M. Roland Courteau. Très bien !

M. Claude Bérit-Débat. Or ce point d’équilibre est fonction de la nature des subsides que l’on entend verser et des objectifs que l’on vise.

Pour l’APA, il n’y a pas d’équivoque : à l’époque de sa création, le gouvernement et la majorité d’alors l’ont volontairement conçue comme une allocation universelle, c’est-à-dire une allocation dont l’accès n’est pas conditionné par un niveau de ressources, même si la détermination de son montant prend en compte celui du bénéficiaire. Mme Paulette Guinchard-Kunstler s’était exprimée en ces termes le 15 mai 2001 : « En effet, l’APA ne relève plus de l’aide sociale subsidiaire. Elle constitue une prestation de solidarité destinée à compenser un risque, celui de la perte d’autonomie, qui guette chacun et dont la charge financière dépasse très souvent les capacités financières et humaines des familles. C’est donc à ce titre qu’il est légitime de ne pas soumettre l’APA au recours en récupération sur succession. »

En ce sens, le recouvrement sur succession s’oppose au principe même de l’APA et à sa nature.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Claude Bérit-Débat. Je rappelle que, en 2001, dans les deux chambres, des parlementaires de tous bords, même parmi ceux qui habituellement s’inquiètent avant tout de la sauvegarde des finances publiques, avaient défendu la suppression du recours sur succession, certains par adhésion à la philosophie du projet, tous par pragmatisme et souci d’efficacité. Un large consensus s’était alors dégagé pour estimer que la faiblesse du nombre des allocataires de la prestation spécifique dépendance – l’« ancêtre » de l’APA – résultait en premier lieu de l’existence du recours sur succession. Chacun s’accordait à considérer que ce dernier représentait un frein psychologique, dissuadant les personnes éligibles de demander la PSD. Rien ne permet de penser que ce frein psychologique ne soit plus d’actualité.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Claude Bérit-Débat. En effet, nos aînés n’ont pas changé : ils sont toujours aussi prompts à faire passer le bien-être de leurs enfants avant le leur.

M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Eh oui !

M. Claude Bérit-Débat. La transmission d’un patrimoine très souvent constitué à seule fin d’améliorer la situation matérielle des descendants ne doit pas devenir un sacerdoce. Avec un seuil de mise en œuvre du recours sur succession fixé à 150 000 euros, les services de Bercy ont évalué que seront concernés, a minima, 40 % des bénéficiaires de l’APA. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous sommes convaincus que la réintroduction du recours sur succession engendrera une baisse significative, sinon massive, du nombre des bénéficiaires de l’APA.

Cette baisse aura de multiples incidences. Sachant que l’APA vise avant tout à favoriser le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie parce qu’il ralentit l’aggravation de la dépendance, une diminution du nombre des bénéficiaires de l’APA représente un risque sanitaire important. En outre, si la situation des personnes se dégrade, nous assisterons à une augmentation des demandes de placement en établissements. Or, ces derniers étant financés dans une large mesure par les départements,…

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Et voilà !

M. Claude Bérit-Débat. … le coût pour les conseils généraux de cette évolution pourrait dépasser les gains escomptés de la mise en œuvre du recours sur succession.

M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Eh oui !

M. Claude Bérit-Débat. Enfin, si l’APA donne de bons résultats, c’est aussi parce qu’un savoir-faire s’est développé pour répondre aux besoins des aînés demeurant à domicile. Ce savoir-faire, qui continue de progresser, repose sur un réseau associatif, et donc sur des emplois. Une diminution importante du nombre des bénéficiaires de l’APA pourrait non seulement entraîner la disparition d’une partie de ces emplois, mais aussi fragiliser ce savoir-faire précieux et le maillage associatif de notre territoire.

M. Claude Bérit-Débat. Ainsi, en plus de saper l’universalité de l’APA en créant deux catégories de bénéficiaires, la mise en place du recours sur succession contreviendrait également aux objectifs principaux du dispositif.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Claude Bérit-Débat. C’est pourquoi nous ne pourrons pas soutenir votre proposition de loi, mes chers collègues.

Cela étant dit, d’autres réserves quant au dispositif du texte méritent d’être rapidement exposées.

