PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et du projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Monsieur le rapporteur, je tiens en préalable à saluer l’objectivité et l’impartialité avec lesquelles vous avez présenté le projet de loi organique dans la rédaction adoptée par la commission.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le Sénat n’est pas réfractaire à la limitation du cumul des mandats.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cela commence bien !

M. Philippe Bas. Il l’a prouvé dans le passé. Il est prêt à le prouver encore aujourd’hui.

Dans le passé, le Sénat a voté dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale la loi de 1985 présentée par le gouvernement Fabius et la loi de 2000 présentée par le gouvernement Jospin. À chaque fois, un accord a été trouvé entre les deux assemblées, avec le concours du gouvernement de l’époque, alors que l’on aurait pu penser que la configuration politique n’était pas aussi favorable à l’exécutif qu’aujourd’hui.

Pas plus aujourd’hui qu’hier, le Sénat ne refuse de réexaminer les règles actuelles relatives au cumul des mandats et d’étendre les restrictions dont ce cumul fait l’objet.

M. Philippe Bas. Comme nous l’avons voté voilà quelques mois, comme la commission l’a confirmé avant cette séance, nous avons fait le choix de permettre l’exercice d’un mandat exécutif local par les sénateurs. Ce faisant, nous avons étendu considérablement la liste des mandats susceptibles d’être pris en compte au titre de la réglementation du cumul : président d’intercommunalité, maire d’une commune faiblement peuplée, adjoint au maire, vice-président de conseil général ou de conseil régional, président de société d’économie mixte.

Non seulement le Sénat accepte toutes ces mesures, mais il est même capable de les proposer !

Enfin, le Sénat a adopté le principe de gratuité pour tout mandat local exercé par un sénateur, y compris celui de simple conseiller général ou de conseiller régional. L’Assemblée nationale ne nous a pas suivis sur ce point. Notre commission a confirmé sa position avant cette nouvelle délibération.

Mais le débat que nous avons ne devrait pas rester isolé. Puisque nous avons le souci de la cohérence, nous devrions aussi réfléchir au cumul des mandats locaux entre eux, à l’inscription dans la Constitution de l’interdiction du cumul pour les ministres, même si elle se pratique aujourd’hui, ainsi, bien sûr, qu’aux progrès à réaliser dans le statut de l’élu local.

À ce sujet, je veux relever que, dans nos textes actuels – je pense, par exemple, au code du travail, mais aussi au statut général de la fonction publique –, les fonctions exécutives locales ne sont jamais exercées à plein temps. Au contraire, le législateur estime toujours, sans que vous ayez jugé utile de réexaminer ce point, monsieur le ministre, qu’un mandat de président de conseil général ou de maire représente au maximum 25 % de temps professionnel libéré. En d’autres termes, dans notre système politique, l’exercice de ces mandats est pris sur du temps personnel et non sur du temps professionnel.

Mes chers collègues, alors même que notre législation considère encore aujourd’hui, sans que le Gouvernement veuille revenir sur ce point, que ces mandats locaux prennent peu de temps professionnel, il serait tout de même assez piquant que les parlementaires ne puissent être ni maires d’une commune de 200 habitants ni même adjoints. Alors que ce service est permis pour tous les autres citoyens, il serait interdit aux parlementaires, et à eux seuls, même si leurs compétences pourraient se révéler utiles dans l’exercice de ces mandats locaux ! Où est l’intérêt général dans cette mesure ?

Enfin, je relève que nous ne nous sommes pas encore intéressés au cumul des fonctions parlementaires avec des fonctions nationales.

M. Philippe Bas. Je pense aux responsables nationaux de partis politiques, aux présidents d’organismes publics comme la Caisse des dépôts et consignations ou le Centre national de la fonction publique territoriale…

Pour des raisons de principe que je comprends très bien, nous n’avons pas non plus envisagé d’interdire les activités d’ordre privé aux parlementaires.

