M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, rapidement inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, qui a à son tour apporté quelques précisions bienvenues – Mme Tasca vient de le rappeler à l’instant –, la proposition de loi modifiant la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté doit mettre fin aux distorsions parfois dommageables constatées entre la loi et la pratique.

Cette proposition de loi constitue une avancée démocratique, faite tout ensemble de précisions utiles, de la codification de pratiques déjà ancrées, mais aussi du renforcement nécessaire de certaines prérogatives, afin de permettre au Contrôleur général de ne jamais être entravé dans l’exercice de sa mission, ô combien essentielle : prévenir les atteintes aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté et s’assurer que les droits intangibles inhérents à la dignité humaine sont respectés, même au sein des lieux de privation de liberté.

Au cours de six années d’existence, le Contrôleur général, en la personne de M. Delarue auquel il faut de nouveau rendre hommage, et ses collaborateurs ont visité plus de 800 établissements, et même contre-visité certains d’entre eux, mesurant à cette occasion la réactivité des autorités responsables à la suite des recommandations faites précédemment.

Si le Contrôleur général a eu quelques occasions de se féliciter des mesures prises immédiatement par des chefs d’établissement et de la disponibilité de ces derniers à son égard, ainsi que des 69 réponses ministérielles qu’il a reçues en 2012, il a aussi souligné la difficulté de sa mission au regard des délais et des conséquences effectives sur la situation des détenus.

Il est ainsi significatif qu’au mois d’avril dernier le Contrôleur général ait reproché à l’administration de la prison pour mineurs de Villeneuve-lès-Maguelone de n’avoir pas tenu compte de recommandations formulées cinq ans auparavant et d’avoir laissé se développer un sentiment d’impunité des individus violents.

Alors que le mandat, non renouvelable, de M. Delarue touche à son terme, les modifications proposées aujourd’hui constituent des réponses adéquates et réfléchies aux difficultés techniques et juridiques issues de la pratique quotidienne de la mission du Contrôleur général dans les lieux de privation de liberté.

À ce titre, la création d’un délit d’entrave, l’extension de ce délit aux représailles, la protection des correspondances avec les personnes détenues, ainsi que celle du personnel entrant en contact avec le Contrôleur général, permettront de conforter de manière plus sereine la présence de cette institution dans notre paysage démocratique et d’aboutir, en quelque sorte, à sa normalisation.

Cela a été dit, les députés européens élus en France sont intégrés dans le dispositif juridique et pourront saisir l’institution.

Systématiquement, désormais, les ministres seront tenus de répondre dans un délai déterminé au Contrôleur général, qui sera informé des suites données à ses démarches par le procureur de la République ou l’autorité disciplinaire.

Par ailleurs, parce qu’il rencontre régulièrement des obstacles dans sa recherche de la véracité des faits, la proposition de loi lui permettra d’accéder aux procès-verbaux relatifs aux mesures privatives de liberté, de mettre en demeure les personnes intéressées de répondre à ses demandes d’informations ou de documents, mais aussi de lever dans certains cas le secret médical, avec l’autorisation de la personne privée de liberté, et ce dans le respect du droit à la vie privée de la personne concernée.

Enfin, si l’article 10 de la loi du 30 octobre 2007 prévoyait déjà la possibilité pour le Contrôleur général d’envoyer aux ministres compétents des conclusions et recommandations après chaque visite d’établissement, ainsi que des avis et propositions, désormais, la loi précisera également qu’il pourra « adresser aux autorités responsables des avis sur les projets de construction, de restructuration ou de réhabilitation de tout lieu de privation de liberté ».

En conclusion, certaines recommandations du Contrôleur général sont restées lettre morte. Parmi elles, certaines sont peu coûteuses – je pense notamment au vouvoiement systématique des détenus –, d’autres doivent résulter d’une modification des pratiques administratives actuelles, et d’autres encore vont dans le sens d’une prise en charge plus attentive, qui est aussi la clé, comme l’a fait remarquer le Contrôleur général, d’une meilleure sécurité.