Tout d’abord, le seuil de déclenchement du recouvrement étant fixé à 150 000 euros d’actif successoral net, cela sous-entend que, dès lors que l’on possède un tel patrimoine, on est « riche ». Nous ne le pensons pas, en tout cas si l’on inclut la résidence principale dans le calcul, étant donné l’évolution des prix de l’immobilier ces dernières années, tant à Paris qu’en province, et sachant que 74 % des 60-69 ans et 65 % des plus de 70 ans sont propriétaires de leur logement.

Ensuite, aucun montant plafond de recouvrement n’est prévu dans votre texte. Est-ce à dire que le recouvrement s’exercera à due concurrence de l’intégralité des sommes versées au titre de l’APA ?

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Eh oui !

M. Claude Bérit-Débat. Dans ce cas, on ne pourrait plus parler de solidarité nationale.

M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Tout à fait !

M. Claude Bérit-Débat. L’APA serait réduite à une forme d’avance sur trésorerie faite à la solidarité familiale.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Absolument !

M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Eh oui !

M. Claude Bérit-Débat. Enfin, l’application de la mesure six mois après l’adoption de la loi conférerait à celle-ci, dans les faits, un effet rétroactif, puisque les bénéficiaires actuels de l’APA n’auraient pas eu connaissance de cette condition au moment de leur entrée dans le dispositif. On conviendra qu’imposer unilatéralement une telle modification de ce dernier ne manquerait pas de soulever quelques problèmes.

M. Roland Courteau. C’est juste !

M. Claude Bérit-Débat. Avant de conclure, je souhaite revenir un instant sur les propos de Mme la ministre.

Oui, le Gouvernement a entendu le cri d’alarme des départements et il compte y répondre ! Oui, le Gouvernement engagera la grande réforme de la dépendance ! Il aura, pour cela, tout le soutien de la majorité, car nous savons qu’il n’y a pas de contradiction entre ces deux ambitions : mieux, nous les savons complémentaires. Réparer un système que l’on a laissé péricliter depuis dix ans et accomplir la promesse non tenue par la précédente majorité n’est pas chose aisée, j’en conviens ; c’est pourtant notre objectif.

Adversité et obstacles seront au rendez-vous : dans ces conditions, chers collègues du RDSE, laissez-nous un peu de temps ! Cher Pierre-Yves Collombat, si nous ne voterons pas votre proposition de loi, alors même que nous comprenons votre impatience à trouver des solutions, c’est parce que nous ne voulons pas dénaturer l’APA et prendre le risque de voir la situation de nos aînés se détériorer ; c’est aussi parce que nous avons une feuille de route, un plan. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues, les vôtres en particulier, mais nous ne voulons pas apporter de réponses ponctuelles ou parcellaires, s’agissant d’un des enjeux majeurs de ce quinquennat. Je compte sur vous pour nous accompagner ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites au sujet de l’allocation personnalisée d’autonomie et de son poids dans les budgets des départements, dont les capacités financières ne sont sans doute pas encore suffisamment prises en compte.

Pour ma part, je voudrais évoquer le cas d’un département moyen, celui de la Marne, qui se trouve actuellement dans une impasse budgétaire au regard du financement des différentes allocations de solidarité, notamment l’APA.

Mon département compte 107 000 personnes âgées de plus de 60 ans, dont 8 500 bénéficiaires de l’APA. Le versement de cette prestation lui coûtera plus de 33 millions d’euros en 2012, alors que la compensation apportée par l’État est inférieure à 10 millions d’euros, soit un déficit de 23 millions d’euros pour la seule APA.

En outre, nous devons faire face à la montée en charge de la prestation de compensation du handicap. Dans la Marne, 13 000 personnes la perçoivent, pour un coût total de plus de 15 millions d’euros par an, la compensation ne s’élevant qu’à 5 millions d’euros.

Enfin, quand on sait que le nombre des bénéficiaires du RSA augmente chaque mois de 1 %, on comprend que l’équation est bien difficile à résoudre…

Au total, le département doit dégager 40 millions d’euros, sur un budget de 484 millions d’euros, pour financer les dépenses de solidarité non compensées. Cela nous impose d’effectuer des coupes franches, au détriment de nos concitoyens et du soutien au tissu associatif, lequel a pourtant un rôle important à jouer en matière de cohésion sociale et de lutte contre la pauvreté.

