compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

M. Jean Boyer,

M. François Fortassin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décès d'un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Paul Robert, qui fut sénateur du Cantal de 1980 à 1989.

3

Scrutins pour l’élection de représentants à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

M. le président. L’ordre du jour appelle les scrutins pour l’élection d’un membre titulaire représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en remplacement de Jean Louis Lorrain, décédé, et pour l’élection d’un membre suppléant pour représenter la France au sein de cette assemblée, en remplacement de M. Bernard Fournier.

En application des articles 2 et 3 de la loi n° 49 984 du 23 juillet 1949, la majorité absolue des votants est requise pour ces élections.

Il va être procédé à ces scrutins dans la salle des conférences, en application de l’article 61 du règlement.

J’ai été saisi de la candidature de :

- M. Bernard Fournier, pour siéger comme membre titulaire ;

- M. André Reichardt, pour siéger comme membre suppléant.

Je prie MM. Jean Boyer et François Fortassin, secrétaires du Sénat, de bien vouloir présider le bureau de vote. Ils seront assistés de MM. Gérard Le Cam et Alain Dufaut comme scrutateurs.

Je déclare le scrutin ouvert.

Je vous indique que, pour être valables, les bulletins de vote ne doivent pas comporter plus d’un nom comme membre titulaire et plus d’un nom comme membre suppléant, sous peine de nullité.

Ce scrutin sera clos dans une heure.

4

Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le mandat de représentant au Parlement européen

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (projet n° 734, résultat des travaux de la commission n° 834, rapport n° 832) et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (projet n° 733, résultat des travaux de la commission n° 833, rapport n° 832).

La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.

 
 
 

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, souvent, trop souvent, des voix se font entendre pour critiquer, mettre en cause ou caricaturer les élus. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

MM. Gérard Larcher, Henri de Raincourt et Alain Gournac. Ça, c’est vrai !

M. Manuel Valls, ministre. Ils seraient « trop nombreux », ils « coûteraient trop cher », ils « n’agiraient pas assez », ils seraient « incapables d’entendre », de « comprendre les attentes des citoyens » et d’y répondre.

Ce faux procès, ce procès injustifié que l’on fait aux élus de la République, nous ne l’acceptons pas, je ne l’accepte pas. Et jamais nous ne devons nous résoudre à l’accepter. Il nous faut donc nécessairement agir, et agir ensemble !

La démocratie n’existe pas sans ses élus. Elle n’existe pas sans ses parlementaires ni sans ses élus locaux.

La démocratie, c’est ce lien de confiance, ce contrat qui unit, qui doit unir, à tous les niveaux, les citoyens à ceux et à celles qui ont la charge de les représenter et de veiller au destin de la collectivité.

La démocratie, c’est l’expression de la volonté du peuple, dont les élus sont les porteurs, cette volonté dont parlait Mirabeau, à laquelle on ne peut rien opposer de plus grand, de plus fort, de plus juste.

Notre démocratie, cette magnifique redécouverte de l’Antiquité par la modernité, s’est construite pas à pas. Elle a su s’imposer. Mais elle a su aussi évoluer, s’adapter.

J’ai l’honneur d’être aujourd’hui devant vous pour vous présenter, après son examen et son adoption par l’Assemblée nationale, un projet de loi qui fera date.

M. Jacques Mézard. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Manuel Valls, ministre. Oui, il fera date !

En mettant un terme aux possibilités de cumul entre les fonctions exécutives locales et le mandat de député ou de sénateur, il viendra profondément renouveler le fonctionnement de nos institutions et de nos pratiques politiques.

Ce projet de loi constitue une véritable avancée démocratique. C’est le mérite de la démocratie, autant que son devoir, de toujours veiller à avancer, à améliorer son fonctionnement, à approfondir le lien qui existe entre les élus et les citoyens.

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que ce lien peut prendre plusieurs formes. Il existe notamment dans les territoires, au travers des collectivités locales. Dans le cadre de mes fonctions, j’ai l’occasion de rencontrer très régulièrement des élus locaux sur le terrain. Nombre d’entre vous le sont eux-mêmes. Je sais combien, quelle que soit leur sensibilité, les élus locaux sont dévoués et donnent de leur temps et de leur énergie au service de l’intérêt général.

