M. Roland Courteau. Très bien ! Il fallait le dire !

Mme Renée Nicoux. Sans vouloir atténuer les avancées permises par la création de ce fonds d’aide aux plus démunis, il est bon de rappeler que celui-ci vient en remplacement d’un dispositif mis en place depuis 1987, le programme d’aide aux plus démunis, dont la gestion était déjà confiée à FranceAgriMer. Sa légitimité en tant que gestionnaire du programme repose donc sur sa longue expérience en la matière.

Il faut ajouter cependant que le champ du FEAD est plus large que ne l’était celui du PEAD. Cela devrait renforcer la cohésion sociale et contribuer à la réduction de la pauvreté dans l’Union, grâce au soutien apporté aux dispositifs nationaux destinés à fournir une assistance non financière aux personnes les plus démunies, pour atténuer la privation alimentaire et le dénuement matériel extrême.

La seconde mission que la proposition de loi vise à confier à l’Établissement national des produits agricoles et de la pêche maritime participe également au rayonnement de la politique agricole française, en permettant à la France d’être présente à l’exposition universelle de Milan de 2015, organisée autour du thème « Nourrir la planète, énergie pour la vie ».

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Renée Nicoux. À cette occasion, l’Établissement national des produits agricoles et de la pêche maritime tient un rôle de premier plan, puisqu’il s’est vu confier la gestion de l’événement et la réalisation du pavillon français. Il est donc apparu nécessaire de faciliter la gestion administrative et financière des opérations en lui accordant le droit de passer un marché unique de conception-réalisation, tel que visé à l’article 69 du code des marchés publics.

Cette procédure permet à un opérateur de pouvoir confier une seule mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux. Les multiples exigences adossées à la réalisation du pavillon, telles que l’usage de matériaux en lien avec l’agriculture et la production forestière et l’aspect démontable et réutilisable du bâtiment, rendent souhaitable la possibilité d’associer la mission de maîtrise d’œuvre et la réalisation des travaux. Tel est l’objet de l’article 2 de la proposition de loi.

Le présent texte tend à confirmer le rôle de l’Établissement national des produits agricoles et de la pêche maritime. Plus globalement, ces mesures participent d’une volonté affirmée d’accompagner la réforme de la politique agricole en France et en Europe, ce qui explique sans aucun doute la raison pour laquelle ce texte a été adopté à l’unanimité par notre commission et la raison pour laquelle, vous l’aurez compris, notre groupe votera favorablement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite répondre à plusieurs questions qui m’ont été posées.

Je le dis de manière très claire, les crédits affectés à FranceAgriMer seront confortés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. J’en ai pris l’engagement, en dépit d’un contexte financier toujours difficile.

Monsieur Le Cam, votre évocation de ce qui se serait passé au Parlement européen concernant le FEAD m’a surpris. Je rappelle que c’est le groupe communiste du Parlement européen qui, en mai 2013, s’est abstenu sur un vote très important. Cette abstention en commission de l’emploi a fait peser un risque sur l’apport du milliard d’euros supplémentaire, mesure qui a finalement été adoptée en séance plénière.

M. Michel Le Scouarnec. Ce n’est pas nous !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je ne voudrais pas laisser penser qu’il y aurait eu là un manquement de la part des socialistes. Nous avons, je le souligne, soutenu du début à la fin cette proposition.

S’agissant de l’exposition universelle de Milan et de l’engagement de la France, monsieur Labbé, je souhaite répondre à la question que vous avez posée sur le problème de l’alimentation sur le plan mondial.

Sachez que j’étais lundi à Rome, où se tenait, sur l’initiative de la France, une réunion rassemblant près de quarante-trois ministres de l’agriculture. Or nous avons précisément évoqué le stockage, la coordination des politiques agricoles, l’utilisation des outils, notamment des outils statistiques, à l’échelle mondiale.

En outre, en liaison avec le Quai d’Orsay, je me suis engagé à soutenir un projet de stockage, en Afrique de l’Ouest, de 411 000 tonnes de millet, de sorgho et de productions locales. J’espère que ce projet sera mis en œuvre dès l’année prochaine. Au demeurant, nous aurons sûrement l’occasion d’y revenir. Nous sommes donc bien dans une stratégie au niveau global.