Les départements voudraient donc pouvoir retrouver des marges de manœuvre, afin d’être en mesure de remplir leur mission de solidarité envers les personnes, bien entendu, mais aussi les territoires. En effet, le département est la collectivité de proximité la plus à même d’agir rapidement sur le terrain, au service de la croissance.

Il me semblait important de rappeler, en préambule, les difficultés que rencontrent les départements. Je voudrais maintenant formuler quelques remarques, notamment pour faire suite aux propos tenus par M. Kerdraon, dont j’ai lu avec attention le rapport.

Premièrement, la position de l’Assemblée des départements de France n’est pas aussi tranchée qu’on veut bien le dire. Les présidents de conseil général expriment différents points de vue, qui transcendent d’ailleurs les clivages politiques.

Les départements ne peuvent plus se satisfaire de promesses. Un certain nombre de points devront être clarifiés au plus vite : il y va de l’équilibre de leurs budgets. Certains départements votent le leur au mois de décembre, d’autres en janvier, mais on sait pertinemment, les orientations budgétaires ayant déjà été arrêtées, qu’ils seront tous confrontés à d’immenses difficultés financières. À cet égard, l'annonce hier de l'augmentation prochaine du RSA n’est pas de nature à nous rassurer…

C’est la raison pour laquelle un certain nombre de présidents de conseil général pensent que mettre en place un recours sur succession n’est pas une hypothèse à écarter d’emblée, compte tenu du contexte.

Deuxièmement, les conseils généraux disposent déjà d'un savoir-faire en matière de pratique du recours sur succession, puisque celui-ci existe pour l’aide sociale à l'hébergement. S’il devait être instauré pour l’APA, nous pourrions nous appuyer sur des équipes spécialisées déjà bien rodées. Dans ces conditions, les coûts de gestion ne seraient pas exorbitants.

Troisièmement, la comparaison entre la prise en charge de la maladie et celle de la dépendance est un exercice intellectuel tout à fait intéressant. Elle mérite d’être établie, même si elle a ses limites, d’autant que la distinction entre maladie et dépendance est le problème non pas de la personne concernée, qui subit la double peine, mais des financeurs du secteur sanitaire et de ceux du champ médicosocial, les politiques suivies dans ces deux domaines étant bien souvent étroitement imbriquées. Si l'on veut que la réponse apportée à la personne soit cohérente, il faut définir une articulation complémentaire.

Le système de protection de santé ne fait pas appel au recours sur succession, mais c’est un système assurantiel, assorti de diverses possibilités d’assurance complémentaire. On peut donc légitimement envisager, me semble-t-il, sur le même modèle, que le risque dépendance soit couvert par une prestation universelle, associée à un système d’assurance complémentaire. Le reste à charge devra être supportable pour la personne en situation de dépendance et acceptable pour le contribuable.

En tout état de cause, cette prestation universelle devrait être financée par un impôt national, et non par une contribution départementale.

Quatrièmement, sont actuellement pris en compte, pour la fixation du montant de l’APA, qui est une allocation différentielle, les ressources de la personne dépendante, ainsi que les revenus de son patrimoine ou de ses placements. En revanche, la valeur du patrimoine en tant que tel n’est pas intégrée dans le calcul. On pourrait donc imaginer, plutôt que d’instaurer un recours sur succession, de tenir compte de la valeur estimative du patrimoine.

Cinquièmement, il serait aussi intéressant d’envisager, dans l’attente de la discussion de la grande loi sur l’autonomie, la mise en place d’un recours sur succession pour les personnes volontaires.

J'ai déjà eu l’occasion de rencontrer un certain nombre de personnes âgées dépendantes qui, peut-être parce qu’elles n’ont pas de descendants, seraient prêtes à accepter que la collectivité récupère les sommes versées au titre de l’APA sur leur succession, plutôt que par le biais d’un prélèvement direct sur les ressources qu’elles perçoivent.

En tout état de cause, l’APA a véritablement démontré son efficacité en termes de prise en charge de la dépendance, ce qui est bien l'essentiel, mais ses limites sont clairement apparues en termes de financement.

En attendant 2014, échéance envisagée pour l’élaboration de la loi sur l’autonomie, les conseils généraux assument une responsabilité essentielle, en particulier sur le plan financier, dans la prise en charge de la dépendance. C’est la raison pour laquelle il convient de trouver des solutions pour le financement de l’APA. À cet égard, ce ne sont pas les 170 millions d’euros prélevés sur la CNSA qui suffiront à compenser, pour les départements, le déficit de 6 milliards d’euros qu’ils doivent supporter au titre des prestations de solidarité.

