M. Benoît Hamon, ministre délégué. Intéressez-vous un peu aux arguments des uns et des autres ! Monsieur Husson, je ne vous ai pas vu au début de notre discussion,…

M. Jean-François Husson. J’étais là !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. … mais nous avons débattu de cette question avec les opticiens, les ophtalmologistes et les clients.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous avez besoin de lunettes, comme moi-même et comme 40 millions de Français, vous irez sans doute voir un opticien ; celui-ci, qui naturellement se préoccupe des conditions dans lesquelles il pourra vous équiper, vous demandera, avant tout autre chose, quelle est votre complémentaire et quel est votre niveau de protection. Et il vous proposera un appareillage en fonction de votre réponse.

Dans l’avenir, nous pourrons réfléchir à la possibilité de confier aux opticiens certains actes actuellement pratiqués par les ophtalmologistes – à cet égard, je suis sensible aux propos que vient de tenir M. Cornu.

Pour l’heure, la mesure que nous proposons rendra le parcours de soins beaucoup plus consolidé qu’il ne l’est aujourd’hui, ce qui fera baisser les prix et permettra aux Français d’économiser 100 ou 150 euros sur leur équipement optique. De surcroît, mesdames, messieurs les sénateurs, les 3 millions de Français qui souffrent d’un handicap visuel sans avoir les moyens de s’équiper pourront, grâce à vous, bénéficier de lunettes.

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les trois premiers sont identiques.

L'amendement n° 224 rectifié bis est présenté par Mme Deroche, M. Bizet, Mme Boog, MM. Cambon, Cardoux, Charon, Chauveau, B. Fournier, Gilles, Laménie, Lefèvre, Lenoir, Milon et Savary, Mme Sittler, M. Paul, Mme Procaccia, M. Pierre, Mme Duchêne et M. Cléach.

L'amendement n° 271 rectifié est présenté par MM. Marseille, Delahaye et Bockel.

L'amendement n° 318 rectifié bis est présenté par MM. Cornu et César et Mme Lamure.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Alinéas 1 à 4

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Catherine Deroche, pour présenter l’amendement n° 224 rectifié bis.

Mme Catherine Deroche. Cet amendement a pour objet de supprimer une disposition introduite par l’Assemblée nationale : l’obligation pour le médecin ophtalmologiste de mesurer l’écart pupillaire du patient.

On ne peut pas, d’un côté, annoncer qu’on va porter à cinq ans la durée de validité des prescriptions parce que les ophtalmologistes sont surchargés, et, de l’autre, obliger ces médecins à pratiquer un acte supplémentaire, qui de surcroît est un acte d’optique. Mesurer l’écart pupillaire prend du temps et requiert un appareil que les ophtalmologistes ne possèdent pas toujours.

En outre, comme M. Cornu l’a fort bien souligné, les verres, notamment progressifs, réalisés sur le seul fondement de l’écart pupillaire peuvent se révéler tout à fait inadaptés. Aussi, lorsqu’un verre commandé par internet sera inadapté, c’est à l’ophtalmologiste qu’on en fera porter la responsabilité, sous prétexte qu’il a pris la mesure.

Encourager la vente sur internet, pourquoi pas ; mais imposer aux ophtalmologistes une mesure qui est généralement réalisée par les opticiens, c’est leur faire perdre du temps. Monsieur le ministre, les ophtalmologistes ne souhaitent pas pratiquer cet acte et, sur le plan de la santé publique, je pense que le résultat de cette mesure ne sera pas à la hauteur de vos attentes.

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour présenter l'amendement n° 271 rectifié.

M. Hervé Marseille. Dans de nombreux domaines, notamment en matière de santé, on peut s’interroger sur les ventes en ligne. À l’évidence, on trouvera toujours sur internet des produits beaucoup moins chers que ceux qui sont vendus en magasin, mais dont les conditions de délivrance, ainsi que les garanties qui leur sont associées, sont sujettes à caution. Aussi bien, on ne peut pas considérer seulement le prix, surtout lorsqu’il s’agit d’actes médicaux.

