M. Gérard Longuet. Excellent !

M. François Zocchetto. « Autrement dit, cette thèse soulève une question en quelque sorte préjudicielle à la fin du cumul des mandats : "vous ne pouvez pas supprimer le cumul des mandats si vous maintenez le système institutionnel actuel, car vous allez forcément aboutir à un renforcement de la toute-puissance présidentielle." » (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Nous ne pourrions pas mieux dire que ces auteurs très inspirés !

Au-delà de notre groupe, le Sénat est prêt à débattre de la question du cumul des mandats. Il l’a d’ailleurs fait à de nombreuses reprises, car nous savons bien que c’est l’avenir du Parlement et de notre assemblée qui est en jeu.

Votre projet, monsieur le ministre, n’est qu’une simple mise à jour qui ne va pas au fond des problèmes.

Quel Sénat voulons-nous pour demain ? Voulons-nous un Sénat monolithique, composé de retraités,…

M. François Zocchetto. … certes compétents et efficaces, de fonctionnaires, tout aussi efficaces mais très nombreux, et, même si vous n’aimez pas le terme, d’apparatchiks de partis politiques ?

M. François Zocchetto. Croyez-moi, chers collègues, si vous votez cette réforme, nous irons plus vite que vous ne le croyez vers cette forme de Parlement !

Il n’est que de voir ce qui s’est produit aux dernières élections législatives : 50 % des nouveaux députés sont des permanents de partis politiques ou des membres de cabinets politiques ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.) Cela est parfaitement vérifiable !

Nous n’acceptons pas cette dérive vers un Parlement monolithique et aussi peu représentatif des Français.

Nous formulons des propositions pour que notre Sénat soit comme celui qui avait eu la force de s’opposer au général de Gaulle, à l’époque de Gaston Monnerville ? Nous voulons que le Sénat de demain soit tel que celui qui a su dire non au ministre de l’intérieur qui souhaitait développer les tests ADN lors des contrôles migratoires, qui a su dire non à la déchéance de nationalité.

Le Sénat que vous semblez vouloir dessiner pour demain saura-t-il s’opposer à l’incurie budgétaire, quand la majorité de l’Assemblée nationale, issue de la majorité présidentielle, donc sous la dépendance du Président de la République, paraît, l’avaler sans trop de difficultés ?

M. François Zocchetto. Notre vision du Sénat n’est pas la vôtre.

Nous voulons un Sénat indépendant, qui ne soit pas sous la tutelle de partis politiques. Nous voulons un Sénat qui continue à représenter les collectivités territoriales de la République.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. François Zocchetto. Voilà les propositions que nous ferons et qui seront détaillées par plusieurs de nos collègues. Un certain nombre d’entre nous vont en effet proposer un texte. Nous ne disons pas non à la réforme du cumul des mandats, mais nous allons proposer notre réforme, et nous demandons aux sénateurs de voter celle-ci de façon que la voix du Sénat soit entendue, qu’elle prospère et, si possible, qu’elle l’emporte. (Vifs applaudissements sur les travées de de l'UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Jacques Mézard. C’est, vous le comprendrez, avec une grande émotion que, en cet instant, je m’adresse à vous, sénatrices et sénateurs, en qualité de président du groupe héritier de la gauche démocratique, un groupe qui se confond avec l’histoire du Sénat, celle de la République, de ses valeurs fondatrices, valeurs dont l’actualité démontre tous les jours qu’elles n’ont pas pris une ride.

Aujourd’hui, ce n’est pas un combat gauche-droite qui se livre, non plus qu’un combat opposant la modernité au passé. C’est le combat de la République. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) Aussi est-ce l’expression d’un groupe unanime que je porte à cette tribune.

Je pense à ceux qui nous ont précédés dans cet hémicycle, à ceux qui ont fait la République, à ceux aussi qui se sont tant battus pour que le Sénat apporte à la République l’équilibre et la réflexion, marque du bicamérisme.

Comment ne pas citer Gaston Monnerville, lui qui, pendant vingt-deux ans, par sa présidence courageuse, a restauré le Sénat, a préservé son indépendance et son existence, lui qui a eu le courage et l’audace de démissionner de la présidence du Sénat – prononçant alors un discours que j’invite chacun à lire ou à relire – pour aller soutenir le débat devant le pays. Plus qu’un exemple, c’est un modèle !

Il nous manque, lui qui fut le premier président de gauche du Sénat de la Ve République.

