Mme Annie David. Quelle honte !

M. Pierre Charon. La mairie de Paris a de nombreux bâtiments, qui pourraient permettre de loger les 14 000 personnes qui vivent dans la précarité sur son territoire.

Pour cela, ce serait la moindre des choses, il faudrait mener un travail de transparence. Madame le ministre, en tant que présidente du groupe Europe Écologie au conseil régional d’Île-de-France, vous avez voté, au mois de février dernier, l’achat d’un hôtel particulier du xviiie siècle, sis rue Barbet-de-Jouy, pour un montant de 19 millions d’euros, et qui est destiné au confort des vice-présidents de la région.

Mme Éliane Assassi. Quel est le rapport ?

M. Alain Bertrand. Cela n’a rien à voir !

M. Pierre Charon. On l’appelle avec malice le « château Huchon » ! Sa surface est de 1 800 mètres carrés. À l’heure actuelle, évidemment, il est vide ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Michel Vergoz. Hors sujet ! Zéro !

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Madame la ministre, l’hébergement d’urgence est, plus que jamais, un devoir de solidarité nationale. Le nombre de demandeurs augmente toujours plus. Désormais sont concernées des personnes aux profils multiples qui ont besoin d’une aide sociale et, de plus en plus souvent, d’un accompagnement médical.

J’ai voulu intervenir aujourd’hui pour rappeler une réalité : la pauvreté existe également dans les départements ruraux. Elle s’y développe aussi, inexorablement.

En Dordogne, le taux d’occupation des sept structures d’accueil existantes est proche de 100 %. Les appels au 115 ont augmenté de 60 % en trois ans. Ils ont été multipliés par deux dans les agglomérations de Bergerac et de Périgueux. Déjà, les créations de places prévues en 2010 et 2011 ne suffisent plus et l’on ne peut plus répondre à toutes les demandes en raison d’une offre qui n’est pas assez adaptée aux nouveaux profils des demandeurs.

Alors que la situation est déjà très difficile, les crédits de fonctionnement des centres d’hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, ont baissé de 20 % en trois ans, obligeant les collectivités à assumer une dépense qui ne leur incombe pas.

À ces difficultés s’ajoutent celles qui sont propres à un territoire rural : l’étendue du département et la répartition déséquilibrée des structures d’accueil, qui sont concentrées dans ses deux grandes agglomérations. Bien évidemment, le suivi des personnes en pâtit.

Malgré tout leur engagement, les acteurs sociaux n’ont pas les moyens de proposer des solutions qui dépassent le cadre de l’urgence.

Dans le même temps, il faut donc non seulement accroître la capacité d’accueil, créer des places d’urgence polyvalentes et des places de stabilisation, mais aussi renforcer le maillage territorial au plus près des populations concernées.

Dans ce contexte, alors que le Premier ministre a annoncé mardi la conclusion d’un pacte de solidarité, qui prévoit notamment la création de 4 000 places en faveur des sans-abri, comment l’État peut-il décliner son action en s’adaptant aux spécificités de territoires ruraux qui sont, je le répète, soumis, eux aussi, à des problématiques d’urgence et de pauvreté profondes, et que l’on ne peut passer sous silence ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Cécile Duflot, ministre. Monsieur Bérit-Débat, vous avez parfaitement raison d’attirer l’attention de l’ensemble des sénateurs sur la question de la pauvreté et de l’hébergement d’urgence en milieu rural.

La situation y est parfois plus sensible qu’en zone urbaine, puisque, du fait de l’éloignement, les capacités d’accueil peuvent être plus rapidement saturées. Je pense notamment à des régions du Sud-Ouest, où des difficultés d’hébergement particulièrement grandes se font jour, y compris dans des petites villes qui n’en souffraient pas jusqu’alors. Ces dernières ont des difficultés à prendre en charge des flux importants, qui peuvent survenir quand, par exemple, des familles se trouvent dans une situation de mal-logement extrême.

Les possibilités de mobilisation de places nouvelles sont également plus restreintes, les disponibilités étant moins nombreuses. En outre, les coûts, sur ces territoires, peuvent être plus élevés, puisque l’éloignement rend difficile la mutualisation d’un certain nombre de services.

En milieu rural se posent également les questions du réseau de transports et de l’accès à ces derniers pour des personnes qui sont, pour l’essentiel, en situation d’insertion et en recherche d’emploi.