M. Jacques Mézard. Excellent !

M. Philippe Bas. C’est pourquoi, lorsque l’on évoque la nécessité pour un parlementaire de consacrer 150 % de son temps à sa fonction d’élu national, on méconnaît la réalité, et pas seulement la réalité juridique. En tout cas, le Gouvernement ne semble pas l’avoir perçue, encore moins avoir cherché à la modifier.

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Philippe Bas. Puisque nous avons su trouver un accord en 1985 et en 2000, nous espérions en trouver un aussi cette année. C’est la raison pour laquelle nous avons tendu la main à plusieurs reprises. Cette volonté d’entente et de compromis s’est cependant heurtée à l’intransigeance du Gouvernement qui, dès l’ouverture de la discussion, a décidé de passer en force, méconnaissant totalement l’apport de notre institution. Je le regrette profondément.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Au Parlement, on vote, on ne passe pas en force !

M. Philippe Bas. En effet, monsieur le président, et c’est exactement le sens de la préoccupation que je suis en train d’exprimer !

Le système qui nous est proposé me paraît relever davantage du dogme que d’une considération respectueuse de l’intérêt général, en particulier de l’intérêt de notre démocratie.

Monsieur le ministre, vous l’avez affirmé devant nous : vous croyez à la force des évidences.

M. Jean-Jacques Mirassou. Les forces de l’esprit ! (Sourires.)

M. Philippe Bas. Or il existe aussi les fausses évidences et les idées reçues.

M. Philippe Bas. Pour notre part, nous croyons plutôt à la force des arguments. De ce point de vue, il n’est pas excessif de dire que nous sommes nombreux à ne pas avoir été convaincus par votre propos.

M. Jacques Mézard. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Manuel Valls, ministre. J’avais pourtant l’espoir de vous convaincre ! (Nouveaux sourires.)

M. Philippe Bas. Nous estimons que le dispositif que vous avez retenu, celui du mandat national unique, avec éventuellement la possibilité d’être conseiller municipal, conseiller général ou conseiller régional, ne repose sur aucune considération sérieuse, en tout cas ne résiste pas à un examen approfondi du point de vue de l’intérêt des collectivités locales.

J’évoquais tout à l’heure la petite commune. Mais pourquoi donc avoir voulu absolument interdire à un parlementaire, qui par ailleurs fait bien son travail de parlementaire, d’être adjoint au maire d’une commune de 200 habitants, alors qu’un artisan travaillant soixante-dix heures par semaine peut être un très bon maire ? Ce seul exemple montre à quel point vous avez été systématique dans votre approche du problème, ce qui nous paraît injustifié, car contraire à l’intérêt général.

Cela étant, dans les plus grandes collectivités aussi, l’apport d’un parlementaire au service de l’intérêt général se mesure très concrètement. On parle souvent des sondages, mais, pour ma part, je ne connais que le suffrage universel et, jusqu’à présent, les Français ont fait confiance à leur député-maire. N’est-ce pas, monsieur le ministre ?

Vous avez exercé cette fonction.

M. Jacques Mézard. Avec talent, d’ailleurs !

M. Philippe Bas. Vous en avez fait l’éloge dans l’une de vos publications. Et si vous mettez aujourd’hui tant d’ardeur à défendre le dispositif contraire, c’est en converti que vous le faites…

M. Christian Cambon. Ce sont les pires !

M. Philippe Bas. … et sans doute sans renier l’avantage que vous avez pu apporter à la commune d’Évry, une commune que vous avez gérée en étant à la fois maire et député. En tout cas, pendant toute cette période, vous ne vous êtes pas aperçu qu’il vous était impossible d’exercer correctement vos deux mandats.

