M. Roland du Luart. Ça, ce serait bien !

M. Vincent Delahaye. Sauf impossibilités techniques, que je pourrais comprendre,…

M. Jean-Claude Lenoir. Il faudrait seulement modifier la Constitution…

M. Vincent Delahaye. … ce serait beaucoup plus clair, pour les parlementaires comme pour l’ensemble des citoyens, car on aurait ainsi une vision d’ensemble de notre déficit. En effet, lorsqu’on cumule le déficit de l’État, celui de la sécurité sociale, les investissements d’avenir et le CICE, on arrive à 110 milliards d’euros, voire 120 milliards d’euros, ce qui n’est plus supportable aujourd’hui. On ne peut pas continuer à dépenser ainsi 20 % de plus que ce que l’on gagne ! Aucun Français ni aucune entreprise n’y parviendrait.

Il est temps de mettre les actes en accord avec le discours. Nous vous suivons sur l’idée d’une réduction forte des dépenses et du déficit, mais nous attendons des actes. Pour la France, nous espérons vivement qu’ils interviendront rapidement, si possible dès 2014.

En attendant, nous voterons, bien sûr, contre ce collectif budgétaire. (On feint de s’en étonner sur les travées du groupe socialiste.)

M. Richard Yung. C’est bien dommage !

M. Vincent Delahaye. Nous espérons que les prochains seront plus satisfaisants.

C’est d’ailleurs ce qui nous conduira, d’abord, à voter la question préalable qui sera présentée tout à l'heure, même si nous ne sommes pas nécessairement d’accord avec l’argumentation qui la sous-tend. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons longuement débattu de ce projet de loi de finances rectificative la semaine dernière, avant qu’il ne soit finalement rejeté, par 188 voix contre, dans la nuit de vendredi à samedi.

Sur plusieurs points importants du texte, le Sénat avait adopté les propositions du Gouvernement. Je pense notamment au dispositif de réforme de l’assurance vie, qui vise à drainer l’épargne populaire vers les PME, ou aux différentes mesures destinées à soutenir l’exportation.

Nous avions aussi voté la reprise de la dette de l’établissement public de financement et de restructuration par l’État – EPFR –, pour des raisons de bonne gestion, notamment au regard du niveau très bas des taux d’intérêt.

Enfin, parce que nous soutenons la liberté de la presse, nous avions même voté un abandon de 4 millions d’euros de dettes pour le journal L’Humanité, ce qui représente tout de même un geste fort. Je crois que, avec le Gouvernement, nous pouvons en être fiers, et nous devrions tous nous en réjouir ! (M. Roland Courteau opine.)

M. Joël Bourdin. C’est plutôt une raison de plus de voter la question préalable ! (Sourires.)

M. Richard Yung. De nombreux autres amendements avaient été adoptés par des majorités, sinon de circonstance – le terme serait désagréable –, à tout le moins composites, voire contradictoires dans leur essence, amendements qui avaient eu pour résultat de dénaturer la politique proposée par le Gouvernement, laquelle se caractérise notamment par une réduction significative des déficits de l’État et des actions fortes en faveur de l’emploi.

Avaient notamment été votés un ensemble d’amendements portant sur la TVA qui auraient eu pour résultat de creuser le déficit de 5 milliards d’euros, le faisant passer de 82 milliards d’euros à 87 milliards d’euros.

Monsieur Dallier, vous nous dites de cesser d’invoquer l’héritage.

M. Richard Yung. En dix-huit mois, tout aurait dû changer, bien sûr… La politique économique répond au coup de sifflet, comme dans la marine, c’est bien connu ! (Nouveaux sourires.)

Vous-mêmes, d’ailleurs, en moins de dix-huit mois, vous avez su modifier significativement les choses, comme tout le monde a pu le constater !

Vous nous dites que c’est le « trop-d’impôt » qui tue la croissance. Or il m’avait pourtant semblé que, au cours des trois dernières années du mandat de votre majorité, la croissance avait suivi une courbe déclinante…

M. Philippe Dallier. Et la crise, ça vous dit quelque chose ?

M. Richard Yung. Pourtant, vous n’êtes pas un avocat du « trop-d’impôt » ! Il ne me semble donc pas que cette explication puisse être retenue.

