M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cela étant, la fusion ne préjuge pas de l’endroit où l’impôt, de proportionnel, deviendrait progressif : c’est une autre chose !

Il est concevable de mettre en place un impôt personnel unique qui, au passage, fasse justice de toutes les dépenses et niches fiscales qui rongent l’assiette, afin que, sur l’assiette la plus large possible, puissent s’appliquer les taux les plus raisonnables, les plus modérés et les plus attractifs possible. À partir de là, les uns peuvent souhaiter, pour encourager l’activité, que la proportionnalité soit la règle jusqu’à un seuil significatif, correspondant aux revenus des classes moyennes, voire des classes moyennes supérieures ; la progressivité prendrait ensuite le relais. Les autres peuvent souhaiter, si cela correspond à leurs convictions essentielles, que la progressivité s’applique d’emblée ou presque. Mais il me semble que, pour la clarté des débats, il serait préférable de séparer deux ordres de choses : la technique et la politique.

Monsieur le ministre, le fait que, dans la présentation de ce débat, deux éléments me paraissent assez sujets à caution me conduit à me tourner vers vous.

En premier lieu, on présente ce débat comme devant aboutir à plus de progressivité, comme François Marc, dont je comprends et respecte les convictions, le souhaite. Il semblerait en effet que la réforme ne soit envisagée que pour rendre progressive la contribution sociale généralisée.

En second lieu, à mon sens, le fait d’annoncer la consultation des partenaires sociaux avant de se préoccuper d’associer le Parlement à la réflexion est une façon contestable d’organiser la discussion et une erreur dans l’ordre des facteurs.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment cette initiative va être mise en œuvre ? Doit-on comprendre qu’elle doit trouver une traduction dans la loi de finances pour 2015 ou que l’étude se poursuivra tout au long du quinquennat, comme j’ai cru le comprendre à la lecture de propos tenus à Rome par le Président de la République ? Pouvez-vous nous éclairer sur la procédure et les objectifs, de sorte que notre assemblée puisse avoir les idées claires sur ce chantier de réforme, ce qui nous permettra de mieux préparer les débats futurs ?

M. Francis Delattre. C’est déjà cadré !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Tout d’abord, je tiens à remercier Mme Lipietz d’avoir permis l’ouverture de ce débat. Les interventions de M. le rapporteur général et de M. le président de la commission des finances montrent qu’il s’agit là d’un sujet de fond, sur lequel le Parlement est très mobilisé.

Avant de m’exprimer plus précisément sur la problématique soulevée par l’amendement, je commencerai par répondre aux deux questions posées par M. le président de la commission des finances : la réforme est-elle engagée à seule fin de renforcer la progressivité de l’impôt ? Dès lors qu’une large consultation des partenaires sociaux est prévue, faut-il en déduire que le Parlement n’interviendra qu’en « second rideau », ce qui reviendrait à minorer son rôle ?

En ce qui concerne la méthode, dans toutes les grandes démocraties européennes, sur des questions aussi importantes que celles que soulève l’amendement, à savoir le sens de l’impôt, les objectifs de politique publique pour lesquels il est mobilisé, le consentement à l’impôt qui, en France, est consubstantiel à la République, il est normal que les partenaires sociaux, surtout quand il s’agit de prélèvements pouvant contribuer au financement de la solidarité et de la protection sociale, et le Parlement, qui a à connaître de l’ensemble des lois financières, soient conjointement associés à la réflexion. Ces questions intéressent en effet la société dans son ensemble.

Il ne convient donc pas d’opposer le Parlement et les partenaires sociaux. Le fait que ces derniers soient associés à une réflexion ne signifie pas que le Parlement ait vocation à en être écarté. Réciproquement, la volonté clairement exprimée du Premier ministre de mobiliser le Parlement dans la réflexion ne signifie pas que cela pourrait être au détriment de la concertation sociale, sur laquelle repose la méthode du Gouvernement, dès lors que l’on traite de protection sociale, de solidarité, du modèle social français.

Par conséquent, monsieur Marini, tant le Parlement que les partenaires sociaux seront associés à la préparation de la réforme, chacun dans son rôle !

Les parlementaires ont un rôle éminent : ils incarnent la souveraineté nationale et sont fondés à s’exprimer sur tout sujet dont le Parlement a à connaître. Quant aux partenaires sociaux, ils ont eux aussi un rôle essentiel à jouer dans une démocratie sociale comme la nôtre.

