M. Thierry Repentin, ministre délégué. Cette session, en effet, a été victime du shutdown – je ne sais pas comment traduire ce mot en français –,…

M. André Gattolin. « Défaillance » !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. … des difficultés budgétaires des États-Unis. Toujours est-il que la seconde session est reportée après le moment où le président Obama aura trouvé un accord avec les parlementaires.

Plusieurs orateurs ont soulevé le problème des visas de transit aéroportuaire auxquels sont soumis les Syriens. Je vous rappelle que cette règle vise à assurer, à la frontière, un contrôle sur une éventuelle demande d’asile, afin de prévenir un possible détournement de procédure.

Supprimer ces visas reviendrait à nous laisser imposer des procédures ne prévoyant aucun contrôle, notamment sur le plan de la sécurité. À cet égard, je me permets de vous rappeler que, il y a peu de temps, Bachar Al-Assad a menacé la France dans la presse : nous avons aussi un devoir de protection du sol national et de nos ressortissants !

Cependant, la France continuera d’accueillir des réfugiés syriens, dans le respect des procédures mises en place par l’intermédiaire des consulats ; ils sont aujourd’hui un peu plus de 3 000 à bénéficier de notre protection. Je vous rappelle aussi que la France est le seul pays européen, et l’un des seuls au monde, à accepter d’accorder un visa aux demandeurs d’asile.

Je vous signale enfin que, précisément ce soir, le Président de la République, Laurent Fabius et Manuel Valls recevront M. Guterres, le président du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ; des propositions concrètes seront présentées à l’occasion de ce rendez-vous.

Monsieur Bizet, vous êtres très soucieux de l’avenir et de la bonne entente entre les deux membres du couple franco-allemand.

M. Jean Bizet. Ce n’est pas n’importe quel couple !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. En attendant que la séance constitutive du Bundestag, le 22 octobre prochain, au cours de laquelle le président sera élu, les rencontres entre la CDU et le SPD se poursuivent.

Quelle que soit l’issue des négociations en cours, nous n’avons aucune inquiétude sur la permanence du couple franco-allemand et sa capacité à faire avancer l’Europe, non plus que sur la possibilité pour la France de faire valoir son point de vue auprès du nouveau gouvernement allemand.

Compte tenu du rôle moteur de nos deux pays dans la construction européenne, nous sommes appelés à continuer d’agir ensemble en tant que force de propositions pour l’avenir. Je vous rappelle que ce cheminement commun s’est traduit par la présentation de propositions, sur la base d’un texte de plusieurs pages cosigné par Angela Merkel et François Hollande le 30 mai dernier. Cela n’était pas si courant par le passé !

Ces propositions franco-allemandes pour faire avancer l’Europe ont été communiquées à l’ensemble des États de l’Union européenne. Monsieur Bizet, vous le voyez, nous faisons des propositions concrètes ensemble.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne se passe pas une semaine sans qu’un membre du Gouvernement ne soit en rapport avec son collègue allemand. Je ne prends aucun risque en l’affirmant, car, pour ma part, je suis en relation toutes les semaines avec mon homologue. Ainsi, j’aurai un contact avec lui demain, comme Michel Sapin a rencontré hier Ursula von der Leyen. En vérité, je ne crois pas que deux autres pays dans le monde entretiennent une relation aussi étroite et constante !

À propos du travail low cost et du salaire minimum, dont il a été question dans le débat, nos deux pays travaillent aujourd’hui de manière concrète ; du reste, cela n’a pas forcément été facile à faire admettre. La permanence et la qualité de notre relation nous permettent parfois de surmonter très rapidement nos divergences pour arriver à un accord.

M. Bizet a signalé des divergences entre l’Allemagne et la France. Nous avons pourtant suffisamment convergé pour rendre possible la plateforme commune du 30 mai dernier.

Or celle-ci comporte notamment des propositions au sujet de l’union bancaire, avec un calendrier de mise en œuvre et des caractéristiques de la résolution unique ; il n’a pas été facile de convaincre notre partenaire sur ce point. Elle affirme aussi la nécessité d’une convergence sociale, en mentionnant les salaires minimaux, ainsi que la nécessité de renforcer la dimension sociale de l’Union économique et monétaire. La plate-forme mentionne aussi la nécessité d’une convergence fiscale. Plus précisément, nous avons décidé de travailler à la définition d’une assiette commune harmonisée de l’impôt sur les sociétés. Vous voyez, monsieur Bizet, qu’il s’agit de projets concrets !

