M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Vous ne l’avez alors pas voulu, c’est tout !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’était pas le problème !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Dans ces conditions, pourquoi le demandez-vous aujourd’hui ?

Cette motion n’est pas non plus fondée en opportunité : franchement, sommes-nous en démocratie parlementaire, oui ou non ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le peuple a toujours raison !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Le peuple a toujours raison ; il s’exprime par la voie de ses représentants…

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … et, à titre accessoire, supplémentaire, par référendum. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça, ça ne marche pas !

M. Gérard Larcher. Le référendum est « accessoire » ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mes chers collègues, si les élus du peuple que vous êtes me disent que nous ne sommes pas dans une démocratie parlementaire et que le peuple ne s’exprime pas d’abord par nous,…

M. François-Noël Buffet. Le peuple est « accessoire » ?

Mme Cécile Cukierman. Personne ne dit cela ! C’est injurieux !

M. François Rebsamen. Il n’a pas dit cela !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne déformez pas mes propos !

… alors, nous sommes dans une autre république, une république censitaire. Dans ce cas, il faut réformer totalement nos institutions.

Le débat, qui aurait pu au demeurant être abordé plus longuement pendant la campagne présidentielle, a eu lieu à l’Assemblée nationale ; il a lieu au Sénat ; il a lieu ailleurs. (Où ? sur les travées de l’UMP)

M. Christophe Béchu. « Ailleurs » ?

Mme Catherine Troendle. Où, ailleurs ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Madame Troendle, je sais combien vous êtes attachée aux institutions de la Ve République : nous sommes ici par la volonté du peuple, et c’est nous qui légiférons (Exclamations sur les travées de l’UMP.) ! Ce n’est pas l’ « ailleurs » qui va légiférer !

Par conséquent, mes chers collègues, à titre personnel, je vous invite à repousser cette motion référendaire, même si la commission des lois s’en remet à la sagesse du Sénat, puisqu’il y a eu en son sein une égalité parfaite de vote.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Voilà ! Il fallait le dire !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je voudrais ajouter un seul point de fond, même si cela dépasse un peu le cadre de cette discussion.

Monsieur Retailleau, j’ai apprécié votre intervention. (Ah !... Nous aussi ! sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas tous les jours !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je dois néanmoins ajouter, comme je l’ai dit hier dans mon intervention à la tribune, au nom de la commission des lois, que ce texte est aussi dans l’intérêt des enfants (Ah non ! sur les travées de l'UMP.),…

MM. Bruno Sido et Charles Revet. Pas du tout !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … notamment de ceux que vous ignorez peut-être, monsieur Sido, même si vous présidez un conseil général, de ceux qui, si ce texte n’était pas adopté, n’auraient pas les mêmes droits que les autres enfants. Pour quelles raisons ferait-on porter à ces enfants le poids de l’union de leurs parents ?

M. Gérard Longuet. L’absence d’union de leurs parents !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ce texte est donc aussi dans l’intérêt de ces enfants, bien souvent traumatisés par le regard social qui est porté sur eux. Il suffit, mes chers collègues, de se rendre dans les lieux qui accueillent ces enfants – je l’ai fait à Montpellier, à Paris –, au bord du suicide, exclus par leurs parents…

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Convenez que ce projet de loi, même si vous êtes contre, est aussi dans l’intérêt de ces enfants.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mes chers collègues, la commission des lois s’en remet à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je ne vous apprendrai rien en vous disant que nous ne voterons pas cette motion référendaire.

M. Gérard Longuet. Nous sommes déçus !

Mme Annie David. En effet, depuis longtemps, la gauche, dont le parti communiste français,…

M. Bruno Sido. Il existe encore ?

Mme Éliane Assassi. Les remarques gratuites, ça suffit !

Mme Annie David. … s’est exprimée en faveur de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ainsi, pour ce qui nous concerne, c’est un sujet sur lequel nous travaillons depuis des décennies avec de nombreuses associations et organisations qui militent pour la dignité de la personne humaine et l’égalité des droits.

