Mme Éliane Assassi. Nos débats auraient également dû être marqués du sceau de l’offensive, car, très majoritairement, les élus n’ont rien à cacher, comme cela a été relevé à plusieurs reprises. Or je ne crois pas que telle soit, pour le moins, l’image que nous renvoyons aujourd'hui.

Avec ce projet de loi organique, nous avions une mission très importante, celle de répondre à la crise de confiance entre les citoyens et les politiques, qui appelle, plus que jamais, un renforcement de la déontologie des responsables publics.

Le rendez-vous est manqué ; il est même terni, non seulement par le rejet de l’article 1er, mais également par les manœuvres politiciennes qui ont jalonné nos débats.

Mme Éliane Assassi. Croyez-vous sincèrement que, au sortir de l’examen de ce texte, le « tous pourris » aura été égratigné ?

M. Roland Courteau. Bonne question !

Mme Éliane Assassi. Pour ma part, je ne le pense pas. Pis, il se pourrait qu’il soit conforté, de même que le sentiment d’impuissance de la politique, donc du personnel politique à répondre aux besoins populaires, tant le peuple a été exclu de nos discussions.

Cela dit, je le souligne, mes chers collègues, s’il ne date pas d’hier, ce débat sur la transparence de la vie publique n’est pas pour autant clos, même avec le rejet de l’article 1er. Dès lors qu’elle considère la transparence comme l’une des composantes d’une démocratie, la classe politique devra, d’une façon ou d’une autre, faire progresser la lutte contre la corruption, le trafic d’influence et les conflits d’intérêts si elle veut véritablement instaurer la transparence.

Ce débat ne sera pas clos tant que l’on n’apportera pas les réponses nécessaires à la crise de confiance des citoyens envers leurs institutions et leurs élus, ou, du moins, certains d’entre eux.

Certes, cette crise de confiance exige bien plus que les dispositions qui nous ont été proposées. Elle exige autre chose que des promesses, surtout quand celles-ci ne sont pas tenues. Elle exige des choix économiques et sociaux directement inspirés des intérêts du peuple, mais aussi une lutte volontariste et efficace contre la fraude fiscale.

Alors que le Président de la République et le Gouvernement demandent à nos concitoyens des efforts en attendant des jours – peut-être – meilleurs, comment ne pas comprendre que ceux-ci soient heurtés par la succession d’annonces, par voie de presse, d’évasions fiscales, d’arbitrages truqués, de financements illégaux de campagne électorale ?

Lorsque les journaux évoquent en une les 500 plus grandes fortunes de France qui se sont enrichies de 25 % en un an et que le montant de l’évasion fiscale est, nous le savons, supérieur à 35 milliards d’euros, nous pouvons pressentir que nos concitoyens ne se contenteront pas de ce projet de loi organique : ils continueront de considérer les mesures liées au redressement des comptes publics, qui les concernent en premier lieu, comme une indécence.

Dans deux jours, nous examinerons le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Ne l’oublions pas, c’est la fraude fiscale qui constitue le point de départ de ces travaux et de nos réflexions. (M. Gérard Longuet s’exclame.)

Mme Éliane Assassi. Nous espérons pouvoir trouver un terrain d’entente sur ce sujet.

Mme Éliane Assassi. Le groupe CRC est ouvert à la discussion, en toute transparence – c’est le cas de le dire ! –, et, surtout, dans l’intérêt de nos concitoyennes et nos concitoyens.

Je l’ai dit, nous ne sommes pas satisfaits de nos débats. Toutefois, en tant que farouches combattants de la transparence, nous voterons le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai un point commun avec les sénateurs du groupe CRC : je ne suis pas non plus satisfait des débats relatifs à ce projet de loi organique, un texte de circonstance proposé par le Gouvernement à la suite, il faut le rappeler, de l’affaire Cahuzac. Ce texte a été élaboré pour montrer du doigt les parlementaires, alors qu’ils n’étaient absolument pour rien dans cette affaire.