Je les rencontre notamment dans des situations où il faut faire face aux difficultés ou à l’adversité. Ce fut le cas, par exemple, en juin dernier, en Haute-Garonne et dans les Hautes-Pyrénées, à la suite des inondations qui ont frappé ces deux départements. Dans les campagnes, dans les villages, dans les bourgs, alors que les équipes de secours étaient mobilisées, les élus locaux étaient là, au côté des populations, pour aider, pour parer au plus pressé. Je pourrais évidemment citer maints autres exemples.

Être élu local, de sa commune, de son canton, de son département, de sa région, c’est être à l’écoute de la collectivité qui vous a accordé sa confiance. C’est gérer le quotidien tout en préparant l’avenir. Moi-même, élu local depuis vingt-cinq ans, je sais le degré d’exigence que revêtent de telles missions.

Gérer le quotidien, c’est s’occuper des cantines scolaires, veiller à la tranquillité publique, répartir les créneaux sportifs ou encore résoudre des problèmes de voirie ou d’assainissement.

Préparer l’avenir, c’est se mobiliser pour le développement économique, travailler à l’attractivité d’un territoire, le doter des équipements publics, scolaires, sanitaires, et des infrastructures adaptés.

Je veux rendre un hommage tout particulier aux maires des petites communes, qui portent souvent sur leurs épaules le poids de lourdes responsabilités, qu’ils assument la plupart du temps à titre bénévole ou presque, et en plus de leur activité professionnelle.

Je ne supporte pas cette démagogie qui vise nos élus locaux. De même, je n’admets pas les attaques qui visent le Parlement.

M. Jacques Mézard. Tiens donc !

M. Manuel Valls, ministre. Faire la loi, contrôler l’action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques sont des missions essentielles pour notre démocratie, un système qui s’appuie sur cet équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le travail parlementaire, que l’on appartienne à la majorité ou à l’opposition, implique investissement, rigueur, connaissance approfondie des enjeux.

Le Parlement n’est pas seulement le lieu d’interpellation du pouvoir exécutif. C’est un lieu de réflexion, de discussion, de prise en compte des points de vue, de tous les points de vue. C’est le lieu de la construction patiente de nos lois, des lois qui doivent tout prévoir, tout envisager. C’est le lieu de l’édification, de la concrétisation de la volonté générale.

La démocratie a besoin de ses élus, de tous ses élus. En dépit de la défiance, les Français le savent bien, ils ont besoin de leurs élus.

La démocratie, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la confiance : confiance dans les institutions ; confiance dans des élus présents, dévoués et qui respectent leurs engagements.

Alors, comment fermer les yeux sur cette crise de confiance qui touche nos concitoyens ? Comment l’ignorer ? Ils doutent de la capacité de la politique à avoir une emprise sur le destin collectif, ils doutent de la capacité de leurs élus à agir.

M. Jacques Mézard. Mais Cahuzac, c’est vous !

M. Manuel Valls, ministre. Il nous appartient à tous de répondre à cette crise de confiance, et d’y répondre en réformant nos institutions, comme cela a déjà été fait par le passé. C’est ce que nous faisons avec ce projet de loi, qui constitue, oui, une véritable révolution démocratique.

M. Jacques Mézard. Une révolution ne se fait pas à la sauvette et en catimini !

M. Manuel Valls, ministre. J’ai bien conscience que toute avancée, si elle est trop brusque, peut être déroutante. Mais cette avancée démocratique que nous proposons n’est en rien brutale. Elle ne constitue pas une surprise. Elle est la traduction du quarante-huitième engagement de campagne, d’un engagement fort, du Président de la République.

M. Alain Gournac. Il en a pris d’autres !

M. Christian Cambon. Qu’il commence par tenir les quarante-sept premiers !

M. Manuel Valls, ministre. Elle a l’assentiment de nos concitoyens, qui l’attendent ! (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jackie Pierre. Ils attendent surtout du boulot ! 

M. Manuel Valls, ministre. D’ailleurs, le Président de la République sortant s’était lui-même avancé sur cette voie.

Nos concitoyens attendent des actes conformes à ce que Pierre Mendès-France appelait le « contrat de législature », gage d’une République moderne.