Est-ce que, dans les autres pays européens, on observe que la réduction des impôts a des effets positifs sur la croissance ? Non ! Ce qui fait que l’Europe est malheureusement, dans le monde, une zone de croissance faible, c’est la mauvaise politique qui a été menée et imposée par l’Union européenne.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est facile ! Attendez-vous à un Grand Soir aux élections européennes !

M. Richard Yung. Pourquoi croyez-vous que les États-Unis ont un taux de croissance beaucoup plus élevé que l’Europe ? Parce qu’ils n’ont pas suivi cette politique ultralibérale qui a fait de l’Europe une zone de non-croissance, avec tout son cortège de difficultés, en Grèce, en Espagne ou en Italie.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !

M. Richard Yung. Je vous remercie aussi de nous avoir livré quelques explications sur la vie interne du parti socialiste, monsieur Dallier. Un certain nombre de ces éléments m’avaient en effet échappé ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Je me réjouis qu’il n’en soit pas de même à l’UMP, un parti entièrement uni derrière son chef, comme chacun sait, et qui, de surcroît, promeut un programme de politique économique et fiscale parfaitement clair.

D’ailleurs, aujourd’hui même, je lisais une déclaration de M. Copé comme quoi il nous fallait absolument réduire le nombre de fonctionnaires d’environ 1 million. Enfin, me suis-je dit, une solution qui permettra de résoudre certains de nos problèmes ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.) Mais voilà que, dans le même temps, M. Juppé déclare : « Soyons sérieux, 1 million de moins de fonctionnaires, ça ne veut rien dire. Où va-t-on les prendre ? » (Nouveaux sourires.)

Il faut donc croire que le problème n’est pas si simple. On peut toujours railler l’action du Gouvernement, mais on s’aperçoit que, finalement, monsieur Dallier, vous n’avez pas plus de solution à proposer que les autres.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est vous qui êtes au pouvoir !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Occupez-vous de la France plutôt que de l’UMP !

M. Richard Yung. Il me semble que vous avez exercé le pouvoir pendant une dizaine d’années, avec le résultat que l’on sait ! (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)

Je vois avec plaisir que mes propos vous font réagir et que vous n’aimez pas que l’on vous mette le nez devant certaines réalités.

Nous, sénateurs du groupe socialiste, n’avons pas voté le texte issu des débats du Sénat en première lecture parce qu’il nous paraissait dépourvu d’orientations et, à certains égards, contradictoire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est la commission qui a fait cela !

M. Richard Yung. En revanche, nous approuvons le texte désormais issu des travaux de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Claude Lenoir. Vous parlez au nom de la majorité ?

M. Richard Yung. Je parle de ce qui a été voté ce matin par la commission des finances, au Sénat. Il me semble que, dans le cadre du fonctionnement démocratique normal, la commission se prononce.

M. Jean-Claude Frécon, vice-président de la commission des finances. Et elle s’est prononcée !

M. Richard Yung. Dès lors, chacun prendra ses responsabilités.

M. Jean-Claude Lenoir. Nous avons pris les nôtres !

M. Richard Yung. Le rapporteur ayant rappelé l’ensemble des modifications apportées, je n’y reviens pas. Treize amendements sont d’origine sénatoriale ; je m’en réjouis. Ils concernent notamment les modalités de l’assurance vie, le pari mutuel urbain en Nouvelle-Calédonie,…

M. Philippe Dallier. Ça, c’est important ! (Sourires.)

M. Richard Yung. N’est-ce pas ?

… des dispositions relatives à la fiscalité de la taxe foncière ainsi que le rapport sur la garantie de la COFACE.

D’autres amendements venant de l’Assemblée nationale ont été retenus, qui concernent : les maisons de champagne – j’espère que le vin de Vouvray bénéficiera également de cette avancée –, les mesures relatives aux fréquences hertziennes, la limitation de l’indexation de la contribution au service public de l’électricité, la taxe d’apprentissage garantie pour les régions.