Le projet de loi organique qui nous est soumis vise à transformer la Commission pour la transparence financière de la vie politique en une Haute Autorité de la transparence de la vie publique. Les déclarations de situation patrimoniale, ainsi que les déclarations d’intérêts que les élus et les parlementaires doivent déjà déposer seront contrôlées non plus par cette commission, mais par cette nouvelle instance. On change la dénomination, pourquoi pas ?

Concernant la question de la transparence et de la publication, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale est assez bâtard : les déclarations de situation patrimoniale seront publiées, mais celles-ci ne devront pas être utilisées. Cela signifie grosso modo qu’elles sont mises à la disposition des citoyens, mais qu’aucune information ne devra filtrer ni être utilisée. Or, chacun l’a admis, ce n’est pas tenable.

Dès lors, plusieurs pistes étaient possibles : soit on ne publiait aucune déclaration de situation patrimoniale, soit on les publiait toutes, soit on ne publiait que les déclarations présentant des anomalies, les déclarations incomplètes, pour lesquelles les justifications sont insuffisantes, les variations de patrimoine non justifiées, une position que nous avons défendue avec un certain nombre de collègues de l’UDI-UC et qui était de nature, nous semblait-il, à rassembler.

Cette solution évitait de faire plaisir aux adeptes du voyeurisme, aux professionnels de la manipulation politique, qui pouvaient essayer d’utiliser cette publication à d’autres fins, tout en éclairant nos concitoyens sur les manquements éventuels de certains élus.

Quelle n’a pas été ma surprise d’entendre que cette proposition ne pouvait être retenue au motif que la Haute Autorité de la transparence de la vie publique allait avoir trop de travail ! Les bras m’en sont tombés quand j’ai entendu le président de la commission tenir de tels propos. Les amendements concernés n’ont pas malheureusement pas été adoptés.

Ensuite, le Gouvernement crie haro sur l’activité de conseil. Pourquoi elle ? Nous n’avons eu aucune explication au cours du débat. Est-ce parce que M. Cahuzac a eu une activité de conseil alors qu’il était membre d’un cabinet ministériel que tous les parlementaires doivent être concernés ? Cela me semble absolument anormal. J’aurais aimé que l’on nous donne des exemples pour nous convaincre de l’utilité d’empêcher un parlementaire d’avoir une activité de conseil. Mais vous n’avez pas cité un seul parlementaire qui soit concerné depuis cinquante ans par le cumul de son activité de conseil avec sa mission de représentant du peuple !

Je ne vois pas pourquoi on empêcherait des parlementaires d’exercer certaines activités. Je ne suis pas pour le parlementaire à temps plein. On peut l’être ; c’est un débat que nous avons eu entre nous. Toutefois, pour ma part, je plaide pour la diversité des origines, des formations et des activités des parlementaires, de façon à enrichir nos assemblées.

Enfin, dernier motif d’insatisfaction, certains parlementaires pourront continuer à exercer leur profession, tandis que d’autres, les « petits nouveaux », ne pourront pas la commencer.

Je suis favorable à la transparence, à une véritable transparence qui informe correctement les citoyens. La publication des anomalies figurant dans les déclarations de situation patrimoniale ou des évolutions injustifiées de patrimoine aurait bien plus permis d’obtenir cette transparence. Le texte qui nous est proposé n’est pas satisfaisant. Aussi, pour ma part, je voterai contre.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Ce texte présente le vice fondamental de confondre la moralisation, une action sur laquelle tout le monde s’accorde, avec l’étalage de la vie privée.

Je considère que les parlementaires, à l’instar de tous les autres citoyens, ont le droit d’avoir une vie privée, sous réserve d’être honnêtes et d’avoir une conduite conforme à la morale. Ce n’est pas en rendant publiques leurs déclarations de situation patrimoniale que l’on va empêcher les élus malhonnêtes de l’être !

Comme je l’ai dit, l’élu corrompu n’inscrira pas dans sa déclaration qu’il est corrompu. De même, l’élu qui place de l’argent au Maroc ou en Suisse – les personnes concernées ont leur pays privilégié – ne le déclarera pas !