Je salue l’intervention de Mme Hélène Masson-Maret, du groupe UMP. Personne ne conteste le fait que Bruno Le Maire a négocié un prolongement de deux ans. Reste que, en 2013, le PEAD devait disparaître. Si le Président de la République n’avait pas porté le débat à l’échelle européenne, l’aide aux plus démunis n’aurait pas pu être pérennisée. C’est pour cette raison que je suis fier de défendre ce texte, ici, au Sénat, dans le cadre d’un débat extrêmement important.

Monsieur Lasserre, vous avez raison, à l’échelle européenne, le FEAD n’est pas uniquement consacré à l’aide alimentaire. Mais, en France, le fait que FranceAgriMer assurera la gestion du fonds apporte la garantie que les crédits seront destinés à l’aide alimentaire. Pour ce qui concerne les discussions qui sont encore en cours, je suis assez optimiste. Je considère en effet que l’enveloppe attribuée à la France correspondra à ce dont notre pays disposait jusqu’à présent pour financer l’aide alimentaire.

En conclusion, je veux féliciter tous ceux qui, au nom de leur groupe, se sont exprimés au cours de ce débat et redire la fierté qui est la mienne de défendre cette proposition de loi, en particulier son article 1er. Notre mobilisation sur le sujet dure depuis quatre ans. Pour ce qui me concerne, j’y ai travaillé dans le cadre des responsabilités que j’ai assumées au Parlement européen et en tant que ministre de l’agriculture.

L’unanimité du Sénat sur ce texte fait honneur à votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs. J’espère que, demain, l’Assemblée nationale agira comme vous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Jean-Claude Carle remplace M. Charles Guené au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle

vice-président

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux missions de l'Établissement national des produits agricoles et de la pêche maritime
Article 2 (début)

Article 1er

Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° L’article L. 621-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« En outre, il participe à la mise en œuvre de l’aide aux personnes les plus démunies. » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 621-3, après la référence : « L. 621-1 » sont insérés les mots : « relevant des domaines définis au premier alinéa de l’article L. 621-2 ».

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l'article.

M. Jean-Jacques Mirassou. La création du Fonds européen d’aide aux plus démunis marque une nouvelle étape dans la mise en place d’un dispositif à la fois plus efficace et plus pérenne, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, à la suite de celui qui avait été plus qu’esquissé à l’époque de Jacques Delors. De fait, le FEAD, à la mise en place duquel participera FranceAgriMer, permettra de répondre aux objectifs poursuivis.

La discussion nous a permis de dresser un diagnostic lucide sur la situation en Europe. Cela a été dit, 18 millions de personnes dépendent de ce dispositif à seule fin de pouvoir s’alimenter correctement. J’en profite d’ailleurs pour saluer les différentes organisations qui, de la Croix-Rouge à la Banque alimentaire, en passant par les Restos du cœur, œuvrent quotidiennement pour s’acquitter de leur mission.

Madame Masson-Maret, personne ne nie que le gouvernement précédent a pris, voilà deux ans, les mesures d’urgence qui s’imposaient. Aujourd’hui, c’est à un traitement de fond que nous nous attelons, pour parvenir à une solution moins aléatoire.

Mes chers collègues, vous me permettrez de revendiquer mes origines midi-pyrénéennes, car c’est cette région qui accueille Airbus, fruit d’une coopération industrielle et commerciale dont on a coutume de dire qu’elle porte véritablement les gènes européens. Cette même Europe ne peut ignorer plus longtemps l’autre face du miroir, c’est-à-dire les 18 millions de citoyens dépendants de l’aide alimentaire. À l’avenir, j’espère que ces deux mondes actuellement si distants l’un de l’autre pourront se rejoindre. Cela signifierait alors que, après avoir gagné le pari industriel européen, nous aurions également gagné celui de la solidarité européenne. Tout le mal que je nous souhaite, c’est de parvenir à sortir, autant que faire se peut, du dispositif d’aide alimentaire les 18 millions de personnes qui en dépendent.

C’est avec beaucoup d’espoir, doublé de cette certitude que nous avons franchi un palier, que je voterai non seulement l’article 1er, mais également l’ensemble de la proposition de loi.