Ces sujets sont évidemment essentiels, tout particulièrement pour la ministre de l’égalité des territoires et du logement que je suis. Dans quelques heures, nous allons d’ailleurs avoir un débat sur l’égalité des territoires en matière d’accès aux services publics.

L’hébergement des personnes sans logement et l’attention portée aux plus pauvres doivent être les mêmes en zone rurale qu’en zone urbaine. Ce n’est pas parce que la situation est plus diffuse, et donc moins visible, en milieu rural, qu’elle est moins réelle.

Dans le cadre de la réforme de l’hébergement, nous mettrons en œuvre un certain nombre de mécanismes, qui permettront de mutualiser les places et de les ouvrir en fonction de la demande. Non seulement de gros dispositifs seront déployés en hiver, mais une répartition de l’hébergement sur l’ensemble du territoire, tout au long de l’année, sera ainsi encouragée.

Ces remarques n’épuisent pas le débat, mais croyez bien, monsieur le sénateur, à mon réel engagement en la matière. Il est indispensable de répondre à la question de l’hébergement sur tout le territoire : sur les zones les plus tendues et les plus en difficulté, comme sur celles où les difficultés sont moins visibles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour la réplique.

M. Claude Bérit-Débat. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Je voudrais insister sur un point qui me semble spécifique aux territoires ruraux. Le problème n’est pas tant quantitatif – le nombre de places – que qualitatif.

Dans les deux agglomérations du département dont je suis sénateur, nous souhaitons disposer de places polyvalentes. Les places existantes ont été créées pour des personnes seules, quand nous sommes obligés, aujourd’hui, d’accueillir des familles entières.

En outre, nous avons besoin de places de « stabilisation ». En effet, des familles passées par des hébergements d’urgence peuvent rencontrer des difficultés d’adaptation lorsqu’elles sont replacées dans des logements plus classiques ; une phase d’« apprentissage » est alors nécessaire.

Je voudrais également appeler votre attention sur les moyens à mettre en œuvre pour que la coordination puisse s’effectuer : il faut un budget de fonctionnement en hausse pour les structures qui travaillent dans ce domaine. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’hébergement d’urgence est une compétence totalement régalienne.

Pourtant, la Direction générale de la cohésion sociale, la DGSC, souligne que près d’un tiers des dépenses en la matière sont prises en charge par les collectivités territoriales, les départements et les communes en assumant respectivement 13,6 % et 8,4 %. Mais ce n’est qu’une moyenne ; certaines collectivités sont plus sollicitées que d’autres.

Ainsi en est-il du Val-de-Marne, un département que vous connaissez bien, madame la ministre. Malgré 1 600 lits d’accueil d’urgence et un budget annuel de plus de 11 millions d’euros, ce département doit faire face à des problématiques spécifiques, comme le nombre croissant de SDF d’origine étrangère, dont la proportion dépasse de beaucoup le taux moyen évalué par l’INSEE, c'est-à-dire 29 %. Selon un rapport d’information déposé à l’Assemblée nationale au mois de janvier 2012, les représentants du conseil général du Val-de-Marne déclarent que les mères isolées accueillies dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance sont majoritairement issues de l’immigration africaine et que 40 % d’entre elles sont en situation irrégulière.

Les communes, pour leur part, ont également à leur charge l’aide sociale et la gratuité des cantines.

Madame la ministre, le poids des dépenses sociales ne peut pas s’accroître indéfiniment pour nos collectivités. Comment l’État compte-t-il empêcher que l’hébergement d’urgence ne fasse exploser leurs budgets ?

Je veux aussi attirer votre attention sur les 200 sans-abri du bois de Vincennes. Ils vivent dans des tentes, dans des conditions d’hygiène déplorables et dans la plus grande misère sociale, ce qui soulève des problèmes à la fois de santé et de sécurité. Les associations mènent un repérage géographique difficile. Certains tentent de leur trouver des solutions face au froid hivernal ; ainsi, l’an passé, mon collègue Christian Cambon a réussi à inclure les personnes concernées dans les hôpitaux de Saint-Maurice, dont ce n’est tout de même pas la vocation.

Madame la ministre, allez-vous continuer à accepter le développement de ces campements dans le bois de Vincennes ?