Oui, c’est vers une République moderne que nous voulons aller, une République qui décide d’en finir avec une spécificité française, le cumul, une spécificité qui, au fil du temps, est devenue une singularité. (M. Pierre Charon s’exclame.)

Vous ne manquerez pas de rappeler que, comme d’autres, j’ai cumulé. (Oui ! sur les travées de l’UMP.) Vous allez exhumer des textes, des citations, des propos tenus, des articles. Monsieur le président Mézard, je vous vois prêt à bondir ! (Il n’a rien dit ! sur les travées de l'UMP.)

M. Jackie Pierre. Il aura raison !

M. Manuel Valls, ministre. Rien ne m’enlèvera la fierté que j’ai de porter aujourd’hui ce texte et de concrétiser l’engagement pris par François Hollande devant les Français.

MM. Alain Gournac et Christian Cambon. Il en a pris d’autres !

M. Manuel Valls, ministre. Cet engagement est le fruit d’une réflexion à laquelle, comme d’autres, j’ai contribué, modestement. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) En effet, j’avais été chargé par ma formation politique, en février 2011, d’un rapport sur la modernisation de nos institutions. J’ai fait dix propositions, dont la première était l’interdiction du cumul d’un mandat parlementaire et d’un mandat au sein d’un exécutif local. (Mme Gisèle Printz applaudit.)

M. Jean-Claude Gaudin. C’est une stupidité !

M. Manuel Valls, ministre. Cette proposition, qui avait déjà été adoptée, a été confirmée par le vote des militants de ma formation politique. (Et alors ? sur les travées de l'UMP.)

Dans vos argumentaires, vous citerez sans doute le Président de la République,…

M. Manuel Valls, ministre. … peut-être le Premier ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Vous ne manquerez pas d’évoquer le cas de l’ancien président du conseil général de la Corrèze et ses positions passées.

Ce que François Hollande souhaitait, à l’époque du débat au sein de notre formation politique, c’était que cette disposition du non-cumul s’applique à tous, par la loi, et pas à un seul parti. C’est ce que nous faisons aujourd’hui.

M. Manuel Valls, ministre. Cette avancée s’inscrit par ailleurs, de manière cohérente, dans un mouvement d’ensemble mis en œuvre par le Gouvernement, avec le soutien de la majorité. Il s’est traduit, ces derniers mois, par l’instauration de la parité pour l’élection des conseillers départementaux (Ah oui ! Parlons-en ! sur les travées de l'UMP.),… par l’extension du scrutin de liste pour les communes de plus de 1000 habitants – vous y avez contribué – (Pas nous ! sur les travées de l'UMP.),…

M. Francis Delattre. Vous êtes le chef-charcutier !

M. Henri de Raincourt. C’est une catastrophe !

M. Manuel Valls, ministre. …. par l’élection directe des conseillers intercommunaux, par l’extension, enfin, du scrutin proportionnelle aux élections sénatoriales, adoptée par la majorité sénatoriale. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

Un sénateur du groupe UMP. Tripatouillages !

M. Manuel Valls, ministre. Ce doit être un spécialiste qui a parlé ! (Rires et applaudissements sur les mêmes travées.)

Être fidèle à la République et à ses traditions, ce n’est pas regarder vers un passé fantasmé ; ce n’est pas s’arc-bouter sur des pratiques devenues obsolètes. Du reste, on cumulait moins sous la IIIe et la IVe République...

Non, être fidèle à la République, c’est regarder vers l’avenir, adapter sans cesse les institutions à la modernité.

En 2008, au Congrès, il s’est même trouvé une majorité qualifiée, comprenant des parlementaires de gauche, pour adopter la réforme constitutionnelle présentée alors par le président Nicolas Sarkozy.

C’est la tâche à laquelle je m’attelle, dans tous les domaines, depuis mon arrivée au ministère de l’intérieur. Au cours des derniers mois, nos institutions se sont réformées, et nous franchissons aujourd’hui une nouvelle étape.

J’ajoute que l’interdiction du cumul a été préparée par deux lois antérieures, les lois organiques du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000, qui, portées par des majorités de gauche, ont limité les possibilités de cumul.

De la limitation, nous devons passer à l’interdiction.