Mais alors que la sagesse nous conseille, selon la formule célèbre, de « ne légiférer qu’en tremblant », nous pensons pour notre part avoir résorbé les distorsions qui pouvaient exister entre la loi de 2007 et la pratique effective de la mission du Contrôleur général.

Dans ces conditions, nous pouvons, me semble-t-il, légiférer sans trembler ! En 2011, le Sénat s’était opposé à l’intégration du Contrôleur général au sein du Défenseur des droits ; en 2014, il participe au renforcement de cette autorité et réitère son soutien sans faille à une institution qui honore notre démocratie.

Le groupe du RDSE se félicite ainsi de l’initiative coordonnée de Mme le rapporteur Catherine Tasca, à laquelle je rends hommage, et votera cette proposition de loi avec une conviction réaffirmée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, comme j’ai eu l’occasion de le dire au cours de nos précédents débats, la nécessité d’un Contrôleur général des lieux de privation de liberté n’est plus à démontrer.

Le franchissement d’un nouveau seuil, au 1er avril 2014, avec 68 859 personnes écrouées pour 57 680 places en établissement pénitentiaire, vient renforcer cette certitude. L’existence d’une autorité indépendante chargée de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et dotée des prérogatives nécessaires pour exercer pleinement sa mission est plus que jamais indispensable.

Le groupe écologiste a voté ce texte avec conviction en première lecture, et nous ferons de même aujourd’hui.

Je veux saluer ici le travail des rapporteurs du Sénat et de l’Assemblée nationale, qui ont largement contribué à enrichir la proposition de loi qui nous est soumise.

Ainsi, si le Sénat avait ouvert au Contrôleur général la possibilité de prendre connaissance des procès-verbaux de garde à vue, la commission des lois de l’Assemblée nationale est allée plus loin en élargissant cette disposition à l’ensemble des procès-verbaux relatifs au déroulement d’une mesure privative de liberté. Cela permettra notamment d’inclure les procès-verbaux de déroulement de la retenue pour vérification du droit au séjour d’une personne de nationalité étrangère.

Nous nous réjouissons également que, sur l’initiative des députés écologistes, la possibilité pour les députés européens élus en France de saisir le Contrôleur général ait été introduite dans la proposition de loi ; Mme la rapporteur a mentionné cette disposition. Je salue à cet égard mon collègue et ami du groupe écologiste de l’Assemblée nationale, Sergio Coronado. Il s’agit sans aucun doute, à quelques jours des élections européennes, d’une avancée importante.

Le travail accompli depuis six ans par le Contrôleur général et ses équipes est immense, et ce sont, en moyenne, 151 lieux de privation de liberté qui ont été visités chaque année.

Mais il me semble que, si l’hommage unanime est amplement mérité et que nous ne pouvons que nous réjouir de l’adoption prochaine de la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui, la défense des droits fondamentaux des personnes privées de liberté doit rester notre priorité.

Les derniers rapports du Contrôleur général sont édifiants, et il relève de notre responsabilité de législateurs de nous en saisir pour faire avancer le droit et les droits dans notre pays.

Ainsi, le 23 avril dernier, le Contrôleur général publiait-il en urgence des recommandations sur le quartier des mineurs de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone. À la suite de signalements de violences entre mineurs, deux contrôleurs se sont rendus sur place en février dernier. Ils ont pu alors constater la gravité des violences qui se déroulent au quartier des mineurs.

Ce même 23 avril, le Contrôleur général publiait un avis relatif à l’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires. Ici encore, le constat est grave. L’encellulement individuel, réservé, sauf dérogation, aux prévenus en détention provisoire et aux condamnés, la nuit seulement, n’est pas mis œuvre dans les maisons d’arrêt en raison de la surpopulation.

Énumérant les « palliatifs » imaginés par le législateur pour repousser l’application de ce principe jusqu’à novembre 2014, le Contrôleur général propose de commencer par « rétablir l’encellulement individuel au bénéfice de certaines catégories de détenus », notamment les personnes handicapées, les personnes âgées de plus de 65 ans, les détenus souffrant d’affections mentales ou les étrangers ne comprenant pas le français.