Nous sommes donc très satisfaites et très satisfaits qu’un projet de loi soit enfin présenté devant le Parlement. Les sénatrices et les sénateurs de mon groupe sont très fiers de contribuer à son adoption, car ce texte est attendu, contrairement à ce que certaines et certains se plaisent à propager, par un très grand nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens, qui, par ailleurs, n’oublient pas que la droite n’a même pas osé poser les termes du débat.

Nous nous félicitons donc que la gauche se saisisse de cette question avec courage et détermination, respectant ainsi la promesse faite devant le peuple – eh oui, mes chers collègues, le peuple compte pour la gauche ! –,…

M. Charles Revet. Vous allez donc voter la motion référendaire !

Mme Annie David. … la promesse faite devant les électrices et les électeurs lors des élections présidentielle et législatives, l’an dernier, qui ont donné une majorité de gauche pour gouverner notre pays.

M. Gérard Longuet. Ils ont également promis la PMA !

Mme Annie David. Donc, oui, le peuple est entendu !

Élue au printemps dernier, la gauche a toute légitimité pour tenir cette promesse sans avoir à passer par un référendum.

Sur cette question, comme sur beaucoup de questions sociétales, il ne devrait pas y avoir de clivages politiques. À gauche comme à droite, nous devons toutes et tous être à l’écoute de ces femmes, de ces hommes et de leurs enfants, mais aussi de tous nos jeunes adolescents en souffrance, qui ne demandent qu’à sortir de l’injustice qui leur est faite afin de se sentir enfin égaux en droits et en dignité.

Il s’agit simplement d’une question d’humanité marquée par le sceau du progrès.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne voterons pas les différentes motions qui ont été déposées sur ce texte. La motion référendaire, de surcroît, est dépourvue de toute consistance juridique et n’a d’autre but que de retarder l’adoption de ce projet de loi.

M. Roland du Luart. Vous avez mal lu, ou mal écouté !

Mme Annie David. Quoi qu’en dise M. Bruno Retailleau, dont l’argumentation est des plus fallacieuses,…

M. Jackie Pierre. « Des plus fallacieuses » ?

Mme Annie David. … juridiquement, cette motion n’a pas de sens dès lors que l’article 11, premier alinéa, de la Constitution limite expressément le champ d’utilisation du référendum à des sujets précis, à savoir « l’organisation des pouvoirs publics » – il ne s’agit pas là d’un texte relatif à l’organisation des pouvoirs publics ! –, les « réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » – le texte n’entre pas non plus dans cette catégorie ! (Vives protestations sur les travées de l'UMP.) –…

Mme Catherine Troendle. Il s’agit bien d’une réforme sociale !

Mme Annie David. … et « la ratification d’un traité qui […] aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».

Il s’agit bien d’un changement de société, et donc d’un thème sociétal et non pas social. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. Christian Cambon. La belle explication !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien, madame David !

Mme Annie David. À l’évidence, comme le soulignent un grand nombre de constitutionnalistes, le projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels n’entre dans aucune de ces catégories, et je pense que le groupe UMP compte suffisamment de constitutionnalistes…

M. Jean-Claude Gaudin. Nous avons les meilleurs !

M. Charles Revet. Justement, cela a été démontré hier excellemment !

Mme Annie David. … pour ne pas mettre en doute cette affirmation.

En l’occurrence, je le répète, il s’agit non pas d’un sujet de politique sociale, mais plutôt d’une réforme sociétale du code civil.

Pour vous donner un élément de comparaison et sans doute pour vous rafraîchir quelque peu la mémoire, la réforme des retraites était véritablement un sujet de politique économique et sociale, tout comme l’était d'ailleurs la votation citoyenne pour exiger un grand service public de La Poste. Je ne me souviens pas qu’il y ait eu un référendum sur ces sujets majeurs,…

Mme Éliane Assassi. Eh oui, souvenez-vous !

Mme Catherine Troendle. Pourquoi ne l’avez-vous pas demandé ?