M. Jacques Mézard. Et aussi pour Mme Aubry !

M. Manuel Valls, ministre. Cette avancée démocratique est aussi le prolongement logique de trente ans de lois de décentralisation qui ont affirmé et la place et le rôle des collectivités territoriales dans notre paysage institutionnel. Avec ces lois, auxquelles ont contribué différentes majorités, être membre d’un exécutif local, c’est assumer des responsabilités de plus en plus complexes, de plus en plus prenantes.

Être maire, être président ou vice-président d’une assemblée départementale ou régionale, c’est nécessairement se trouver, de manière continue, au contact de la collectivité dont on a la charge. Ce sont des missions qui mobilisent à plein temps.

De même, et plus encore depuis la réforme constitutionnelle de 2008 – c’est la raison pour laquelle j’y ai fait allusion –, le mandat national de député et de sénateur est devenu, vous le savez parfaitement, plus exigeant encore.

Nous devons prendre acte de cette réalité. Elle s’impose à nous : être parlementaire et membre d’un exécutif local, c’est exercer des fonctions qui ne sont plus superposables.

M. Éric Doligé. Vous êtes le seul à le croire ici !

M. Manuel Valls, ministre. Le faire, c’est au mieux déléguer, le plus souvent à l’administration, au pire survoler !

MM. Gérard Cornu et Francis Delattre. Parlez pour vous !

M. Manuel Valls, ministre. Et l’on ne peut se satisfaire de cela. Les citoyens, de toute sensibilité politique, le disent clairement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose une avancée pour notre démocratie, pour la Ve République.

M. Éric Doligé. Des mots !

M. Manuel Valls, ministre. Le mouvement a été amorcé par l’Assemblée nationale, qui, en première lecture, à la surprise de nombreuses personnes d’ailleurs, ici notamment, a adopté ce texte par 300 voix.

M. Jacques Mézard. Avec des pressions, des menaces !

M. Manuel Valls, ministre. Vous le prouverez, alors !

M. Jacques Mézard. Il y a des comptes rendus !

M. Manuel Valls, ministre. Ce mouvement est inéluctable.

L’Assemblée nationale a d’ailleurs enrichi ce texte ; elle l’a même parfois durci. Je pense à l’extension du principe de non-cumul aux fonctions dérivées du mandat local, qu’il s’agisse des EPCI sans fiscalité propre, des syndicats mixtes, des établissements publics locaux, des sociétés d’économie mixte locales, des sociétés publiques locales ou encore des organes de gestion de la fonction publique territoriale. Je vous le dis, car certains ne semblent pas avoir lu le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale ! (Si ! sur les travées de l'UMP.)

M. André Reichardt. Bien sûr que nous l’avons lu !

M. Manuel Valls, ministre. Eh bien, vous avez bien fait ! (Vives exclamations sur les mêmes travées.)

M. Christian Cambon. C’est incroyable !

M. Alain Gournac. Quelle arrogance !

M. Manuel Valls, ministre. Je vous trouve en pleine forme… Cela augure bien de notre discussion !

Avec le débat que nous ouvrons aujourd’hui, le Sénat a l’occasion de prendre toute sa part à ce mouvement. Il a l’opportunité de poursuivre son œuvre décentralisatrice, en dotant notre pays d’élus locaux à plein temps, et d’affirmer de nouveau la place de la chambre haute dans les institutions de notre République. (Rires sur les mêmes travées.)

M. Henri de Raincourt. Elle est bien bonne celle-là !

M. Alain Gournac. C’est la meilleure !

M. Manuel Valls, ministre. Saisir cette occasion, c’est faire preuve de courage ! C’est, j’en ai bien conscience, dépasser des réticences. C’est aussi éviter un certain nombre de pièges et renoncer à certaines illusions.

La première de ces illusions…

M. Jacques Mézard. On n’en a plus depuis un an !

M. Manuel Valls, ministre. … serait de croire que nous pouvons encore repousser ce débat.

Je l’ai dit, cette réforme est attendue par nos concitoyens. (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. Bruno Sido. Ce n’est pas vrai !

M. Manuel Valls, ministre. Pour beaucoup, nous n’avons que trop tardé. Je sais que certains parmi vous souhaiteraient que nous attendions encore. Mais cela n’est plus possible.