Dans le même sens, Jean-Marie Delarue encourage à « redonner un sens plus restreint à l’usage du quartier d’isolement », qui, écrit-il en substance, ne doit être utilisé que pour des personnes dangereuses, et non pour des détenus menacés.

Je m’arrêterai ici, nul ne pouvant prétendre à l’exhaustivité en matière de mesures à mettre en œuvre pour défendre les droits fondamentaux des personnes privées de liberté...

Madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe écologiste voteront ce texte avec enthousiasme et conviction, mais seront attentifs, notamment lors de l’examen du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, à ce que l’ensemble de ces recommandations ne tombent pas dans l’oubli. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à bien des égards, cette proposition de loi visant à modifier la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté s’avère exemplaire.

Elle est exemplaire quant au temps qui aura été nécessaire pour son adoption : elle nous revient de l’Assemblée nationale moins de quatre mois après le vote en première lecture du Sénat. J’ai connu tant de contre-exemples qu’il s’agit là d’un premier motif de satisfaction ; c’est aussi la preuve que le bicamérisme peut fonctionner efficacement lorsque chacun prend ses responsabilités.

Elle est exemplaire dans l’unanimité qui nous a rassemblés en première lecture et qui devrait se manifester à nouveau aujourd’hui.

Sur des questions de cette nature qui touchent à la dignité des personnes privées de liberté comme aux garanties accordées aux membres des personnels qui les entourent, cet accord, ce consensus, sur l’ensemble des travées et au-delà des orientations politiques de chacun, n’est-il pas révélateur de la capacité de rassemblement des différentes familles et courants que nous représentons lorsque sont en jeu des intérêts supérieurs de notre démocratie ?

Aux antipodes de ceux qui agitent le drapeau de l’infamie ou entonnent l’air de la calomnie lorsqu’il arrive aux formations républicaines de la gauche, de la droite ou du centre d’unir leurs efforts, je suis de ceux qui apprécient ces moments trop rares de notre vie politique, que j’aimerais davantage partager, notamment en matière de politique pénale et particulièrement face à l’univers carcéral.

Cette proposition de loi est exemplaire également dans la continuité républicaine qui a vu la majorité d’hier proposer l’institution du contrôle général des lieux de prévention de liberté, le président d’hier proposer le nom de Jean-Marie Delarue et les commissions des lois d’hier approuver ce choix, tandis que les majorités différentes d’aujourd’hui nous amènent à améliorer, au vu de l’expérience, la législation de 2007 pour donner au successeur de Jean-Marie Delarue des armes nouvelles afin d’améliorer la protection des droits et de la dignité des personnes privées de liberté.

Comment ne pas saluer aussi une fois encore la gouvernance de Jean-Marie Delarue ? Il était essentiel pour la crédibilité, le rayonnement et l’efficacité de cette autorité administrative indépendante et pour assurer sa pérennité que son premier titulaire lui donne toute sa dimension avec hauteur de vue, intelligence, compétence et discernement, pour reprendre les mots que vous avez utilisés, chère madame le rapporteur.

Cette proposition de loi est exemplaire enfin parce qu’il s’agit, dans le monde carcéral et au-delà, d’une des préoccupations majeures du Sénat. J’ai toujours considéré que notre assemblée était investie de deux responsabilités prioritaires, particulières, auxquelles nous étions tous indéfectiblement attachés : la représentation des collectivités territoriales de par la Constitution et la confiance de nos électeurs, mais aussi la défense des libertés de par toute notre histoire.

Le rôle essentiel joué par le Sénat dans la prise de conscience des drames de l’univers carcéral, du rapport intitulé Prisons : une humiliation pour la République de la commission d’enquête de 2000 sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, présidée par Jean-Jacques Hyest, à la loi pénitentiaire de 2009, pour rester dans la période récente, atteste de l’ardente obligation qui est la nôtre en ce domaine. Je ne reviendrai pas sur le rôle du Sénat sous la IIIe République, Mme le garde des sceaux l’ayant fait avec beaucoup plus de compétences que je ne pourrais en avoir.