Enfin, j’aimerais savoir pourquoi le Gouvernement ne consulte pas les élus quand il prend des décisions d’hébergement d’urgence.

Ainsi, à Ivry-sur-Seine, le maire n’a pas été interrogé lors de la réquisition d’une ancienne maternité et d’un foyer SNCF pour les sans-abri. Certes, vos prédécesseurs n’avaient pas fait mieux lorsqu’ils avaient installé des SDF dans le Fort de Nogent.

Les maires sont pourtant très attentifs à ces problématiques. J’espère qu’ils ne continueront pas à être exclus de tels processus. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Cécile Duflot, ministre. Madame la sénatrice, vous m’interrogez tout d’abord sur la situation particulière du bois de Vincennes, qui est effectivement préoccupante, aussi bien en été qu’en hiver, mais tout particulièrement quand le froid devient si vif que les personnes qui y vivent se trouvent physiquement en péril.

Aujourd'hui, ces personnes sont suivies par l’État et la Ville de Paris, qui cofinancent une maraude gérée par Emmaüs et chargée spécifiquement de l’accompagnement et du suivi des personnes vivant dans le bois.

Le dernier point de situation, qui date du 10 décembre, fait état de la présence de 118 personnes. Le nombre de 200, que vous avez évoqué, était celui de l’été dernier. Selon nos estimations, sur les 180 personnes qui avaient été répertoriées le 12 novembre dernier, les 47 qui étaient repérées comme les plus fragiles ont accepté d’être été orientées vers des dispositifs d’accueil, en particulier vers des centres qui venaient de s’ouvrir. Vous avez fait référence au Fort de Nogent ; c’est effectivement un lieu apprécié par un certain nombre de SDF qui veulent bien s’y rendre alors qu’ils refusent parfois des propositions d’hébergement. Je mentionne également la Redoute de Gravelle.

Des possibilités et des mécanismes de réorientation sont toujours en cours. Le dispositif de maraude renforcée se poursuit. Nous faisons en sorte, avec les maraudes d’Emmaüs et avec l’action des services de la Ville et du SAMU social de Paris, de suivre au plus près les personnes concernées.

Je ne souhaite pas entrer dans les détails sur l’origine des personnes accueillies. Le principe d’inconditionnalité, qui a été évoqué tout à l’heure, est primordial. Je pense en particulier, et vous avez abordé ce point, aux jeunes mères. Les enfants présents dans les foyers maternels sont, pour l’essentiel, nés sur le territoire français.

Par ailleurs, un travail est en cours avec l’Assemblée des départements de France sur la question des dépenses sociales. L’État est conscient du poids que celles-ci représentent dans le budget des conseils généraux. Cela étant, c’est l’État qui prend en charge l’essentiel des dépenses nécessaires en matière d’hébergement d’urgence.

J’en viens à votre dernière observation, qui portait sur l’association des élus locaux aux décisions prises.

Sachez que la maternité Jean Rostand d’Ivry-sur-Seine a été non pas réquisitionnée, mais ouverte dans le cadre d’un partenariat avec l’Assistance publique. Et le maire d’Ivry-sur-Seine était informé de la mise à disposition d’un ancien foyer de cheminots, puisque son adjointe chargée des affaires sociales était présente lors de ma visite sur place en compagnie du président de la SNCF.

Nous travaillons autant que faire se peut avec les élus. Mais je dois vous dire que nous sommes parfois confrontés à des résistances sur le terrain, indépendamment des sensibilités politiques. Il me semble donc nécessaire que l’État assume, vous l’avez dit, sa fonction régalienne pour loger celles et ceux qui en ont besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme Annie David applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.

Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, je me réjouis qu’il n’y ait plus que 118 personnes dans le bois de Vincennes, mais ce sont encore 118 personnes de trop, qui vivent dans des tentes, dans des conditions sans doute encore pires que si elles habitaient dans des squats. Le rôle de l’État, de la Ville de Paris ou de la préfecture serait, me semble-t-il, d’empêcher que les gens ne continuent à s’installer dans le bois. Et s’il n’y a pas de camp de Roms aujourd'hui, il est déjà arrivé qu’il y en ait ; quand cela se produit, les gens n’ont accès à rien, pas même à l’eau.

