M. Philippe Bas. Ils n’en ont pas beaucoup !

M. Jacques Mézard. … et l’opinion peut encore davantage surfer sur la vague d’antiparlementarisme engendrée par toute crise pimentée de scandales à répétition.

Ce qui doit être dit, c’est que le Sénat, vilipendé dans une offensive médiatique orchestrée avec l’appui des médias « branchés » parisiens, dans le silence de son exécutif, a pourtant voté un texte beaucoup plus réformateur et innovant que le vôtre, monsieur le ministre.

Oui, le Sénat a réduit à un seul mandat exécutif local la possibilité de cumul d’un sénateur ; mais le Sénat est allé beaucoup plus loin que vous ne l’avez fait sur la question du cumul des indemnités, par exemple.

C’est le Sénat, sur notre proposition, qui a supprimé le cumul des indemnités. C’est cela que souhaitaient nos concitoyens. Et qu’avez-vous fait ? Vous avez assez sournoisement entretenu la confusion entre le cumul des mandats et le cumul des indemnités !

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Jacques Mézard. Ce qui doit être dit, c’est que notre groupe a proposé d’interdire le cumul de mandats locaux comme celui de maire d’une commune importante, de président de communauté urbaine ou de métropole, comme à Lille, cumul considérable s’il en est ! Vous avez refusé cette proposition en renvoyant sa mise en œuvre aux calendes grecques.

Pourquoi une telle absence de réflexion, pourquoi chercher ainsi à préserver les acquis de nos grands féodaux ?

Ce qui doit être dit, c’est que vous avez fait pulvériser tous nos amendements visant à interdire le cumul des fonctions électives avec la qualité de membres de cabinets élyséens, ministériels ou de grands exécutifs !

M. Jacques Mézard. Ce qui doit être dit, c’est que vous considérez le cumul d’un mandat parlementaire avec les fonctions de maire ou d’adjoint d’une petite commune de quelques dizaines d’habitants comme une charge insupportable, trop lourde, alors que vous avez lamentablement reculé sur la question des incompatibilités professionnelles, pliant devant les avocats d’affaires, les dirigeants de grandes sociétés, y compris d’armement… (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. C’est dit !

M. Jacques Mézard. Ceux-là ont le temps et la capacité de cumuler !

J’ai une conviction, comme l’unanimité des membres du RDSE : votre projet de loi est contraire à l’équilibre de nos institutions, contraire à l’esprit et à la lettre même de la Constitution ; il prépare clairement, si ce n’est la suppression du bicamérisme, à tout le moins la disparition du Sénat en tant que véritable assemblée parlementaire capable non seulement d’améliorer le processus législatif, qualité qui lui est presque unanimement reconnue, mais également de rester indépendante à l’égard du pouvoir exécutif.

M. Jacques Mézard. En cela, vous atteindrez l’objectif que nombre de vos collègues ou prédécesseurs n’avaient point atteint contre une assemblée que M. Jospin appelait « l’anomalie démocratique ».

Vous serez donc, dans l’histoire parlementaire, celui qui, après avoir mis en place le binôme départemental, aura fait du Sénat une assemblée de seconde zone. Heureusement, ce que fait une loi, une autre peut et pourra le défaire, du moins si le Conseil constitutionnel ne nous suivait pas.

Vous multipliez chaque mois la création de Hauts Conseils et de conseils plus ou moins stratégiques, mais vous voulez détruire la Haute Assemblée !

En réalité, nous vivons depuis un an et demi une offensive orchestrée contre le Sénat, qui, pour certains, n’a eu d’autre utilité que de préparer l’alternance, une alternance qui fut favorisée par dix-huit des dix-neuf sénateurs de mon groupe. D’un coup, le Sénat a subi un torrent de critiques : il serait un « triangle des Bermudes », une « assemblée d’hommes blancs », et pire encore. Tout y est passé. Le lamentable épisode de l’immunité parlementaire a su être utilisé aussi à cette fin, par les mêmes.

M. Gérard Larcher. Absolument !

M. Jacques Mézard. Le Sénat n’a pas été défendu par ceux qui en avaient le devoir, jusqu’à la chaîne Public Sénat, qui s’est illustrée de la manière la moins digne qui soit !

M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Dois-je, à vous qui voulez chausser les bottes de Clemenceau, vous rappeler le discours de Salernes ? Vous avez remplacé les « chéquards » par les « cumulards » !