Mme Annie David. … alors qu’ils avaient mobilisé plus d’un million de manifestants pour le premier et plus de deux millions de votants pour le second. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.) Vous ne les aviez pas entendus, vous aviez alors fait le choix de les ignorer, tout comme vous aviez repoussé les motions référendaires que nous avions déposées et qui pourtant, elles, étaient juridiquement justifiées, contrairement à celle-ci.

Enfin, argument supplémentaire s’il en était besoin, la possibilité d’un référendum d’initiative partagée, en principe autorisé par la réforme constitutionnelle de 2008, n’est pas envisageable – et vous le savez fort bien – tant que la loi organique qui doit permettre son entrée en vigueur n’est pas adoptée dans des conditions qui permettraient qu’un projet comme celui-ci lui soit soumis.

Mme Annie David. Vous l’aurez compris, mesdames les ministres, mesdames et messieurs les sénateurs, les membres du groupe communiste républicain et citoyen ne voteront pas cette motion référendaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en rejoignant le Sénat ce matin pour poursuivre nos travaux, je réfléchissais à notre rôle, à la responsabilité qui est la nôtre au moment où notre pays traverse une tourmente économique, politique également, mais surtout sociale : déficit des comptes publics, qui explosent, accumulation des dettes, dégradation incessante de la situation de l’emploi.

Nombreux sont les Français durement affectés par les conséquences de la crise qui sévit. On leur demande, y compris aux plus humbles d’entre eux, de faire beaucoup d’efforts afin de relever ces défis. Lorsqu’ils s’informent à la télévision ou à la radio sur les moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour sortir la France de l’ornière, nos concitoyens observent des choses un peu irréelles.

L’ordre du jour dicté par le Gouvernement au Parlement nous conduit à discuter des dates mémorielles, à modifier les modes de scrutin, à revoir le découpage des cantons, à modifier les dates électorales, enfin à mobiliser – ou plutôt à diviser – le pays sur la question du mariage homosexuel, lequel est élevé au rang de priorité.

Comment ces Français – à Florange, chez Goodyear à Amiens, chez Peugeot, chez Renault, chez Alcatel – peuvent-ils nous juger ? Était-il si urgent de traiter ce sujet alors que les familles françaises font face à des problèmes si importants ?

On nous dit qu’il s’agit là de mettre en œuvre une promesse du candidat Hollande, aujourd'hui Président de la République. Or ce n’est pas la seule promesse qu’il a faite, et ce n’est certainement pas la plus urgente.

Nombre de nos concitoyens sont inquiets. Ils le sont d’autant plus que ce n’est pas tant l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe qui les préoccupe que ce que cela pourrait cacher. Quelle sera la place de l’enfant dans ce nouveau dispositif ? Mme Bertinotti nous a dit que M. le Président de la République s’était engagé sur le mariage et sur l’adoption, rien que sur le mariage et l’adoption ; mais un aspect reste très flou : la procréation médicalement assistée.

Au moment où la parole publique est sérieusement déconsidérée, je vous rappelle que le 31 mars 2012, aux Folies Bergère – cela ne s’invente pas ! –, Mme Vallaud-Belkacem, alors porte-parole officielle du candidat Hollande,…

M. François Rebsamen. C’est un argument limite, ça !

Mme Cécile Cukierman. C’est border line !

M. Hervé Marseille. … détaillait son programme devant les participants au meeting pour l’égalité organisé par les associations homosexuelles. Elle a clairement annoncé l’ouverture de la PMA avec donneur anonyme à tous les couples, sans discrimination, comme l’ont déjà fait les socialistes belges et espagnols. Elle précisait même le calendrier de cette réforme, laquelle devait intervenir au printemps 2013. Nous y sommes.

Ce texte est donc ambigu. Beaucoup le redoutent, beaucoup le combattent.

La question de la PMA a été renvoyée au projet de loi sur la famille annoncé pour le mois d’octobre. Le Comité consultatif national d’éthique a été saisi, son avis est attendu.

Peut-on vraiment séparer la PMA du mariage pour tous ? Nous ne le pensons pas. Le projet de loi étend aux couples de personnes de même sexe le bénéfice des dispositions relatives à l’adoption plénière – c’est l’article 345-1 du code civil –, qui prévoit que l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint.