C’est partir d’un bon sentiment que de vouloir moraliser la vie publique en demandant une certaine transparence. Toutefois, les mesures qui ont été prises n’apportent strictement rien en la matière. Pis, elles portent une atteinte grave à la vie privée.

Par ailleurs, un certain nombre d’intervenants ont indiqué – c’est ce qui m’a le plus choqué – qu’ils savaient que la solution adoptée par l'Assemblée nationale ne tenait pas : le président de la commission des lois l’a reconnu vendredi soir ; d’autres collègues l’ont répété aujourd'hui.

Par ailleurs, personne ne peut parler au nom des autres. Certains ont affirmé que nous serions tous d'accord. C’est d’autant plus désagréable que, à chaque fois, j'ai explicitement exprimé mon point de vue.

J'ai toujours affirmé que prévoir une sanction pour ceux qui publieraient le patrimoine des élus serait dissuasif. Je ne tiens pas ces propos en l'air, je m’appuie sur ce qui se passe pour l'impôt sur le revenu et l'impôt de solidarité sur la fortune : tout le monde peut se rendre dans les services fiscaux consulter les déclarations de revenus, mais il est interdit de les publier. Les sanctions sont d’ailleurs telles que, depuis cinq ou sept ans que la loi a été votée, personne ne se le permet.

M. Jean Louis Masson. Pourquoi ce dispositif qui est efficace quand il s’agit de l'impôt sur le revenu et de l'impôt de solidarité sur la fortune ne le serait-il pas quand cela concerne le patrimoine des élus ?

Sur ce sujet, chacun peut avoir son avis. Toutefois, la moindre des choses, dans cette enceinte, est de ne pas s’exprimer pas au nom des autres, surtout quand on sait très bien que certains se sont prononcés en sens contraire !

Même s'il repose sur un bon principe, ce projet de loi organique est mal adapté. C’est pourquoi, compte tenu de tous ces éléments, je voterai contre.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes un certain nombre à ne pas être satisfaits de ce texte.

Je commencerai par formuler des observations sur la forme. Le recours à la procédure accélérée, à la mi-juillet, sur un texte aussi important ne me semble pas de bonne pédagogie, madame la ministre.

Certes, je ne l’oublie pas, le vote d’une motion de renvoi à la commission – mais en sommes-nous vraiment responsables ? – a entraîné la suspension de nos travaux pendant deux jours. Les débats ont repris vendredi dernier, dans un hémicycle désert, alors que ce texte aurait dû nous concerner tous.

Eu égard à l'importance qu’il revêt aux yeux de nos concitoyens, ce projet de loi organique aurait dû justifier à lui seul un examen selon la procédure normale. Cela n'aurait pas changé grand-chose au résultat mais nous aurait permis d’adopter un texte convenablement rédigé et d’éviter certains incidents.

Pour ce qui me concerne, j'étais très partagée entre, d'une part, la position portée tout au long de nos débats par Gérard Longuet et par Jean Louis Masson à l'instant, selon laquelle ce texte ferait des parlementaires une catégorie de Français à part, qui doivent absolument tout publier et dont on doit tout savoir, et, d'autre part, la position consistant à considérer que, puisque cela rassurera nos concitoyens, même si cela ne dissuadera ni les fraudeurs, ni les tricheurs, ni les menteurs, il faut publier les déclarations, mais au Journal officiel, dans des conditions normales et sûres. Tel était l'objet de l’amendement n° 122 déposé par Michel Mercier et un certain nombre de membres du groupe UC-UDI.

Je tiens à dire à Mme Assassi que les parlementaires qui ont cosigné cet amendement l’ont fait en toute connaissance de cause et n'y ont pas vu une quelconque manœuvre : ils ne sont pas les supplétifs d’une majorité qui aurait manqué au Sénat. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que la majorité manque ; c’est ce qui explique que nous n’ayons débattu ni du projet de loi de financement de la sécurité sociale ni du projet de loi de finances, et ce n’est absolument pas de la faute du groupe centriste ! En tout état de cause, nous pouvons avoir des convictions sans nous voir qualifiés de supplétifs.