Vous affirmez que l’État prend en charge l’essentiel des dépenses. Mais les départements et les communes en assument encore beaucoup ! Et le nombre de personnes concernées par l’hébergement d’urgence ne fait qu’augmenter !

Vous évoquez également le fait que les enfants soient nés sur le territoire français. Mais je vous assure que dans le Val-de-Marne, nous ne regardons pas si les enfants sont nés en France ou à l’étranger ; nous les hébergeons indistinctement. Et encore heureux ! Ce n’est pas un problème d’origine ; c’est un problème de coût !

M. Pierre Charon. Très bien !

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur l’hébergement d’urgence.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie pour les successions supérieures à 150 000 euros
Discussion générale (suite)

Recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie

Rejet d'une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe RDSE, de la proposition de loi visant à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie pour les successions supérieures à 150 000 euros (proposition n° 92, rapport n° 183).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie pour les successions supérieures à 150 000 euros
Article 1er

M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi, qui vise à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, pour les successions supérieures à 150 000 euros se veut, après d’autres textes et complémentairement à d’autres, vous l’avez compris, un élément de réponse à une urgence.

L’urgence, les conseillers, encore généraux, la rencontrent à chaque débat budgétaire quand, invariablement, ils constatent non seulement l’augmentation des dépenses d’allocation personnalisée d’autonomie, mais, plus inquiétant encore, l’écart entre les charges de la collectivité et la compensation de l’État.

La tendance est ancienne et structurelle – j’y reviendrai –, mais jusque-là, la dynamique des recettes permettait de combler le trou, dans la plupart des départements.

La réforme des finances locales en pleine crise financière ne le permet plus, au point que le Gouvernement a dû créer un fonds d’urgence doté de 170 millions d’euros pour aider les départements les plus en difficulté. Cette mesure, certes bienvenue, ne résout rien, alors que la situation financière de ces collectivités se dégrade d’exercice en exercice.

Cette situation, vous la connaissez : des compensations et des recettes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, moins dynamiques que feu la taxe professionnelle ; la perte des recettes de taxe d’habitation ; l’effondrement, puis le « yoyo », des droits de mutation ; et, pour que la coupe soit bien vide, le gel des dotations d’État au motif que les collectivités territoriales doivent contribuer au redressement des finances publiques, même si l’on ne sait toujours pas en quoi elles auraient pu être à l’origine de leur dégradation.

Signe de l’urgence à agir, l’appel des présidents de conseils généraux lors de leur dernier congrès à « engager une réflexion et une véritable négociation sur des financements durables et pérennes de la perte d’autonomie et de la dépendance pour une application dès la loi de finances 2014. » La réponse de l’écho tarde. Peut-être l’aurons-nous ce soir…

La contribution sur les pensions de retraites, d’invalidité et sur les préretraites, ou CASA, contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, créée par l’article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 n’est pas une réponse, pour les départements en tout cas, puisque, si j’ai bien compris le tour de passe-passe, l’abondement de la section II de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, qui les finance, est compensé par une ponction équivalente.

C’est à se demander quel sens cela peut bien avoir, sinon de rendre encore plus incompréhensible, donc plus difficile à critiquer, un mode de financement qui ne l’est déjà que trop.

La contribution assise sur les revenus des retraités et des indépendants prévue par la proposition de loi de notre collègue Roche, récemment adoptée au Sénat, mais en attente d’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, est plus productive puisqu’elle pourrait rapporter quelque 900 millions d’euros au lieu des 600 millions d’euros attendus de la CASA en régime de croisière – environ 450 millions d’euros en 2013. Surtout, elle est totalement affectée à la section II de la CNSA.

La crise et des réformes dont on mesure chaque jour un peu plus les effets pervers ont incontestablement précipité le moment de vérité. Mais elles ne sont pas à l’origine du problème de fond, à savoir le sous-dimensionnement, pour le moins aventureux, du dispositif de financement de l’APA lors de sa création au mois de juillet 2001, en lieu et place de la prestation spécifique dépendance, la PSD, créée, elle, quatre ans plus tôt à titre provisoire.

Pour faire court, disons que l’APA a été victime tout à la fois de son succès et de ses erreurs de conception. Un succès mérité, car cette nouvelle prestation, plus complète, plus équitable, plus justement distribuée que celle qu’elle remplaçait et qui était laissée largement à la seule initiative des départements, correspondait à un besoin profond, répondait à une évolution irrésistible et structurelle de la pyramide des âges.