Cette situation est celle dans laquelle va se trouver l’enfant conçu par un couple de femmes au moyen d’une PMA réalisée à l’étranger. Dans cette hypothèse, l’enfant voit sa filiation établie à l’égard de celle des deux femmes qui l’a mise au monde. La branche paternelle de sa filiation est donc vacante. Dès lors, en raison de l’anonymat du don de sperme, l’enfant peut être adopté, au sens de l’article 345-1 du code civil.

Alors, quand bien même le projet de loi sur la filiation ne remettrait pas en cause l’altérité sexuelle comme condition d’accès à la PMA, le mécanisme de l’adoption permettrait aux couples qui le voudront et qui le pourront de contourner la loi.

Enfin, on peut estimer que la Cour européenne des droits de l’homme n’acceptera pas que des personnes se trouvant dans des situations identiques soient traitées différemment. Si les couples hétérosexuels mariés peuvent accéder à la PMA, refuser cet accès aux couples homosexuels sera alors susceptible d’être considéré comme une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

Vous nous assurez que la liberté des adultes est un principe absolu et que les règles de procréation sont sources de discrimination. La suite logique – nous la connaissons, et cela a été dit à de nombreuses reprises par différents orateurs–, c’est l’accès à la PMA. Il faut donc dire les choses clairement aux Français. Dans ces conditions, le référendum peut leur permettre de s’exprimer sur un sujet qui touche au plus profond de notre société.

Des voies de convergence étaient possibles, mesdames les ministres.

M. Jean-Michel Baylet. Pas tellement, tout de même !

M. Hervé Marseille. Nous aurions pu converger vers un peu plus de reconnaissance des droits des couples homosexuels et instaurer un engagement d’union civile, mais vous l’avez refusé.

C’est l’honneur de la République que de chercher à dégager des positions aussi partagées que possible. Nous en avons été capables parfois, après des débats importants, forts. Cela a ainsi été le cas sur les questions de la fin de vie ou du port du voile à l’école. Le débat a été fort, il continue de l’être.

Aujourd'hui, il y a plus d’affrontements que de débat, car ce débat, vous l’avez abordé comme un rapport de forces.

Ainsi, monsieur le rapporteur, avez-vous répondu au philosophe Thibaud Collin, lors de son audition par la commission, après qu’il eut rappelé le texte liminaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui prévoit que le mariage civil s’inscrit dans un ordre humain, universel, fondé sur le partage d’une nature humaine commune : « Ce qui est juste, c’est ce que dit la loi. Et celle-ci ne se réfère pas à un ordre naturel, mais à un rapport de force à un moment donné ». Vous concédiez ensuite : « C’est le point de vue marxiste. Je provoque un peu. », mais je crois que vous le pensiez réellement.

Le référendum peut être une façon de sortir par le haut. L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe était un engagement présidentiel, nous dit-on. C’est vrai. Cela signifie-t-il qu’il faille adopter les engagements sans en discuter ? Mais alors, que faisons-nous ici ? Dans ce cas, ce n’est pas la peine de réunir le Parlement ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Un référendum, ce n’est pas la victoire d’une majorité sur une autre. C’est simplement le verdict populaire sur un sujet qui concerne tous les Français.

Mme David a avancé des arguments juridiques, indiqué qu’il s’agissait d’un débat sociétal, et pas vraiment d’un débat de société.

Mme Annie David. Je n’ai pas dit que ce n’était pas un débat de société, au contraire !

M. Hervé Marseille. Pensez-vous que le Conseil constitutionnel irait jusqu’à censurer la demande du Président de la République visant à consulter les Français sur un sujet aussi important ?

M. Christian Cambon. Bien sûr que non !

M. Hervé Marseille. Pour notre part, nous ne le pensons pas.

Au demeurant, certains dans votre majorité envisageaient un référendum sur le cumul des mandats ou le vote des étrangers afin de connaître l’avis des Français.