Or je suis d’avis, comme sans doute nombre de nos collègues, que le sujet dont nous parlons est avant tout un problème de santé publique.

Mme Deroche a eu raison de dénoncer une nouvelle contrainte imposée à des médecins dont M. le rapporteur a rappelé qu’ils sont déjà fort occupés, notamment en zone rurale, de sorte qu’il est très difficile d’obtenir un rendez-vous avec eux. Comme cette tâche supplémentaire leur prendra du temps, les délais d’attente seront encore plus longs !

La mesure de l’écart pupillaire est aujourd’hui réalisée par les opticiens, qui sont formés et équipés pour pratiquer cet acte. Quant aux ophtalmologistes, qui sont soumis à un tarif de 23 euros environ alors que les plus diplômés sont obligés, pour s’en sortir, de facturer leur consultation entre 50 et 80 euros, ils devront, si cette nouvelle tâche leur est confiée, réaliser des investissements supplémentaires.

De plus, cette mesure est nécessaire, mais non suffisante, pour la bonne conception d’un verre progressif ; l’opticien pourra donc être obligé de procéder à des mesures complémentaires.

Monsieur le ministre, votre dispositif va poser le problème du service après-vente, puisque, si leurs lunettes ne leur conviennent pas, les patients devront retourner chez l’ophtalmologiste.

C’est pourquoi les auteurs de l’amendement n° 271 rectifié souhaitent maintenir l’actuel partage des tâches entre professionnels de santé, qui est intelligent. Je vous rappelle, mes chers collègues, que la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires prévoyait justement une préservation du temps médical et un partage des tâches entre professionnels de santé.

M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu, pour présenter l'amendement n° 318 rectifié bis.

M. Gérard Cornu. Il faut être clair : la mesure de l’écart pupillaire, qui permet de centrer les verres, est un acte technique, mais en aucun cas un acte médical ; et si l’on veut confier ce travail à l’ophtalmologiste, dont nos collègues viennent de rappeler qu’il est déjà surchargé, c’est tout simplement pour permettre la vente en ligne.

De fait, ceux qui veulent faire de la vente en ligne se rendent bien compte, après avoir assuré le contraire d'ailleurs, qu’il est quelque peu difficile de mesurer un écart pupillaire à distance. Je le comprends fort bien, mais est-ce une raison pour confier une charge supplémentaire à des médecins dont les délais d’attente sont déjà très importants ? J’ajoute que les ophtalmologistes devront acquérir un pupillomètre, alors que, aujourd’hui, tous les opticiens en ont un.

La répartition des tâches actuelle est tout à fait satisfaisante : pourquoi faudrait-il attribuer une tâche supplémentaire aux ophtalmologistes, qui ne sont déjà pas assez nombreux ? C’est incompréhensible !

Croyez bien, monsieur le ministre, que je ne suis pas hostile à la vente sur internet ; seulement, ceux qui veulent vendre sur internet doivent avoir les mêmes charges et les mêmes devoirs que les opticiens traditionnels.

M. Hervé Marseille. Tout à fait !

M. Gérard Cornu. Il est trop facile de transférer sur les autres une tâche qui leur incombe. Qu’ils prennent les mêmes mesures, et il n’y aura aucun problème !

Mme Catherine Deroche et M. Christian Cointat. Très bien !

M. le président. L'amendement n° 232 rectifié bis, présenté par M. Cornu, Mme Lamure et MM. César, Gilles et Milon, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par les mots :

en tant que de besoin

La parole est à M. Gérard Cornu.

M. Gérard Cornu. Il s’agit d’un amendement de repli ; je préférerais vraiment que les trois amendements identiques qui viennent d’être présentés soient adoptés !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Fauconnier, rapporteur. Les amendements identiques nos 224 rectifié bis, 271 rectifié et 318 rectifié bis visent à supprimer la disposition prévue aux alinéas 1 à 4 de l’article 17 quater ; l’amendement n° 232 rectifié bis tend à en réduire l’effet.