M. Christian Cambon. Et Jean-Marc Ayrault ?

M. Philippe Bas. Je pense aussi que votre système d’interdiction absolue et systématique n’est pas favorable au Parlement, pas plus qu’il ne l’est aux collectivités locales. Nous admettons bien volontiers que le Parlement ne peut être composé exclusivement de députés-maires et de sénateurs-maires ; la diversité est nécessaire dans nos assemblées. Pourtant, parce qu’elles sont ancrées dans des territoires, parce qu’elles gèrent des services publics et, ce faisant, sont plus que d’autres au contact de la population et à l’écoute de leurs besoins, ces personnalités sont à la loi, à sa fabrication, au contrôle de son exécution et au contrôle du Gouvernement d’un apport qui a jusqu’à présent été extrêmement bénéfique à nos assemblées, et donc au bon fonctionnement des institutions républicaines.

J’ajoute qu’il y a à craindre un renforcement de la mainmise des partis politiques sur les élus nationaux, ce qui provoquerait un déséquilibre entre le besoin qu’a l’élu national d’être en lien avec son parti et celui, symétrique, qu’a le parti de pouvoir compter sur de grands élus recueillant une forte audience auprès de la population.

Mme Cécile Cukierman. En cas de difficultés financières, ce n’est pas mal !

M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, vous méconnaissez ce qui était jusqu’à présent une exigence républicaine reconnue de tous.

Pour autant, mes chers collègues, fallait-il, comme nous l’avons décidé, différencier les députés et les sénateurs dans l’exercice des fonctions exécutives locales ? Pour nous, il ne s’est jamais agi d’une solution de premier rang. D’ailleurs, en première lecture, j’ai défendu, au nom de mon groupe, un amendement visant à permettre aux députés comme aux sénateurs d’exercer un mandat exécutif local unique. Seul le refus absolu du Gouvernement d’entrer dans cette discussion nous a en quelque sorte condamnés à opter pour une autre solution, celle de la différenciation.

Certes, je l’admets, depuis 1887, les inéligibilités et les incompatibilités applicables aux parlementaires sont les mêmes, que ceux-ci siègent au Sénat ou à l’Assemblée nationale. Mais il s’agit d’une construction qui a été érigée pour garantir, d’une part, la probité, d’autre part, l’indépendance des parlementaires.

Sur ces deux chapitres, aucun d’entre nous n’accepterait la moindre différence entre le statut des députés et celui des sénateurs, parce que nos deux assemblées ont les mêmes missions constitutionnelles.

Pour importante qu’elle soit, l’incompatibilité entre certains mandats locaux et le mandat parlementaire n’est pas de même nature ni de même importance que ces incompatibilités et inéligibilités qui garantissent notre indépendance et notre probité.

Un espace est donc ouvert sur ce sujet important, mais secondaire par rapport à celui que j’évoquais à l’instant.

Cet espace nous permet d’envisager une différenciation ponctuelle, avec une accentuation des limitations au cumul des mandats et la gratuité de l’exercice de mandats locaux par les parlementaires. C’est un choix fondamentalement justifié par le rôle propre du Sénat dans nos institutions républicaines.

Nous représentons en effet les collectivités territoriales de la République. On prétend que cette disposition constitutionnelle aurait épuisé ses effets dans le mode d’élection des sénateurs et qu’elle n’aurait aucune incidence au-delà. C’est faux ! La Constitution tire de nombreuses conséquences de cette représentation des collectivités territoriales de la République, la plus visible depuis quelques années étant l’obligation de faire examiner d’abord par le Sénat, avant l’Assemblée nationale, les textes de décentralisation. Pourquoi ? Justement parce que nous représentons les collectivités territoriales de la République. Le mode de scrutin n’est donc pas seul en cause dans cette expression, qui emporte de nombreuses autres implications.

L’une d’elles est particulièrement intéressante : les lois organiques relatives au Sénat ne peuvent pas être adoptées à la demande du Gouvernement par l’Assemblée nationale statuant définitivement en application de l’article 45 de la Constitution. C’est l’article 46 de la Constitution qui le dit !

M. Philippe Bas. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser l’interprétation qu’il convenait de faire de cette disposition.

En suivant scrupuleusement cette interprétation, on aboutit à la conclusion que le passage en force qui a été décidé par le Gouvernement, sinon de toute éternité, du moins depuis le début de ce débat, est impossible, à tout le moins sur plusieurs points.