C’est avec la profonde humilité d’un sénateur ne disposant d’aucune notoriété nationale, d’aucun relais médiatique, que je vous parle... Mais je le fais avec toute ma conviction, toute ma fidélité.

Je sais où je suis, monsieur le ministre, et j’y resterai, malgré toutes les insinuations. Oui, je crois encore qu’on peut siéger à gauche et rester libre.

M. Jacques Mézard. C’est pour cela que, de tout mon être, mes chers collègues, je vous dis que le projet du Gouvernement est une atteinte grave à nos institutions, que je vous dis au nom de ce qui m’est le plus cher qu’il faut le combattre et le rejeter. (Applaudissements sur les travées du RDSE, et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Les bouleversements induits par ce texte sont considérables, dévastateurs pour la démocratie parlementaire et l’équilibre de nos institutions. Plus qu’un bouleversement, c’est une révolution : ce n’est pas moi qui le dis, c’est vous, monsieur le ministre : à la page 52 du rapport de la commission des lois, vos propos sont ainsi retranscrits : « Je ne sous-estime pas l’ampleur de ce changement, qui est une véritable révolution. »

Eh bien, une révolution, on ne doit pas la faire à la sauvette, par une procédure accélérée, au cours de sessions extraordinaires entrecoupées par les congés d’été, comme des braconniers législatifs qui font leur coup nuitamment, le visage dissimulé sous la cagoule de la « modernisation de la vie publique ». (Rires et vifs applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Monsieur le ministre, pas vous, pas ça ! Vous savez l’estime que nous avons pour vous, pour vos propos souvent à la marge de votre appartenance partisane.

Mes chers collègues, je me dois de vous donner lecture d’un passage d’un excellent livre écrit en 2008 et intitulé Pour en finir avec le vieux socialisme et être enfin de gauche. (Rires et quelques applaudissements sur les travées de l'UMP.) En le lisant, je m’étais dit : « Nous voilà sauvés, c’est l’avenir ! »

Page 14 : « Une chose m’amuse ; avec le nombre de députés-maires que nous avons eu au PS, on va enterrer cette idée somptueusement fausse de l’interdiction du cumul des mandats ! ». (Bravo ! rires et applaudissements sur les mêmes travées.)

Page 15, à la question : « Mais le non-cumul était au cœur de la nouvelle démocratie ? », la réponse est la suivante : « Je l’ai même écrit. J’y croyais, et j’ai eu tort. C’était une diversion. Ça fait partie des histoires qu’on se raconte pour s’étourdir quand on a perdu son identité. »

Je pourrais continuer (Oui ! Encore ! sur les mêmes travées.), mais vous connaissez cela par cœur.

M. Bruno Sido. Ne soyons pas trop cruels !

M. Jacques Mézard. Mes chers collègues, vous aurez tous reconnu l’auteur de ces lignes : il est en face de moi, il est, depuis, devenu notre ministre de l’intérieur !

Je pourrais arrêter là mon propos, moi qui vous ai fait confiance avec beaucoup d’autres, moi qui dis depuis des mois que ce projet de loi est une imposture. En fait, il suffit de vous lire pour le prouver. (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Qui est enfin de gauche aujourd’hui ? Vous ou nous ? Vous voulez une majorité rose-verte ; je ne voudrais pas que vous récoltiez demain une majorité bleu sombre.

Monsieur le ministre, il n’est pas si loin le temps où vous concluiez le même ouvrage par ces mots : « J’ai mis du temps à admettre que j’aurais plus facilement applaudi le Tigre que le fondateur de l’Humanité. Maintenant j’assume. » Vous pensez bien que nous sommes sensibles à ces propos !

Monsieur le ministre, Clemenceau n’a jamais été socialiste, parce que c’est lui qui disait qu’au premier souffle de la réalité le palais de féerie s’envole, parce que c’est à lui qu’en novembre 1917 une grande majorité de socialistes, au cœur de la tourmente, a refusé la confiance.

Gravir les marches qui mènent au pouvoir suprême nécessite bien des renoncements, voire des contradictions, nous le comprenons. La politique est humaine, donc dure, sans pitié ; rares sont ceux qui n’en viennent pas à marcher sur leurs propres amis…

M. Bruno Sido. Oh là là !

M. Jacques Mézard. Mais, monsieur le ministre, au moment où vous acceptez de porter ce texte manifestement contraire à ce que vous avez exprimé il y a peu, texte dont les effets seront négatifs pour toutes les familles politiques minoritaires, en premier lieu la nôtre, il ne serait pas très convenable que, après avoir provoqué le décès électoral de nombre de nos élus, vous vous rendiez aussi coupable de la captation de l’héritage de Clemenceau, lequel avait en outre un profond respect pour le Parlement.