À ceux qui prétendent que la France n’écouterait pas les avis de la Commission européenne et agirait à sa guise, je signale que le commissaire Olli Rehn, dont chacun peut convenir qu’il n’est pas le plus prompt à soutenir le Gouvernement français, a jugé le projet de budget « responsable et prudent » et salué « les efforts réels entrepris pour remettre les finances publiques de la France sur une trajectoire soutenable et les décisions pour supprimer certains freins à la croissance et à l’emploi ». Telle est l’opinion de M. Olli Rehn sur le projet de loi de finances que vous examinerez dans quelques semaines. Ce jugement est aussi le fruit du travail mené par le Gouvernement depuis dix-huit mois ; je pense notamment à l’effort structurel de 1,7 % du PIB en 2013, dont M. Collin a parlé en creux.

M. de Montesquiou a cité Schumpeter à propos de sa théorie de l’innovation. Certes, une innovation peut avoir pour effet d’accélérer l’obsolescence de certains biens ; mais Schumpeter affirme aussi que l’innovation, même dans sa fonction destructrice d’autres secteurs obsolètes, est en fait facteur de croissance. Nous considérons même que l’innovation est le facteur clé pour nous permettre d’élever notre potentiel de croissance et de créer des emplois.

C’est la raison pour laquelle nous poussons vraiment nos partenaires à adopter, les 24 et 25 octobre, une stratégie globale en faveur du numérique. De fait, une telle stratégie n’existe pas aujourd’hui ; tout le monde le reconnaît. Les différents gouvernements ont eu une approche « saucissonnée » du numérique, s’occupant un jour de la protection des données, un autre des aspects fiscaux, un autre encore du rôle des plateformes en matière d’Internet. Pour notre part, nous avons formulé une proposition globale.

J’ai été interpellé à propos de la fiscalité. Le modèle des grands groupes de vente par Internet, comme Amazon, doit être remis en cause, car l’évasion fiscale à laquelle se livrent ces grandes plateformes est inacceptable. La contribution du Sénat à cet égard a été prise en compte dans les propositions qui ont été soumises par la France. Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous défendons fermement ces idées au niveau européen.

Bref, nous voulons que l’ensemble des questions liées au numérique soient traitées de manière exhaustive, transversale et cohérente, dans le cadre d’une stratégie globale. Pour cela, il faut que le Conseil européen des 24 et 25 octobre commence à examiner, car il y faudra du temps, les aspects politiques, stratégiques, industriels, culturels et fiscaux de ce problème.

Il traitera aussi de la différence de taxation entre les biens physiques et les biens numériques. D’ailleurs, la Commission européenne prépare une révision de la directive TVA, pour que cette taxe soit payée là où le service est rendu, et non là où l’entreprise est installée.

Une question essentielle se pose s’agissant de l’érosion des bases fiscales des États, dans la mesure où nous cherchons les uns et les autres à optimiser nos recettes fiscales. Aussi, je me réjouis que la fin de l’année marque des avancées importantes sur cette question : les stratégies individuelles ou d’entreprise ne doivent plus permettre que, chaque année, des milliards d’euros échappent à la fiscalité dans l’Union européenne, en s’engouffrant dans les failles du système. Je pense notamment à certaines entreprises bien organisées dans le domaine du numérique.

Beaucoup ont fait référence aux initiatives en faveur des jeunes. M. Collin et M. le président de la commission des affaires européennes ont longuement évoqué le fonds de 6 milliards d’euros. On peut considérer que ce n’est pas suffisant. On peut aussi se dire que jamais, dans l’histoire de l’Union européenne, dans les budgets adoptés par le passé, il n’y a eu une telle expression de solidarité à l’égard de la jeunesse, dans le cadre de la lutte contre le chômage. Ces 6 milliards d’euros seront formellement approuvés, avec le cadre financier 2014-2020, par vos collègues du Parlement européen dans les prochaines semaines. Ils seront utilisés sur la période 2014-2015, pour soutenir, par effet de levier, les actions mises en place par les collectivités territoriales. En France, les sommes seront affectées à une douzaine de régions, là où le chômage touche plus de 25 % des jeunes.

