compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

Secrétaires :

M. Alain Dufaut,

M. Jean-François Humbert.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Dossier législatif : projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises
Discussion générale (suite)

Artisanat, commerce et très petites entreprises

Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (texte de la commission n° 557, rapport n° 556).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises
Article 1er AAA

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises s’est déroulée le 21 mai dernier. Après une lecture dans chaque chambre, soixante et un articles sur soixante-quatorze restaient encore en discussion dans ce texte sur lequel, je le rappelle, la procédure accélérée avait été engagée.

Avant d’aborder la commission mixte paritaire elle-même, j’indique que les débats en commission et en séance avaient déjà montré une grande convergence de vues existant entre les deux assemblées sur ce projet de loi somme toute relativement consensuel. Les discussions que j’ai eues avec mon collègue rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Fabrice Verdier, ont permis, en amont de la commission mixte paritaire, d’esquisser les rapprochements souhaitables sur les points qui restaient à discuter. Ces rapprochements ont ensuite été confirmés par la commission mixte paritaire, qui est parvenue à élaborer le texte de compromis que je vous présente ce matin.

Concernant le titre Ier du texte, relatif aux baux commerciaux, la commission mixte paritaire, estimant que la jurisprudence traitait déjà la question de façon satisfaisante, a supprimé l’article 1er AA qui codifiait le régime des mises à disposition d’emplacements situés dans l’enceinte d’un lieu de vente.

De même, elle a supprimé l’article 1er ter A, qui revenait sur un arrêt récent de la Cour de cassation concernant la durée des baux renouvelés. La CMP a en effet considéré plus sécurisant pour le locataire que le bail initial ne puisse pas fixer la durée du bail renouvelé et ainsi priver les parties de la possibilité de négocier la durée du bail renouvelé au moment du renouvellement.

Elle a rétabli l’article 2 dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale en supprimant l’indice du coût de la construction comme indice de référence pour le plafonnement des loyers.

À l’article 4, elle a validé le choix fait par le Sénat en première lecture en élargissant à tous les baux commerciaux, y compris les baux de plus de neuf ans, les règles de lissage des hausses de loyers au moment du renouvellement du bail.

À l’article 6, relatif au droit de préférence, elle a adopté un amendement qu’il m’a paru nécessaire de proposer pour éviter que l’exercice de ce droit de préférence ne bloque totalement les possibilités de cession de portefeuilles de locaux commerciaux. Ce droit de préférence ne s’appliquera pas en cas de cession unique de locaux commerciaux distincts.

Dans le titre II du projet de loi, à l’article 9 relatif à la définition de l’artisanat, la CMP a apporté une précision utile en indiquant que, en cas de changement de situation d’une entreprise artisanale, le contrôle des qualifications de l’artisan ne sera nécessaire que si ce changement de situation affecte les obligations de l’entreprise en matière de qualification.

À ce même article 9, elle a confirmé le choix fait en séance publique par le Sénat d’obliger toutes les entreprises artisanales, quel que soit leur domaine d’activité, à indiquer sur leurs devis et factures leurs assurances obligatoires. À titre personnel, je reste cependant convaincu que la loi impose ainsi très largement une formalité qui ne se justifie en réalité que pour l’assurance de garantie décennale dans le secteur du bâtiment. Nous verrons bien quel sera le devenir de cette disposition, mais je ne serais pas surpris qu’elle disparaisse un jour, au détour d’une loi de simplification du droit... (M. le président de la commission des affaires économiques acquiesce.)

Au titre II, dans le chapitre II relatif à la réforme de la micro-entreprise, la CMP est revenue sur trois dispositions introduites par la Haute Assemblée : elle a supprimé l’article 12 A, qui abrogeait la présomption de non-salariat pour les auto-entrepreneurs ; à l’article 13 bis, elle est revenue sur les possibilités de dispense de stage de préparation à l’installation pour les entrepreneurs ayant déjà bénéficié d’un accompagnement à la création d’entreprise délivré par un réseau d’aide à la création d’entreprise ; enfin, à ce même article 13 bis, elle a supprimé l’obligation de suivre une formation à la sortie du régime pour les auto-entrepreneurs dont le chiffre d’affaires dépasse un certain seuil.

En ce qui concerne les dispositions relatives à l’urbanisme commercial figurant au chapitre Ier du titre III du projet de loi, la CMP est parvenue à un texte équilibré, qui concilie les objectifs d’accélération et de simplification des procédures d’autorisation d’exploitation commerciale avec l’objectif de renforcement des outils de régulation commerciale dont disposent les collectivités territoriales à travers les schémas de cohérence territoriale, ou SCOT.

S’agissant de la simplification des procédures, la CMP a confirmé le choix du Sénat de renvoyer directement aux cours administratives d’appel le contentieux sur les permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale. Elle a également adopté un amendement qui permet d’éviter un élargissement excessif du champ des requérants contre ces autorisations d’exploitation lorsque ces dernières sont intégrées à l’autorisation d’urbanisme.