Le débat s'est déroulé de façon peu confortable et peu favorable. Néanmoins, nous sommes un certain nombre à vouloir l’adoption de ce projet de loi organique et du projet de loi ordinaire.

Je le répète, les conditions du débat n'ont été à la hauteur ni des parlementaires ni de l'enjeu. Je doute que ce texte règle quoi que ce soit, d'autant que l'article 1er s’est perdu comme dans le triangle des Bermudes. Je voterai ce projet de loi organique, même si je déplore le déroulement de nos travaux.

Enfin, madame Cukierman, sachez qu'il n'y a de notre part aucune manœuvre pour pallier l’absence de certains membres de votre majorité qui, par ailleurs, s’est ralliée à un texte carencé.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Je partage la position de Mme Goulet, mais je l’exprimerai à ma manière. Il va de soi que ce texte n'est pas celui que nous souhaitions voir mis aux voix à l'issue de nos travaux. Je le voterai malgré tout, car c’est mieux que rien.

Mme Jacqueline Gourault. Je regrette profondément ce qui s'est passé à l'article 1er. Après le vote de l'amendement n° 122, que j’ai cosigné, l'article 1er a été rejeté de façon tout à fait surprenante – peut-être le groupe du RDSE n’y est-il pas étranger... Un certain nombre d'entre nous en sont marris, car le texte que le Sénat va adopter sera malheureusement incomplet et faible.

Le bicamérisme est remis en cause assez souvent pour que nous ne nous employions pas, nous aussi, en permanence à l’affaiblir ! En adoptant des textes incomplets, en en refusant d’autres et, finalement, en donnant toujours le dernier mot à l'Assemblée nationale – sur ce projet de loi organique, celle-ci va naturellement réintroduire toutes les dispositions qu'elle avait votées et qui ne me semblent pas très transparentes –, nous nous affaiblissons collectivement et nous oublions que le Sénat a ses particularismes.

Pour ma part, je combattrai toujours farouchement les réformes qui veulent, par exemple, faire du Sénat une assemblée secondaire ou fusionner la Haute Assemblée avec le Conseil économique, social et environnemental. Je suis une inconditionnelle du bicamérisme et je le défendrai toujours.

Madame Cukierman, je discute avec tout le monde ici, et cela ne me pose aucun problème. Vous trouvez normal que l’on parle avec vous, mais suspect que l’on s’adresse à d’autres. C’est quelque peu agaçant ! Tout le monde est libre.

Lorsque des textes ont été rejetés grâce aux voix du CRC et de l'UMP, nous n’avons pas fait de commentaire ni évoqué de collusion entre les deux groupes. Il faut donc faire preuve de mesure dans ses propos.

Ce texte touche directement à nos valeurs : il s'agit donc pour nous de les défendre. Vous savez que je suis très proche de François Bayrou, qui a fait de la transparence l'un de ses combats permanents. J'appartiens à une famille politique qui s'honorerait d'être la plus transparente possible. Tout ce qui affaiblit ma famille politique et le Sénat m’est profondément insupportable.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'examen de ce projet de loi organique aura, du début à la fin, été rocambolesque.

L'initiative de cette réforme l’était déjà. Sans l’affaire Cahuzac, qui a révélé qu'un pilier important du Gouvernement était à la fois un grand fraudeur et un grand menteur, nous n’aurions jamais eu à débattre d’un tel texte dans cette assemblée.

Je rappelle aussi que nous avons commencé la discussion de ce texte le mardi matin de la semaine dernière. Le soir même, il était renvoyé à la commission, puis rejeté par la commission qui l’avait pourtant élaboré. Un nouveau texte nous était soumis vendredi, journée au cours de laquelle quatre ministres se sont succédé au banc du Gouvernement. Voilà qui est pour le moins inhabituel !

Après que nous avons consacré quasiment toute la journée à examiner l'article 1er et à l'amender en profondeur, cette disposition a été rejetée. Beaucoup se demandent encore pourquoi.

