour éviter de susciter des déceptions légitimes, alors que les besoins d’aide et d’accompagnement sont réels et que le secteur recèle des potentialités insuffisamment mises à profit jusqu’à présent.

Nous ne nous prononcerons pas sur le caractère alternatif du modèle incarné par le secteur de l’économie sociale et solidaire. Nous prenons acte des évolutions qu’il connaît dans notre pays et constatons que son histoire est rythmée par différentes phases évoluant d’une logique statutaire à une logique entrepreneuriale, sans que la seconde s’impose d’ailleurs au détriment de la première. Si l’entrepreneuriat social succède, dans le temps, à la conception statutaire de l’économie sociale, il ne la supplante pas à ce jour, mais se développe aux côtés de structures dont la dimension associative, mutualiste ou coopératiste conserve toute sa pertinence.

Cependant, une importance particulière doit être accordée au sens de l’action entreprise plus qu’à la maximisation du profit, qui pourrait, certaines fois, utilement inspirer l’économie classique, et être largement partagée par nombre d’acteurs.

Il nous semble en effet que les principes et les valeurs revendiqués par l’économie sociale et solidaire sont compatibles avec une vision de l’économie qui valorise le projet et l’apport de celui-ci à la société dans son ensemble plus que le rendement financier à court terme.

L’ESS répond en outre à une aspiration profonde de toute une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs et de futurs cadres formés dans les écoles de commerce, qui cherchent à donner un sens à leur engagement professionnel.

Ce sentiment est d’autant plus fort que notre pays est en recherche de voies et moyens pour relancer la croissance, une croissance plus riche en emplois, plus à même d’accroître le bien-être collectif tout en contribuant à maîtriser la dépense publique. Il s’agit d’associer les citoyens à un nouveau modèle de croissance, qui reste à inventer, porteur de développement durable, avec toutes les facettes que cela comprend, en particulier l’émergence de métiers nouveaux ou la mutation de métiers existants liées aux enjeux d’une croissance économique plus respectueuse de l’environnement.

Certes, les entreprises classiques ne sont pas exemptes de considérations sociales. Bien des sociétés de la sphère privée proprement dite développent des politiques qui rendent compte de leurs préoccupations pour l’environnement social et sociétal dans lesquelles elles s’inscrivent ou des politiques de valorisation des ressources humaines qui prennent en considération l’apport de chaque collaborateur dans une communauté de travail et de valeurs formée par l’entreprise.

Il n’en reste pas moins vrai que l’économie sociale et solidaire, par ses valeurs et ses modes d’action, est porteuse d’une dimension humaniste de l’activité économique, qui, dans le contexte actuel, peut trouver un écho particulier dans notre société, irriguer celle-ci et inspirer de nombreux acteurs de l’économie classique.

En la matière, une attention plus grande doit être portée à ce secteur qui connaît des réussites réelles et recouvre des réalités très diverses. Je souhaiterais ici en évoquer certaines.

Je citerai en premier lieu la contribution de nombre d’acteurs de l’économie sociale et solidaire au développement d’activités à forte utilité sociale répondant à des besoins pas ou mal couverts, et ce avec une faible mobilisation de capital mais avec une forte mobilisation en ressources humaines.

J’évoquerai en second lieu une contribution notable aux politiques de l’emploi par le biais notamment des acteurs de l’ESS, très impliqués en matière d’insertion sociale et professionnelle par l’économique, mais aussi par le biais des nombreuses structures associatives recourant largement aux contrats d’insertion ou de professionnalisation et facilitant ainsi la formation et l’insertion professionnelle des jeunes.

Un rôle actif est également joué par certains acteurs, qui constituent de vraies pépinières pour la création d’emplois nouveaux à fort potentiel de développement dans le cadre, notamment, d’activités de recyclage des déchets et de reconditionnement.

Un rôle non négligeable est joué aussi en matière de revitalisation de certains territoires délaissés par des activités traditionnelles frappées par les incidences de la mondialisation ou l’obsolescence technologique.