M. Gérard Longuet. Absolument !

M. Hervé Marseille. Sur un sujet tel que celui-ci, comment ne pas demander l’avis des Français ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

Il ne faut pas craindre le verdict populaire. Sur un sujet tel que celui-ci, sur lequel autant de Français sont mobilisés, chacun doit être consulté. Tel est le souhait du groupe UDI-UC. Prendre le train de l’histoire, ce n’est pas continuer de débattre ici, c’est consulter les Français sans attendre ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nos collègues de l’opposition ont choisi de déposer une motion tendant à soumettre au référendum ce projet de loi, en application de l’article 67 de notre règlement, qui renvoie aux dispositions de l’article 11 de la Constitution.

C’est leur droit le plus absolu.

M. Bruno Sido. Merci !

M. Jean-Michel Baylet. Nous ne voulons pas nous opposer au principe même de l’utilisation de cet outil juridique, qui permet de demander au Président de la République, sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre un projet de loi à référendum.

À ce stade, mes chers collègues, le dépôt de cette motion peut être interprété de deux façons. Les plus mal intentionnés – ce n’est pas mon cas, je vous rassure ! – n’y verront qu’un moyen de faire de l’obstruction parlementaire, une façon d’épuiser jusqu’à la lie toute la panoplie qu’offre le droit parlementaire sachant que, in fine, seul le vote du Sénat comptera et que la majorité…

M. Bruno Sido. Quelle majorité ?

M. Jean-Michel Baylet. … aura le dernier mot.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous avez raison !

M. Jean-Michel Baylet. S’agirait-il alors de faire traîner en longueur les débats en grignotant une demi-journée supplémentaire dans le temps – déjà très long, reconnaissez-le – qui nous est imparti pour examiner ce texte ?

Mme Cécile Cukierman. Nous verrons ce soir à vingt-deux heures, après le départ du dernier TGV, combien nous serons en séance !

M. Jean-Michel Baylet. Je rappelle au passage que la Chambre des communes britannique n’a mis qu’une journée, le 5 février dernier, pour adopter l’ouverture du mariage aux homosexuels (Exclamations sur les travées de l'UMP.),…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Michel Baylet. … à une large majorité, laquelle dépassait d’ailleurs les clivages politiques habituels. J’ai évoqué également hier l’Uruguay, où certains sénateurs de l’opposition ont joint leurs voix à celles de leurs collègues de la majorité pour créer le mariage pour tous.

Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui intenteront aux auteurs de cette motion – et je respecte leur initiative – un procès d’intention, car leur cause est de toute façon perdue d’avance.

L’autre façon d’interpréter le dépôt de cette motion est d’y voir une volonté démocratique, celle de permettre au peuple de se prononcer lui-même, par le biais d’une procédure de démocratie directe et d’expression de la souveraineté nationale, sur une question qui concerne chacun d’entre nous. Ce vœu est légitime, même s’il traduit une opinion qui n’est ni la mienne ni celle de la majorité de la Haute Assemblée. À cet égard, nous serons fixés dans quelques instants.

Faut-il toutefois souligner que les auteurs de cette motion sont les mêmes que ceux qui ont soutenu un gouvernement ayant mis près de quatre ans à inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le projet de loi organique relatif à l’organisation du référendum d’initiative partagée ? Je ne me souviens pas, chers collègues de l’opposition, vous avoir entendu faire preuve de la même ardeur qu’aujourd’hui pour défendre la consultation populaire. (Eh oui ! sur les travées du groupe CRC.)

Je note avec le même étonnement que les auteurs de cette motion, qui se réfèrent au droit du peuple à se prononcer directement sur l’adoption d’une loi, sont les mêmes qui, hier, niaient au peuple ce même droit, s’arc-boutaient sur le fait majoritaire et refusaient d’écouter le grondement de la rue, car « ce n’est pas la rue qui gouverne », nous disaient-ils alors !

M. Jean-Michel Baylet. Contrat première embauche, privatisation de La Poste, réforme des retraites, démantèlement des services publics : depuis dix ans, les exemples de surdité de l’ancienne majorité ne manquent pas, et sa mémoire sélective a de quoi surprendre… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) C’est peut-être ce que l’on nomme la résilience !