En premier lieu, le texte du Gouvernement ne comporte que des dispositions relatives aux députés, à l’exclusion d’une, qui porte sur le remplacement des sénateurs. C’est par l’application d’un texte qui lui est extérieur, l’article L.O.297 du code électoral, lequel article est aussi une disposition d’une loi organique relative au Sénat, que les incompatibilités votées par les députés s’appliqueraient aux sénateurs. Mais encore faudrait-il que le Sénat y souscrive, car la portée juridique de cet article serait implicitement mais nécessairement modifiée par les dispositions applicables aux députés qui auraient été adoptées.

Il en résulte donc que, si l’on veut appliquer votre projet de loi aux sénateurs, monsieur le ministre, le dernier mot ne peut pas être donné à l’Assemblée nationale. C’est clair et limpide !

M. Jacques Mézard. Tout à fait !

M. Philippe Bas. J’ajoute, monsieur le ministre, que le texte est désormais « grevé » de deux désaccords fondamentaux entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

L’un porte justement sur la nouvelle rédaction que nous voulons donner à l’article L.O.297 du code électoral, qui renvoie au statut des députés pour déterminer celui des sénateurs. L’Assemblée nationale ne veut pas de la modification que nous proposons, pas plus que vous d’ailleurs, monsieur le ministre. Mais, dans ce cas, il existera un désaccord sur une disposition propre au Sénat, celle que nous aurons adoptée. Or, en cas de désaccord sur une disposition propre au Sénat, l’Assemblée nationale ne peut pas trancher seule.

L’autre point de désaccord porte sur une disposition qui, bien que tout à fait secondaire et passant relativement inaperçue, ne peut être traitée différemment.

Vous êtes entré en discussion avec cette disposition qui affecte l’article L.O.319 du code électoral, un article d’une loi organique relative au Sénat, puisqu’il s’agit du remplacement des sénateurs qui démissionnent. L’Assemblée nationale en veut ; nous n’en voulons pas. C’est exactement la situation symétrique de celle que je viens de décrire : le Sénat souhaite une modification de l’article L.O.297 du code électoral, l’Assemblée nationale n’en veut pas.

Dans les deux cas, le problème juridique est le même, et la solution juridique sera donc la même. Or cette solution juridique, qui s’impose avec la force de l’évidence, vous interdit, monsieur le ministre, de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale sur cette réforme.

Je déplore que vous n’ayez pas pris conscience plus tôt de cette réalité juridique. Cela nous aurait évité d’aller à l’affrontement, d’autant que nous étions, d’entrée de jeu, dans un état d’esprit favorable à un accord entre les deux assemblées et à un compromis avec vous.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quelques mois, nous avons connu une modification de la loi électorale relative aux communes et aux communautés de communes, une modification de la composition du collège électoral du Sénat dans le sens d’une accroissement du nombre des délégués non élus des villes, et un redécoupage cantonal qui donne de nombreux avantages aux populations urbaines.

M. Christian Cambon. Un charcutage, plutôt !

M. Philippe Bas. Nous assistons aussi à la baisse des dotations aux collectivités locales, et nous n’avons encore rien vu, manifestement : nous avons écouté très attentivement le Président de la République hier, et nous savons ce qui attend les collectivités locales !

Il faut que le Sénat, représentant des collectivités territoriales de la République, assume plus que jamais leur défense. C’est la raison pour laquelle je défends le texte adopté par la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici de nouveau réunis pour débattre d’un projet de loi à l’évidence sensible, et qui mérite, de mon point de vue, d’être abordé avec sérénité et responsabilité, deux qualités que le Sénat sait souvent conjuguer.

C’est d’autant plus nécessaire que, ces derniers jours, à mon grand regret, le Sénat a renvoyé l’image d’une institution qui veut préserver ses avantages, et non celle d’une assemblée capable de donner sens et force à notre démocratie. Ce faisant, les tenants du populisme s’en donnent à cœur joie pour dénigrer la politique et les politiques. Et certains – ce sont souvent les mêmes – s’en prennent allègrement au bicamérisme, auquel les élus de mon groupe sont attachés, même s’ils considèrent qu’il doit être revisité pour donner plus de sens à nos deux chambres, et donc plus de force à notre démocratie.