En ce qui concerne le renforcement des outils de régulation, la CMP a rétabli le document d’aménagement commercial. Les SCOT pourront comporter un tel document, qui leur permettra de localiser les zones d’implantations possibles dans les centralités urbaines et dans les zones de périphérie, et de fixer des conditions à ces implantations. Je précise que si l’adoption d’un document d’aménagement commercial est une simple faculté, ce document n’en est pas moins un document pleinement normatif. Il n’est en effet pas obligatoire que le SCOT comporte un tel document, mais, s’il en comporte un, les prescriptions de ce dernier s’appliquent alors. Par ailleurs, dès lors qu'une telle mesure est possible, je ne vois pas comment l’on justifierait de ne pas y recourir pleinement.

À l’article 25 relatif au fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, le FISAC, la CMP a rétabli le texte de l’Assemblée nationale qui permet de passer à une attribution des aides selon une logique d’appel à projets.

À l’article 30 A relatif au plan de prévention des ruptures d’approvisionnement en carburant dans certains territoires d’outre-mer, la CMP a apporté plusieurs précisions utiles en définissant la sanction qu’encourt une entreprise de distribution de gros qui ne respecte pas ce plan, en confiant – cette fois-ci sans ambiguïté – la responsabilité de l’élaboration de ce plan au préfet et en précisant les conditions dans lesquelles ce dernier peut procéder à la réquisition des entreprises de distribution.

Au terme d’une discussion assez longue, la commission mixte paritaire a également rétabli l’article 30 bis, qui avait été supprimé par le Sénat. Cet article concerne le droit de présentation des commerçants non sédentaires exerçant sur les marchés. On peut certes s’interroger sur la portée normative de cet article, mais, parce qu’elle est justement assez réduite, elle ne remet pas en question des règles fondamentales du domaine public, pas plus qu’elle ne fait peser sur les maires une pression plus grande de la part des commerçants. Je peux néanmoins comprendre que la Haute Assemblée regrette ce rétablissement.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. En effet !

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. Enfin, la CMP a maintenu l’article 30 quater, introduit sur mon initiative. Cet article autorise les systèmes de vidéoprotection aux abords immédiats des commerces soumis à des risques d’agression ou de vol particulièrement importants. Je précise qu’il s’agit d’un dispositif très encadré, puisque les conditions de sa mise en œuvre seront fixées par un décret en Conseil d’État et que seuls certains agents habilités de la police nationale et de la gendarmerie pourront visionner les images.

Au final, les travaux de la commission mixte paritaire ont permis d’apporter des précisions utiles à un texte qui comportait déjà, après son passage dans chaque chambre, de nombreuses dispositions pragmatiques en faveur du commerce, de l’artisanat et des très petites entreprises. C’est un texte de compromis, équilibré me semble-t-il, qui recueille l’assentiment de la plupart des acteurs économiques et qui, au bout du compte, constitue aussi un texte d’apaisement face aux craintes qui ont pu être exprimées à un moment donné.

C’est pourquoi, mes chers collègues, j’ai le plaisir de vous inviter à l’adopter. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Carole Delga, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il faudrait ajouter le droit d’être ambitieux. En effet, ce n’est pas parce que l’on est une petite structure que l’on n’a pas le droit d’être ambitieux.

Ce droit, les artisans, les commerçants, les dirigeants de très petites entreprises et tous ceux qui se lancent dans la grande aventure entrepreneuriale, l’ont. Il était temps, urgent même, de leur donner les moyens de leur développement, les leviers de leur expansion et les raisons de leur espérance. Ils représentent le poumon de nos territoires, le cœur battant de notre pays, et la loi sur l’artisanat, le commerce et les très petites entreprises facilite leur présent et éclaircit leur avenir.

Ces femmes et ces hommes représentent plus de trois millions d’entreprises de proximité et 25 % du PIB ! Je suis donc heureuse, car ce texte sera, j’en suis convaincue, un jalon important sur le chemin de la croissance et des emplois retrouvés.

Oui, ce sont eux qui créent des emplois. Ce sont eux, qui, en plus de la valeur économique, créent une valeur sociale vitale pour nos concitoyens, en répandant le souffle de la proximité, de la convivialité, du savoir-faire et de la passion de leur métier dans les villes et les campagnes, les périphéries et les centres.

La bonne santé du commerce, le développement de l’artisanat, l’enthousiasme des entrepreneurs, cela ne se décrète pas. Il faut une détermination sans faille et une volonté politique pour mettre en place les conditions de cette bonne santé et de ce développement.

Cette volonté, le Président de la République et le Gouvernement l’ont eue ; les sénateurs et les députés l’ont eue également pour ce texte de loi, en le votant à la quasi-unanimité – à l’unanimité même dans cet hémicycle : cela nous est cher et je tiens à le souligner.