La question du bicamérisme est un débat récurrent dans la politique française et sous les trois dernières Républiques. Même Clemenceau, pour lequel nous avons tous beaucoup d’admiration, a heureusement changé d’avis sur cette question.

M. Bruno Retailleau. Vive Clemenceau ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. Est-il vraiment raisonnable que, dans notre pays, à chaque alternance, c’est-à-dire tous les cinq ans désormais, la nouvelle majorité change l’ensemble des systèmes électoraux et modifie d’une manière ou d’une autre l’architecture institutionnelle ? Imagine-t-on les démocraties européennes voisines modifier ainsi leurs institutions à chaque changement de majorité ?

Cela démontre la dérive des institutions de la Ve République. Nombre de nos plus éminents universitaires se sont récemment exprimés pour condamner votre projet de loi au nom du respect des institutions, face au déséquilibre de plus en plus évident du pouvoir au profit de l’exécutif présidentiel.

L’hyper-présidence de la République n’est plus le fait d’un homme exceptionnel, elle procède de la nature du régime actuel et oblige tous les cinq ans le futur élu à promettre au-delà du raisonnable...

L’hyper-présidence engendre inéluctablement l’affaiblissement du Parlement et la recherche par l’exécutif de parlementaires soumis au parti dominant du Président de la République.

Cela, le Sénat l’a toujours combattu, quelle que soit la majorité parlementaire, et c’est la raison pour laquelle, régulièrement, le parti dominant, de manière plus ou moins directe, veut le briser.

Plutôt que de viser directement la suppression du Sénat, il est plus facile, plus sournois, aussi, de le vider de sa substance et de le transformer dans un premier temps en copie émasculée de l’Assemblée nationale, avec des sénateurs de fait choisis par les partis dominants et ne représentant plus les territoires. C’est l’un des véritables objectifs de la loi sur le non-cumul des mandats : notre devoir est de le proclamer. À quoi rimerait un Sénat représentant les collectivités, aux termes de la Constitution, sans un seul maire, sans un seul adjoint ou membre d’un exécutif local ?

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Jacques Mézard. Vous détruisez en toute connaissance de cause la mission constitutionnelle spécifique du Sénat : assurer la représentation des collectivités locales, ce qui n’enlève rien au caractère généraliste de cette assemblée.

J’en veux pour preuve votre projet de création d’un « Haut Conseil des territoires », que nous avons combattu tellement il était provocateur à l’égard du Sénat.

Permettez-moi de citer le rapporteur à l’Assemblée nationale du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, M. Dussopt : « Les sénateurs parlent d’un ″Sénat bis″. Ils n’intègrent pas la perspective de non-cumul. Mais le jour où le non-cumul sera appliqué, il faudra un lieu de concertation entre le Gouvernement et les responsables des principaux exécutifs locaux. » Quel aveu ! Comment peut-on mieux reconnaître que c’est aujourd'hui le Sénat, et le Sénat seul, qui assure cette mission qu’est la concertation ?

Mais le comble, mes chers collègues, c’est le rapport établi, au nom de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales, par notre collègue Jean-Claude Peyronnet, dont nous connaissons la loyauté et que je respecte profondément. Ce rapport est intitulé Tirer les conséquences des règles de non-cumul : pour l’association des parlementaires aux commissions locales.

Permettez-moi de citer un extrait de la présentation, devant les membres de la délégation, il y a quelques semaines, de ce rapport.

« C’est cette participation à la gouvernance locale qui, seule, établit le lien entre les élus nationaux et leur territoire d’élection, lequel n’est constitué que de façon fugace par le mode de leur élection […] Les nouvelles règles de non-cumul qui englobent la totalité des exécutifs locaux vont littéralement couper les parlementaires de toute la vie locale. »

M. Jacques Mézard. « En conséquence, les parlementaires vont se retrouver ″hors sol″ – c’est toujours votre collègue socialiste qui parle –,…

M. Christian Cambon. C’est ce qu’ils cherchent !

M. Jacques Mézard. … rattachés pour la forme à un territoire en l’absence de toute compétence à exercer, sinon la satisfaction de couper des rubans et de déposer des chrysanthèmes. »

Merci, cher collègue Peyronnet, car c’est la vérité !