Mes chers collègues, toutes les opinions sur ce projet de loi sont éminemment respectables, à condition, bien sûr, qu’elles respectent les droits des citoyens, notamment des personnes homosexuelles.

Cependant, les raisons qui sous-tendent cette motion ne me paraissent pas recevables, loin s’en faut, et ce pour plusieurs raisons.

« L’adoption de cette motion référendaire aboutirait en effet à empêcher les sénateurs de s’exprimer et de débattre, alors que ce travail leur revient » : ainsi s’exprimait notre collègue Gérard Longuet le 4 novembre 2009 pour s’opposer à la motion référendaire déposée par les sénateurs de gauche sur le projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On n’allait pas consulter le peuple sur La Poste, enfin !

Un sénateur du groupe UMP. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Michel Baylet. Si, cela a à voir ! Un référendum, c’est un référendum ! Et, en la circonstance, la Constitution offrait une telle possibilité !

Mes chers collègues, le Sénat, sa commission des lois et sa commission des affaires sociales, ont beaucoup œuvré, et je salue une nouvelle fois le remarquable travail de notre rapporteur : plus de cinquante heures d’auditions de personnalités de tous bords et près de dix heures de travail en commission ont contribué à une réflexion nourrie et approfondie pour aboutir à un texte juridiquement irréprochable.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous vous avancez peut-être un peu trop !

M. Jean-Michel Baylet. Surtout, le Sénat, tout comme l’Assemblée nationale, est dans son droit le plus strict lorsqu’il s’agit d’examiner un texte de cette importance, à l’instar de tous les projets de loi d’ailleurs. Nous, sénateurs, sommes constitutionnellement des législateurs de plein exercice, légitimés par le suffrage de nos électeurs.

M. Jean-Michel Baylet. Nous sommes d’ailleurs d’autant plus confortés sur ce point que, en tant que représentants des collectivités territoriales, nous portons la voix des maires, lesquels seront demain amenés à célébrer des mariages entre personnes de sexe différent ou de même sexe. Nous sommes donc, mes chers collègues, pleinement dans notre rôle en débattant de ce projet de loi.

Les Radicaux de gauche n’ont historiquement jamais été enclins à céder aux sirènes référendaires, dont l’histoire ravive le funeste souvenir de la consultation plébiscitaire et du tropisme autoritaire.

Nous n’avons pas peur de l’avis du peuple,…

Un sénateur du groupe UMP. Ah bon ?

M. Jean-Michel Baylet. … bien au contraire, puisque nous en procédons. Mais nous faisons confiance en premier lieu à la démocratie représentative, qui assoit les conditions d’une délibération collective légitime, sereine et approfondie, qui donne sa pleine force à la loi de la République !

Adopter cette motion référendaire signifierait par conséquent consentir à nous déposséder d’une compétence qui nous est reconnue par la Constitution et que nous aspirons à exercer pleinement, en toute responsabilité. Ce serait aussi légiférer sous la pression de groupes d’opinion, de groupes de pression, radicalisés pour certains, qui sont loin d’être aussi représentatifs que ce qu’ils proclament.

Mes chers collègues, nous devons donc demeurer libres de nos votes et ne pas ressusciter le mandat impératif. Les sondages, pas plus que les manifestants, ne doivent pas présider aux destinées de notre pays !

Enfin, ce serait omettre que, dans une décision de 2011, portant sur la question précise du mariage des homosexuels, le Conseil constitutionnel a clairement énoncé qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur, lequel avait donc pleine compétence pour modifier ou non la législation, la Constitution ne prohibant pas, vous le savez, le mariage pour tous.

Je souhaite, par ailleurs, rappeler que l’article 67 du règlement du Sénat dispose que les motions tendant à soumettre au référendum un projet de loi doivent porter sur les matières définies à l’article 11 de la Constitution : l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, la ratification d’un traité qui aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

À l’évidence, le présent projet de loi, madame la garde des sceaux, n’entre dans aucune des catégories mentionnées par l’article 11 de la Constitution. (M. André Reichardt s’exclame.)