Ne l’oublions pas, 2 milliards d’euros supplémentaires pourraient être disponibles après 2015. Au demeurant, je ne les appelle pas de mes vœux ! En effet, si le Parlement européen était amené à délibérer, en 2015, sur cette question, cela signifierait que le chômage structurel des jeunes aurait été auparavant insuffisamment combattu.

De plus, il faudrait ajouter à ce fonds tout l’argent issu du Fonds social européen, qui n’a pas été pris en compte.

Utilisons donc ce qui nous est octroyé et examinons comment ces crédits peuvent concourir à apporter aux jeunes des solutions de formation, d’apprentissage ou de retour vers l’emploi.

On me demande comment la « garantie jeunes » s’appliquera. Elle ciblera en priorité les jeunes qui ne sont ni étudiants, ni dans un emploi, ni en formation, et qui présentent des vulnérabilités. Ce programme commence ce mois-ci dans dix départements tests. Au bout de trois mois, soit en janvier prochain, dix autres départements seront ouverts à l’expérimentation. Enfin, la « garantie jeunes » sera généralisée sur l’ensemble du territoire national, et 300 000 jeunes pourront être concernés.

Monsieur Billout, les négociations sur les réseaux des services publics de l’emploi sont en cours au groupe des affaires sociales. La France y participe activement.

Ayant l’impression que vous considérez les recommandations de la Commission européenne comme des injonctions, je tiens à vous rassurer : les recommandations sont des avis, dont nous tenons compte. Nous avons en effet souhaité que la Commission analyse l’ensemble des politiques mises en place par les pays membres de l’Union européenne, afin d’en dégager un cheminement commun. Nous avons donc besoin de cette analyse, qui ne constitue à nos yeux qu’un avis.

De la même manière, l’entrée en vigueur du two-pack se traduira par un acte symbolique : un avis de la Commission européenne sur le budget de notre pays, dont vous débattrez souverainement. Cet avis viendra compléter celui du Haut Conseil des finances publiques, créé au niveau national. Bien évidemment, il ne se substituera pas à la décision de la représentation nationale, dont la légitimité vient du peuple.

J’évoquerai également, madame Khiari, quelques éléments de fiscalité. Le Conseil européen des 24 et 25 octobre traitera, je l’ai dit, la question du numérique de manière globale et transversale. Toutefois, une fiscalité propre aux activités numériques ne constitue pas, à nos yeux, la solution, même si nous devons adapter les cadres et outils existants au niveau national. D’autres membres du Gouvernement l’ont dit, il n’y aura pas en 2014 de nouvelles taxes sur le numérique. Nous devons travailler sur ce sujet aux niveaux européen et international. Je le répète, la réforme de la TVA fera peser sur les sociétés, à partir de 2015, une obligation en matière numérique : elles devront en effet s’acquitter du taux de TVA du pays où est installé l’acheteur du service, et non du territoire où elles ont intelligemment installé leur siège social. Ainsi, la présence d’Amazon au Luxembourg ne sera plus, désormais, un atout concurrentiel.

Par conséquent, la fiscalité sera bien à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Nous travaillons à la mobilisation de nos partenaires sur cette question, pour laquelle l’unanimité est nécessaire.

Mme Khiari et MM. Sutour et Marc ont abordé les indicateurs sociaux et leur caractère obligatoire. La France a demandé que, dans le cadre de la détermination des politiques de l’Union économique et monétaire, les choix se fassent à l’avenir en continuant de se fonder sur des indicateurs financiers propres à chaque pays. Il est également important de disposer, à l’échelle de l’Union européenne, d’un éclairage sur la situation sociale de chaque pays, afin que les recommandations, les politiques de convergence, soient adaptées à la réalité sociale de chaque pays en matière de chômage et de formation des jeunes.

Ainsi, c’est pour éclairer la Commission sur les différences entre les pays que nous souhaitons instaurer un dialogue sur les indicateurs sociaux. Ceux-ci ne doivent être ni obligatoires ni opposables. Il s’agit non pas de créer un corset supplémentaire, mais de tenir compte de la réalité intrinsèque de chaque État. Finalement, il s’agit de construire des politiques plus intelligentes, car mieux adaptées à la réalité de chaque pays.

À cet égard, la proposition de la Commission du 2 octobre dernier nous semble un premier pas intéressant, car inédit, d’autant que son président, ayant peu d’appétence pour ces questions, n’en est pas à l’origine. C’est bien la France qui a fait cette demande.