Et le rapporteur de proposer la création d’une conférence départementale et d’une conférence régionale des parlementaires pour les répartir dans les commissions régaliennes locales. C’est ubuesque !

Monsieur le ministre, vous avez, en première lecture, qualifié ce projet de « révolution ». Il est des révolutions qui ont des effets positifs, d’autres des effets dévastateurs. L’avenir dira ce qu’il en est de celle-ci.

En fait, le caractère « révolutionnaire » de votre projet, c’est le détournement des procédures législatives normales pour vicier un processus législatif qui ne pouvait vous permettre de réussir. Certes, vous n’êtes pas le premier ministre de l’intérieur à pratiquer cet exercice, qui relève du coup de force. « J’ai le pouvoir, rien ne m’arrêtera ! » D’où le recours totalement injustifié à une procédure dite « accélérée », en sessions extraordinaires ; mais je ne rappellerais pas, comme en première lecture, le cursus peu honorable qui a été suivi.

Quel mépris pour la démocratie parlementaire ! Le tout dans le but de laisser à l’Assemblée nationale, en faisant fi de toute notre tradition constitutionnelle, la décision sur des dispositions relatives à l’élection et au fonctionnement du Sénat, en contradiction avec les articles 24 et 46 de la Constitution.

Je ne reprendrai pas le discours du président Gaston Monnerville de 1968, ni le mot de « forfaiture ». Chacun sait ici, cela ressort assez de vos textes, que c’est de l’avenir même du bicamérisme qu’il est question ! Le Conseil économique, social et environnemental vous plaît, ses membres sont désignés et non élus, et ses rapports, souvent intéressants, ont le sort que vous voulez bien leur faire…

Oui, nous considérons que votre projet de loi viole le quatrième alinéa de l’article 46 de la Constitution, car il s’agit bien d’une loi organique relative au Sénat – à cet égard, je fais totalement miennes les excellentes observations formulées sur les plans législatif et constitutionnel par notre collègue Philippe Bas –, ce que d’ailleurs l’exécutif avait reconnu dans les deux précédents parlementaires sur les cumuls : la loi organique du 20 décembre 1985 et celle du 5 avril 2000.

M. Jacques Mézard. Le « dissensus » entre les deux chambres est patent au regard du texte qu’a voté la commission des lois du Sénat et qui sera, je n’en doute pas, adopté de nouveau par le Sénat ce soir.

Soyons clairs, il est impossible d’interpréter le quatrième alinéa de l’article 46 sans faire référence au quatrième alinéa de l’article 24 : on constate que l’intention du constituant était clairement affirmée lorsqu’il a ajouté ce quatrième alinéa à l’article 46 de la Constitution. Il est évident que la rédaction de cet article visait à donner au Sénat un moyen de défense contre l’Assemblée nationale.

Une telle interprétation est corroborée tant par les déclarations faites en son temps par René Cassin que par le contenu du courrier adressé par le garde des sceaux Michel Debré au président du Conseil de la République Gaston Monnerville. Il lui indiquait que, parmi les dispositions qui rétablissaient l’autorité du Sénat dans la Ve République, figurait celle qui exige l’accord du Sénat pour les lois organiques le concernant.

Revenir sur ce principe, en fabriquant des textes prétendument applicables aux deux assemblées, c’est permettre inéluctablement à l’Assemblée nationale et au Gouvernement de supprimer toute disposition spécifique relative au Sénat et d’en faire une copie, un ersatz soumis, ce qui est d’ailleurs revendiqué publiquement par nombre de députés relayant un discours partisan bien connu.

Je souligne aussi que l’article 25 de la Constitution n’impose nullement un régime d’incompatibilités identique pour l’Assemblée nationale et le Sénat.

Notre excellent collègue Philippe Bas l’a justement rappelé, le projet de loi organique dont nous débattons modifie les règles relatives aux sénateurs par application d’une disposition organique relative au Sénat – l’article L.O. 297 du code électoral – et, pour modifier la partie de cette disposition organique relative au Sénat, il devrait être adopté en termes identiques par les deux assemblées.

Bien sûr, le moment où la nature de la loi organique relative au Sénat de certaines dispositions d’un projet de loi organique se décide, c’est lorsque la commission mixte paritaire est passée.