Je le rappelle, cette disposition, qui ne figurait pas dans le texte voté en première lecture par le Sénat, mais que les députés ont introduite, vise à mettre en œuvre une recommandation de la Cour des comptes : dans son rapport de septembre dernier sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, cette instance a signalé que « certaines modalités de vente moins coûteuses pour les assurés ne sont guère diffusées en France » et que « l’absence de mention obligatoire sur les ordonnances des ophtalmologues de l’écart pupillaire constitue à cet égard une difficulté souvent évoquée ».

La mesure envisagée contribuera à encourager la vente en ligne de verres correcteurs, dans le respect des autres dispositions de l’article 17 quater qui visent à encadrer ce commerce ; elle peut soutenir le pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Les auteurs des trois amendements identiques s’émeuvent d’un risque d’alourdissement du temps médical. Cet argument n’est pas sérieux, car la mesure de l’écart pupillaire est une opération très brève ! Du reste, elle ne sera nécessaire qu’une fois dans la vie d’un patient.

En ce qui concerne l’équipement des ophtalmologistes, la commission a adopté, sur mon initiative, un amendement visant à instaurer un délai de six mois pour la mise en œuvre de la mesure envisagée ; ainsi les ophtalmologistes auront-ils le temps d’acquérir l’appareil nécessaire, dont le coût ne s’élève qu’à quelques centaines d’euros.

Enfin, il n’est pas sérieux de soutenir que cette disposition fera disparaître la spécificité de l’activité d’opticien-lunettier, comme les auteurs de l’amendement n° 318 rectifié bis le prétendent dans l’objet de leur disposition. En effet, il va de soi que la compétence et le rôle des opticiens-lunettiers ne se limitent pas à la mesure de l’écart pupillaire.

Pour ces diverses raisons, la commission est défavorable aux trois amendements identiques nos 224 rectifié bis, 271 rectifié et 318 rectifié bis, ainsi qu’à l’amendement n° 232 rectifié bis.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Le Gouvernement est défavorable à ces quatre amendements, pour de nombreuses raisons.

En le réglementant, la mesure par les ophtalmologistes de l’écart pupillaire permettra au commerce sur internet de se développer sur des bases saines. Nos concitoyens pourront ainsi s’équiper dans de bonnes conditions.

J’observe que les opposants à cette mesure ont présenté des arguments contradictoires. Si je comprends bien, madame Deroche, vous n’êtes pas favorable à l’allongement à cinq ans de la durée de validité des ordonnances ?

Mme Catherine Deroche. En effet, je ne le suis pas !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. M. Cornu, lui, est pour !

Mme Catherine Deroche. Ne mélangez pas tout !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Ces questions vont de pair, madame la sénatrice, parce que notre dispositif est cohérent.

Certes, nous allons allonger d’une minute le temps que les ophtalmologistes consacrent à leurs patients, alors que le délai d’attente moyen pour obtenir un rendez-vous avec l’un de ces médecins est de 120 jours – parfois très court à Paris, il peut atteindre plusieurs mois ailleurs. Néanmoins, la question se posera demain de la délégation aux opticiens d’un certain nombre d’actes actuellement pratiqués par les ophtalmologistes ; à cet égard, le modèle allemand, dans lequel il n’y a pas de tiers prescripteur, mérite d’être considéré.

Dans l’immédiat, la mesure que nous défendons permettra, en dopant le commerce en ligne, de faire baisser les prix.

En ce qui concerne les actes des ophtalmologistes qui pourraient être confiés aux opticiens, j’aurai une discussion avec la ministre de la santé ; nous verrons bien, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, si vous êtes d’accord entre vous sur ce sujet, mais permettez-moi d’en douter.