Depuis longtemps, les démographes constatent le vieillissement de la population française, phénomène qui s’accentue au fil des ans. Nous vivons certes de plus en plus longtemps, mais nous avons dans le même temps besoin d’une assistance multiforme auquel l’APA permet précisément de répondre.

Alors que, au début du xxe siècle, seuls quatre Français sur dix atteignaient l’âge de soixante-cinq ans, la France compte aujourd’hui 3 millions de personnes âgées de quatre-vingts ans et plus. Elles seront plus de 8 millions en 2060 selon la dernière étude de l’INSEE.

Avec le vieillissement de la population augmente mécaniquement le nombre de personnes en perte d’autonomie à des degrés divers. Paradoxalement même, selon des études menées dans les vingt-sept pays de l’Union européenne, le nombre d’années durant lesquelles les Français peuvent espérer vivre sans incapacité – il était de soixante-trois et demi en 2010 – régresse. La France fait partie de ces pays qui connaissent une augmentation de l’incapacité et du nombre de personnes dépendantes. Aujourd’hui chiffré à plus de 1,2 million, le nombre des personnes âgées dépendantes pourrait atteindre 1,8 million en 2040 et 2,3 millions en 2060. On mesure l’étendue du défi, auquel il nous faut faire face dès aujourd’hui. Examinons les chiffres.

En 2001, lorsque l’APA a remplacé la PSD, celle-ci comptait 135 000 allocataires. En 2002, les bénéficiaires de l’APA étaient près de 600 000 ; c’est dire le succès de la réforme. Au 31 décembre 2011, ils s’élevaient à près de 1,2 million, soit le double.

La croissance exponentielle du nombre d’allocataires, l’amélioration qualitative du dispositif ont eu évidemment pour contrepartie l’explosion des dépenses : 1,855 milliard d’euros en 2002 ; les barres des 3 milliards d’euros, 4 milliards d’euros et 5 milliards d’euros ont été respectivement franchies en 2003, 2006 et 2009. L’étude d’impact de la loi créant l’allocation personnalisée d’autonomie tablait, elle, sur 3,5 milliards d’euros de dépenses en régime de croisière. Les personnes qui l’ont réalisée se sont quelque peu trompées…

En 2013, les dépenses réalisées au titre de l’APA devraient approcher les 5,5 milliards euros. Nous le constatons, en dix ans elles ont quasiment triplé et dépassent de 50 % les prévisions.

Cependant, le problème existant est lié certes à la croissance des dépenses en elles-mêmes, mais aussi au fait que le poids de celles-ci pèse de plus en plus sur les départements.

Si en dix ans les dépenses triplent, la contribution de l’État à travers d’abord le fonds de financement de l’APA, puis la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui l’a remplacé, double seulement. Résultat : la participation des départements est multipliée par 3,5.

En 2002, les contributions respectives de l’État et des départements aux dépenses liées à l’APA s’élevaient à 798 millions d’euros et à 1,058 milliard d’euros, soit un taux de couverture 43 %. En 2012, ce dernier n’est plus que de 30,8 %. En dix ans, le taux de couverture des dépenses réalisées au titre de l’APA par l’État a baissé de 40 % ! C’était notre rubrique « les collectivités territoriales contribuent au redressement des finances publiques » ! (M. Jean Desessard s’esclaffe.)

Et encore, les pourcentages mesurent mal l’importance et la signification du phénomène : en dix ans, ce sont 2,7 milliards d’euros de charges supplémentaires qui ont été reportées sur le contribuable local, autant dire, depuis 2010, uniquement sur les ménages ! C’était notre rubrique « l’irresponsabilité fiscale des collectivités territoriales »… (M. Jean Desessard s’esclaffe derechef.)

Dès l’origine, les dés ont été pipés.

Dans son rapport préparatoire à la réforme de la PSD remis au mois de mai 2000, Jean-Pierre Sueur, missionné par Lionel Jospin et Martine Aubry, préconise « que l’effort financier nécessité par la réforme dans le domaine de compétence des départements (GIR 1 à 3) soit réparti à parts égales entre l’État et les départements ».

La question est au cœur du jeu de dupes mis en scène en 2001 lors de la discussion de la loi.