M. Hervé Maurey. C'est très simple, pourtant !

Le groupe socialiste et le président de la commission des lois n'ont pas voulu voir que les dispositions de l’amendement cosigné non par certains membres du groupe de l’UC-UDI, mais par le groupe tout entier, rassemblaient une majorité de substitution. Cet amendement, identique d'ailleurs à un amendement du groupe du RDSE, visait à remplacer la publicité ou la publication du patrimoine par un contrôle de l'évaluation de ce dernier.

Ce qui importe, en effet, mes chers collègues, c'est de savoir comment évolue le patrimoine au cours du mandat. Le patrimoine en tant que tel n'a aucun intérêt, sauf si l'on est un voyeur, et je reviendrai sur ce point. Ce n'est pas parce que vous avez un patrimoine que celui-ci est mal acquis et que vous êtes malhonnête.

Tout au long de la journée de vendredi dernier, le groupe socialiste et la commission des lois ont tout fait pour empêcher que l'on débatte de cet amendement. L'amendement du groupe socialiste a été appelé en priorité et un sous-amendement a été déclaré irrecevable, alors que le scrutin avait été ouvert. C’était du jamais vu !

M. Gérard Longuet. Exactement !

M. Hervé Maurey. Or les dispositions de l’amendement du groupe centriste auraient rassemblé la majorité du Sénat, car l'UMP, l’UC-UDI et le RDSE les auraient votés, et le projet de loi organique sur lequel nous allons nous prononcer aurait eu un article 1er. Nous nous retrouvons finalement avec un texte amputé.

Je suis tout à fait favorable au contrôle sur le patrimoine. Cette position ne date pas d'aujourd'hui : je l'ai formulée dans un débat de 2011, lorsque nous avons transformé en délit toute déclaration volontaire d’un patrimoine sous-évalué. À l'époque, j'avais même demandé que soit prévue une peine de prison et que davantage de moyens de contrôle et de vérification des patrimoines soient octroyés à la Commission pour la transparence financière de la vie politique.

J’appelais alors à ne pas confondre transparence et voyeurisme. Cette mise en garde est malheureusement toujours d'actualité, car ce que veulent le Gouvernement et la majorité du Sénat, c'est le voyeurisme, c'est qu'on livre en pâture le patrimoine des élus, en violation de leur vie privée et de celle de leur famille.

Je suis favorable à une amélioration du dispositif actuel. Par ailleurs, je ne suis pas contre ce texte, qui a été vidé de sa substance, même si je n’oublie pas son origine, qui est avant toute une opération de diversion.

Par conséquent, avec un grand nombre de mes collègues, je m'abstiendrai sur ce projet de loi organique.

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, M. Maurey vient de conclure son intervention en parlant d'opération de diversion. Avant lui, d’autres ont évoqué un texte de circonstance.

Comme je l’ai souligné dès la discussion générale, mardi dernier, c’est bien d'un texte de circonstance qu’il s’agit. Toutefois, il en est ainsi de tous les textes de moralisation de la vie politique, sans exception ! Et c'est se tromper que de penser qu'un texte né de la circonstance ne répond pas à une question de fond.

L’histoire montre que, en matière de financement politique et de lutte contre la corruption, il a fallu à chaque fois un élément déclencheur. En l’espèce, au-delà des circonstances, la question de fond n'est pas nouvelle. Je le répète, elle date de plusieurs années.

Chers collègues de l’opposition, comment pouvez-vous oublier que vous aviez vous-mêmes mis en chantier un certain nombre de textes après les scandales Woerth-Bettencourt ?

M. Gérard Longuet. Quels scandales ?

M. Alain Anziani. Le gouvernement Fillon avait lui-même préparé un projet de loi sur la déontologie. La différence, c'est que ce texte a été immédiatement remisé dans les tiroirs, alors que nous avons mis le nôtre sur la table ; d'où le débat qui nous occupe aujourd'hui.