Ainsi, quel que soit notre vote, notre message, aujourd’hui, doit porter le sceau de la responsabilité, pour illustrer d’abord et avant tout notre volonté d’être utiles à nos concitoyens.

Le cumul d’un mandat parlementaire avec des responsabilités locales est une pratique courante : le cumul est la règle et le non-cumul, l’exception.

Malgré des limitations apportées en 1985 et en 2000, la législation actuelle reste très permissive en ce qu’elle ne prévoit aucune incompatibilité entre un mandat parlementaire et l’exercice de responsabilités exécutives locales.

Quelles que soient les différences existant entre les systèmes politiques des grandes démocraties dans le monde, aucune – aucune, mes chers collègues - ne pratique le cumul des mandats à l’échelle de ce qui est observé en France. L’enjeu est donc bien de mettre fin à une exception française de grande ampleur, qui touche - soyons les uns et les autres rassurés ! - tous les partis politiques.

Près de 90 % des députés et sénateurs exercent un mandat local en même temps qu’un mandat parlementaire, tandis que, dans la quasi-totalité des autres pays occidentaux, la proportion n’atteint jamais les 20 %.

Cette exception française suscite les critiques et la méfiance de nos concitoyens. Selon un récent sondage, six personnes sur dix sont favorables à l’interdiction du cumul des mandats. Ainsi, il faut savoir l’admettre, débattre du non-cumul des mandats contribue à traiter pour partie de la crise de la représentativité politique qui mine la République depuis bien trop d’années maintenant.

À ce titre, interdire ou limiter de manière stricte le cumul, c’est apporter, non pas « la » réponse, mais « une » réponse à cette crise, pour retisser le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus et réconcilier les Français avec leur démocratie et leurs représentants.

Attaché depuis toujours à la démocratie vivante, celle qui permet l’association de tous à la vie politique, le groupe CRC accueille positivement, malgré ses évidentes limites, ce projet de loi.

Nous sommes favorables à une stricte limitation des mandats électifs en nombre et dans le temps, laquelle s’inscrit dans un ensemble de mesures fortes que nous préconisons pour une profonde et nécessaire rénovation de la vie politique.

Certains opposants au non-cumul arguent de la nécessité d’un ancrage local pour être à l’écoute de nos concitoyens. Cet argument s’entend, mais il me semble un peu court.

Nul besoin de « cumuler » pour être un élu de terrain, ancré sur un territoire, sauf à considérer qu’un parlementaire sans mandat exécutif local serait moins bon qu’un autre qui ne se consacre qu’à sa mission législative nationale. Ce serait faire insulte à certains de nos éminents collègues ! Pourquoi seraient-ils déconnectés des réalités locales ?

Une bonne connaissance du terrain se construit, normalement, avant d’accéder à un mandat national. De grands responsables politiques qui sont présents aujourd’hui dans cet hémicycle le savent très bien.

Élus nationaux sans mandat exécutif local, nous modifierons sans doute nos pratiques pour répondre aux attentes du monde syndical, culturel, associatif et de nos concitoyens, qui veulent plus d’échanges et de proximité avec les parlementaires.

Disant cela, je n’invente rien, et je suis bien placée pour m’exprimer sur le sujet. En effet, comment font les parlementaires qui, comme moi, siègent au sein de conseils municipaux dans l’opposition, donc sans mandat exécutif, ou qui décident, comme moi aussi, d’ailleurs, de ne plus être élu local ? Sont-ils moins parlementaires que d’autres ? Sont-ils moins capables d’assurer la représentation des collectivités territoriales ? Sont-ils moins capables d’être les porte-voix de leurs concitoyens ? Je ne le pense pas.