Ces derniers mois, nombre de constitutionnalistes, se rendant compte du danger que représente ce projet de loi pour l’équilibre de nos institutions – Pierre Avril, Olivier Beaud, Laurent Bouvet, Patrick Weil, Jean-Philippe Derosier et d’autres –, ont lancé des avertissements ; certains ont même écrit au Président de la République.

Mes chers collègues, le courage, c’est de ne pas transiger sur ses convictions : le texte du Gouvernement est contraire aux nôtres sur les institutions de la République, sur le bicamérisme, menaçant quant à l’existence de notre sensibilité politique profondément ancrée depuis l’origine dans le Sénat de la République, au sein duquel elle a mené tous les combats de la République, avec vous et, aujourd’hui, contre vous.

Monsieur le ministre, Gaston Monnerville répondant au Président de Gaulle en 1962, ici même, lui lançait : « Non, monsieur le Président de la République, vous n’avez pas le droit, vous le prenez ! »

Monsieur le ministre, nous ne sommes, vous et moi, ni l’un ni l’autre, encore que, pour vous, l’ambition respectable est présente et je vous souhaite de tout cœur de réussir. Mais la même phrase peut vous être adressée. Méditez-la !

C’est au nom de tout cela que, pour le Sénat et la République, mes chers collègues, je vous demande de tenir bon ! (Applaudissements prolongés sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, chères et chers collègues, l’adoption de ce projet de loi me paraît essentielle pour l’amélioration de la confiance des citoyens dans leurs représentants.

Or, lors de la première lecture de ce texte, les groupes du RDSE, de l’UMP et de l’Union centriste ont fait adopter des amendements laissant aux sénatrices et aux sénateurs la possibilité de conserver une fonction exécutive locale : maire, adjoint, président ou vice-président de conseil général ou de conseil régional.

J’ai donc voté contre ces amendements, qui dénaturent le texte présenté par le Gouvernement, en traitant les sénateurs différemment des députés, ce qui me paraît injustifiable juridiquement et inopportun politiquement.

Pour les mêmes raisons, j’ai voté contre le projet de loi ainsi amendé.

En deuxième lecture, la commission des lois du Sénat s’est à nouveau prononcée dans le même sens, à la majorité, un certain nombre de ses membres estimant que l’interdiction d’exercer concomitamment un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale romprait le lien de proximité entre les élus nationaux et leurs électeurs. Ils évoquent la spécificité du mandat sénatorial et demandent sa reconnaissance en s’appuyant sur l’article 24 de la Constitution, qui dispose que « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République », ce qui justifierait, selon eux, la possibilité de cumuler une fonction exécutive locale et un mandat de sénateur.

Que faut-il en penser ?

Il paraît d’abord difficile d’invoquer la spécificité du mandat sénatorial alors que le régime des incompatibilités des sénateurs est aligné sur celui des députés (M. Jean-Jacques Hyest proteste.), ce qui n’est pas forcément le fruit du hasard, comme le prétendent certains juristes.

Ensuite, selon l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». Cela veut dire que tous les représentants agissent en fonction des prérogatives que leur confère la Constitution, au nom du peuple français. J’en tire la conclusion que tous les représentants, députés et sénateurs, jouissent de la même légitimité.

En outre, le texte soumis à notre examen autorise le cumul d’un mandat parlementaire national – ou européen, pour le second texte – avec un mandat local, départemental ou régional non exécutif. Il permet donc de maintenir le lien de proximité entre les élus nationaux et le territoire. Il en irait différemment si ce texte visait à instaurer le mandat unique. Or tel n’est pas le cas.

M. Michel Teston. Enfin, il est très peu probable que le Conseil constitutionnel donne de l’article 24 de la Constitution une interprétation reconnaissant un traitement différencié pour les sénateurs. Quand bien même le ferait-il, en revenant sur sa jurisprudence constante, ce qui serait surprenant, ne serait-ce pas la voie ouverte à une restriction des compétences du Sénat, à une sorte de « relégation », le cantonnant dans l’examen des seuls textes relatifs aux collectivités locales ?

M. Philippe Bas. Comment ?

M. Michel Teston. En réalité, la reconnaissance d’un traitement différencié pour les sénateurs pourrait bien se traduire, à terme, par un affaiblissement du Sénat et par l’instauration d’un bicamérisme très déséquilibré.