Madame la ministre, prenez en compte les difficultés que rencontrent les départements ! Vous avez déclaré qu’un pacte de confiance devait s’établir entre l’État et les collectivités locales, mais comprenez notre inquiétude devant les conséquences financières des récentes annonces du Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Cela n’a rien à voir avec la présente proposition de loi !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Je voudrais revenir brièvement sur certains points abordés par les différents orateurs.

Mme Laborde a dit, avec raison, que les sommes récupérées par le biais du recours sur succession ne seraient pas d’un montant insupportable, étant donné la durée moyenne de versement de l’APA. Toutefois, je lui ferai observer que ce montant augmenterait nécessairement avec la durée de vie en état de dépendance, ce qui serait en soi assez choquant.

Par ailleurs, à aucun moment je n’ai pensé ni dit que vous étiez des pourvoyeurs de chômage. Sans doute me suis-je mal fait comprendre. Cela étant, force est d’admettre qu'une réduction du recours aux plans d’aide diminuerait le nombre d'heures d’aide à domicile et, par voie de conséquence, le financement de certaines associations de ce secteur, dont l’existence pourrait de ce fait se trouver mise en péril. Cela serait très dommageable pour les territoires. Ce risque, j’ai pu le mesurer cet été avec les CARSAT.

Il a été dit que l’abondement de la CNSA par le biais de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie ne profiterait pas aux départements, parce qu’il était compensé par une ponction d’un montant équivalent. Or les sommes qui ont été soustraites à la CNSA servent à aider les départements à financer trois allocations, dont le RSA.

M. Pierre-Yves Collombat. Nous parlons de la dépendance !

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Les sommes dont je parle, monsieur le sénateur, ont été prélevées sur le fonds spécifique destiné au grand âge et au handicap. Elles ont été utilisées pour couvrir des dépenses qui n’ont rien à voir avec la dépendance. Nous l’avons bien évidemment accepté.

La perte d’autonomie est-elle une maladie ? C’est une évidence quand elle est liée à la maladie d’Alzheimer, mais cela est vrai aussi dans les autres cas. Plusieurs affections sont associées : si l’on marche moins bien, c’est parce que la vue a baissé à cause d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge, parce que les membres sont atteints d’une arthrose importante. Il s’agit d’un cumul de pathologies, quelquefois en elles-mêmes dégénératives, comme la maladie de Parkinson ou l’arthrose.

Une telle discussion peut paraître purement sémantique, mais elle a un intérêt. À propos des résidents en établissements, je parle souvent de « patients » : cette erreur s’explique, car ils sont aussi des malades.

Au titre des engagements, pas nécessairement écrits, pris en matière d’adaptation et de financement de l’APA, il avait été prévu que l’État prendrait en charge 50 % des dépenses nouvelles : l’engagement ne concernait pas le « stock », si j’ose dire. Nous sommes aujourd’hui à 30,8 %…

M. Pierre-Yves Collombat. Ah, vous me rassurez ! Nous sommes sauvés !

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Je vous remercie de cet hommage, mais reconnaissons qu’il y a une différence entre la prise en charge du flux et celle du stock : je tenais à le souligner.

M. Bérit-Débat a excellemment parlé du fait que de nombreuses personnes âgées renonceraient à demander l’APA si un recours sur succession devait être instauré. Il ne faut pas négliger la dimension psychologique de la question, les personnes qui parviennent au très grand âge attachant souvent beaucoup d’importance à la transmission de leur patrimoine à leurs descendants.

Il est tout à fait vrai que l’APA deviendrait alors une avance de trésorerie, à récupérer sur la succession. La diminution du nombre des demandeurs de la prestation entraînerait certes une réduction des dépenses des départements, mais la mesure que vous préconisez, monsieur Collombat, ne produira pas d’effets rapides, sauf à donner à la loi un caractère rétroactif, comme vous le proposez…

M. Savary a évoqué une adhésion volontaire de personnes âgées sans descendance au dispositif de recours sur succession : ce serait une sorte de viager d’État. Cette solution n’est pas inintéressante,…