M. Gérard Larcher. Ce n’est pas le sujet !

Mme Éliane Assassi. Bien sûr que si, au moins en partie ! Il faut cesser l’hypocrisie et dire les choses franchement, sans s’éloigner du vrai sujet.

M. Christian Cambon. La diversité est possible !

Mme Éliane Assassi. J’en viens à présent à l’absentéisme, caractéristique des travées des hémicycles du Parlement.

Représenter la Nation dans son ensemble, voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques, tout cela ne saurait se satisfaire d’un temps partiel ! Je ne crois d’ailleurs pas que le seul fautif dans l’absentéisme soit le cumul des mandats, même s’il y contribue.

M. Jean-Jacques Hyest. Vous avez raison !

Mme Éliane Assassi. Les sujets sur lesquels nous travaillons sont variés, complexes et techniques, reflet de la multiplication des sources du droit et autres contraintes. Or les mandats locaux d’aujourd’hui, tels qu’ils ont été dessinés par les lois successives de décentralisation, ont changé la morphologie de notre pays, la mission de ces élus locaux exigeant d’eux un grand investissement.

Sur le fond, l’absentéisme parlementaire est à la fois l’une des causes et l’une des conséquences de l’affaiblissement du Parlement.

Nous sommes nombreux ici à critiquer le déséquilibre institutionnel au profit de l’exécutif, qui s’est accentué avec l’inversion du calendrier électoral

M. Jacques Mézard. Cette inversion a été très néfaste, en effet !

Mme Éliane Assassi. Je crois me souvenir que nous n’étions pas très nombreux à dire les raisons pour lesquelles il ne fallait pas inverser ce calendrier.

Aujourd’hui, nous sommes nombreux à demander le renforcement de la place et du rôle du Parlement. Toutefois, mes chers collègues, rien ne bougera si les parlementaires eux-mêmes ne se saisissent pas pleinement des pouvoirs qui leur sont conférés.

Ensuite, la limitation stricte des mandats peut permettre de rompre avec cette culture dans laquelle certains voient la marque d’une « conception hyper-élitiste de la société, de la crainte de la compétition et de l’affrontement concurrentiel, et donc d’une stratégie tendanciellement monopoliste qui fait le vide autour du cumulant ».

Ainsi, chers collègues, les jeunes, les ouvriers se comptent sur les doigts d’une main au Parlement. Quant à la diversité des origines, n’en parlons pas ! Et s’il n’y avait pas eu la loi sur la parité et une dose de proportionnelle ici, gageons que les femmes seraient moins nombreuses sur nos travées, comme elles sont peu nombreuses à l’Assemblée nationale !

C’est un fait établi : le cumul des mandats fige le personnel politique, en nombre et dans le temps. Cette « règle » très française est synonyme de reproduction des élites et de professionnalisation de la politique.

Ne vous méprenez pas, tout cela est bien clair dans l’esprit de nos concitoyens, puisque 80 % d’entre eux estiment que nous formons une caste qui s’arc-boute sur ses privilèges.

La démocratie implique pour les élus non pas un super-professionnalisme, mais une hétérogénéité d’expériences qui fonde leur légitimité et leur force. Sans cela, c’est la démocratie que l’on continue de blesser, au mépris du peuple souverain !

La réforme proposée constitue une avancée, certes timide, je l’ai souligné, pour engager la rénovation de la vie politique et apporter des réponses à la crise de la représentativité et à son cortège de maux qui fragilisent notre démocratie : conflit d’intérêts, absentéisme, non-renouvellement, et j’en passe.

Aussi, il ne doit s’agir que d’un premier pas vers d’autres mesures tout aussi urgentes et nécessaires.

Tout ce qui entrave l’expression démocratique de la souveraineté populaire doit être déconstruit. À cet égard, j’entends, bien sûr, la limitation du cumul dans le temps et les modes d’élection ; je ne m’attarderais pas, ici, sur la proportionnelle, à laquelle les élus de mon groupe sont toutes et tous très attachés.