M. Simon Sutour, rapporteur. C’est évident !

M. Michel Teston. Eh bien, si, contrairement aux députés, les sénatrices et sénateurs ne devaient pas être concernés par les dispositions du présent texte, il est à craindre que le Sénat n’échappe pas à une très forte détérioration de son image, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir quant à son existence.

M. Christian Cambon. Des menaces ?...

M. Michel Teston. Un autre argument est parfois avancé par un certain nombre de collègues qui oublient un peu vite que la proportion d’élus en situation de cumul est plus importante à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Cet argument est celui d’une perte de poids politique du Sénat face à l’Assemblée nationale, si la Chambre haute perdait ses « grands élus ».

Mais au fait, qu’est-ce qu’un « grand élu » ? Cette notion ne dissimulerait-elle pas une logique de discrimination ?

M. Simon Sutour, rapporteur. Absolument !

M. Michel Teston. N’est-ce pas une manière de suggérer qu’il y aurait donc aussi des « moyens » et des « petits » élus,…

M. Michel Teston. … ou que les femmes et les hommes à la tête de « grands » exécutifs locaux seraient juridiquement plus importants que leurs collègues ? J’avais pourtant cru comprendre que tous les élus nationaux étaient égaux en matière de représentation de la Nation.

M. Christian Cambon. Cela n’a rien à voir !

M. Michel Teston. À mon sens, un grand élu n’est pas celui qui cumule les plus importants mandats locaux, départementaux, régionaux et nationaux ; c’est un élu pleinement investi dans le mandat ou la fonction qui lui ont été confiés par le peuple, et qui a passé, par l’élection, un « contrat moral » avec ses électeurs, garantissant son implication.

À ce stade de mon propos, qu’il me soit permis de faire remarquer que le non-cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur devrait avoir pour avantage de rendre plus lisibles pour nos concitoyens les rôles respectifs de chaque échelon territorial, en évitant les confusions habituelles sur les activités et les responsabilités des élus.

Après les lois du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000, qui ont permis de limiter le cumul de certaines fonctions, l’exigence démocratique nous impose aujourd’hui – j’en suis en tout cas intimement convaincu – d’interdire le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

Cette évolution poussera sans doute, à l’avenir, à limiter le cumul des mandats et des fonctions dans le temps,…

M. Michel Teston. … aspect qui figurait en bonne place dans la proposition de loi que j’avais déposée en 2006, et qui n’a, vous vous en doutez, jamais été examinée. Mais chaque chose en son temps !

Alors, mes chers collègues, face à la crise de confiance de nos concitoyens dans la représentation nationale – phénomène dont, je l’espère, vous êtes conscients –, il s’agit avant tout de préserver le pacte républicain. Voter le texte du Gouvernement, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, devrait très utilement y contribuer ! (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, passer de la limitation à une interdiction totale du cumul des mandats constitue une véritable révolution. Il faut le reconnaître, ceux qui sont très hostiles au cumul sont souvent des repentis…

M. Pierre-Yves Collombat. Avec l’âge, ils sont devenus plus sages ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest. … qui avaient construit toute leur carrière en cumulant justement des mandats – un président de conseil général devenant sénateur et poussant son successeur à cette fonction locale à devenir lui-même sénateur. Je pourrais vous donner de nombreux exemples !

Certains cas sont même extraordinaires : je pense à un repenti ayant exercé toutes les fonctions en même temps – Premier ministre, maire et président de communauté urbaine – et qui était contre le cumul des mandats…

M. Pierre-Yves Collombat. Il ne pouvait pas faire autrement !

M. Jean-Jacques Hyest. Comme Philippe Bas et Jacques Mézard, j’estime qu’il ne faut pas oublier que les modifications du régime des incompatibilités ont été, à chaque fois qu’elles concernaient les sénateurs, votées par le Sénat, et jamais par l’Assemblée nationale contre le Sénat.

S’agissant des lois de 1985 et 2000, le Gouvernement a trouvé un compromis entre les points de vue différents de l’Assemblée nationale et du Sénat parce qu’il existait un risque constitutionnel.

On me rétorquera que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a évolué. Nous verrons bien ! Un certain nombre d’arguments évoqués par Philippe Bas, notamment sur le remplacement des sénateurs, me paraissent imparables. Je ne vois pas comment on pourrait laisser les députés voter des dispositions relatives au Sénat sans son accord.