Notre choix, politique, est de préserver le parcours de soins tout en faisant baisser les tarifs. Cette mesure de justice, qui sera extrêmement utile aux Français et qui aura un effet immédiat en matière de pouvoir d’achat, le Sénat s’honorerait en se rassemblant pour l’adopter. Qu’on ne prétende pas qu’un Allemand ou un Espagnol voit moins bien qu’un Français, qui paie deux fois plus cher un service identique !

Le Gouvernement, je le répète, est donc défavorable à ces quatre amendements.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. À mes yeux, cette mesure soulève deux questions, dont la première est déontologique.

Monsieur le ministre, vous introduisez dans un projet de loi relatif à la consommation des mesures à caractère médical, comme des délégations à des médecins.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Est-ce là tout votre argument ?

M. René-Paul Savary. Le secteur médical et sanitaire est un marché économique particulier, dans la mesure où le consommateur ne choisit pas le produit qu’il achète : celui-ci lui est prescrit. On choisit ses yaourts, mais pas ses médicaments !

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. On choisit ses montures !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. N’avez-vous pas choisi les montures que vous portez, monsieur Savary ?

M. René-Paul Savary. Monsieur le ministre, je vous prie de me laisser poursuivre ; nous avons le droit d’avoir des avis différents tout en nous respectant.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Sans doute, mais ce n’est pas la question !

M. René-Paul Savary. J’expose mes arguments sur un ton cordial ; avec votre permission, je vais continuer.

Le patient n’est pas un client comme les autres : il achète un produit qu’il n’a pas choisi. Dès lors, introduire subrepticement des mesures médicales dans un projet de loi relatif à la consommation, c’est être à côté de la plaque – je le dis comme je le pense !

M. Jeanny Lorgeoux. Casuistique !

M. René-Paul Savary. La seconde question que je souhaite soulever est liée à mon canton. À Sézanne, en effet, une usine d’optique particulièrement performance fabrique des verres remarquables ; elle appartient au groupe Essilor, qui est l’un des leaders mondiaux dans le domaine de la recherche.

C’est cette entreprise qui a conçu les premiers verres organiques et c’est elle qui a apporté des améliorations extraordinaires dans le domaine de l’optique.

Véritablement, le made in France prend toute sa valeur avec le savoir-faire de ces entreprises. Je vous rappelle qu’un certain nombre de groupes importent déjà des verres fabriqués notamment au Bangladesh. Leur qualité est sûrement irréprochable, mais ce pays ne possède pas, dans ce domaine, une industrie comparable à celle qui existe en France.

Au travers de la vente par internet, vouloir faire en sorte qu’une prescription se transforme en acte de consommation peut entraîner des dérives sur le plan médical, faute de conseils attachés à la prescription, notamment pour les verres correcteurs progressifs. Par ailleurs, il sera certes possible de réaliser une économie à court terme, mais si l’on détruit la production française de lunettes, on n’aura rien gagné en fin de compte.

Monsieur le ministre, j’attire votre attention. Véritablement, cette question mérite une réflexion plus approfondie !

La commission des affaires sociales a approuvé à l’unanimité les quinze propositions présentées par nos collègues Alain Milon et Catherine Génisson dans leur rapport – fort pertinent – consacré aux transferts d’actes. Ces propositions, tout à fait intéressantes, pourraient être prises en considération lors de l’élaboration d’une loi future.

La mesure qui nous est soumise aujourd’hui et sur laquelle nous devons nous prononcer rapidement va à l’encontre des nécessaires progrès qui doivent être réalisés en la matière. Le problème est réel, mais la réponse que l’on nous propose n’est pas adaptée. C’est la raison pour laquelle j’ai cosigné cet amendement n° 224 rectifié bis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Mirassou. Je fais une incursion très rapide dans ce débat.

Nous voyons avec quelle facilité on passe du patient au consommateur, voire au client, et on envisage des délégations de prescription. Autant d’éléments qui m’incitent à penser que ce sujet aurait dû être abordé à l’occasion d’un futur projet de loi sur la santé. Toutefois, puisque le coup est parti, en quelque sorte, je plaide, monsieur le ministre – vous semblez y souscrire – pour que, en étroite relation l’un avec l’autre, votre ministère et celui de la santé harmonisiez vos positions.