M. Jean Desessard. Absolument !

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. … car il est aujourd’hui fréquent que des personnes décèdent sans laisser de descendants. Bien entendu, votre proposition ne plaira pas du tout à des associations telles que la Ligue nationale contre le cancer, qui se trouveraient sans doute privées de certaines donations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie pour les successions supérieures à 150 000 euros
Article 2

Article 1er

L’article L. 232-19 du code de l’action sociale et des familles est ainsi rédigé :

« Art. L. 232-19. – Les sommes servies au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie ne font pas l’objet d’un recouvrement sur la succession du bénéficiaire, sur le légataire ou sur le donataire lorsque la valeur de l’actif net successoral est inférieure à 150 000 euros. Ce montant est actualisé chaque année dans la même proportion que la limite supérieure de la première tranche du barème de l’impôt sur le revenu et arrondi au millier d’euros le plus proche.

« Le recouvrement sur la succession du bénéficiaire s’exerce sur la partie de l’actif net successoral qui excède le montant mentionné au premier alinéa. »

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l’article.

M. Dominique Watrin. Le groupe CRC, je le redis, est opposé à l’instauration d’un recours sur succession. Nous considérons toutefois que cette proposition de loi témoigne, à sa manière, de l’urgence d’une réforme du financement de la prise en charge de la dépendance, dans laquelle l’État, garant de la solidarité nationale, devra jouer pleinement son rôle.

En ce sens, nous partageons les conclusions de M. le rapporteur, qui regrette que le traitement de cette question ne soit pas intégré à un texte plus global que le Gouvernement devrait prochainement nous soumettre.

Nous regrettons toutefois – avec une certaine malice, dirais-je – que la même appréciation n’ait pas été portée sur l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui, en prévoyant l’instauration d’une taxe sur les retraites, a jeté les bases du financement de la perte d’autonomie en dehors de la réflexion plus générale à laquelle M. le rapporteur fait référence.

Notre opposition à cette proposition de loi se fonde à la fois sur des raisons de principe et des considérations pratiques.

Sur le plan pratique, tout d’abord, nous avons été nombreux à le dire, l’introduction d’un recours sur succession identique à celui qui existait pour la PSD conduira à un mouvement d’évincement des bénéficiaires potentiels, qui préféreront renoncer à l’APA.

Sous couvert d’aider financièrement les départements, cette mesure récursoire entraînerait, de fait, un retardement de la prise en charge des personnes âgées. L’état sanitaire des bénéficiaires de l’APA serait dès lors considérablement dégradé et ils relèveraient d’une prise en charge plus lourde, à la fois sanitaire et médicosociale. Cela engendrerait, au final, d’importantes dépenses supplémentaires.

Sur le plan des principes, le mécanisme proposé ici n’est pas juste, contrairement aux apparences. Certains voudraient nous faire croire que la taxation du patrimoine des bénéficiaires de l’APA équivaudrait à un effort de solidarité ; en réalité, il n’en est rien.

En effet, le seuil d’actif successoral à partir duquel la récupération serait possible est particulièrement bas. De fait, la quasi-totalité des bénéficiaires de l’APA pourraient être concernés par le dispositif,…

M. Dominique Watrin. … puisque 75 % des retraités sont propriétaires de leur résidence principale. Redisons-le, selon la Cour des comptes, le patrimoine médian des ménages âgés de plus de 70 ans s’établit à 148 600 euros, et celui des personnes âgées de 60 à 69 ans à 219 100 euros.

Pour autant, personne ne peut affirmer que les retraités propriétaires – parce qu’ils ont bénéficié de conditions d’emprunt plus intéressantes que celles qui existent aujourd’hui ou parce qu’ils n’ont pas connu de périodes de chômage – appartiennent nécessairement aux catégories aisées.

Qui plus est, dans la mesure où l’application de la disposition ne serait pas progressive, l’adoption de cette proposition de loi aurait pour effet de renforcer les inégalités entre ceux pour lesquels la ponction opérée sur la succession représenterait un fort pourcentage de leur patrimoine et ceux pour lesquels elle ne constituerait qu’une infime partie de leurs biens.

Enfin, derrière ces apparences d’équité, cette proposition de loi opère une distinction inacceptable et profondément inégalitaire entre ceux de nos concitoyens dont les besoins sont liés à une maladie – leur prise en charge est assurée par la sécurité sociale et, le cas échéant, par les organismes complémentaires – et ceux dont les besoins sont liés au vieillissement.