Parce que notre groupe soutient la politique gouvernementale et que nous sommes en accord avec ces amendements, nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Je veux tout d’abord remercier le rapporteur général du soutien qu’il apporte à ce projet de loi de finances rectificative. Outre les précisions qu’il a données sur le contenu de ce texte en son état actuel, il nous a appelés à une gestion sérieuse des finances publiques compte tenu d’une situation dégradée. Nous saurons l’entendre.

Je remercie également Yvon Collin et le groupe RDSE de soutenir ce texte. Monsieur le sénateur, au cours de votre intervention, vous avez évoqué la réforme de la taxe d’apprentissage. Effectivement, je crois que l’on ne mesure pas suffisamment le travail du Gouvernement en la matière. Grâce à la négociation, pas moins de trois réformes essentielles ont abouti en dix-huit mois.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq, ministre. En matière de formation professionnelle, les résultats issus soit de la négociation, soit de la concertation avec les organisations syndicales et patronales portent tout de même sur plus de 25 milliards d’euros.

La collecte de la taxe d’apprentissage se caractérisait par une certaine confusion. Le nombre de collecteurs sera ramené de 150 à 40. Le produit de cette taxe servira, n’en doutons pas, à ceux qui sont directement touchés par le chômage et qui ont tout particulièrement besoin de formation. Sachant que nous accusons un retard en ce domaine, il est heureux que la réforme voulue par les syndicats de salariés et les organisations patronales permette de le combler. Cela est aussi, me semble-t-il, à mettre au crédit de la méthode du Gouvernement, qui privilégie la négociation.

Je remercie également M. Yung, qui, je le constate pour m’en réjouir, n’a rien perdu de sa vigueur, suscitant même quelques remous sur les travées de l’opposition. Cela dit, M. Dallier non plus n’a rien perdu de sa vigueur, et je l’en félicite ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Permettez-moi néanmoins de vous dire, monsieur Dallier, que nous réduisons les déficits là où un gouvernement que vous souteniez les avait fait exploser. Si vous le voulez, je peux rappeler l’évolution des chiffres année après année.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le problème, c’est l’aggravation des déficits en 2013 !

Mme Nicole Bricq, ministre. Par ailleurs, nous tenons la dépense, contrairement à ce que vous avez fait naguère. Je rappelle qu’entre 2007 et 2011 elle a augmenté de 5,5 milliards d’euros en moyenne chaque année. Ces chiffres sont peut-être difficiles à entendre, mais ils sont indiscutables.

M. Delahaye a souligné que les recettes étaient inférieures aux prévisions. Pour ma part, je me suis bien gardée de dire que le niveau des recettes découlait mathématiquement de la conjoncture, car la mathématique fait appel à l’esprit spéculatif. Je me suis contentée de l’arithmétique, soutenant que le niveau des recettes dépendait mécaniquement de l’activité. Dès lors que la croissance est moins forte, les recettes en pâtissent ; c’est ce qui s’est passé pour la TVA et pour l’impôt sur les sociétés. Cela n’a rien de surprenant.

M. Delahaye a aussi critiqué la modernisation de l’action publique. Je tiens à signaler le changement de méthode qu’on peut observer à cet égard : auparavant, avec la RGPP, c’était la méthode du rabot qui prévalait ; aujourd'hui, la MAP suppose une évaluation préalable. Ce matin encore, nous avons lancé douze chantiers d’évaluation en vue de simplifier – en simplifiant, on peut faire beaucoup d’économies – et de procéder à des réformes.

En 2013, la MAP représente ainsi 10 milliards d’euros d’économies. Pour 2014, nous prévoyons 15 milliards d’euros d’économies. Cela fera un total de 25 milliards d’euros en deux ans.

De plus, l’année prochaine, au moment de l’examen de la loi de finances initiale pour 2015, vous aurez à débattre du plan triennal. Nous le savons, des économies sont encore à réaliser : ce sont, en effet, 50 milliards d’euros qu’il nous faudra trouver.

Je souligne en outre que les nouvelles dépenses qui ont été citées tout à l’heure ont toutes été financées par des économies.