Quant au fond, rien n’est pire à mon avis, quand on engage une réflexion sur une réforme fiscale, que de tomber dans l’un des deux pièges suivants.

Le premier, c’est de considérer que tout commence le jour où la réflexion est engagée. En l’occurrence, nous avons déjà entamé cette réforme fiscale ; elle n’arrive pas dans le paysage comme porte-chaussettes sur divan. En effet, au cours des derniers mois, nous avons aligné la fiscalité des revenus du capital sur celle des revenus du travail, nous avons réformé l’impôt de solidarité sur la fortune, nous avons décidé de revoir les droits de succession, nous avons engagé cet été une réflexion avec le monde de l’entreprise, qui se prolongera à l’occasion des Assises de la fiscalité des entreprises, au mois de janvier.

Par conséquent, les orientations données par le Président de la République lors la campagne pour l’élection présidentielle se sont traduites par de premières mesures. Le Premier ministre souhaite que nous profitions du débat sur la fiscalité pour tout remettre en perspective. Il ne faut donc pas fermer le débat avant de l’avoir ouvert – c’est le second piège à éviter –, en affirmant que le seul et unique objectif est de renforcer la progressivité de l’impôt.

Comme le signifie l’expression « remise à plat » employée par le Premier ministre, notre volonté est bien d’examiner la totalité des sujets, de façon globale, méthodique, en associant l’ensemble des acteurs, pour atteindre un certain nombre d’objectifs que je voudrais maintenant rappeler devant le Sénat.

Tout d’abord, nous avons besoin de simplification. À la question du niveau des prélèvements obligatoires s’ajoute celle du nombre de taxes. Il faut rendre plus lisible, simplifier le système fiscal. Pour le contribuable personne physique comme pour l’entreprise, c’est un élément indispensable pour faciliter l’investissement et renforcer le consentement à l’impôt.

Ensuite, il faut tendre vers la stabilisation. Tous les gouvernements prennent de multiples mesures fiscales, ce qui aboutit à la formation d’un véritable palimpseste, difficilement lisible.

La simplification et la stabilisation sont des moyens de stimuler la croissance, troisième objectif de notre action.

Enfin, il faut faire en sorte que l’impôt soit juste et, par conséquent, plus progressif, même si ce n’est pas le seul but. Cela est très important, car l’impôt est aussi un instrument de redistribution.

Tels sont les quatre axes qui guident notre action : simplification, stabilisation, stimulation de la croissance, justice fiscale.

M. Aymeri de Montesquiou. Et l’efficacité ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J’en viens à l’amendement défendu par Mme Lipietz, qui soulève une question lourde. L’adopter mettrait un terme au débat de façon prématurée.

L’impôt sur le revenu et la CSG sont de nature différente : l’un est prélevé à la source, l’autre pas ; l’un est familialisé, l’autre pas. Si nous voulions rapprocher les deux, il faudrait que nous remettions à plat toutes les niches fiscales. Or, comme vous le savez, chaque fois que l’on s’attaque à une niche fiscale, on constate qu’elle abrite un chien. On constate aussi parfois que les défenseurs des niches se disent favorables à la réforme fiscale : nous en avons vu des exemples concrets ! Chacun est opposé aux niches fiscales dont il ne bénéficie pas…

Pour conclure, faisons en sorte que cette réforme soit une extraordinaire occasion de faire vivre la démocratie politique et sociale, qu’elle permette de renforcer le consentement à l’impôt en simplifiant, en stabilisant, en stimulant la croissance, en réinstaurant de la progressivité et de la justice dans le système fiscal.

Prenons le temps de l’analyse, madame Lipietz, car la complexité du sujet exige un débat très approfondi, à la fois technique et politique. Dans cette perspective, je vous suggère de retirer cet amendement d’appel, afin que nous puissions profiter de l’impulsion donnée par le Président de la République et par le Premier ministre pour discuter ensemble de toutes ces questions.

Mme la présidente. Madame Lipietz, l’amendement est-il maintenu ?

Mme Hélène Lipietz. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Tant que les gens considèrent que les impôts ne sont pas confiscatoires, aucun gouvernement, de droite ou de gauche, n’évoque une remise à plat du système fiscal.