M. Alain Gournac. Baissez plutôt les impôts !

M. Francis Delattre. Créez des emplois !

M. Manuel Valls, ministre. Ce texte, vous le connaissez ; vous avez pu y travailler.

Présenté en conseil des ministres le 3 avril dernier,…

M. Manuel Valls, ministre. … il a été examiné par l’Assemblée nationale au début du mois de juillet.

M. Christian Cambon. Et alors ?...

M. Manuel Valls, ministre. Surtout, vous le connaissez – c’est la procédure normale –, car le Sénat a déjà eu l’occasion de se prononcer sur son contenu, à tout le moins sur une version proche.

En effet, le 28 octobre 2010,…

M. Manuel Valls, ministre. … le Sénat décidait – déjà ! – de renvoyer en commission la proposition de loi organique présentée par Jean-Pierre Bel, qui n’était pas encore, alors, président de cette assemblée.

Comme le texte d’aujourd’hui, celui d’hier visait à interdire le cumul du mandat parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale.

Comme aujourd’hui, certains estimaient déjà que le plus urgent était d’attendre, invoquant une prochaine étape de la décentralisation, un futur statut de l’élu,…

M. Jacques Mézard. Où est-il ?

M. Manuel Valls, ministre. … voire une réforme constitutionnelle.

Pour ma part, je crois que cette réforme est justement une clé pour faire évoluer à terme nos institutions et nos pratiques.

M. Éric Doligé. C’est un leurre !

M. Manuel Valls, ministre. Vous me direz, comme certains l’ont fait hier, qu’il faut que tout change. Mais cela revient à dire qu’il faut que rien ne change !

En 2010, en défendant une motion tendant au renvoi à la commission, le doyen Gélard estimait que le Sénat devait « approfondir sa réflexion »…

M. Manuel Valls, ministre. … sur un texte qu’il jugeait « intéressant ». Je crains que nous n’entendions les mêmes propos au cours de ce débat. Pourtant, le Sénat a, me semble-t-il, approfondi sa réflexion. Il a eu le temps nécessaire pour le faire.

Comme toujours, vos travaux ont été placés sous le signe du sérieux, de l’approfondissement. (Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.) Je pense notamment au rapport d’information de vos collègues François-Noël Buffet et Georges Labazée. Le titre qu’ils ont donné à leur travail résume d’ailleurs bien les enjeux dont nous aurons à parler au cours de nos débats : oui, les mandats locaux seront bien valorisés par le non-cumul.

Lors de l’élaboration de ce projet de loi, nous avons débattu de la date de son application. Vous n’ignorez pas que des voix se sont élevées – elles vont sans doute se faire encore entendre – pour une application de la loi dès sa promulgation. J’ai personnellement souhaité, pour des raisons politiques et juridiques, que cette mise en œuvre n’intervienne qu’à compter de 2017, après le renouvellement de l’Assemblée nationale.

S’agissant des raisons juridiques, nous ne faisons que suivre la recommandation pertinente du Conseil d’État. La formule qui vous est proposée garantit l’exercice du droit de suffrage, assure la continuité du fonctionnement des assemblées et évite tout risque de rétroactivité.

Mais il y a aussi une raison politique : il est essentiel de laisser à chacun le temps de réfléchir, de prévoir et de s’organiser.

La deuxième illusion dangereuse est l’idée selon laquelle le Sénat devrait faire l’objet d’un traitement différencié.

J’ai pris connaissance avec attention des amendements déposés par une majorité d’entre vous. Nous allons en débattre : certains voudront exclure les sénateurs des règles de non-cumul, tandis que d’autres, sur des travées différentes, proposeront divers seuils de population.

Je dois vous le dire d’emblée : non seulement le Gouvernement s’opposera à ces amendements – bien sûr, le Sénat est souverain dans ses choix ! – mais il est totalement déterminé à préserver l’équilibre de ce texte jusqu’au bout.

M. Joël Guerriau. Quel équilibre ?

M. Manuel Valls, ministre. Je parlais d’illusion. Il est en effet illusoire de croire que le Sénat puisse s’exonérer d’un mouvement de fond, qu’il puisse, seul, continuer de vivre sur des règles du passé.