Je remercie donc les uns de leur soutien, mais aussi les autres, qui font leur travail d’opposition, dans la clarté et la transparence, pas toujours avec de bons arguments. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas nous cantonner à une bataille de chiffres : la bataille porte aussi sur les objectifs. En ce qui nous concerne, nous nous battons pour plus de justice dans les prélèvements fiscaux et pour plus d’efficacité dans la dépense publique. C’est le sens de notre action depuis dix-huit mois, et nous allons la poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, afin que la commission des finances puisse se réunir et examiner la motion tendant à opposer la question préalable.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à poser la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2013
Question préalable (fin)

M. le président. Je suis saisi, par Mme Beaufils, MM. Bocquet, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, en nouvelle lecture, de finances rectificative pour 2013 (n° 241, 2013-2014).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Éric Bocquet, pour la motion.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de ce marathon budgétaire de 2013. Le collectif de fin d’année que nous examinons aujourd'hui a suivi, sur bien des aspects, le même cheminement que le projet de la loi de finances pour 2014, dont nous avons achevé l’examen hier après-midi. Soixante-neuf amendements, dont treize reprennent des propositions du Sénat, ont été adoptés sans que soit modifiée la philosophie générale du texte, que, vous le savez, nous ne partageons pas.

Ce collectif opère d'abord une nouvelle ponction sur les dépenses publiques. À peine votés par le Parlement, les crédits budgétaires sont en partie mis en réserve, avant que la solidarité interministérielle ne joue pour accorder quelques subsides aux priorités du moment, tandis que l’essentiel des crédits gelés sont purement et simplement annulés.

C’est d’ailleurs ainsi que, cette année, les crédits nécessaires à nos interventions militaires extérieures sont gagés sur la réduction des crédits d’équipement de nos forces armées, mais aussi sur plus de quatre-vingts programmes divers et variés, qui concernent notamment la réhabilitation de l’habitat, la réalisation de modes de transport collectifs urbains, notre présence diplomatique et culturelle à l’étranger, le service public territorial, la préservation du patrimoine, sans oublier les ajustements habituels des dépenses de personnel liés aux vacances de postes budgétaires…

Abstraction faite de l’allégement de la charge de la dette, que nous pourrions du reste faire baisser bien davantage si notre pays était autorisé à se refinancer auprès de la Banque centrale européenne, dont la mission aurait pu être redéfinie, et de l’atténuation des charges de remboursement et de dégrèvement des impôts et taxes, ce ne sont pas moins de 3,2 milliards d’euros qui sont annulés par ce collectif. La démarche ne peut manquer de susciter des interrogations puisqu’elle représente plus de 1 % des dépenses prévues par la loi de finances initiale.

Sur le plan de la méthode, force est de constater que cette manière de faire n’est pas acceptable et qu’elle finit par instrumentaliser la représentation nationale, contrainte de débattre d’un texte quasiment virtuel dont la véritable exécution est confiée, in fine, aux directeurs de missions et programmes. Que la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la LOLF, ait fini par conduire à cette dérive technique ne nous surprend guère, car c’est précisément ce que nous avions craint lors de son adoption.

Le collectif budgétaire n’est pas seulement un texte relatif à l’ajustement des crédits votés en loi de finances initiale. Il comporte suffisamment d’articles pour que certaines de ses dispositions appellent une réflexion de notre part. Je pense notamment à l’élément le plus important du présent texte, à savoir le nouveau traitement fiscal de l’assurance vie. Voilà en effet un beau sujet, entrant parfaitement dans le cadre de la réflexion que nous devons mener sur notre régime de prélèvements sociaux et fiscaux. Cependant, la réponse qui est temporairement apportée sur ce point ne peut nous satisfaire.

Depuis trente ans, l’assurance vie est devenue l’un des placements les plus utilisés par nos compatriotes. Son encours atteint désormais 1 450 milliards d’euros, soit 70 % du PIB marchand : autant que la capitalisation boursière de la place de Paris et les trois quarts de la dette du pays. L’envolée récente de l’encours de l’assurance vie doit beaucoup, chacun le sait, à la baisse du taux de rémunération des livrets défiscalisés organisée par le ministère de l'économie et des finances, mais aussi et surtout aux choix d’investissement des principaux souscripteurs.