Cette question n'est donc pas nouvelle. Ce qui m'inquiète un peu, c'est que vous prétendiez que le sujet n’a rien à voir avec une quelconque méfiance de l'opinion à notre égard. Il y a bien pourtant, mes chers collègues, une défiance de l'opinion publique envers ses élus, en particulier ses parlementaires.

Si nous nions cette réalité, d'autres que nous en tireront profit. Le Front national pourra nous dire un grand merci : il continuera à affirmer que nous n'avons rien compris et engrangera les bénéfices du mécontentement.

Oui, les Français font preuve de défiance envers leurs élus ! Les intentions de vote le montrent ; les chiffres de l’abstention le montrent ; les sondages le montrent ; les conversations sur le terrain en attestent.

Cette interrogation profonde de nos concitoyens à l’égard de leur démocratie étant actée, il nous fallait lui apporter une réponse. La nôtre se résume en un mot : transparence. Ce n'est pas une réponse suffisante, je vous l'accorde, chers collègues, mais c'est une réponse nécessaire.

Je suis d’ailleurs prêt à parier que, dans les années qui viennent, d'autres textes sur la transparence verront le jour, tout comme il y eut plusieurs textes successifs sur le financement de la vie politique. Néanmoins, comme dans ce dernier cas, ce projet de loi restera un texte majeur, même si le Sénat l'a vidé d’une partie de sa substance.

Nous avons confirmé dans la loi la transparence de nos intérêts – les sénateurs publient déjà leurs déclarations d'activité et d’intérêts –, et c'est une bonne chose. Nous avons – enfin ! – acté un principe de transparence de la réserve parlementaire, en sachant de surcroît nous retrouver autour de cette disposition, votée à la quasi-unanimité de notre assemblée.

Malheureusement, nous n'avons accepté qu’une transparence minimale de notre patrimoine, qui sera vraisemblablement insuffisante. Jean-Pierre Sueur et beaucoup d'autres l'ont dit : la solution retenue ne pourra pas être mise en œuvre et devra, un jour ou l'autre, évoluer.

Quoi qu'il en soit, le groupe socialiste votera ce texte. Je comprends les questions qu'il a pu susciter. Je salue nos amis communistes et verts, qui voteront ce projet de loi à nos côtés. Nos trois groupes ne formant toutefois pas une majorité, nous serions évidemment heureux d’être rejoints par d'autres collègues. Je remercie ceux qui se sont manifestés en ce sens. D'autres, étrangement, alors même qu’ils avaient signé un amendement dont les dispositions allaient dans la même direction, n’étaient plus là au moment de le voter…

Mme Nathalie Goulet. C'est le triangle des Bermudes !

M. Alain Anziani. C’est l’un des grands mystères de la démocratie parlementaire.

M. Jean-Jacques Hyest. Il n'y a pas que les dispositions de l'amendement dans l'article !

M. Alain Anziani. Quoi qu'il en soit, ce jour restera important. On ne peut pas réaliser la transparence en demi-teinte, en clair-obscur. Si l’on veut la transparence, il faut la réaliser franchement ; seul le résultat nous intéresse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. La loi de 1988 a maintenant un quart de siècle et il est bien naturel que l'on s'interroge sur la possibilité d'en améliorer l'efficacité.

En effet, son bilan indique que les moyens d'action qui ont été attribués à la Commission pour la transparence financière de la vie politique n'ont pas permis de faire toute la lumière sur un certain nombre d'enrichissements, dont la commission a elle-même relevé qu'ils étaient inexpliqués.

Lorsque la commission a transmis au parquet ces dossiers, il est exact que ce dernier n'a pu, sur la base des éléments qui lui avaient été communiqués, engager de poursuites, même si, par ailleurs, les personnalités qui ont fait l'objet de ces transmissions ont souvent été poursuivies devant les tribunaux pour d'autres motifs.

On peut dès lors comprendre que cette loi de 1988 suscite aujourd’hui des interrogations. Je rappelle incidemment que l'initiative en revient au Premier ministre de l’époque, Jacques Chirac, et que l'opposition alors ne l’avait pas votée. Toutefois, celle-ci a bien évidemment le droit de considérer aujourd’hui cette loi comme un texte fondateur, qu’il convient sans doute de revisiter.