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative aux missions de l'Établissement national des produits agricoles et de la pêche maritime
Article 2 (fin)

Article 2

L’établissement mentionné à l’article L. 621-1 du code rural et de la pêche maritime est chargé de la gestion administrative et financière des opérations nécessaires pour assurer la présence française à l’Exposition universelle de Milan (Italie) en 2015.

Dans ce cadre, pour la construction du Pavillon français, il est autorisé à passer, selon la procédure prévue à l’article 69 du code des marchés publics, un marché de conception-réalisation élargi, le cas échéant, à l’exploitation ou à la maintenance. – (Adopté.)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

Article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux missions de l'Établissement national des produits agricoles et de la pêche maritime
 

6

Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé trois candidatures pour le Conseil supérieur des programmes.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées, et je proclame Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jacques Legendre et Jacques-Bernard Magner comme membres de cet organisme extraparlementaire.

Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de Mme la garde des sceaux, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

7

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique, en remplacement de M. Alain Le Vern, démissionnaire de son mandat de sénateur.

Cette candidature va être affichée, et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

8

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à l'indemnisation des personnes victimes de prise d'otages
Discussion générale (suite)

Indemnisation des personnes victimes de prise d'otages

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à l'indemnisation des personnes victimes de prise d'otages
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi visant à l’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages, présentée par Mme Claudine Lepage et plusieurs de ses collègues et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 657 [2012-2013], texte de la commission n° 26, rapport n° 25).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Claudine Lepage, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Claudine Lepage, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi visant à l’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages.

Le nombre des prises d’otages a fortement augmenté partout dans le monde depuis une quinzaine d’années, et peut-être plus particulièrement encore au cours des cinq dernières années. La France n’échappe pas à ce phénomène. Le ministère des affaires étrangères nous apprend ainsi que, depuis 2009, cinquante ressortissants français ont été victimes d’une prise d’otages, dont trente-cinq dans le cadre d’un acte de terrorisme et quinze dans le cadre d’un acte de grand banditisme.

Il faut bien reconnaître que nous sommes malheureusement tous habitués à entendre ou à lire dans les médias le nombre de jours de détention des otages français à travers le monde, égrenés régulièrement : chaque jour, il y a vingt-cinq ans, chaque semaine, aujourd’hui.

Il n’y a pas de banalisation, mais nous avons appris à vivre avec la conscience que, à quelques milliers de kilomètres de chez nous, plusieurs de nos concitoyens sont retenus prisonniers par des groupes très variés, qui vont d’organisations terroristes structurées à des groupuscules crapuleux. Nous avons appris à vivre avec la conscience que plusieurs de nos concitoyens sont, en ce moment même peut-être, torturés ou parfois assassinés, parce qu’ils sont Français, parce qu’ils exercent leur métier ou parce qu’ils se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.

Plus près de nous, ce sont des dizaines de familles qui attendent, espèrent, guettent le moindre signe de vie de leurs proches dans une angoisse intolérable. Je ne pense pas qu’il soit utile d’énumérer la trop longue liste de nos concitoyens encore retenus aujourd’hui au Sahel, au Mali, en Syrie très récemment, ou même au Mexique.

L’État français, notamment le ministère des affaires étrangères, ne ménage pas sa peine, loin s’en faut, pour obtenir au plus vite la fin de ces semaines, de ces mois ou de ces années de calvaire, qu’il fasse le choix de communiquer ou au contraire d’œuvrer dans l’ombre, espérant ainsi obtenir de meilleurs résultats. Il n’est donc pas question ici de contester l’implication exceptionnelle tant de l’État que de la nation tout entière, qui se sent pleinement concernée par la situation des otages.

Souvent, l’issue de ces mois, de ces années de torture et de détresse est favorable, parce que, excepté dans certaines situations dramatiques, les otages sont libérés. L’État et les citoyens ont chacun fait leur travail. Cependant, l’ex-otage doit faire face au plus difficile : un long travail de reconstruction, lent et pénible. C’est bien là l’objet de cette proposition de loi : œuvrer, à son niveau, à une amélioration de la prise en charge, dans toutes ses dimensions, des anciens otages.