Ces premiers indicateurs devront être complétés. Nous ferons des propositions après le Conseil européen des 24 et 25 octobre, afin que des décisions puissent être prises au mois de décembre prochain. Cela devrait nous permettre d’avancer dans le sens d’une convergence, l’interprétation des indicateurs par les États membres devant être homogène. S’ils devenaient des critères contraignants, leurs niveaux risqueraient d’être très bas, ce qui favoriserait plutôt une approche libérale.

Sur l’union bancaire, M. le rapporteur général du budget a raison : les stress tests constitueront un moment très important du premier semestre 2014. Il s’agit même d’une étape clé pour assainir durablement les banques, avant que la BCE n’assume pleinement ses fonctions de superviseur. Ces stress tests devront impérativement être crédibles, M. le rapporteur l’a appelé de ses vœux. En cas de difficultés, la France défend, avec d’autres partenaires européens, la possibilité d’avoir directement recours au mécanisme européen de stabilité pour recapitaliser les banques. En tout état de cause, en cas d’intervention directe des États auprès de leur banque, la Commission adaptera évidemment son jugement sur les finances publiques du pays concerné.

Mesdames, messieurs les sénateurs, à la fin de cette longue intervention, j’ai le sentiment de ne pas avoir apporté toutes les réponses que vous attendiez. Selon moi, les questions qui sont posées permettront sans doute d’ouvrir un débat approfondi, à l’occasion notamment d’un grand rendez-vous, celui de mai 2014, au cours duquel nos concitoyens devront s’exprimer sur leur vision de l’Europe.

Je relève au moins un point positif de tout ce que j’ai entendu ici sur ce sujet, sur toutes les travées : personne ne remet en cause l’Europe.

Mme Bariza Khiari. Pas encore !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Nous devrons donc, en démocrates que nous sommes, imposer un débat entre différentes visions de l’Europe, pour éviter d’assister, en mai prochain, à une dispute entre ceux qui sont pour l’Europe et ceux qui sont contre. La question est en effet la suivante : quelle Europe voulons-nous ? Auparavant, il nous faudra affirmer que nous voulons une Europe plus intégrée que celle que nous connaissons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, avant d’aborder le débat interactif et spontané, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Débat interactif et spontané

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.

La parole est à M. François-Noël Buffet.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, nous avons tous été choqués par les drames de Lampedusa et de Malte. Il faut mener une véritable réflexion sur l’évolution des accords de Schengen, pour ne pas dire sur leur réforme.

Nous le savons, nous sommes empêtrés dans des problèmes de législation nationale, alors même que la difficulté est européenne et qu’il est par conséquent urgent de coordonner les règles à cette échelle.

Ma question sera double.

Les ministres européens de l’intérieur se sont retrouvés à Luxembourg pour évoquer le problème de l’accueil des migrants. Le Parlement européen, quant à lui, s’est prononcé sur un nouveau programme de surveillance des frontières baptisé « Eurosur », lequel devrait permettre d’améliorer la détection et la prévention de l’immigration clandestine, ainsi que la lutte contre celle-ci et la criminalité transfrontalière. Ce programme devrait également rendre possible le secours des migrants lorsque ceux-ci sont en danger.

Monsieur le ministre, quelles conclusions le Gouvernement a-t-il tirées de ces deux rendez-vous, qui sont majeurs pour nous ?

Par ailleurs, quel rôle notre pays souhaite-t-il donner à l’agence Frontex et quelle évolution prévoit-il pour cette dernière ? Faut-il envisager de remettre en cause le règlement de Dublin II, aux termes duquel les candidats à l’asile dans l’Union européenne doivent déposer leur demande dans le pays par lequel ils sont entrés ?

À ces questions pratiques, dans le détail desquelles je n’entrerai pas davantage, j’ajouterai que nous souhaiterions que vous clarifiiez la position de la France à l’égard de l’entrée effective de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen. Il s’agit là d’une question absolument fondamentale : nous ne pouvons pas accepter tous les flux migratoires, mais nous ne pouvons pas non plus accepter que des personnes meurent en tentant de rejoindre le territoire européen.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous avez cité le programme Eurosur, l’agence Frontex, vous auriez pu également évoquer le projet Seahorse, autant d’instruments dont disposent les autorités de l’Union européenne soit pour protéger les frontières, soit pour coordonner les moyens que mettent en place les différents pays de l’Union européenne pour gérer les flux migratoires.