En revanche, annoncer une réforme fiscale quand l’exaspération a atteint un tel niveau, quel joli coup politique, monsieur le ministre ! Ô miracle, selon un sondage récent, 80 % des Français jugent l’idée excellente, chacun considérant qu’il va bénéficier de la réforme fiscale…

M. Philippe Dallier. Bien sûr !

M. Roger Karoutchi. Les chefs d’entreprise pensent que les entreprises seront moins imposées, les ménages modestes qu’ils seront exemptés, les classes moyennes qu’elles seront enfin moins matraquées.

Le grand soir fiscal, il en est question depuis les débats entre Clemenceau et Caillaux sur l’opportunité de créer un impôt sur le revenu.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On a fini par le faire !

M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, vous affirmez que le consentement à l’impôt est consubstantiel à la République : c’est une erreur, pardonnez-moi de vous le dire. En 1859, le duc de Morny avertissait déjà Napoléon III de l’affaiblissement du consentement à l’impôt dans le pays et du risque de troubles. L’empereur engagea alors la libéralisation du régime, mit en place le système parlementaire et réforma la fiscalité dès 1860.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il y avait moins de dépenses publiques, à l’époque !

M. Jean-Pierre Caffet. C’était l’empire !

M. Roger Karoutchi. Le consentement à l’impôt est donc constitutif non pas de la République, mais de l’unité de la nation, de l’équilibre de la société.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est vrai !

M. Roger Karoutchi. Mais le problème ne se situe même pas là.

Si nous adoptions l’amendement déposé par le groupe écologiste, qui a certes le mérite d’ouvrir le débat, les ménages très modestes, non soumis aujourd’hui à l’impôt sur le revenu,…

M. Jean-Pierre Caffet. Ils paient la CSG !

M. Roger Karoutchi. … y seraient assujettis demain.

Je ne prétends pas que les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, qui ont accumulé des systèmes très complexes dans le passé ont tous été raisonnables, mais ils ont cru que la création de certaines niches constituait une mesure positive sur le plan social. On réclame maintenant la suppression de toutes les niches, mais on se rendra très vite compte qu’il n’est pas envisageable de toucher à certaines d’entre elles. Je pense par exemple aux réductions d’impôt pour dons aux associations caritatives.

Si je me montrais sceptique tout à l’heure, monsieur le président Marini, c’est parce que j’ai le sentiment que l’on nous annonce toujours que demain tout ira mieux… Essayons déjà, plus modestement, de simplifier, de limiter la pression fiscale. À cet égard, je me permets de rappeler que le Président de la République a annoncé que la « remise à plat » interviendrait à ressources fiscales constantes. Il n’est donc pas question, dans son esprit, d’une baisse de la pression fiscale globale.

Par conséquent, simplifions, facilitons, uniformisons, restaurons l’équilibre : faut-il vraiment consacrer toutes les énergies, pendant deux ans, à une remise à plat ? Je n’en suis pas convaincu.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Je tiens tout d’abord à féliciter M. le ministre de l’habileté politique qu’il a démontrée à l’occasion de la dernière réponse qu’il m’a faite. Il s’agissait de la réduction d’impôt au titre de la prise en charge de la dépendance. Comme j’avais épuisé mon temps de parole, je n’ai pas eu le temps de rappeler que le projet de loi d’orientation et de programmation pour l’adaptation de la société au vieillissement devait nous être soumis en septembre 2013. Vous reportez son examen à 2014 : soit, mais je pense qu’il aurait dû intervenir plus tôt.

Mme Touraine nous avait résumé cette réforme de la prise en charge de la dépendance par la formule des « trois A ». Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous nous parlez des « trois S » : simplification, stabilisation, stimulation. J’espère que cela n’augure pas un report de la réforme fiscale annoncée…

Nous soutenons le projet d’une réforme globale. Cet amendement, monsieur le ministre, témoigne de notre intérêt pour une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG en un impôt unique progressif, prélevé à la source. Sachez que si vous vous orientez dans cette direction, vous aurez le soutien des écologistes, qui se feront alors un plaisir de voter la loi de finances ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il fallait le dire plus tôt ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Nous sommes prêts pour le grand soir fiscal attendu depuis 1860, selon M. Karoutchi !

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.

M. Vincent Delahaye. Je ne sais pas si l’annonce du Premier ministre est un bon « coup politique », comme l’a dit Roger Karoutchi. Si tel était le cas, ce ne serait qu’à court terme, parce que l’on sent bien que les avis favorables émanent de personnes qui confondent « remise à plat du système fiscal » avec « diminution de la pression fiscale ». Chacun a entendu ce qu’il voulait entendre, mais je ne suis pas du tout certain que la réforme débouche sur une baisse de la pression fiscale. En tout cas, le Premier ministre n’a rien dit de tel : il a seulement parlé de stabilisation ; je doute que cela suffise à obtenir l’assentiment des Français. Comme je l’ai dit hier, il faut réduire la dépense publique et la fiscalité : c’est ce qu’attendent nos concitoyens.