M. Philippe Bas. Notamment pour le Sénat !

M. Jacques Mézard. Beaucoup de socialistes témoignent leur fidélité à l’action de François Mitterrand. Nous aussi ! Non seulement parce que, sénateur, il siégea au sein de notre groupe, mais parce qu’il a marqué par sa stature d’homme d’État notre pays, souvent contre l’opinion publique, comme lorsqu’il fit abolir la peine de mort.

Pouvez-vous imaginer une seule seconde qu’un de ses ministres ait osé proposer le binôme départemental ou le non-cumul des mandats ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

Le président Mitterrand déclarait : « La disparition de tout cumul serait un moyen détourné pour le pouvoir central de renforcer son autorité. »

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jacques Mézard. Nous partageons encore totalement son analyse. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Alors, pourquoi cet acharnement à faire passer ce texte en force, contre la volonté du Sénat et avec une procédure bâclée ? Est-ce le texte fondateur du quinquennat attendu par les Français, alors qu’ils sont tous les jours préoccupés légitimement par l’emploi, l’économie, la fiscalité, la sécurité, l’éducation, le logement, l’Europe, la crise syrienne...

D’où vient réellement cette imposture que sont la campagne anti-élus et le projet anti-cumul ? (Très bien ! sur quelques travées de l'UMP.) Nous le savons tous : de la prise du contrôle de votre parti par Mme Aubry, car c’était le moyen privilégié – et le plus facile ! – d’agréger les militants, puis de négocier des primaires présidentielles, le tout accompagné d’une longue et puissante opération médiatique, en particulier de la presse bobo parisienne. Après Le Monde et Libération, le point d’orgue fut apporté voici quelques jours, à point nommé, par L’Express. (MM. Bruno Sido et Alain Gournac s’esclaffent.)

Oui, j’ai mal quand je lis, quand j’entends que notre collègue Michel Delebarre, pour qui j’ai le plus profond respect, est le « premier cumulard de France » ! Est-ce cela, le résultat de votre action depuis des mois ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'UDI-UC.) Et je ne citerai pas le troisième…

Or l’essence même du responsable politique, c’est d’avoir le courage de braver l’opinion, de ne pas s’y soumettre aveuglément, de juin 1940 à l’abolition de la peine de mort, entre autres multiples exemples.

Au-delà du contenu du texte, je tiens à exprimer notre indignation quant aux méthodes qui ont été utilisées pour caricaturer notre opposition et dévoyer la procédure parlementaire.

Vous vous indigniez tout à l’heure que nous utilisions le mot « apparatchik ». Et vous nous qualifiez depuis des mois de « cumulards » à longueur de journée.

Il est insupportable que, comme pour le texte relatif à la transparence de la vie politique, le Gouvernement soit complice d’une campagne médiatique cultivant un antiparlementarisme injuste et dévastateur. (Eh oui ! et applaudissements sur les mêmes travées.)

Il n’est pas raisonnable que soient jetés en pâture aux médias et à l’opinion des dizaines de milliers d’élus, dont l’immense majorité accomplit sa mission avec conscience et honnêteté.

M. Bruno Sido. C’est très injuste !

M. Jacques Mézard. Pis, nous n’avons pas à nous repentir à votre place des errements de M. Cahuzac. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Depuis des mois, vous clouez au pilori des milliers d’élus vitupérés dans les médias comme « cumulards »… Sous-entendu : goinfrés de privilèges et d’indemnités. Il est particulièrement déshonorant d’utiliser de telles méthodes, je devais le dire à cette tribune ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Deuxième procédé déplorable : la procédure législative utilisée, qui a pour conséquence un débat tronqué. Le Sénat de la République a été mis devant le fait accompli et, je le regrette, sans réaction forte de son « exécutif ».

Tout d’abord, il n’est pas acceptable que, sur un tel projet de loi, qui entrera en vigueur en 2017, la procédure accélérée soit utilisée (Marques d’approbation sur les mêmes travées.), interdisant de fait tout dialogue avec l’Assemblée nationale, et cela sans aucune explication ni justification du Gouvernement.

Le but est clair : trancher en évitant le débat et faire décider par l’Assemblée nationale, au mépris de notre tradition constitutionnelle, des dispositions relatives à l’élection et au fonctionnement du Sénat de la République, cela en parfaite contradiction avec les dispositions des articles 24 et 46 de la Constitution.