Pour faire simple, je dirai que ces systèmes sont efficaces dès lors qu’ils sont appelés à réguler des flux réguliers, qui ne connaissent pas des « périodes de pointe », si je puis dire, comme ce à quoi nous assistons actuellement sur les rives nord de la Méditerranée.

Dans la perspective de la réunion qui se tiendra les 24 et 25 octobre prochain, nous avons proposé que les moyens affectés à Eurosur et à Frontex soient accrus compte tenu de l’afflux croissant de bateaux, souvent affrétés d’ailleurs par des réseaux criminels qui exploitent la misère humaine.

Vous m’avez également interrogé sur l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen. Je tiens à préciser que rien ne changera véritablement le 1er janvier prochain – je pense là à une actualité qui suscite le débat en France. Pourquoi ? Parce que les ressortissants de ces deux pays sont aussi, comme vous et moi, des ressortissants de l’Union européenne, que leur pays soit dans l’espace Schengen ou en dehors de celui-ci. Au même titre que les ressortissants des vingt-six autres pays de l’Union européenne, les Roumains et les Bulgares peuvent se déplacer en toute liberté sur le territoire de l’Union européenne et s’installer dans n’importe quel pays membre pendant trois mois au maximum. Par exemple, un Bulgare peut s’installer au Royaume-Uni, alors même que ce pays n’est pas membre de l’espace Schengen. En revanche, et là est la seule différence, si nous décidions d’y intégrer la Bulgarie et la Roumanie, alors on ne demanderait plus aux ressortissants de ces deux pays leur carte d’identité au passage des frontières.

Je vois bien ce que sous-tend votre question : c’est la sécurisation – naturelle – de l’espace communautaire vis-à-vis des flux migratoires extérieurs aux vingt-huit États membres. Si la Roumanie et la Bulgarie intégraient l’espace Schengen, cela signifierait – et c’est tout à fait substantiel – qu’elles auraient la responsabilité de l’organisation et de la sécurité de la frontière extérieure de l’Europe. Même si nous ne disposons pas à ce jour du rapport de la Commission européenne – ce sujet a été traité lors du dernier conseil Justice et affaires intérieures, auquel participait mon collègue Manuel Valls –, il ne nous semble pas que ces deux pays soient en mesure d’assurer une surveillance satisfaisante des frontières. À ce jour, tout laisse donc à penser que l’espace Schengen ne leur sera pas ouvert le 1er janvier 2014 ; il le sera quand nous aurons la certitude qu’ils ont la capacité d’assurer la sécurité des frontières extérieures.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je souhaite vous poser deux questions.

Premièrement, puisqu’on vient de parler de la Bulgarie, il faut savoir que ce pays accueille aujourd’hui sur son sol plus de 20 000 réfugiés syriens ; c’est elle qui, au sein de l’Union européenne, paie le plus lourd tribut à cette crise. Comment peut-on l’aider ?

Deuxièmement, je voudrais savoir quelle position adoptera le Conseil européen dans la perspective du prochain sommet du Partenariat oriental, qui aura lieu à Vilnius à la fin du mois de novembre. L’Ukraine négocie depuis 2008 un accord d’association avec l’Union européenne qui prévoit la libéralisation des échanges commerciaux, de nouvelles garanties pour les investissements et une évolution progressive vers une libre circulation sans visa. Cet accord, qui présente de nombreux avantages non seulement pour stabiliser nos échanges, mais aussi pour renforcer nos valeurs à nos frontières, a certes été paraphé par l’Europe, mais non encore signé. Pour ce faire, l’Union européenne a posé à l’Ukraine des conditions préalables.

L’ensemble des forces politiques ukrainiennes, y compris les opposants les plus farouches au président Viktor Ianoukovytch, demandent unanimement la signature de cet accord. Il faut dire que, en s’engageant dans une guerre commerciale contre l’Ukraine pour tenter de la dissuader de signer cet accord d’association, les Russes ont beaucoup fait pour susciter ce consensus et renforcer la détermination ukrainienne.

Aujourd’hui, l’Ukraine dispose d’une feuille de route. Son Parlement a voté plusieurs lois relatives à l’indépendance de la justice, du parquet, à la lutte contre la corruption, aux questions électorales. Compte tenu du consensus politique, le rythme devrait se poursuivre. L’exécutif a lui aussi pris des engagements pour améliorer le climat des affaires – qui est loin d’être satisfaisant –, la stabilité constitutionnelle et pour régler le cas de Mme Timochenko, actuellement emprisonnée et dont la situation est suivie par MM. Pat Cox et Aleksander Kwaśniewski.