Sur le fond, monsieur le ministre, vous affirmez que la réforme des « trois S » a en fait déjà été engagée. Je conteste cette présentation des faits.

Pour ce qui est de la simplification, prenons l’exemple du dispositif relatif à l’imposition des plus-values qui a provoqué, l’an dernier, la révolte des « pigeons » : personne, dans cet hémicycle, n’y comprenait plus rien ! Tout le monde était complètement perdu, la fiscalité était devenue encore moins lisible qu’auparavant. La simplification n’a donc pas commencé.

Il en va de même pour la stabilisation : je l’ai dit hier, de 60 milliards à 70 milliards d’euros d’impôts supplémentaires ont été prélevés entre 2011 et 2013. Je n’appelle pas cela un début de stabilisation !

Quant à la stimulation de la croissance, lorsque vous êtes arrivés aux responsabilités, en 2012, on nous annonçait un taux de croissance de 1,7 % pour 2013 : il sera de 0,1 % ou de 0,2 %, au mieux…

Je peux souscrire à l’objectif des trois S – encore que je préfère la réduction de la fiscalité à sa stabilisation –, mais rien n’a encore été fait et il serait grand temps de s’y mettre. Je suis prêt à participer à la réflexion, sans a priori politiques, mais avec un objectif de fond : la réduction de la pression fiscale.

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin, pour explication de vote.

M. Yvon Collin. J’avais déposé, avec les membres du RDSE, un amendement similaire à celui du groupe écologiste. Notre amendement différait en ce qu’il visait à établir une plus forte progressivité, avec des taux d’imposition très faibles pour les bas revenus et élevés pour les hauts revenus, sans pour autant être confiscatoires. J’attire l’attention de nos collègues du groupe écologiste sur le taux maximal de 60 % qu’ils proposent d’instaurer, car il me semble excessif et donc problématique.

M. Jean Desessard. On y réfléchira !

M. Yvon Collin. Malheureusement, notre amendement a subi les foudres de la commission des finances, au titre cette fois non de l’article 40 de la Constitution, mais de la loi organique relative aux lois de finances. Si je comprends et j’apprécie, monsieur le rapporteur général, la rigueur de notre commission, je regrette tout de même cet excès de zèle…

Il nous paraît important de rappeler que les radicaux de gauche défendent, depuis 1997 au moins, l’idée d’un grand impôt personnel et progressif sur le revenu. Un tel impôt, payé par tous, mais selon des taux très progressifs – donc d’un montant symbolique pour les ménages les plus modestes –, devrait permettre de redonner du sens à la citoyenneté et au consentement à l’impôt, fondement de la démocratie.

Dans mon intervention au cours de la discussion générale, j’ai cité l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il est plus que jamais d’actualité : pour financer ce que nous appellerions aujourd’hui les services publics et la protection sociale, « une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Notre objectif est tout simplement de renouer avec la simplicité et la pertinence de cet article, qui fait partie du bloc de constitutionnalité. Cela suppose, à nos yeux, la fusion de l’impôt sur le revenu, de la CSG et de la majeure partie des cotisations sociales salariales en un impôt unique progressif, qui devrait également prendre en compte les revenus du capital.

Il semble désormais acquis que le Gouvernement proposera, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, une grande réforme fiscale. Comme nous l’avons souligné lors de la discussion générale, nous sommes prêts à y travailler tout au long de cette année avec vous, monsieur le ministre.

Dans cet esprit, nous nous réjouissons également que la commission des finances du Sénat ait décidé de saisir le Conseil des prélèvements obligatoires, pour qu’il réalise une étude sur la faisabilité technique et juridique de la fusion des assiettes de l’impôt sur le revenu et de la CSG, mais aussi sur les effets économiques et budgétaires d’une telle réforme, sous différentes hypothèses.

Nous attendons donc cette grande réforme qui nécessite une concertation à laquelle nous comptons bien apporter notre pierre. C’est pourquoi nous ne voterons pas aujourd’hui l’amendement de nos collègues écologistes, dont nous contestons, par ailleurs, certains des choix en matière de taux.