J’ai aimé, madame le rapporteur, vous entendre dire hier, en commission des lois, que c’était une force pour l’actuelle réforme relative à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines que de s’adosser à la loi pénitentiaire.

L’expérience des six premières années d’activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté a révélé un certain nombre de difficultés et de dysfonctionnements de nature à entraver l’efficacité de son action. Cette proposition de loi y porte largement remède.

D’autres autorités administratives indépendantes, comme le Défenseur des droits, ont été créées et dotées de prérogatives nouvelles qu’il convenait de transposer.

Sans l’intervention du Sénat – on l’a rappelé –, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté serait intégré au Défenseur des droits très prochainement – au 1er juillet 2014 –, à la fin du mandat de Jean-Marie Delarue.

Cela eût été une erreur tant les missions de ces deux autorités, pour être complémentaires, n’en sont pas moins profondément différentes :…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Jean-René Lecerf. … « démarche de contrôle et de prévention, au moyen de nombreuses visites sur place », pour l’une, « autorité que peuvent saisir les personnes s’estimant lésées dans leurs droits », pour l’autre, comme l’a écrit notre collègue Patrice Gélard, dans son rapport sur le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs au Défenseur des droits.

Même si l’on peut penser – ce n’est d’ailleurs pas mon opinion – que cette fusion pourrait intervenir lorsque les problèmes liés à l’univers carcéral – surpopulation, maladies mentales, oisiveté, insécurité, caïdat, manque de moyens en personnel… – auront été surmontés, force est de constater que nous en sommes encore bien loin aujourd’hui !

Enfin, cette proposition de loi donne une assise législative aux pratiques mises en place au cours de son mandat par Jean-Marie Delarue, assurant ainsi leur pérennité et le maintien de ces avancées, demain, lorsqu’une ou un successeur qui ne pourra, par hypothèse – tout au moins au départ –, exercer la même autorité morale aura été nommé.

On pourrait bien sûr regretter que certaines évolutions n’aient pas été davantage approfondies, en matière d’accès à des informations couvertes par le secret médical, par exemple. La surpopulation carcérale, l’impossibilité totale d’assurer l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt, la dangerosité d’un certain nombre de malades mentaux et la vulnérabilité de beaucoup d’autres conduisent à s’interroger sur la possibilité d’accéder à de telles informations pour certaines personnes accusées ou suspectées de violences sur leur codétenu, sans le consentement de ces mêmes personnes.

On pourrait s’interroger aussi sur le bien-fondé de la suppression par l’Assemblée nationale de la peine d’emprisonnement pour le nouveau délit d’entrave, ne laissant subsister qu’une amende de 15 000 euros. Comme l’exprimait notre collègue Jean-Pierre Michel en commission des lois, « s’opposer à l’exécution de la loi mérite d’être sévèrement sanctionné ».

Mais soyons honnêtes, les députés ont également amélioré notre rédaction de première lecture sur de nombreux points : droit pour le Contrôleur général de donner son avis sur les projets de construction, de restructuration ou de réhabilitation de tout lieu de privation de liberté, ce qui s’avère incontestablement plus utile que la seule possibilité de constater a posteriori les erreurs commises ; possibilité pour les députés européens élus en France – sujet d’actualité, s’il en est ! – de saisir le Contrôleur général ; élargissement à l’ensemble des mesures privatives de liberté, qu’elles soient mises en œuvre par la police, par la gendarmerie ou par la douane, de la possibilité donnée au Contrôleur général de prendre connaissance de l’ensemble des procès-verbaux qui s’y rapportent.