Quelle appréciation la France porte-t-elle sur le suivi de cette feuille de route par l’Ukraine qui conditionne la signature de l’accord d’association ? Quels signaux adresser à la Russie pour que celle-ci ne prenne pas cette éventuelle signature comme un geste inamical ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le sénateur, dans le triptyque prévention, protection et solidarité du traitement du dossier Lampedusa, le volet solidarité est très important et nous prendrons en considération la réalité des flux migratoires auxquels doit faire face tel ou tel pays. Si d’aventure certains pays accueillent plus de réfugiés que d’autres – par exemple la Bulgarie –, il en sera tenu compte notamment dans la répartition des moyens budgétaires qui seront débloqués par l’Union européenne.

Vous m’interrogez sur le sommet du Partenariat oriental qui se tiendra les 28 et 29 novembre à Vilnius, plus précisément sur la perspective de la signature d’un accord d’association avec l’Ukraine. La France est sans doute le pays le plus exigeant en la matière. Nous demandons que des signes concrets, tangibles, opposables, soient envoyés par l’Ukraine pour manifester sa volonté de démocratiser – disons le mot – ses pratiques politiques. Certes, le cas de Mme Timochenko est emblématique, mais le règlement de sa situation ne suffira pas : nous demandons que soient adoptés un certain nombre de textes, relatifs notamment aux élections, visant à asseoir un système démocratique et à mettre fin à une justice sélective.

Hier soir, je rencontrais mon homologue du Royaume-Uni et nous veillerons à être en phase sur ce sujet. Globalement, nous sommes tous d’accord pour considérer qu’il vaut mieux arrimer l’Ukraine à l’espace de démocratie qu’est l’Union européenne plutôt que de l’inviter à se tourner du côté de la Russie. Mais nous maintiendrons la pression jusqu’au dernier moment avant de prendre la décision de signer ou non l’accord d’association.

Le 18 novembre prochain se tiendra un Conseil Affaires étrangères au cours duquel cette question sera précisément examinée. Une décision sera alors sans doute prise. Toujours est-il que la réunion de Vilnius sera non pas un aboutissement, mais un point de départ, car, à supposer que l’Union européenne signe un accord d’association, elle exercera une vigilance extrême pour s’assurer que les réformes démocratiques qui auront été engagées se traduisent dans les faits dans les années qui suivront.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Nous sommes très sensibles à cette question des relations entre l’Ukraine et l’Union européenne. Les membres de la commission des affaires européennes y ont beaucoup travaillé, notamment notre collègue Gérard César. Moi-même, j’ai reçu ici, au Sénat, voilà quelques semaines, M. Léonid Kojara, ministre ukrainien des affaires étrangères.

Monsieur le ministre, comme vous, je suis d’avis qu’il est nécessaire d’être exigeant avec l’Ukraine et de lui demander de faire des pas, mais il est également très important d’arrimer ce pays à l’espace démocratique qu’est l’Union européenne.

Avec mon ami Jean Bizet, nous travaillons sur les relations de l’Europe avec la Russie. Dans ce cadre, nous avons rencontré les responsables de l’Union eurasiatique, qui comprend le Kazakhstan, la Biélorussie et la Russie. Cette dernière voudrait beaucoup que cette union s’étoffe, en particulier avec l’entrée de l’Ukraine.

Ce pays de 46 millions d’habitants est incontestablement européen. Pour ma part, je suis conscient des obstacles à la signature de cet accord d’association. Certes, il faut être exigeant, mais la meilleure manière d’arrimer ce pays à l’Europe, c’est précisément la signature de cet accord.

La semaine prochaine, notre collègue Gérard César doit faire une communication sur l’application provisoire de l’accord. Comme vous pouvez le constater, nous sommes optimistes, mais c’est là une habitude.

Cette signature, comme vous l’avez indiqué fort justement, monsieur le ministre, ne sera pas un aboutissement, mais marquera le début d’une vigilance attentive à l’égard de tous les points de droit que vous avez évoqués – élections, justice, etc. Tous ces problèmes, nous les connaissons et moi-même me suis rendu à plusieurs reprises dans ce pays. Comme notre collègue Jean-Yves Leconte, j’estime que cet accord d’association doit être signé. (M. Jean-Yves Leconte applaudit.)