À de nombreuses reprises, il a été dit, à juste titre, que les délais d’obtention d’un rendez-vous chez l’ophtalmologiste étaient très longs. Bien entendu, on en a déduit très facilement que nous manquions de tels spécialistes en France. De fait, la pénurie dans certaines spécialités, dont les ophtalmologistes, et, partant, la question essentielle du numerus clausus relèvent de la compétence de Mme Touraine.

Sur ces travées de l’hémicycle, à tout le moins, nous avions ferraillé durement contre la loi HPST de Mme Bachelot. Celle-ci ciblait uniquement le numerus clausus. Nous avions réussi l’exploit d’imposer un autre mode de fixation du numerus clausus sans faire tant soit peu de prospective en ce qui concerne la démographie médicale, la médecine générale ou les spécialités pour les quinze ou vingt années à venir.

Il s’agit là d’un acte manqué patent, on le comprend très facilement, qui, à défaut de trouver son épilogue – je n’irai pas jusque-là –, rencontre aujourd’hui un obstacle supplémentaire.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.

Mme Catherine Génisson. Un orateur a dit une chose importante : dans ce domaine, le citoyen est à la fois client, patient et consommateur. Nous sommes les uns et les autres extrêmement gênés pour nous exprimer objectivement et pour argumenter sur ce sujet, dans la mesure où, compte tenu de son importance, on peut être surpris qu’il soit traité uniquement dans le cadre d’un projet de loi sur la consommation, alors qu’il concerne avant tout la santé publique.

Je remercie notre collègue René-Paul Savary d’avoir évoqué le rapport qu’Alain Milon et moi-même avons rédigé. Nous avons travaillé sur le concept très important de coopération interprofessionnelle, en prenant pour exemple la filière visuelle.

Les uns et les autres, vous avez fait un raccourci en ne citant que les ophtalmologistes et les opticiens. Toutefois, entre les premiers et les seconds, qui se situent respectivement en amont et en aval de la chaîne, il existe d’autres professionnels de la vision : les orthoptistes et les optométristes.

La question qui nous est soumise est difficile à résoudre dans la mesure où il faudrait que, à votre côté, monsieur le ministre, soit également présente Mme la ministre de la santé, afin que nous puissions engager un dialogue nous permettant d’aller jusqu’au fond du débat.

En ce qui me concerne, en l’absence d’un débat étayé, je me résous à me ranger aux arguments de M. le ministre et de M. le rapporteur. Néanmoins, je veux faire part d’une certaine insatisfaction,…

Mme Catherine Génisson. … car, s’agissant d’un sujet aussi important, nous aurions pu aller plus loin, pour le bénéfice de nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je tiens à indiquer que la position que je défends ce soir a fait l’objet d’un arbitrage. Je suis l’interprète de Marisol Touraine, du ministère de l’économie des finances et du Gouvernement. Les propos que je tiens sur ce sujet ont été validés par la ministre de la santé, sont soutenus par la ministre de la santé et sont défendus publiquement par la ministre de la santé, et cela en toute hypothèse.

Il arrive que, sur certains sujets, les domaines de compétence de différents ministères se chevauchent. S’agissant de ces questions d’optique, quels que soient les arguments avancés ce soir, lesquels se défendent du point de vue des opticiens, des ophtalmologistes ou des médecins, ce qui m’intéresse, ce sont les patients, ce sont les consommateurs. Parfois, afin de pouvoir se soigner, les patients doivent dépenser de l’argent et doivent faire des choix, notamment celui de leur monture.

L’objectif du Gouvernement, c’est de renforcer le parcours de soins en faisant baisser les prix anormalement élevés en France des lunettes. Il n’est pas normal que nos concitoyens paient leurs lunettes à un prix deux fois supérieur à la moyenne européenne. Ou alors qu’on m’en explique la raison ! Puisqu’aucune explication n’est venue de ces travées (M. le ministre délégué se tourne vers les sénateurs siégeant à la droite de l’hémicycle.), j’en conclus qu’il est normal de faire baisser le prix des lunettes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier, rapporteur.