Et puis, ne dit-on pas que le mieux est l’ennemi du bien ? Le vote conforme qui devrait intervenir ce matin nous mettra à l’abri des vicissitudes liées à un ordre du jour parlementaire d’autant plus surchargé que nous avons depuis trop longtemps oublié de ne toucher aux lois que d’une main tremblante pour ne plus laisser parfois à l’encre du Journal officiel le temps de sécher et aux réformes votées le temps de s’appliquer. Éviter à l’Assemblée nationale d’avoir à examiner le texte en deuxième lecture relève donc de la sagesse.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

M. Jean-René Lecerf. Mes chers collègues, le groupe UMP apportera tout son soutien au vote de cette proposition de loi – mais je crois que vous l’aviez compris – et exprime à Mme Catherine Tasca, notre rapporteur, sa reconnaissance pour le travail remarquable qu’elle a accompli, la qualité de son engagement et le partenariat étroit qu’elle a su nouer avec tous ses collègues de la majorité comme de l’opposition. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission de lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes tous conscients du caractère très préoccupant de la situation carcérale dans notre pays, laquelle ne va d’ailleurs pas en s’améliorant : le nombre de détenus est supérieur de 34 % à celui qui était constaté en 2002, 44 établissements ont une densité supérieure ou égale à 150 %, et 8 d’entre eux une densité supérieure à 200 %...

Dans ce contexte, l’existence d’un Contrôleur général doté de moyens supplémentaires est absolument primordiale. C’est l’objet du texte que nous examinons ce matin en deuxième lecture.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est une autorité protectrice des libertés qui a su trouver sa place dans nos institutions, même si, au quotidien, dans l’accomplissement de ses fonctions, il doit souvent jouer l’équilibriste entre le respect de la dignité de la personne humaine et les considérations d’ordre public.

Les débats sur le projet de loi organique relatif au Défenseur des droits avaient permis de réaffirmer l’indépendance du Contrôleur général, puisque le Sénat avait rejeté son intégration dans le champ de compétences du Défenseur des droits. Cette position avait été portée par la commission des lois et son rapporteur de l’époque, le doyen Patrice Gélard.

Comme l’ensemble de mes collègues, je tiens ici à saluer la qualité du travail réalisé depuis 2008 par M. Delarue. Le bilan des six années d’activité du Contrôleur général est largement positif. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et c’est satisfaisant en termes d’efficacité des politiques publiques : plus de 800 établissements de privation de liberté ont été visités depuis 2008 – les locaux de garde à vue arrivent en tête et représentent plus du tiers des visites réalisées –, 4 000 lettres ont été traitées en 2013 et suivies pour près d’un tiers d’entre elles par une enquête, et, toujours pour l’année 2013, la situation de 1 683 personnes a été portée pour la première fois à la connaissance du Contrôleur général, soit une augmentation de 12 % par rapport à 2012.

Dans un contexte inédit de surpopulation carcérale et de détérioration des conditions de détention qui ne sera jamais assez rappelé à cette tribune, le Contrôleur général a donc su, au fil des années, trouver sa place au sein de nos institutions et devenir le porte-parole et le défenseur des personnes privées de liberté.

Les mentalités et les pratiques ont évolué ces dernières années, grâce aux visites et aux observations qui ont été réalisées. Mais beaucoup reste à faire dans nos prisons, le débat que nous avons aujourd’hui est l’occasion de le rappeler. J’aimerais dire un mot notamment sur la pénibilité du travail des gardiens de prison, souvent soumis à des violences physiques ou psychologiques du fait de leurs fonctions. Le récent mouvement social des surveillants pénitentiaires est là pour nous le rappeler.

Pour le groupe UDI-UC, il est nécessaire de réaffirmer, voire de renforcer l’une des missions importantes du Contrôleur général, qui est d’alerter les services compétents lorsque les conditions de travail des surveillants deviennent trop difficiles, voire dangereuses.

Après plusieurs années d’exercice, il est possible de faire le bilan des activités du Contrôleur général et de s’interroger sur les éventuels aménagements à apporter à la loi du 30 octobre 2007.

Plusieurs des aménagements ici proposés visent à pérenniser certaines pratiques mises en place par M. Delarue avant la fin de son mandat, en juin prochain, afin de s’assurer que son successeur continue dans la même voie.