Il est exact que, dans la majorité des cas, les victimes de prise d’otages sont indemnisées par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, ou FGTI, parce que, comme les chiffres du Quai d’Orsay le confirment, 70 % des prises d’otages de ces dernières années ont été perpétrées par des organismes terroristes.

À ce propos, permettez-moi de faire une légère digression au sujet du FGTI. Plusieurs associations de victimes m’ont indiqué qu’elles estimaient que l’accueil, le suivi et l’indemnisation des victimes n’étaient pas entièrement satisfaisants. À cet égard, gardons à l’esprit que ce fonds indemnise également, selon la même procédure, les victimes de voitures brûlées… En plus du récent rapport de la députée Nathalie Nieson sur le financement des associations d’aide aux victimes, une mission parlementaire sur la reconnaissance et l’indemnisation réelle du préjudice subie serait donc bienvenue.

Pour revenir spécifiquement aux victimes de prise d’otages, il est clair que, dans cette situation, elles ne sont pas indemnisées en tant que victimes de prise d’otages mais en tant que victimes d’acte de terrorisme. Où est le problème, objecteront certains ? L’essentiel est que le dommage soit reconnu et compensé… Eh bien, non ! Les victimes que j’ai eu l’occasion de rencontrer ont un ressenti bien différent.

Rappelons que, parmi les dernières victimes de prise d’otages, trois sur dix ont été enlevées par des groupes mafieux, des narcotrafiquants ou des bandits et non par des organisations terroristes. Il va sans dire que cette distinction n’engendre aucune différence dans l’horreur de la situation : les conditions de détention, la peur, la souffrance, le traumatisme sont les mêmes.

Pourtant, notre législation ne considère pas tous ces otages de la même façon et leur applique une procédure d’indemnisation différente.

Ainsi, dans l’hypothèse d’une personne enlevée par des terroristes, l’indemnisation sera directement gérée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI. La réparation ne nécessitera donc pas de procès, mais relèvera d’une démarche purement administrative.

En revanche, si l’otage a été enlevé par des bandits, il devra d’abord faire reconnaître sa qualité de victime par la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions, la CIVI, qui siège au sein de chaque tribunal de grande instance. Dans l’état actuel du droit, la victime d’une prise d’otage doit apporter la preuve d’une incapacité permanente ou temporaire de travail supérieure à un mois.

Bien sûr, d’aucuns objecteront que le juge reconnaît normalement, dans les cas de prise d’otages, cette incapacité. Soit, mais pourquoi cette différence de traitement ? Pourquoi imposer cette preuve, donc cette nouvelle épreuve ? De plus, dans le cas que je viens de citer, le montant des revenus de la victime sera un élément d’appréciation pour qu’il y ait indemnisation ou non.

Pour quelle raison ne faudrait-il pas unifier le régime d’indemnisation des otages en supprimant cette catégorisation parfaitement inutile et ainsi assurer, quelle que soit la nature des conséquences physiques et psychiques pour les otages, l’indemnisation de toutes ces victimes, justement parce que leur qualité de victimes est incontestée ?

J’en viens ainsi au second enjeu de cette proposition de loi, peut-être le plus important : la reconnaissance symbolique à laquelle aspirent les victimes de prise d’otages.

Ces personnes et leurs proches, tout le monde s’accorde à le dire, ont à faire face à un intense traumatisme physique et psychique. Pourtant, elles ont véritablement le sentiment que ce traumatisme n’est pas reconnu en tant que tel. Elles se confrontent à une absence de législation propre venant s’appliquer de manière spécifique à leur situation.

Cette absence de reconnaissance explicite de la Nation est d’autant plus douloureuse que les victimes se considèrent comme de simples objets participant, en réalité, de la prise en otage de tout le pays. Il faut, en effet, bien entendre qu’un otage politique représente une parcelle de démocratie, une parcelle de la Nation et des valeurs que celle-ci incarne. Lorsqu’un citoyen français est pris en otage, c’est la France tout entière qui subit le même sort et que l’on entend contraindre.