Ce qui est en jeu, mes chers collègues, c’est l’équilibre des institutions de la République et le principe même du bicamérisme.

Au vu d’un tel enjeu, l’utilisation de la procédure accélérée relève d’une véritable provocation. Il en est de même du calendrier imposé par le Gouvernement.

Ainsi, le rapporteur de ce texte a été désigné par la commission des lois la veille de la fin de la session extraordinaire de juillet, soit le 24 juillet dernier. Il a débuté ses auditions le 9 septembre, soit la veille de l’ouverture de la nouvelle session extraordinaire de septembre, et les a clôturées le lendemain, soit la veille de la présentation et de l’examen du rapport devant la commission des lois, qui ne l’a d’ailleurs pas suivi. (Rires sur les travées de l’UMP.)

M. Aymeri de Montesquiou. Quel culot ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. De surcroît, je ne doute pas qu’il ait mis à profit la nuit du 10 au 11 septembre – triste date ! – pour méditer sur nos excellentes propositions ! (Rires sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. M. Zocchetto l’a déjà dit !

M. Jacques Mézard. Je sais bien que cela ne vous fait pas plaisir, monsieur le président de la commission, mais ce sera dit quand même ! (Rires et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l'UDI-UC.)

Il est vrai que vous avez considéré, vous, président de la commission des lois, que cela n’avait pas d’importance !

M. Jean-Pierre Sueur. Je n’ai pas dit cela !

M. Jacques Mézard. Vous l’avez dit !

Il n’en reste pas moins qu’un tel mépris du travail parlementaire est déplorable et que, lorsque vous siégiez dans l’opposition, vous l’auriez à juste titre condamné. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Sachez, monsieur le président Sueur, que vous ne méritez en aucun cas notre absolution. (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Mézard. Cela signifie que vous ne respectez plus le Parlement…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas vrai !

M. Jacques Mézard. … puisque ce sont là des atteintes manifestes aux droits des assemblées et des parlementaires qui les composent.

De même, il est à nos yeux fallacieux et insultant de nous faire passer – cela concerne notamment et au premier chef notre groupe – pour un ensemble de « ringards » refusant toute modernisation de la vie publique.

Il n’y a pas d’un côté les modernes et de l’autre les archaïques ! Non, monsieur le ministre ! Tous ici, nous sommes prêts à ne pas rater ce que vous avez appelé ce matin « le train de l’histoire ». Mais il ne s’agit pas du même train ! Le nôtre va bien plus loin, sans démagogie.

En effet, la modernisation de nos institutions, nous la préconisons depuis longtemps à travers nos propositions de loi : limitation du cumul à un seul mandat exécutif pour les parlementaires ; suppression de tout cumul d’indemnités ; non-renouvellement de certains mandats ; limitation des cumuls horizontaux ; encadrement des incompatibilités professionnelles. Est-ce ringard, cela ? Vous, vous proposez beaucoup moins et vous nous traitez d’archaïques ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Ce projet de loi est une imposture. Il est destiné à remplir les deux assemblées de militants professionnels de la politique. (Hourvari et applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Gérard Larcher. C’est la vérité !

M. Jacques Mézard. À preuve : ce texte n’interdit le cumul qu’aux seuls parlementaires, quand Mme Aubry pourra continuer à cumuler la mairie de Lille, la présidence de la communauté urbaine de Lille Métropole et celle de multiples sociétés d’économie mixte !

M. Bruno Sido. C’est une honte !

M. Jacques Mézard. L’imposture est d’autant plus grande que le cumul reste possible avec l’exercice de la plupart des professions. Ainsi, un parlementaire aurait le temps d’aller travailler ailleurs, mais non celui d’être maire d’une commune de trente habitants ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Mes chers collègues, il ne convient pas à de nouveaux convertis de nous donner des leçons de liturgie,… (Exclamations amusées sur les mêmes travées.)

M. Pierre Charon. Excellent !

M. Jacques Mézard. … de brûler ce qu’ils ont adoré, du Président de la République au Premier ministre ! J’ai consulté les curriculum vitae des principaux laudateurs du non-cumul. Le constat est accablant, révélateur de la propension à l’amnésie de tant d’entre eux, de l’hypocrisie de la nature humaine et aussi de la rancœur qu’éprouvent certains battus du suffrage universel. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Christian Cambon. Tous des battus !