M. Alain Fauconnier, rapporteur. Avant les auditions, j’étais persuadé qu’il fallait une ordonnance pour se procurer des lunettes. Or tel n’est pas le cas. Aujourd’hui, une ordonnance est nécessaire uniquement pour être remboursé. Chez n’importe quel opticien, vous pouvez vous faire faire des lunettes sans la moindre prescription médicale. Ce n’est pas ce qui transparaît dans notre discussion, et c’est assez surprenant.

Certaines personnes disposant de moyens importants peuvent changer de lunettes chaque mois (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.), sans disposer pour autant d’une ordonnance.

Par ailleurs, il est évident qu’il y a un problème de santé publique. Toutefois, quand on sait combien la sécurité sociale rembourse les verres correcteurs, on est quand même un peu surpris.

Mme Annie David. Je suis bien d’accord avec vous !

M. Alain Fauconnier, rapporteur. C’est très peu ! En résumé, cessons de parler des ordonnances.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Monsieur le ministre, si j’ai bien compris, vous voulez favoriser la vente des lunettes sur internet en pensant que cela fera baisser leur prix. Tel est votre objectif.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Absolument !

M. Christian Cointat. Vous avez raison, les prix diminueront.

Toutefois, pour atteindre cet objectif, en l’absence de contact physique entre le consommateur et l’« e-opticien », si je puis dire, vous êtes obligé de changer les règles du jeu et de demander à l’ophtalmologiste de réaliser un acte, qui relève aujourd’hui de la responsabilité des opticiens.

Tout comme vous, monsieur le ministre, je porte des lunettes. Je les porte depuis si longtemps que j’ai impression d’être né avec. Par conséquent, j’en ai changé souvent au cours de ma vie. Néanmoins, jamais je n’ai pu me dispenser de retourner trois ou quatre fois chez l’opticien parce qu’elles ne convenaient pas : je ne voyais pas bien, je voyais de travers, etc. Avec votre système, ce qui me gêne, c’est que je serai obligé de retourner voir l’ophtalmologiste.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Mais non !

M. Christian Cointat. Mais si ! C’est l’opticien qui prend les mesures nécessaires pour adapter les lunettes. Vous savez bien que son rôle ne se limite pas simplement à exécuter une prescription médicale, quand on lui en présente une : il adapte vos lunettes.

Si elle permet de faire baisser les prix, je ne suis pas contre la vente de lunettes par internet, mais on ne peut pas brutalement changer les règles du jeu. En réalité, sous couvert d’une action consumériste, vous touchez au sanitaire, au médical, en demandant aux ophtalmologistes de réaliser un acte qu’ils n’accomplissaient pas auparavant. C’est cela qui est gênant.

Monsieur le ministre, votre objectif est louable : vous avez raison, il faut faire baisser le prix des lunettes. Cependant, peut-être pourrait-on prévoir des mesures de transition pour permettre à chacun de s’adapter et éviter toute concurrence déloyale. Demain, les opticiens n’auront plus besoin de mesurer l’écartement pupillaire, puisque ce sera de la responsabilité des ophtalmologistes. Toutefois, il faut que ceux-ci s’équipent et que les opticiens se débrouillent. Cet équipement doit être rentabilisé.

Votre idée est bonne, mais sa mise en œuvre est peut-être un peu malheureuse. Il n’est pas normal que les lunettes soient si chères en France comparativement aux autres pays d’Europe, mais il faut tenir compte des responsabilités, des contraintes et des problèmes de chaque profession, des règles auxquelles elles sont soumises. Je souhaiterais donc qu’on réfléchisse davantage à cette question, qui mérite qu’on y accorde une plus grande attention.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Aujourd’hui, quelle est la part d’internet dans le marché des lunettes ? À peine 1 %. Notre objectif, c’est que cette part passe à 10 %. Cela signifie que 90 % de ceux qui devront s’équiper en lunettes iront d’abord voir un opticien physique, comme vous, sans doute, monsieur le sénateur, qui préférez cette méthode.