En effet, l’assurance vie, qui sert en quelque sorte de « poire pour la soif » aux contribuables les plus modestes – et les plus nombreux – est devenue au fil du temps un produit de pure optimisation fiscale pour ceux qui effectuent les placements les plus significatifs. Il est évident que l’exclusion des revenus des contrats d’assurance vie de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune – ISF – jusqu’à l’âge de soixante-dix ans constitue une puissante incitation à choisir ce type d’investissement.

Les inégalités de patrimoine, qui n’ont souvent, quoi qu’on en dise et en pense, qu’un lointain rapport avec les talents et mérites personnels des uns et des autres, se sont beaucoup accrues depuis dix ans. Différents facteurs ont joué dans ce sens : baisses successives du taux marginal de l’impôt sur le revenu, qui se sont traduites par une réduction continue du taux de prélèvement apparent sur les plus hauts revenus ; mitage de la fiscalité de l’épargne, très largement favorable aux personnes disposant d’importants portefeuilles d’actions et d’obligations ou de placements immobiliers et fonciers ; multiplication des incitations fiscales à l’investissement immobilier ; larges exonérations en matière d’ISF ; taux d’imposition privilégiés et prélèvements libératoires. Toutes ces mesures et autres niches fiscales rentables ont constitué un puissant vecteur d’aggravation des inégalités.

Plutôt que de créer une nouvelle niche fiscale pour les placements en assurance vie, assortie d’un abattement de 700 000 euros qui se rapproche tout de même dangereusement du plancher d’imposition de l’ISF, un collectif budgétaire de gauche aurait mis en question une bonne partie de cette fiscalité des capitaux et du patrimoine dont nous avons hérité. Nos amendements exprimaient cette exigence puisqu’ils visaient notamment à revenir sur des mesures incitatives comme les dispositifs Dutreil-Seillière et ISF-PME, ainsi que sur l’exonération des biens professionnels et de l’assurance vie. Aucun de nos amendements n’a trouvé grâce aux yeux du Gouvernement. Pourtant, ils ne relevaient pas d’une simple posture, contrairement à ce qui a été dit ici hier, mais représentaient un appel à l’examen d’une alternative constructive à gauche.

Cette exigence de justice fiscale ne transparaît évidemment pas dans le choix crucial de ce projet de loi de finances rectificative : l’essentiel de ses ressources provient une fois encore de la fiscalité indirecte. C’est une réforme fiscale de grande envergure que nos compatriotes attendent et espèrent. Le choix historique de la fiscalité indirecte comme vecteur principal des recettes publiques nous semble mis en question. La TVA connaît depuis quelque temps une certaine forme de stagnation, et l’état de la fraude, tel que mesuré par Eurostat, atteint des niveaux particulièrement élevés. Il est donc grand temps que la fiscalité dans notre pays prenne d’autres chemins que ceux qui ont été empruntés jusqu’ici.

La politique d’austérité actuelle, confirmée malgré l’alternance politique, sème le trouble, voire l’incompréhension chez bon nombre de nos concitoyens.

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, les Françaises et les Français n’ont pas plus voté pour la retraite à soixante-six ans, rendue possible par la réforme présentée au Parlement, que pour une hausse de la TVA destinée à financer un nouvel allégement des cotisations sociales des entreprises, qui n’en ont, pour l’essentiel, nullement besoin. Dans un tel système, le salarié-consommateur est parfois mis deux fois à l’amende.

Non, les Françaises et les Français ont voté pour le changement, un changement radical et profond qui s’attaquerait aux privilèges de la fortune et aux entreprises tirant parti des niches fiscales et sociales afin de s’enrichir, pour le plus grand bonheur de leurs mandants et actionnaires.

Avant de remercier à mon tour l’ensemble de nos collègues qui ont participé au débat sur ce collectif budgétaire, dans des conditions pour le moins inhabituelles et, pour tout dire, assez peu respectueuses des droits du Parlement, et d’adresser mes sincères félicitations à tous les fonctionnaires du Sénat pour leur patience, leur disponibilité, leur compétence et leur attachement à un service public de qualité, je vous lirai quelques mots récemment écrits par un intellectuel latino-américain au sujet du mouvement du monde. Il me semble en effet que ces mots devraient guider nos choix fiscaux et politiques dans les mois et les années à venir.