En conclusion, monsieur le ministre délégué, j’espère qu’avec ce débat nous pourrons mieux appréhender la façon dont l’État, par votre ministère, compte prendre en charge ce secteur multiforme, faire le point sur les actions conduites, examiner le champ des possibles, afin de répondre aux attentes et aux besoins exprimés par les différentes composantes de ce secteur. (M. le président du groupe de travail et Mme la rapporteur applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail réalisé par le groupe de travail sur l’économie sociale et solidaire. Nous sommes convaincus que le rapport de Mme Lienemann constituera un outil très utile à l’appui des réflexions qui s’engagent sur ce sujet.

Comme vous l’avez rappelé, ma chère collègue, ce travail s’inscrit « dans un contexte général de crise économique et sociale propice à la redécouverte et à la défense des valeurs et de l’action des acteurs de l’ESS ».

En effet, face à la crise économique, à la montée de la précarité et de la pauvreté, à la destruction de l’emploi, notamment à travers le délitement du tissu industriel, l’économie sociale et solidaire joue un rôle essentiel. Sa dimension territoriale, l’expression des valeurs de solidarité et de responsabilité qu’elle porte en font à juste titre un outil économique et social pertinent.

Cependant, il ne faudrait pas laisser croire à l’omnipotence de cet outil.

La France a passé le cap des 3 millions de chômeurs ; si le chômage partiel est pris en compte, il y a près de 5 millions de personnes en sous-emploi en France. Selon la CGT, 75 000 emplois sont menacés.

Tous les secteurs sont touchés : l’automobile, les transports, l’agroalimentaire, l’industrie lourde, le bâtiment, les télécommunications. Les exemples n’ont pas manqué ces derniers temps.

La situation de notre pays appelle donc des mesures d’urgence en faveur de l’emploi et de l’industrie, ainsi qu’une volonté politique forte pour garantir un véritable redressement productif, sans quoi non seulement on coupera les ailes aux projets portés par l’économie sociale et solidaire, mais, en plus, on laissera de côté des sites industriels pour lesquels l’ESS n’est pas adaptée.

Il est urgent de décréter un moratoire sur tous les plans sociaux pour rechercher des solutions de remplacement s’appuyant sur les contre-propositions des salariés.

Il est urgent que l’Assemblée nationale examine et adopte la proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers, adoptée par la majorité de gauche du Sénat. Nous avons déjà perdu trop de temps ! Il n’est pas acceptable que les entreprises qui réalisent des bénéfices licencient en vue de profits supplémentaires.

Il est urgent d’accorder aux salariés des pouvoirs nouveaux pour réorienter les choix de gestion, mobiliser autrement l’argent des entreprises, des banques et des fonds publics pour une utilisation de la monnaie et du crédit favorisant la création, la sécurisation, la promotion de l’emploi et de la formation.

Il n’est pas acceptable que des groupes industriels ferment des sites en France au prétexte de difficultés économiques, alors que, dans le même temps, ils réalisent leurs investissements productifs dans des sites étrangers afin de bénéficier du dumping social. Il n’est pas question d’autre chose avec la fermeture de PSA-Aulnay, avec la menace de fermeture de la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne ou avec l’arrêt des hauts fourneaux d’Arcelor-Mittal à Florange.

Le ministre du redressement productif annonçait la semaine dernière le dépôt d’un projet de loi visant à obliger un industriel à céder une usine viable. Hélas, le temps législatif s’accorde mal avec l’urgence sociale !

Nous devons aller plus loin que la recherche de repreneur ; l’État doit renforcer sa présence dans le capital d’entreprises stratégiques pour leur sauvegarde et leur développement et reprendre sa part de responsabilité dans l’activité industrielle de notre pays.

En ce qui concerne les situations pour lesquelles l’économie sociale et solidaire peut jouer un rôle, nous avons accueilli avec intérêt les mesures que vous avez avancées cet été, monsieur le ministre délégué, notamment en vue de l’amélioration des conditions de reprise des entreprises sans entrepreneurs ou en difficulté par les salariés eux-mêmes, avec un droit préférentiel, sous forme de société coopérative participative.

Mais quels moyens donnons-nous aux salariés pour que leurs projets aboutissent et qu’ils ne cèdent pas à la pression de la finance et de la concurrence mondiales ?

Je voudrais prendre ici l’exemple des salariés de Fralib qui représentent un espoir pour tant d’autres, ceux de Paru Vendu, Hélio Corbeil, Merck-Organon, M-Real, Petitjean, Sodimedical, Still-Saxby ou Pilpa. On pourrait en citer d’autres, car la liste est longue.