Ainsi, une personne âgée atteinte d’une maladie grave et une autre souffrant des effets du vieillissement seraient traitées différemment, ce qui serait non seulement injuste, mais peut-être aussi anticonstitutionnel.

Nous ne pouvons donc souscrire à l’adoption d’une telle mesure, qui, sans que cela soit clairement dit, remettrait en cause le principe d’universalité de l’APA, dont la mise en œuvre est d’ores et déjà modulée par la loi actuelle, en fonction des ressources des bénéficiaires. Une telle évolution s’apparenterait à un recul social.

C’est pourquoi le groupe CRC votera contre cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.

M. Pierre-Yves Collombat. Cette quasi-unanimité contre notre texte prouve que nous avons touché le point sensible…

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, il semble vous avoir échappé que cette proposition de loi est d’abord un appel, afin que soit donnée une réponse aux difficultés financières des départements. J’ai noté que l’ADF était, elle aussi, opposée à notre proposition, ce qui me semble un peu étonnant : nous verrons !

Nous sommes disposés à reconnaître le caractère probablement partiel de la réponse ici présentée. Notre texte est susceptible d’être amendé, s’agissant par exemple du seuil de déclenchement du recours sur succession retenu, de la date de début de la mise en œuvre du dispositif ou des modalités d’application de celui-ci. Nous sommes avant tout demandeurs d’une solution pérenne pour assurer à l’APA une assise financière équitable.

J’ai particulièrement apprécié, je dois le dire, l’intervention de notre collègue Claude Bérit-Débat, mais beaucoup moins certains arguments qui nous ont été opposés.

On nous a d’abord reproché l’absence d’étude d’impact. Mais que dire de celle de 2001 ? Ceux qui l’ont réalisée se sont complètement « plantés », passez-moi l’expression !

Ensuite, sur le plan éthique, même s’il s’agit d’une constante française, la sanctuarisation du patrimoine, surtout de la part du groupe socialiste et du groupe CRC, est tout de même un peu étonnante ! Pour vous, mes chers collègues, il est donc plus juste de solliciter le contribuable pour combler le déficit des finances départementales lié à l’APA ? Dont acte : touche pas à mon patrimoine !

En ce qui concerne l’emploi, vous avez raison, madame la ministre, de souligner qu’il existe un risque. Cependant, le risque est encore plus grand, en la matière, quand on gèle les dotations aux collectivités territoriales ou quand on afflige celles-ci d’une fiscalité qui ne leur rapporte plus rien… Savez-vous que le secteur du BTP a perdu 6 000 emplois depuis le début de l’année ? La moitié de ses commandes émanent des collectivités territoriales. Je suis très heureux de constater que vous vous intéressez aux emplois qu’elles engendrent !

Mais le plus intéressant, c’est tout de même le long débat sur le point de savoir si la dépendance est ou non une maladie.

J’observe que vos comparaisons sont à géométrie variable. Assimiler la dépendance, ou en tout cas certains types de dépendance, à une maladie pose problème, mais si cela est vraiment justifié, pourquoi l’APA est-elle assortie d’un ticket modérateur ? Quelqu’un qui souffre d’un cancer ne se voit pas appliquer un ticket modérateur en fonction de ses revenus ; il est totalement pris en charge, et c’est très bien ainsi ! Or, pour le calcul de l’APA, il est tenu compte des ressources des personnes éligibles, même si, j’en conviens, c’est à dose homéopathique : il y a donc bien un ticket modérateur. Par conséquent, les choses ne sont pas si claires !

Mme la ministre et M. Desessard ont évoqué le problème de la médicalisation du vieillissement. Or regardez ce qui se passe dans les maisons de retraite : il y a possibilité de récupération des sommes dépensées pour l’hébergement des personnes éligibles aux aides sociales, mais pas des dépenses exposées pour la prise en charge de la dépendance. Pourtant, y a-t-il une si grande différence entre ces deux catégories de dépenses ? Vous l’avez dit vous-même, madame la ministre, les personnes admises en maison de retraite sont de plus en plus âgées et très peu d’entre elles ne sont pas éligibles à l’APA.

Par conséquent, les comparaisons entre dépendance et maladie permettent peut-être des effets de tribune, mais elles ne sont pas pertinentes et ne correspondent en rien à la réalité.