Mme la présidente. La parole est à M. Edmond Hervé, pour explication de vote.

M. Edmond Hervé. Lorsque, au début de cette semaine, M. le Premier ministre a décidé d’ouvrir un grand débat sur la « mise à plat », dans la transparence, de notre système fiscal, il a posé un acte de responsabilité politique. En effet, en prenant cette initiative, il répond à une situation marquée, comme l’a dit l’un de nos grands experts, le professeur Michel Bouvier, par un « désarroi fiscal irrationnel ». (Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. Philippe Dallier. Pas si irrationnel que ça !

M. Edmond Hervé. Mes chers collègues, j’ai toujours eu pour principe, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat, de ne jamais interrompre un orateur. Je vous remercie de faire de même.

Les sondages indiquaient, au début du mois d’octobre, que nos concitoyens estiment payer trop d’impôts. Mais, en même temps, ils veulent plus de services publics, plus de justice, tandis que certains élus locaux veulent plus de subventions ! Il est donc important de mettre les choses à plat.

Ne nous voilons pas la face : suivant les travées sur lesquelles nous siégeons, nous n’avons pas la même conception de l’impôt. Je reconnais, à cet égard, que les thèses libérales occupent aujourd’hui une place très forte dans l’opinion publique : vous avez réussi à rendre assez consensuel le leitmotiv du « trop d’impôts », qui est l’affirmation d’une doctrine libérale à laquelle je n’adhère pas.

Ce qui compte en réalité, c’est le principe de justice fiscale, grand principe révolutionnaire en vertu duquel chacun est imposé selon sa capacité contributive. Surtout, il faut que ce que financent les impôts, aussi juste soient-ils, soit conforme à l’intérêt général.

Il y a là matière à un grand débat. Je constate d’ailleurs, depuis de très nombreuses années, que l’État a modernisé sa fiscalité, mais que les collectivités locales sont toujours en retrait : c’est ce que j’ai appelé le « grand évitement ».

L’évolution du débat, au cours de l’histoire, nous donne tout de même des raisons d’être optimistes. Je me souviens des conditions dans lesquelles la création de la CSG a été votée à l’Assemblée nationale, en 1990 : une motion de censure avait failli être adoptée. Ici même, au Sénat, il s’était trouvé des élus pour saisir le Conseil constitutionnel, au motif que la CSG n’était pas progressive. Je suis heureux de constater que, aujourd’hui, le principe de progressivité semble réunir un certain consensus.

Monsieur Marini, je vous remercie d’avoir bien précisé le principe de mixité auquel vous êtes attaché, associant proportionnalité et progressivité. Le grand débat entre nous portera justement sur la mise en œuvre ou non de ce principe de mixité.

Nous connaissons actuellement des circonstances extrêmement difficiles. N’oublions jamais que toute réforme fiscale se traduit par des transferts : ceux qui en bénéficient ne disent rien, les autres protestent. Je ne veux pas refaire l’histoire, monsieur le ministre, mais je suis navré de devoir rappeler le sort qui fut réservé à la taxe départementale sur les revenus, en 1992.

Si M. le Premier ministre a pris l’initiative d’ouvrir maintenant le débat, c’est parce qu’une grande réforme prend du temps et ne peut jamais se décider à la veille d’une élection, quelle qu’elle soit ! (Mme Hélène Lipietz applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. L’amendement de nos amis écologistes a le mérite de déclencher un débat fort intéressant. Si nous sommes d’accord avec la question posée, nous divergeons sur la réponse. Comme nous l’avons dit précédemment, nous ne pensons pas que la fusion soit la voie suprême pour accéder à la justice fiscale. D’autres pistes, qui ont été évoquées, existent.

De façon plus générale, qu’est-ce que le « ras-le-bol fiscal » ? Cette expression qui pollue le débat politique depuis la rentrée de septembre a malheureusement été validée fin août – je le dis sans esprit polémique – par un ministre du Gouvernement. Comme si cette idée était acceptable ! Or ce dont les Français souffrent aujourd’hui, ce n’est pas d’un ras-le-bol fiscal, mais de l’injustice fiscale. (M. Jean Desessard applaudit.) Voilà sur quoi nous devons faire porter nos efforts !