En septembre 2010, le groupe Unilever annonce la fermeture du site rentable de Gémenos. En 2011, il réalise un chiffre d’affaires de 46,47 milliards d’euros, avec des bénéfices atteignant plus de 4 milliards d’euros.

La totalité des salaires des 182 salariés et dirigeants de l’usine représente 15 centimes de chaque boîte de thé vendue, mais le groupe veut encore faire des bénéfices et délocaliser son activité en Pologne. Les salariés ont d’ailleurs découvert dans un supermarché des boîtes de thé fabriquées en Pologne avec le code de traçabilité de Gémenos, alors que leur usine a arrêté toute production depuis des mois !

Le capitalisme financier est bien rodé. Unilever a créé une structure financière en Suisse pour éviter de payer des impôts en France. Encore un bel exemple d’évasion fiscale, légale cette fois !

C’est dans ce contexte que, depuis 2010, les salariés se battent pour avoir le droit de travailler. Quand on évoque les sociétés coopératives, il faut avoir à l’esprit que la meilleure volonté des travailleurs se heurte aux appétits de grands groupes, qui mènent une réelle politique de casse de l’emploi. Les salariés ont été victimes de comportements innommables de la part de la direction, avec la caution de l’ancien ministre du travail qui était intervenu pour bloquer une lettre d’observation préparée par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE. Un certain nombre d’entre eux revivent la douloureuse fermeture, en 1997, de l’usine du Havre, pourtant rentable.

À ce passé traumatisant pour les travailleurs et leurs familles s’ajoutent les pressions psychologiques incessantes de la direction, comme les coupures de courant et l’interdiction d’accès au site, mais également la mise en œuvre d’un véritable harcèlement judiciaire.

Il faut savoir que des salariés ont été déclarés grévistes dans le seul but de les priver de leurs salaires. Ils ont subi trois plans sociaux. Ils se sont heurtés au refus du groupe de relancer l’activité, alors même qu’une décision de justice l’y obligeait. À chaque fois, Unilever a été condamné, mais comment préserver les salariés qui luttent pour porter un projet industriel de ces attaques sournoises ?

Heureusement, de bonnes nouvelles sont tombées. La communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole, pas encore contrainte par un traité européen imposant l’austérité aux collectivités territoriales, a procédé à l’acquisition des terrains, bâtiments et machines de Fralib.

Les salariés le méritent, ils portent un projet industriel solide, conforme à l’histoire et à l’exigence de qualité de la marque Éléphant née il y a 120 ans à Marseille.

Seulement, un écueil de taille demeure : la propriété de la marque. Comme vous le savez, Unilever a déclaré cet été qu’il ne participerait à aucune réunion sur un projet impliquant la marque Éléphant ou des volumes de sous-traitance, réclamant de l’État une « attitude impartiale » sur « le respect des lois en matière de propriété intellectuelle et de droit des marques ».

Aujourd’hui, malheureusement, rien n’oblige juridiquement le groupe à céder sa marque. Tout porte à croire que l’opposition d’Unilever sert un objectif de sabordage du projet des salariés et non une réelle volonté de faire vivre la marque.

En effet, depuis 2002, le groupe industriel procède à une politique de regroupement des marques, qui sont passées de 1 600 à 400. La stratégie commerciale a organisé, au détriment de la qualité des produits naturels Éléphant, leur glissement vers Lipton, avec le conditionnement en pyramides et le logo Lipton apposé à côté du logo Éléphant.

Demain, une table ronde devrait se tenir entre les salariés et la direction, sous la présidence du préfet. Nous attendons tous beaucoup de cette rencontre. Mais, au-delà des décisions qui seront prises, monsieur le ministre délégué, nous aimerions connaître les intentions précises du Gouvernement pour protéger l’outil de production, les brevets, les marques. Le ministre Arnaud Montebourg avait envisagé une réquisition des marques : qu’en est-il de ce projet ?

Au travers de leur lutte, les salariés de Fralib, comme beaucoup d’autres, défendent notre patrimoine industriel et la vitalité économique de tout un pays. Que proposez-vous aujourd’hui pour garantir demain aux salariés la pérennité de leur projet de SCOP s’il n’y a pas de réforme du droit de la propriété intellectuelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)