La prise d’otage est bien sanctionnée dans notre droit, mais uniquement en tant que circonstance aggravante de l’infraction que constitue la séquestration ou la détention illégale. C’est donc la volonté du preneur d’otages d’utiliser la personne qu’il détient comme moyen d’obtenir d’un tiers la réalisation ou l’abstention d’un ou plusieurs actes qui va distinguer la qualification de l’infraction et les peines applicables.

Cette considération d’une reconnaissance claire et explicite et d’une indemnisation systématique des victimes est portée depuis de longues années par les associations et plusieurs parlementaires. Une proposition de loi avait d’ailleurs été déposée par notre ancienne collègue Yolande Boyer et déjà signée par de nombreux collègues en 2008.

Aujourd’hui, ce texte, signé par plus de quarante sénateurs et l’ensemble des membres du groupe socialiste, peut enfin être l’occasion de manifester la volonté de la représentation nationale de mieux accompagner les victimes de prise d’otages.

Mes chers collègues, je vous propose donc d’adopter cette proposition de loi, amendée par la commission des lois sur proposition de Mme la rapporteur Esther Benbassa, dont je salue ici le travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Esther Benbassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi n° 657 de Mme Claudine Lepage et quarante de ses collègues membres du groupe socialiste et apparentés, qui vise à faciliter l’indemnisation des victimes de prise d’otages.

Comme il est rappelé dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, les prises d’otages sont toujours des périodes de grande souffrance, tant pour les personnes retenues que pour les membres de leurs familles. L’actualité nous montre, hélas, trop souvent que le fait d’être français peut exposer certains de nos compatriotes présents à l’étranger à en être victimes, du seul fait de leur nationalité.

Selon le ministère des affaires étrangères, une cinquantaine de ressortissants français ont été victimes d’une prise d’otages depuis 2009 : 35 dans le cadre d’un acte de terrorisme, 15 dans le cadre d’un acte de grand banditisme.

Un effort de solidarité nationale tout particulier s’impose donc à l’égard de ces personnes et de leurs proches. La question qui se pose à nous est alors celle du statut juridique de l’otage, peu à peu façonné par le droit international et précisé par le droit interne.

Depuis 1945, le droit international a envisagé la prise d’otages au prisme des conflits armés et l’a rangée, pendant trente ans, parmi les crimes de guerre.

L’article 3, commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949 prohibe « en tout temps et en tout lieu » à l’égard des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, notamment, les atteintes portées à la vie, à l’intégrité corporelle, à la dignité, ainsi que « les prises d’otages ». On retrouve cette prohibition dans les instruments internationaux ultérieurs, notamment dans les deux protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux conventions de Genève et dans le statut de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998.

Cependant, il a fallu attendre l’apparition du terrorisme international dans les années soixante-dix pour que la prise d’otages soit sortie du cadre unique des conflits armés et envisagée en tant qu’infraction indépendante.

En droit français, la prise d’otages n’est pas encore une infraction indépendante. En effet, l’article 224-1 du code pénal dispose : « Le fait [...] d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle ».

L’article 224-4 du code pénal allonge la peine à trente ans de réclusion criminelle si la séquestration avait notamment pour but d’obtenir l’exécution d’un ordre ou le versement d’une rançon. Ainsi la prise d’otages est-elle une circonstance aggravante de l’infraction que constitue la séquestration ou la détention illégale.

Cette absence de notion indépendante de prise d’otages dans le droit pénal induit une indemnisation différente selon les circonstances de cet acte, qui donne lieu, ou non, à la qualification d’acte de terrorisme, et ses conséquences pour la victime, c’est-à-dire la gravité des dommages subis.

La présente proposition de loi a alors pour objet de pallier toute divergence dans l’indemnisation des victimes de prise d’otages, en alignant, dès lors que la prise d’otages ne constitue pas un acte de terrorisme, les modalités de leur indemnisation sur celles des victimes d’atteintes graves à la personne.

Lorsqu’une personne est victime d’une infraction pénale, elle dispose de deux voies de droit pour obtenir la réparation du dommage subi et l’indemnisation de son préjudice : soit elle se constitue partie civile devant la juridiction pénale chargée de juger l’auteur des faits, afin d’obtenir la condamnation de celui-ci à lui verser des dommages et intérêts ; soit, si elle ne peut ou ne souhaite pas agir au pénal, elle saisit les juridictions civiles d’une demande de réparation, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile.