C’est notamment le cas de l’article 4 de la proposition de loi, qui prévoit de rendre systématiquement publics les recommandations, propositions ou avis émis par le Contrôleur général, ainsi que les observations des autorités publiques. Il s’agit pour le moment d’une simple possibilité. Rappelons qu’il n’est pas ici question des observations formulées à l’issue de chaque visite qui, elles, n’ont pas vocation à être publiées.

Dans le prolongement de la position exprimée par mon collègue Arnaud Richard à l’Assemblée nationale, je tiens malgré tout à formuler une réserve sur l’article 1er A du texte, qui a malheureusement été adopté conforme : il prévoit l’extension du champ de compétences du Contrôleur général aux mesures d’éloignement prononcées à l’encontre d’étrangers. Il semblait préférable d’étudier en amont ce que cet élargissement des compétences impliquait avant de l’adopter.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, avec un budget de 4,2 millions d’euros, dispose-t-il vraiment des moyens et des ressources nécessaires pour cette nouvelle mission ? Je me permettrai de rappeler que l’actuel Contrôleur général, Jean-Marie Delarue, s’est lui-même déclaré défavorable à l’extension de ses compétences. Cette mesure nous semble donc être une fausse bonne idée.

Lors de l’examen en première lecture, nos collègues députés ont souscrit à l’initiative de Catherine Tasca. Respectant l’esprit du texte adopté par le Sénat, l’Assemblée nationale a adopté plusieurs aménagements qui améliorent le dispositif.

Je tiens à saluer encore une fois notre collègue Catherine Tasca pour le dépôt opportun de ce texte législatif et pour la qualité de son travail de rapporteur. Comme elle, nous pensons qu’il est essentiel de continuer à mieux faire connaître les fonctions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en particulier auprès des auxiliaires de justice, notamment les avocats. Ces acteurs pourraient sans doute faire parvenir au Contrôleur général des éléments d’information utiles à l’exercice de sa mission.

Conscients de l’importance de voir les dispositions de cette proposition de loi entrer rapidement en vigueur et considérant que le texte adopté par les députés est équilibré, nous soutiendrons l’adoption de cette proposition de loi dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, intervenir la dernière est un exercice périlleux parce que j’ai clairement l’impression que tout a été dit, tout sauf peut-être cette expérience que j’ai vécue et que j’ai envie de vous faire partager.

Exemplarité, rayonnement, valeurs, République, éthique, liberté et respect sont des termes qui sont en effet revenus très fréquemment ce matin à cette tribune : belle unanimité aujourd'hui au Sénat !

Depuis une semaine, je me suis interrogée sur les raisons de cette unanimité. Elle s’explique peut-être tout simplement par la façon de fonctionner du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, que j’ai pu comprendre lors d’une visite inopinée que j’ai faite avec une de ses équipes dans des locaux parisiens de garde à vue.

Manifestement, notre visite était une surprise totale. Le secret avait été parfaitement gardé. Je dois avouer que, moi-même, j’ignorais où nous allions ; je savais simplement qu’il s’agissait de locaux de garde à vue situés en région parisienne, et ils sont nombreux.

L’équipe du Contrôleur général travaille, si nécessaire, dans la confidentialité la plus parfaite, ce qui a permis cette visite réellement inopinée. Pour autant, il n’était ni question de tendre un piège ni de venir en inquisiteurs. Nous venions voir comment les choses fonctionnaient au jour le jour, tant pour les personnes privées de liberté, et uniquement de liberté, que pour celles chargées de surveiller cette privation de liberté.

Quand vous dites que vous venez au nom du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, vous êtes accueilli avec surprise, crainte – c’est normal, personne n’aime se faire inspecter ! –, mais aussi respect par des personnes qui ont une parfaite connaissance de l’institution et de ses droits.

Là encore, cela montre l’efficacité de l’équipe du Contrôleur général, qui n’a besoin ni de se présenter plus avant ni d’affirmer ce à quoi elle a droit : en l’occurrence, tout cela était parfaitement connu et a été parfaitement respecté.