Le Sénat, sur proposition de Michel Mercier, alors rapporteur de la commission des finances, adopte le principe de parité du financement. La disposition sera supprimée par les députés ; selon le rapporteur du texte qui n’était pas encore président de conseil général « n’est-il pas normal […] de demander un effort accru aux départements en raison de la chance qui leur est donnée de gérer cette nouvelle allocation répondant enfin aux attentes de toute la population et de renforcer ainsi leur légitimité d’acteur social de proximité ? » Comme vous le constatez, on parle toujours trop…

On retrouve le même tour de passe-passe s’agissant du recours sur succession, objet de nos débats aujourd’hui, recours sur succession qui existait pour la PSD.

Le rapport Sueur avait pourtant bien posé le problème. Permettez-moi, à cet égard, d’en citer un extrait : « Compte tenu du nouveau système proposé et, notamment, de la mise en place d’un ticket modérateur à la charge des bénéficiaires de l’APA, il apparaît que la question du maintien ou non du recours sur la succession du bénéficiaire est étroitement liée à la définition des ressources prises en compte dans le cadre du barème de participation. […]

« Au vu de ces éléments, deux hypothèses sont possibles.

« La première consiste à supprimer tout recours sur succession dès lors que l’appréciation des ressources, au regard du barème de participation des intéressés, intégrera une évaluation de leur patrimoine. En effet, dans cette hypothèse, la prise en compte de l’ensemble des ressources de la personne et, le cas échéant, de son conjoint ou de son concubin, ainsi que de la valeur en capital de ses biens non productifs de revenus apparaît pleinement justifiée pour des raisons d’équité.

« Une seconde hypothèse consiste à maintenir le recours sur succession. Il conviendrait alors d’en atténuer le caractère dissuasif par un relèvement substantiel du seuil d’actif net au-delà duquel la récupération s’exerce (le Conseil des impôts a établi que le patrimoine moyen des ménages français s’élève à un million de francs). »

Si les préférences de l’auteur vont à l’absence de recours sur succession, accusé d’être dissuasif et donc de freiner l’entrée dans le dispositif de personnes qui en ont besoin, le projet de loi initial va dans l’autre sens, en prévoyant, lui, le recours sur succession.

En défense du texte, Élisabeth Guigou, ministre de l’emploi et de la solidarité, réaffirme alors la primauté de la solidarité familiale face aux besoins du grand âge en fixant le seuil de l’actif à un million de francs, soit 150 000 euros en euros courants et 180 000 euros en euros constants. Vous aurez remarqué que ce montant est du même ordre que celui qui est retenu dans la présente proposition de loi.

La ministre ne sera pas suivie par les députés au nom de deux arguments : le caractère dérisoire des sommes qui pourront être ainsi récupérées et le caractère dissuasif du dispositif malgré l’exonération des petits et moyens patrimoines.

Pour les députés, cette disposition présente donc plus d’inconvénients que d’avantages.

Toutefois, il faut noter que, de l’aveu même de la secrétaire d’État aux personnes âgées et aux personnes handicapées, venue en renfort, cette perte de recettes, que plusieurs sénateurs dénoncent alors comme une bombe à retardement, n’avait pas été chiffrée !

Au final, si, dans le dispositif actuel, « les biens en capital qui ne sont ni exploités ni placés » sont pris en compte dans le calcul du ticket modérateur, c’est pour une part insignifiante, comme j’ai tenté d’en faire la démonstration.

Quant au « caractère dissuasif du dispositif », là aussi, faute d’études précises, on en est réduit à des opinions parfaitement subjectives.

Constatons que le rapport Sueur, bien qu’il ne soit pas favorable à la récupération sur succession, comme on l’a dit, mentionne : « Le président du conseil général du Rhône a indiqué, lors de son audition, que l ’Assemblée départementale avait pris l’initiative de porter le seuil de récupération de 300 000 francs à 500 000 francs sans qu’il ait été constaté une augmentation significative du nombre de bénéficiaires de la PSD. »

On peut donc en tirer la conclusion que la récupération sur succession n’est pas l’obstacle psychologique rédhibitoire qu’on veut bien dire.

Et quand bien même elle le serait, que faut-il penser d’une famille qui laisserait ses membres les plus vulnérables dans le besoin pour mieux préserver son patrimoine ?