M. Jacques Mézard. Monsieur le rapporteur, vous nous donnez des leçons on ne peut plus respectables ! De fait, vous n’avez jamais eu de mandat local, mais vous avez accompli l’exploit d’être en même temps directeur général des services du département du Gard et sénateur suppléant (M. Alain Gournac s’esclaffe.), avant de passer directement du poste de directeur général des services de la ville de Nîmes à celui de sénateur. N’avez-vous pas éprouvé le sentiment d’une certaine rupture d’égalité entre les candidats ? (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Christian Cambon. Bravo ! Très joli !

M. Jacques Mézard. Je comprends mieux l’opposition que vous avez manifestée à nos amendements tendant à interdire de tels exploits…

Nos collègues écologistes (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.) sont les zélateurs de tels textes dans l’opinion et plus encore dans les médias. Je respecte profondément leurs opinions, mais sont-ils exemplaires ? Je ne parle pas ici de M. Mamère ! Je note simplement que leurs deux présidents et leur présidente de groupe parlementaire ont eu pour unique activité, avant leur mandat, celle d’assistant parlementaire….

Mme Hélène Lipietz. Pas Jean-Vincent Placé !

M. Jacques Mézard. J’ai les curriculum vitae !

Du reste, sont-ils tous trois à l’image de la société française ? Je note que chacune et chacun d’eux a un conjoint élu, parlementaire pour l’un, conseiller régional pour les deux autres. C’est un autre cumul !

M. Simon Sutour, rapporteur. C’est minable !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Respectez la vie privée !

M. Jacques Mézard. Voilà ce qui nous attend ! Est-ce le progrès ? (Exclamations.)

Monsieur le ministre, vous balayez nos arguments d’un revers de main.

M. Manuel Valls, ministre. Vous allez parler de ma femme, monsieur le président Mézard ?

M. Jacques Mézard. Non, monsieur le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Vous allez parler de mon père ?

M. Jacques Mézard. Non, monsieur le ministre, parce que je vous respecte profondément comme je respecte tout un chacun. Mais respectez-nous aussi, ce que vous n’avez pas fait pendant des mois ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Je constate simplement que vous nous donnez des leçons, en nous disant : « Circulez, il n’y a rien à voir ! Mais je ne céderai rien ! » C’est votre droit !

Vous nous dites : « Le non-cumul permettra aux parlementaires d’être plus présents dans les assemblées. » Vous savez pertinemment que c’est faux.

Je ne comparerai pas mon travail parlementaire à celui de M. le rapporteur. Différents sites internet du genre « citoyens.com » s’en chargent déjà ! Je prendrai un autre exemple. Au Parlement européen, deux élus souhaitent se représenter et prônent le non-cumul : M. Harlem Désir et Mme Eva Joly. Or ils sont classés parmi les 30 derniers députés européens sur plus de 750 parlementaires ! Pourtant ils ne cumulent pas ! (Huées sur les travées de l’UMP.)

M. Pierre Charon. Eh bien, c’est du joli !

M. Michel Le Scouarnec. C’est digne du caniveau !

M. Jacques Mézard. Vos arguments ne tiennent pas, et vous le savez. Vous repoussez avec mépris toutes nos propositions.

Vous ajoutez : « Ce texte, ce sont aussi des élus locaux à temps plein, c’est l’accession aux responsabilités d’une nouvelle génération, présentant des origines et des profils différents. »

Ce matin, dans la presse, un journaliste et une parlementaire affirmaient : « Le Sénat, ce sont des hommes, blancs… »

Mme Esther Benbassa. Tout à fait, et de cinquante ans et plus !

M. Jacques Mézard. Eh bien moi, lorsque j’entends cela, je frémis !

Oui, ce projet de loi, c’est la confiscation du pouvoir par des apparatchiks qui, pour la plupart, n’ont jamais exercé d’autres fonctions. Cette « nouvelle génération », comme vous l’appelez, nous n’en voulons pas, et les Français – du moins les démocrates – se repentiront d’avoir voulu ce non-cumul.

Ce texte est une rupture, une dénaturation des institutions de la Ve République. Une majorité d’universitaires parmi les plus renommés le condamne, notamment Pierre Avril, Dominique Rousseau, Olivier Beaud et Didier Maus.

Lors des auditions en commission, Pierre Avril a dénoncé la concentration du pouvoir entre les mains du Président de la République, qui s’est, à ses yeux, traduite par une caporalisation, « spécificité française ». « La règle du non-cumul prive les députés d’une assise territoriale personnelle et risque d’entraîner leur soumissions aux appareils partisans », a-t-il précisé. C’est la vérité !