Les premiers contrôles portent sur ce qu’il est facile de rectifier ou de modifier. L’équipe est professionnelle : elle sait parfaitement ce qu’il faut immédiatement aller voir. Là encore, le but était non pas de chercher à punir ou de faire de l’inquisition, mais de comprendre comment les choses se passaient dans ces locaux de garde à vue.

La visite a donc été menée avec professionnalisme, mais avec simplicité, aussi, toujours dans le respect de ceux qui étaient en face de nous – les gardés à vue comme le personnel qui œuvrait dans ces locaux – et le souci du détail : chaque élément recueilli était analysé et vérifié. Les entretiens avec le personnel et les gardés à vue étaient de réels dialogues : la personne qui posait des questions écoutait les réponses sans a priori, les notait, faisait préciser certains points, soulevait d’autres questions et manifestait sa curiosité - une curiosité non pas malsaine, mais bien au contraire très saine -, en vue de savoir, comprendre et enregistrer.

Grâce à la sincérité de ces échanges, le personnel, au début réticent et qui exprimait une certaine crainte– c'est, je le redis, tout à fait normal –, s’est peu à peu laissé « apprivoisé », et s’est de plus en plus livré, comprenant que l’équipe était là non pour le juger, mais pour entendre, noter et analyser, peut-être proposer des pistes d’amélioration et de nouvelles voies à explorer.

Le dialogue a aussi eu lieu avec les gardés à vue. Ils savaient parfaitement qui était le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et étaient heureux de lui parler. Là encore, il n’y avait pas de jugement a priori sur la sincérité des uns et des autres. Les informations qu’ils nous ont apportées ont également fait l’objet de vérifications, dans un échange toujours empreint de respect et marqué du souci de l’écoute.

Le professionnalisme, le souci du détail, l’écoute permanente, le respect de l’autre ont sans doute été pour moi les éléments les plus marquants de cette visite de locaux de garde à vue.

Ensuite, chacun des collaborateurs de l’équipe a rédigé un compte rendu à partir d’un questionnaire, en faisant sa propre analyse de la situation. Ces documents ont été mis en commun. Tout a été de nouveau discuté entre les collaborateurs, qui forment véritablement une équipe, au sens le plus profond du terme. Chacun des détails a été pesé, soupesé, certains remis en perspective, d’autres relativisés. Le rapport final a bien évidemment été soumis, selon le principe du contradictoire, à ceux qui ont été inspectés.

Voilà comment j’ai compris pourquoi on peut faire l’unanimité sur les travées de notre Haute Assemblée lorsque l’on parle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Tous les qualificatifs qui ont été employés, j’en ai éprouvé la pertinence, à un moment ou à un autre, lors de ces quelques jours passés avec une équipe de Jean-Marie Delarue dans des locaux de privation de liberté.

C’est pourquoi je remercie encore le rapporteur et coauteur de cette proposition de loi, Mme Catherine Tasca, d’avoir compris la nécessité d’inscrire aujourd’hui dans la loi ces améliorations relatives aux modes d’enquête et de fonctionnement de l’institution – je pense notamment au secret médical et aux sanctions en cas d’entrave à l’activité du Contrôleur général.

N’oublions jamais que c’est l’honneur de la République française d’avoir créé cette institution, qui permet à la démocratie de garder tout son sens dans ces enclaves, nécessaires, que sont les lieux de privation de liberté.

N’oublions jamais que, dans ces enclaves, les relations interhumaines sont évidemment affectées par le fait que certains sont privés de liberté tandis que d’autres sont chargés de surveiller cette privation de liberté. Les relations naturelles d’autorité et de hiérarchie sont forcément beaucoup plus difficiles à assumer dans ces enclaves de notre République.

C’est tout à l’honneur de Jean-Marie Delarue et de son institution de veiller à ce que ces enclaves restent des lieux de droit, des parties intégrantes de la République française.

Pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, mes chers collègues, avec l’ensemble de mon groupe, loin de m’inscrire en faux contre ce qui a été dit par les orateurs précédents, je voterai bien évidemment cette proposition de loi, avec enthousiasme et conviction. (Applaudissements.)