Quel est le taux de retour des lunettes achetées sur internet, au motif que la paire choisie n’est pas la bonne, parce que l’acquéreur considère que son achat ne correspond pas tout à fait à ce dont il avait besoin ? Ce taux est de 1,5 %.

Mme Catherine Procaccia. Quelles sont vos sources ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. En permettant aux ophtalmologistes de mesurer l’écart pupillaire, nous allons favoriser l’accès à des réseaux qui, pour certains d’entre eux, seront des pure players, c'est-à-dire ne vendront que sur internet. Toutefois, d’autres acteurs, comme c’est déjà le cas de grands opticiens ou de petites sociétés d’optique, associeront commerce physique et commerce en ligne. Pourquoi ceux-là ont-ils des chances d’être demain les champions de l’optique ? Parce qu’ils auront compris que, en combinant les deux manières de vendre, il est possible de fournir un double service pour ceux qui ne veulent que l’un ou que l’autre ou pour ceux qui ont besoin de passer de l’un à l’autre.

Dans le commerce par internet, qu’est-ce qu’on met en avant, souvent, dès la page d’accueil ? Les montures françaises ! Il est faux de dire que celles-ci sont moins présentes sur les sites de vente en ligne que dans les commerces physiques de lunettes.

Le métier d’opticien est un beau métier, qui consiste à soulager d’un handicap lourd, le handicap visuel. Pour les 3 millions de Français qui n’ont pas accès à des lunettes faute d’en avoir les moyens, faute de disposer d’une assurance complémentaire, ce handicap est une entrave à leur vie. Or la mesure que nous allons prendre, en permettant de faire baisser les prix de manière radicale – de 20 % à 30 % –, permettra à ces trois millions de Français de s’équiper.

Voyez les nombreuses études publiées sur ce sujet, par exemple le rapport de la Cour des comptes. Vous le savez aussi bien que moi : il suffit que le Sénat vote cet article aujourd’hui pour nous permettre d’avancer.

Je comprends qu’on se pose des questions. C’est pour cette raison que j’ai tenu à vous répondre point par point, à vous informer sur les taux de retour des lunettes achetées en ligne et sur le prix réel des montures et des verres.

Monsieur Cointat, vous me parliez des verres réalisés à l'étranger. Toutefois, aujourd'hui, une grande industrie française est responsable de la fabrication de plus de 90 % des verres vendus en France. Et les entreprises qui vont acheter ailleurs ne sont pas forcément celles qui sont présentes sur internet.

Le Gouvernement sait qu’il est responsable de ses décisions devant les Français. C'est pourquoi il propose que l'on s'inscrive toujours dans un parcours de soins, car – vous l'avez dit – un handicap visuel peut déboucher sur des maladies.

Des représentants de certaines professions avancent l'argument selon lequel la décision du Gouvernement de développer ce marché déboucherait sur le développement d'infections, de glaucomes et autres ulcères… Alors que l'on cherche à trouver des solutions en termes de pouvoir d'achat et que la sécurité sociale et les complémentaires de santé continuent malgré tout à rembourser les frais médicaux et à rendre solvable la demande, de tels propos ne sont pas à la hauteur des enjeux de ce débat !

C'est pourquoi je suis content de nos échanges et de l'éclairage mutuel qui en découle, même si j’écoute ce que disent les professionnels, qui peuvent aussi nous instruire sur deux ou trois aspects ayant pu nous échapper.

Le Sénat, en première lecture, avait réalisé une grande avancée, confirmée ensuite par l’Assemblée nationale. Il vous revient aujourd'hui de décider si, oui ou non, vous décidez de confirmer, pour les Français, la baisse du prix des lunettes de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d'euros, et je serais ravi que nous puissions ce soir acter collectivement cette mesure.