Nous aurions pu faire évoluer la législation, comme en 1985 et en 2000, et c’est d’ailleurs ce que nous proposons. Des évolutions sont en effet envisageables. Certains cumuls sont difficilement acceptables, et il vaut mieux répartir les missions locales et parlementaires. Il est nécessaire que l’on aille plus loin que ce que nous avions adopté en 2000, comme le propose le Sénat. Une telle évolution serait raisonnable. Un seul mandat local, ce n’est pas forcément celui de président de conseil général ! Si l’on est maire d’un village, je ne vois pas en quoi cela nuit à l’exercice d’un mandat parlementaire.

J’ajouterai que nous avions fait d’autres propositions. Pour ma part, j’ai cosigné une proposition de loi visant à rendre incompatibles avec un mandat parlementaire les fonctions exécutives locales au sein d’une très grande collectivité. Cette solution, qui s’inscrivait dans l’esprit de la loi de 2000, était également envisageable. Elle n’a pas été retenue.

On avance que cette interdiction du cumul était une promesse. Certaines promesses ne coûtent pas cher ! C’est le cas de celle-ci, avec laquelle on va pouvoir se payer les parlementaires et développer un peu plus l’antiparlementarisme, dont je remarque qu’il est la plupart du temps le fait des médias nationaux. On ne constate pas un tel antiparlementarisme sur le terrain local.

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest. Il se trouve que nos concitoyens élisent volontiers ceux auxquels ils ont déjà fait confiance sur le plan local. Vous avouerez que c’est un paradoxe, mais c’est ainsi que cela se passe, notamment pour le Sénat. Et l’on voudrait l’interdire ?

Je ne dis pas que tous les élus devraient être également des élus locaux.

Mme Éliane Assassi. C’est l’argument avancé par certains…

M. Jean-Jacques Hyest. Je ne citerai pas de noms, mais nous avons connu, dans cette maison, d’éminents parlementaires qui ont honoré notre institution par leur compétence dans tel ou tel domaine, bien qu’ils n’aient pas été élus locaux et que le sujet des collectivités territoriales ne les ait pas vraiment intéressés.

À l’inverse, d’autres ont une expérience des collectivités locales sans être élus. Ne soyons pas rigides : exercer de véritables responsabilités dans l’administration locale, donc pas uniquement en cabinet, cela revient au même qu’être élu local !

Jacques Mézard l’a dit et d’autres avant lui, l’hostilité de l’opinion a surtout pour fondement l’impression que nous sommes des cumulards d’indemnités. Je rappelle cependant que le total des indemnités pouvant être perçues par les élus parlementaires a déjà été limité à une fois et demie l’indemnité parlementaire. De surcroît, nous avons voté, sur la proposition de Jacques Mézard et de son groupe, la suppression de toute indemnité supplémentaire pour les sénateurs qui voudraient également exercer un mandat local. Certains pratiquent cette règle depuis très longtemps, et ne s’en vexent pas pour autant, conscients qu’ils sont des priorités : l’important, c'est d’exercer un mandat local.

Certains voient aussi dans le cumul des mandats l’une des causes de l’absentéisme parlementaire.

M. Christian Cambon. C’est faux !

M. Jean-Jacques Hyest. Je peux vous faire la démonstration contraire, toujours sans citer de noms, pour ne pas tomber dans l’argumentation ad hominem, ce qui ne serait pas courtois. Je connais un élu, parlementaire depuis 1986, qui, tout en assumant des fonctions exécutives locales parfois importantes, a toujours été présent tant dans son assemblée que sur le terrain. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Nous ne vivons pas tous de la même manière, chers collègues. Certains ont besoin de loisirs ; ce n’est pas mon cas ! Chacun s’organise à sa façon. Le plus important, c’est d’exercer son mandat de façon satisfaisante.

Jacques Mézard l’a dit, il a été cumulard. Et alors ? Personne, ni dans sa commune, ni dans son intercommunalité, ni ici, ne lui reproche de ne pas faire le travail. S’il fallait d’ailleurs décerner la palme de l’absentéisme, elle pourrait revenir à certains qui, bien que n’exerçant pas de mandats locaux, ne sont pas très souvent présents !

On nous fait donc un mauvais procès. Si des reproches devaient être faits, ce serait surtout à ceux qui ne sont pas là aujourd’hui, mais évidemment pas aux présents ! (Sourires.)