Revisiter ce dispositif, c'est précisément la tâche à laquelle s’est attelé, voilà deux ans, le groupe de travail sur les conflits d’intérêts présidé par Jean-Jacques Hyest, alors président de la commission des lois. Ce groupe de travail, composé de représentants de tous les groupes politiques du Sénat, a adopté dans son rapport un certain nombre de recommandations, pour la plupart excellentes.

Je veux bien que nous tâchions de nous abstraire des conditions dans lesquelles la préparation de ce texte a été enclenchée par le Président de la République pour discuter du fond, en ayant à l’esprit le seul intérêt de la progression de la transparence de la vie publique et de la confiance de nos concitoyens à dans les responsables politiques qu’ils ont eux-mêmes désignés.

Relevons tout de même que, dans sa déclaration du 3 avril dernier, le Président de la République n'a pas trouvé de mots assez forts pour fustiger le comportement de son ex-ministre du budget : « Stupéfaction », « colère », « tromperie », « faute impardonnable », « outrage fait à la République », « faits intolérables », « choc », « grave manquement à la morale républicaine »…

Or il s’agissait des actes d'un ministre, et voici que nous discutons d'un texte qui concerne tous les responsables politiques, si bien que les collègues qui ont interprété ce projet de loi comme une façon d’éloigner l'œil du cyclone de l'exécutif ont vu juste, selon moi, même si l’on ne peut se contenter de cet argument.

Acceptons de ne pas voir seulement ce texte comme un leurre destiné à détourner l'attention d'une fraude fiscale commise par un ministre et à faire peser sur l'ensemble des responsables politiques une sorte de culpabilité en raison de la faute commise par l’un des leurs ; il n’en comporte pas moins, peut-être en raison de son improvisation, de nombreuses insuffisances, qui expliquent le rejet de son article 1er.

Toutefois, dès lors que cet article 1er est tombé, il ne reste plus dans le texte que les deux points dont nous débattons aujourd'hui, à savoir la transparence de la réserve parlementaire et les incompatibilités.

La transparence de la réserve était facile à réaliser : elle ne gêne en réalité personne et ne met pas en jeu des sommes qui figurent dans les comptes personnels des parlementaires, puisqu’il s’agit en réalité de crédits du ministère de l'intérieur, que les parlementaires se bornent à affecter à un certain nombre d'opérations d'investissements des collectivités locales.

En revanche, s’agissant des incompatibilités, il me semble que le texte fait fausse route. Il prend en tout cas le risque de l’inconstitutionnalité en décidant par principe que toute activité nouvelle sera interdite. Le renversement du principe de la liberté d'exercer, à titre secondaire et accessoire, des activités professionnelles, sauf celles qui doivent par nature être interdites, va beaucoup trop loin. Il me semble même que cette disposition est de nature à créer une inégalité fondamentale entre parlementaires, voire entre citoyens. En effet, ce n’est plus la nature de l'activité qui est visée, mais la date à laquelle elle est entreprise.

Il me semble que le Conseil constitutionnel ne manquera pas, s'il en est saisi – il le sera nécessairement si le texte est adopté, puisqu’il s'agit d'une loi organique –, de censurer une disposition qui porte atteinte de façon disproportionnée à la liberté d'exercice d'une activité professionnelle, alors même que l'incompatibilité a pour seul objectif de protéger l'indépendance du parlementaire. Or toute activité professionnelle commencée après le début du mandat n'a pas ipso facto pour effet de mettre en péril cette indépendance.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe UMP ne pourra pas voter ce texte. Je ne pourrais pas le voter non plus, non seulement comme membre du groupe UMP, mais aussi en tant que sénateur de la Manche, soucieux des progrès de la démocratie, mais désireux de ne pas être dupe d'un certain nombre de dispositions qui ne me paraissent pas de nature à faire progresser celle-ci.