M. Gérard Longuet. Bien sûr !

M. Jacques Mézard. Le professeur Olivier Beaud, quant à lui, a déclaré : « La lecture du rapport de la commission Jospin m’avait irrité par son dogmatisme et son manichéisme. »

M. Antoine Lefèvre. Très bien !

M. Jacques Mézard. Il a affirmé qu’une telle mesure ne pouvait « qu’aggraver la présidentialisation du régime, […] accentuer la concentration des pouvoirs ». Il a conclu : « Cette réforme va favoriser les apparatchiks qui commencent leur carrière à vingt ans dans les partis ».

Ce déséquilibre des institutions, cette perversion de l’évolution de la Ve République, autour du tout-puissant monarque républicain, méritait un autre débat que ce simulacre.

J’en viens à la dénaturation de l’esprit comme de la lettre de la Constitution quant au bicamérisme.

M. Jacques Mézard. Vous avez décidé d’affaiblir le Sénat et de l’éteindre comme une flamme qui finirait de se consumer. Le non-cumul, auquel vous ajoutez le Haut Conseil des territoires, c’est la fin de la Haute Assemblée et la réduction du nombre de sénateurs annoncée par le président du Sénat. C’est faire du Sénat un duplicata de l’Assemblée nationale.

Autant dire la vérité et supprimer la Haute Assemblée, cette « anomalie » dénoncée par M. Jospin. Pourquoi n’assumez-vous pas vos objectifs, comme le fit loyalement le général de Gaulle en 1969 ? C’était clair, c’était loyal !

M. Alain Gournac. C’était autre chose !

M. Jacques Mézard. Oui, l’article 24 de la Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». C’est pour cela que les sénateurs sont élus par les grands électeurs, élus eux-mêmes. C’est pour cela que l’article 39 de la Constitution dispose que les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat. C’est pour cela que le quatrième alinéa de l’article 46 dispose que les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. C’est pour cela que l’article 25 ne pose pas de principe d’identité absolue du statut des membres de chaque assemblée.

Vous-même, monsieur le ministre, l’avez reconnu devant la commission des lois du Sénat la semaine dernière, en déclarant qu’un « traitement différencié des sénateurs conduirait à qualifier ce texte de projet de loi organique relatif au Sénat, ce qui suppose un vote conforme des deux assemblées ». Je vous remercie, vous avez dit l’essentiel ! Auriez-vous, depuis, changé d’avis ?

Le socialiste Pierre Joxe rappelait cet impératif en 1985, lors des débats consacrés au projet de loi organique limitant le cumul, de même que Michel Rocard en 1996. Alors sénateur, celui-ci déclarait qu’il était à ses yeux « normal qu’en France comme partout ailleurs le Sénat soit composé d’élus investis de responsabilités dans les collectivités locales puisqu’étant précisément là pour cela au premier chef ».

Je citerai également ces mots de notre ancien collègue, le Premier ministre Pierre Mauroy : « Le Sénat représente les collectivités territoriales. Dans une France dont tout laisse à penser qu’elle adoptera de nouvelles limitations du cumul des mandats, il y a nécessité de trouver un lieu où se confrontent les intérêts des régions, des départements et des communes. »

Le professeur Guy Carcassonne, lui-même chantre du non-cumul, évoquait en 2005, dans la revue Pouvoirs locaux, un scénario dans lequel « on ne touche à rien concernant le Sénat mais dans lequel on se borne enfin à imposer l’interdiction du cumul pour les députés. » Il ajoutait : « Beaucoup d’élus de grandes collectivités viseraient alors un mandat sénatorial et revivifieraient le Sénat dans des proportions tout à fait substantielles par la simple interdiction du cumul des députés. »

Dans un article paru le 12 septembre dernier dans Le Figaro, le professeur Didier Maus a rappelé ces réalités, à l’aide d’une analyse constitutionnelle tout à fait limpide.

Mes chers collègues, notre débat transcende les sensibilités politiques. Je rappelle à ce titre que dix-sept des dix-huit sénateurs du RDSE ont contribué à faire élire le président du Sénat, celui de notre commission des lois et le Président de la République. Ce n’est donc ni un débat entre gauche et droite, ce n’est pas davantage un débat relatif à la modernité de la vie publique, c’est bien un débat relatif aux institutions de la République, au bicamérisme et à la représentation de nos territoires.

Je salue le courage de tous ceux qui, quelle que soit leur sensibilité, disent non à une telle imposture. Je salue notamment le courage du président François Rebsamen. Savoir dire non, c’est la marque des vrais hommes d’État !