La mise en œuvre de ces voies de droit peut toutefois se heurter à des difficultés, lorsque l’auteur des faits soit est insolvable, soit, pour un certain nombre de raisons, ne peut comparaître devant la justice française, car il est inconnu, décédé ou pénalement irresponsable, ou parce qu’il se trouve sur le territoire d’un État qui refuse de l’extrader, etc.

Dans ce cas, afin d’éviter que, dans certaines circonstances particulièrement choquantes, une victime ne puisse obtenir la réparation de son préjudice, le législateur a progressivement mis en place, à partir de la loi du 3 janvier 1977, un système d’indemnisation des victimes reposant sur le principe de la solidarité nationale.

Plusieurs dispositifs, fondés soit sur la nature de l’infraction subie, soit sur la gravité du préjudice, ont été instaurés.

D’une part, un régime d’indemnisation intégrale des dommages corporels résultant d’un acte de terrorisme a été mis en place. Cette procédure, définie par le code des assurances, repose sur le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI. Il s’agit ici d’une procédure administrative qui se caractérise par sa souplesse, car aucun formalisme n’est requis, ni aucune condition de délai, et par sa mise en œuvre rapide, le procureur de la République ou l’autorité diplomatique ou consulaire compétente devant, dès la survenance d’un acte de terrorisme, informer sans délai le FGTI des circonstances de l’événement et de l’identité des victimes.

D’autre part, le code de procédure pénale organise l’indemnisation des personnes victimes de certaines infractions pénales graves ou se trouvant dans une situation particulièrement difficile. Il s’agit là d’une procédure juridictionnelle faisant intervenir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, la CIVI, une juridiction civile composée à la fois de deux magistrats du siège du tribunal de grande instance du ressort et d’une personne majeure s’étant signalée par l’intérêt qu’elle porte aux problèmes des victimes.

Pour être éligible à cette procédure, la victime doit être de nationalité française, ou les faits doivent avoir été commis sur le territoire national. Comme en matière de terrorisme, la réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.

En résumé, les victimes d’une prise d’otages – je m’attacherai ici à cette seule infraction – sont susceptibles de relever, pour l’indemnisation de leur préjudice, de trois situations différentes.

Premièrement, si la prise d’otages constitue un acte de terrorisme, la victime bénéficie de la procédure instaurée par la loi du 9 septembre 1986 précitée.

Deuxièmement, si la prise d’otages, sans constituer un tel acte, a entraîné la mort de la victime, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, la victime peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice auprès de la CIVI, sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale précité.

Troisièmement, dans le cas contraire, l’intéressé ne peut prétendre à une indemnisation auprès de la CIVI que si, victime d’une atteinte à la personne, il ne peut obtenir à un titre quelconque une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice, s’il se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave et si ses ressources sont inférieures au plafond prévu pour l’aide juridictionnelle partielle.

En complétant l’article 706-3 du code de procédure pénale, la présente proposition de loi permettra à toutes les victimes d’être désormais assurées d’obtenir la réparation intégrale de leur préjudice, soit à travers la procédure ad hoc prévue en matière de terrorisme, soit à travers la procédure juridictionnelle instituée via l’article 706-3 du code de procédure pénale.

Sur le fond, ce texte ne soulève aucune difficulté particulière. Il illustre toutefois la complexité du droit en matière d’indemnisation des victimes d’infractions pénales, sujet sur lequel MM. Philippe Kaltenbach, ici présent, et Christophe Béchu présenteront un rapport d’information à notre commission à la fin du mois d’octobre 2013. (M. Philippe Kaltenbach acquiesce.)

Cette proposition de loi vise surtout – j’insiste sur ce point – à apporter sécurité juridique et reconnaissance symbolique aux victimes de prise d’otages. Par là même, elle attire l’attention sur la nécessité de mieux accompagner ces victimes et leurs familles. À cet égard, je tiens à adresser mon soutien aux deux journalistes enlevés en Syrie aujourd’hui même. Qu’ils reçoivent l’expression de toute notre empathie.

Mes chers collègues, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, je vous demande d’adopter le présent texte dans sa rédaction issue des conclusions de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

(M. Charles Guené remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.)