« Alors que les gains d’un petit nombre s’accroissent exponentiellement, ceux de la majorité se situent d’une façon toujours plus éloignée du bien-être de cette heureuse minorité. Ce déséquilibre procède d’idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière. Par conséquent, ils nient le droit de contrôle des États chargés de veiller à la préservation du bien commun. Une nouvelle tyrannie invisible s’instaure, parfois virtuelle, qui impose ses lois et ses règles, de façon unilatérale et implacable. De plus, la dette et ses intérêts éloignent les pays des possibilités praticables par leur économie et les citoyens de leur pouvoir d’achat réel. S’ajoutent à tout cela une corruption ramifiée et une évasion fiscale égoïste qui ont atteint des dimensions mondiales. L’appétit du pouvoir et de l’avoir ne connaît pas de limites. Dans ce système, qui tend à tout phagocyter dans le but d’accroître les bénéfices, tout ce qui est fragile, comme l’environnement, reste sans défense par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformés en règle absolue. »

L’auteur de ces lignes est, chacun l’aura sans doute reconnu, un certain Jorge Bergoglio, devenu au début de l’année le pape François. (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Éric Bocquet. Même si l’on ne partage pas la vision du monde que le pape exprime par ailleurs dans ce texte, je crois que nous devrions tout de même nous inspirer des préoccupations dont il fait part dans ce passage, en particulier en cette période de l’avent. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) Hélas ! nous n’en retrouvons aucune trace dans ce projet de loi de finances rectificative pour 2013. Par conséquent, nous ne pouvons que le rejeter, et nous invitons le Sénat à faire de même en adoptant cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, contre la motion.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous trouvons dans la même situation qu’hier après-midi. Rien de nouveau sous le soleil !

M. Philippe Dallier. Les jours se suivent et se ressemblent !

M. Richard Yung. À l’évidence, il n’y aura pas de majorité pour voter le projet de loi de finances rectificative pour 2013, ce qui signifie que la présente motion va être adoptée.

Cependant, il n’y a pas non plus de majorité alternative. J’espère que nous ne sommes pas revenus à la IVRépublique ! (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

J’espère surtout que ce constat ne va pas conduire certains à vouloir modifier la Constitution,…

M. Éric Bocquet. La question peut se poser !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous n’en avons pas les moyens !

M. Richard Yung. … soit pour rendre possible la dissolution du Sénat, soit pour le supprimer !

D’aucuns, en effet, en viennent à se demander à quoi il sert, puisqu’il ne vote plus les lois de finances !

M. Richard Yung. Madame Des Esgaulx, regardez-vous dans une glace et vous aurez la réponse !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La faute à votre majorité, qui n’est pas là !

M. Richard Yung. Pour ma part, je considère qu’il est normal que l’opposition,…

M. Bruno Sido. S’oppose !

M. Richard Yung. … même plurielle, même composite, s’oppose. Vous êtes dans votre rôle et nous n’allons pas vous critiquer pour cela !

Simplement, nous sommes en face de groupes aux orientations politiques sensiblement différentes,…

M. Bruno Sido. Et dont certaines sont censées faire partie de la majorité !

M. Richard Yung. … qui s’apprêtent néanmoins à voter la même question préalable, qui plus est bénie par le pape !

M. Bruno Sido. Laissez tomber, ce n’est pas pour vous !

M. Richard Yung. Je dois d’ailleurs noter une évolution dans les objets des questions préalables, mais pas forcément dans un sens positif.

Hier, sur le projet de loi de finances pour 2014, il s’agissait, en deuxième argument, « de mettre en question des choix fiscaux et budgétaires erronés, marqués du sceau de l’austérité ». Aujourd’hui, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2013, il est question de « rejeter les choix politiques de ce collectif, marqué par la hausse de la TVA et la mise en place du CICE ».

M. Bruno Sido. Ce n’est pas nous qu’il faut regarder !

M. Richard Yung. Et pourquoi non ? Hier, l’UMP a bien voté la motion ! J’en ai d’ailleurs été d’autant plus surpris qu’il s’agissait aussi, selon un troisième argument, de « marquer le refus d’une option générale de réduction de la dépense publique, inefficace et contreproductive ». Vous rendez-vous compte de ce que vous avez voté ?