Je partage tout à fait le point de vue d’Edmond Hervé : le libéralisme n’est pas étranger à tout cela. D’aucuns profitent en effet de ce débat, qui part dans tous les sens et vient de tous les côtés, pour capter les mécontentements, les déceptions et les difficultés réelles de nos concitoyens, en lançant une sorte de guerre contre l’impôt en général. On sait quel danger cache ce discours dénonçant trop d’État, trop de fonctionnaires, trop de dépenses publiques. C’est pourquoi nous devons être vigilants et ne pas perdre de vue notre véritable objectif : établir la justice fiscale, au plus vite, et mettre en place une véritable progressivité de l’impôt.

Personne ne doit échapper à l’impôt, car, comme le disait dans les années trente Henry Morgenthau, secrétaire américain au Trésor sous la présidence de Franklin D. Roosevelt, l’impôt est le prix à payer pour vivre dans un monde civilisé.

Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !

M. Francis Delattre. Un monde libre !

M. Roger Karoutchi. Le problème, c’est le niveau de l’impôt !

M. Éric Bocquet. Nos concitoyens veulent bénéficier de services publics et pouvoir faire vivre dignement leur famille. Voilà à quoi sert l’impôt ! Il faut lui redonner son sens. Être contribuable, c’est faire partie d’un espace commun qu’on appelle la République, d’une société, avec tout ce que cela implique en termes de protection et d’épanouissement. Voilà quel est l’objectif ultime de l’impôt ! Prenons garde aux débats dévoyés ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Caffet. Il est clair que nos collègues du groupe des Verts ont déclenché un débat qui dépasse très largement l’habituel examen des amendements du projet de loi de finances, mais, après tout, c’est une bonne chose.

Pour ma part, je ne considère pas que l’annonce du Premier ministre dans le quotidien Les Échos soit un coup politique. (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.) Certes, elle intervient à un moment d’interrogation sur le consentement à l’impôt – je vais y revenir –, mais elle procède d’une nécessité.

Le consentement à l’impôt n’est uniquement une affaire de lisibilité, de simplicité, voire de justice. Il est également lié – nous aurions tort de ne pas tous nous en préoccuper – au fait que nos concitoyens attendent un retour sur investissement, si je puis m’exprimer ainsi.

Les recettes, qu’elles soient fiscales ou sociales, servent à financer les services publics et à assurer nos concitoyens contre les risques liés à la maladie ou la vieillesse. N’oublions pas cette dimension dans la réflexion que nous aurons à mener. Ce n’est pas un conseil que je donne, c’est une conviction profonde que j’exprime. Je pense vraiment que nous aurions tort de nous préoccuper uniquement de la simplicité et de la lisibilité de notre système de prélèvement. Dans la réflexion à venir, à laquelle le Parlement sera associé, nous devrons également nous préoccuper de la qualité et de la quantité des services publics fournis à nos concitoyens. Ma foi, si ce travail peut déboucher sur des réformes, je serai le premier à m’en féliciter.

Nous constatons, au fur et à mesure des textes que nous examinons, que le financement des services publics est de moins en moins garanti. Quant à notre système de protection sociale, il est malade de ses déficits. Pour cette raison, la réflexion à laquelle nous sommes invités doit dépasser le simple sujet fiscal pour englober l’ensemble des prélèvements auxquels sont soumis les Français.

En examinant la contrepartie fournie aux Français en échange des prélèvements fiscaux ou sociaux, nous trouverons sans doute de nombreux progrès à réaliser pour améliorer, par la voie de réformes, la manière dont le service public est rendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour explication de vote.

M. Aymeri de Montesquiou. Lorsque notre collègue Edmond Hervé a pris la parole, j’ai spontanément partagé son sentiment, jusqu’à ce qu’il parle d’irrationalité. Si certaines réactions de nos concitoyens sont sans doute irrationnelles, la feuille de paye et la feuille d’impôt, elles, sont bien concrètes, tout comme sont concrets l’impôt sur les sociétés à 38 % et la taxe à 75 % sur les salaires très élevés.

Pour ce qui concerne les objectifs, je serai moins ambitieux que vous, monsieur le ministre. Bien évidemment, la justice doit être un objectif majeur, mais n’oublions pas l’efficacité. Or j’ai le sentiment aujourd’hui d’une perte d’efficacité de l’impôt, parce qu’il n’y a plus d’envie : les investisseurs étrangers et les créateurs de richesses ont moins envie d’investir en France et les salariés de faire des heures supplémentaires. Comme vous le savez, le désir est le plus important des moteurs.

M. Jean Desessard. Le désir d’impôt ? (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.