Là encore, il convient de penser à la création d’un véritable statut de l’élu ne se limitant pas au seul aspect pécuniaire, mais permettant au citoyen, élu pendant une période de sa vie, de retrouver son emploi après la fin de son mandat ou d’accéder à une formation débouchant sur un nouvel emploi.

Mes chers collègues, nous devons redonner sens à notre démocratie, redonner sens au politique et à la politique ; nous devons restaurer la confiance de nos concitoyens. Même avec ses limites, je le répète, mais j’y insiste, ce texte peut y contribuer. C’est la raison pour laquelle le groupe CRC le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de présider un exécutif local et un groupe parlementaire. Je n’ai pas le sentiment d’être absent, ni ici, ni là-bas…

Le projet de loi revient de l’Assemblée nationale tel que le Gouvernement l’a voulu, voté par des députés disciplinés, quels que soient les états d’âme de certains. Une nouvelle fois, l’alternance n’a pas changé le système.

Monsieur le ministre, vous nous aviez annoncé en première lecture que le Gouvernement s’opposerait à tout amendement et donc à tout débat parlementaire : voilà une promesse tenue…

Vous nous aviez asséné, avec ce que certains d’entre nous ont pu considérer comme du mépris, mais je sais que tel n’était pas le fond de votre pensée, que « quel que soit le vote qui sera le vôtre, ce texte sera adopté par le Parlement » - il s’agissait sans doute plutôt d’une provocation – et vous ajoutiez, avec ce que d’autres ont pris pour du cynisme, que ce texte « renforce le Sénat ». (Sourires sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'UMP.)

La méthode est la même que celle du ministre Jeanneney en 1969, qui présenta le projet de suppression de la Haute Assemblée en déclarant que l’objectif était de donner au Sénat une influence plus grande. (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.) Comme vous le voyez, monsieur le ministre, vous avez d’excellents prédécesseurs…

En réalité, le message était et reste clair : suicidez-vous ou nous vous exécutons !

Ce qui doit être dit, afin qu’il en reste trace lorsque d’autres, ou peut-être vous-même, reviendront sur ce texte, c’est que le Sénat, dans sa grande majorité, a considéré que la suppression de tout cumul d’un mandat local exécutif avec un mandat de parlementaire était une aberration, et ce pour l’équilibre de nos institutions comme pour la représentation de nos territoires.

Ce qui doit être dit, c’est que, devant l’acharnement du Gouvernement à obtenir un vote majoritaire des députés – certains d’entre eux m’ont dit les pressions subies – la grande majorité du Sénat a considéré que, ne devant et ne pouvant imposer aux députés un choix concernant ces derniers, il appartenait à notre assemblée de prendre des dispositions relatives aux sénateurs découlant strictement de l’application des règles constitutionnelles, à savoir de l’article 24 de la Constitution, qui dispose que le Sénat assure la représentation des collectivités locales, et de l’article 46, alinéa 4, qui dispose que les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. Je rappelle que l’article 25 de la Constitution ne pose pas de principe d’identité absolue du statut des membres de chaque assemblée.

Ce qui doit être dit, monsieur le ministre, c’est que vous avez vous-même déclaré devant la commission des lois qu’« un traitement différencié des sénateurs conduirait à qualifier ce texte de loi organique relative au Sénat, ce qui suppose un vote conforme des deux assemblées ».

Je cite le compte rendu de votre audition, qui figure dans le rapport de la commission, comme je citais la dénonciation que vous faisiez du non-cumul dans votre excellent ouvrage dont la lecture me procure toujours le même plaisir à la fois intellectuel et politique tant il est excellent aussi bien dans la forme que sur le fond.

Dans la mesure où je ne doute pas que vous êtes un homme de conviction, monsieur le ministre, je suis certain qu’au fond de vous-même vous êtes convaincu des défauts de ce projet. Mais voilà, vos militants, puis l’opinion publique ont été chauffés à blanc par le communicant exceptionnel que vous êtes. Vos militants sont heureux – enfin une satisfaction pour eux ! (M. ministre s’esclaffe.) –…