M. Alain Gournac. Caricature !

M. Manuel Valls, ministre. Je le répète, cela ne serait pas compris par nos concitoyens et, je vous le dis sincèrement, mesdames, messieurs les sénateurs, cela serait également néfaste pour le Sénat lui-même.

M. Francis Delattre. Il en a vu d’autres !

M. Manuel Valls, ministre. Nous le répéterons sans doute souvent au cours de nos discussions : le Sénat représente les collectivités locales de la République.

M. Alain Gournac. Exactement ! Mais cela ne va pas durer !

M. Manuel Valls, ministre. C’est la lettre de l’article 24 de la Constitution. C’est aussi l’un des fondements de notre République, et j’y serai fidèle.

Il n’en demeure pas moins que représenter les collectivités territoriales, vous le savez parfaitement, ce n’est pas nécessairement en diriger une. En droit, le Conseil constitutionnel a, me semble-t-il, déjà tranché cette question. Sa jurisprudence sur ce point est claire : la représentation des collectivités s’exerce par le collège électoral des sénateurs, composé « essentiellement » d’élus locaux, pas par l’exercice d’un mandat ou d’une fonction.

Surtout, nous devons penser à la place du Sénat dans nos institutions.

Le Sénat français – je pense que vous êtes attachés à ce principe ! –, n’est pas le Bundesrat allemand ; il n’est pas la seconde chambre d’un régime fédéral ; il est la chambre haute d’une République décentralisée, comme l’a souhaité l’un des vôtres.

M. Michel Mercier. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. La différence est de taille ! C’est sur cette idée que se fonde la conception républicaine du Sénat. C’est à partir de cette idée que le Sénat a pu, progressivement, exercer des prérogatives parlementaires proches de celles de l’Assemblée nationale.

Différencier, pour la première fois dans l’histoire de la République,…

M. Manuel Valls, ministre. … de la Ve République,…

M. Manuel Valls, ministre. … le régime des incompatibilités applicables aux députés et sénateurs, faire du seul Sénat une chambre d’élus locaux reviendrait précisément à battre en brèche ce principe.

Ce serait remettre en cause le bicamérisme équilibré à la française. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. N’importe quoi !

M. Manuel Valls, ministre. À terme, ce serait sans doute renoncer à la plénitude de la compétence législative du Sénat.

Pour mémoire, je vous rappelle que le Bundesrat allemand n’examine qu’un tiers environ des textes fédéraux. Je ne pense pas que telle soit votre ambition pour le Sénat…

Vous commettriez une erreur, mesdames, messieurs les sénateurs, à considérer que le texte présenté par le Gouvernement affaiblit le Sénat.

Vous le savez parfaitement, ce texte sera adopté en dernière lecture par l'Assemblée nationale, selon les principes et les équilibres qui vous sont proposés ! (Vives protestations sur les mêmes travées.)

M. Francis Delattre. Gardez votre calme, monsieur le ministre !

M. Manuel Valls, ministre. C’est pour cette raison que vous devez accompagner ce texte. Quel que soit le vote qui sera le vôtre, ce texte sera adopté par le Parlement, et il renforce le Sénat ! (Hourvari sur les mêmes travées.)

M. Alain Gournac. On n’est pas au congrès du PS !

M. Manuel Valls, ministre. Troisième illusion : adopter le non-cumul…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Arrêtez !

M. Manuel Valls, ministre. S’il vous plaît ! Nous aurons un débat. Je vous écouterai avec toute l’attention nécessaire au cours de la discussion générale. Non seulement j’y prendrai plaisir, mais j’écouterai avec intérêt vos analyses, vos arguments et vos propositions.

Adopter le non-cumul, disais-je, reviendrait à préparer la voie à des élus coupés des réalités (Tollé sur les travées de l’UMP.), à ceux que certains se plaisent à appeler des « apparatchiks ». (Eh oui ! sur les mêmes travées)

M. Gérard Larcher. Sans aucun doute ! C’est vous !

M. Manuel Valls, ministre. Je n’aime pas ce mot : il dévalorise la fonction d’élu et le choix des citoyens, ainsi que le choix des élus qui élisent les sénateurs. Et puis, que sont les apparatchiks ? Qu’on me le dise !

M. Jean-Claude Gaudin. Harlem Désir ! (Rires sur les mêmes travées.)