Je salue le travail de Sylvia Pinel, qui a été à l’initiative de ce texte et qui l’a remarquablement porté. Mes pensées vont aussi à Valérie Fourneyron, qui m’a transmis le flambeau avant-hier soir. Je salue également les travaux menés par la Haute Assemblée sur ce texte, qui vous a été présenté par Arnaud Montebourg avec vigueur et enthousiasme ; ce dernier a souligné avec force la qualité des échanges qui ont eu lieu. Nous sommes tous fiers du travail accompli, en commun, pour l’aboutissement de la procédure législative.

Certes, il y a des problèmes et des interrogations dans ce secteur. Mais cette loi apporte des solutions pratiques et concrètes, qui permettront la réussite.

Le régime des baux commerciaux ne date-t-il pas de plus de soixante ans ? Cette loi le rénove pour que les hausses des loyers soient maîtrisées, avec au maximum 10 % d’augmentation par an en cas de déplafonnement.

Les relations entre les commerçants locataires et les bailleurs ne sont-elles pas souvent déséquilibrées ? Cette loi apporte une réponse en donnant le droit de préférence au locataire en cas de vente. Cette loi interdit la rétroactivité dans les demandes de révision de loyer.

Certains territoires ne souffrent-ils pas de la disparition progressive des activités commerciales, du développement de la mono-activité au détriment des commerces et des services de proximité, ou de la dégradation de l’offre commerciale de proximité ? Cette loi crée les contrats de revitalisation commerciale, véritable boîte à outils à la disposition des élus, pour leur permettre d’y remédier efficacement.

N’est-il pas souvent compliqué pour les commerçants, en particulier les jeunes commerçants, de s’installer ? Cette loi facilite l’implantation des nouveaux commerces, notamment par l’extension de deux à trois ans de la durée du bail dérogatoire.

Les régimes de l’entreprise individuelle sont-ils trop complexes ? Cette loi les simplifie et les harmonise, en créant un régime unique de la micro-entreprise fusionnant les régimes du micro-social et du micro-fiscal. Par ailleurs, l’accès à l’EIRL, l’entreprise individuelle à responsabilité limitée, est facilité pour l’entreprise individuelle.

Le savoir-faire de nos artisans n’est-il pas un trésor national ? N’est-ce pas un patrimoine ? Cette loi promeut ce savoir-faire et sa qualité en clarifiant le statut des artisans.

Je tiens à saluer la très forte mobilisation des élus des territoires – ils sont, comme je l’ai dit, le poumon de notre France et de notre République – et, bien sûr, le travail du Sénat, celui des rapporteurs et du président de la commission des affaires économiques. Je tiens à saluer les travaux parlementaires de la commission mixte paritaire qui ont permis d’enrichir fortement ce texte.

Les artisans, les commerçants, les dirigeants de TPE et les futurs entrepreneurs méritent un texte de qualité. Ce projet de loi va vraiment et concrètement changer leur vie quotidienne et, ce faisant, celle des Français, que vous représentez, mesdames et messieurs les sénateurs. En effet, la réussite, le développement, l’élan des artisans, des commerçants, des chefs de petites entreprises et des futurs entrepreneurs, c’est aussi la réussite, le développement et l’élan de notre pays, notre chère France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’issue d’une procédure accélérée, nous devons aujourd’hui nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire portant sur le projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises. Il s’agit d’un texte riche et ambitieux ; je me réjouis donc qu’un accord ait été trouvé en CMP, accord qui respecte la plupart des modifications apportées par la Haute Assemblée.

Ce texte est porteur d’une réforme importante et nécessaire de l’urbanisme commercial. Il renforce le lien entre l’autorisation d’exploitation commerciale et le permis de construire, afin de faciliter les démarches des porteurs de projets commerciaux. Cette réforme doit permettre de fluidifier les procédures et contribuer ainsi plus efficacement au dynamisme économique des territoires.

Ce texte contribuera également à améliorer la situation de milliers d’artisans et de commerçants et à faciliter la vie de ces derniers. Nombre d’entre eux étaient littéralement asphyxiés ces dernières années par des augmentations de loyers exorbitantes. Ce projet de loi, en encadrant et en lissant la hausse des loyers des locaux commerciaux, constitue une grande avancée qui permettra d’éviter la fermeture de certains commerces.

Parmi les autres avancées en faveur des artisans et des commerçants, on peut citer l’article 5 qui prévoit l’établissement d’un état des lieux contradictoire pour les baux commerciaux ou l’article 6 qui instaure un droit de préférence en cas de vente du local par le bailleur au profit de son locataire, comme cela existe pour les locaux d’habitation.

En outre, je me félicite que la commission mixte paritaire ait maintenu deux articles, adoptés à l’unanimité par la Haute Assemblée, et dont l’initiative revient au président Jacques Mézard et aux membres du RDSE. Il s’agit des articles 1er quinquies et 1er sexies portant sur les « clauses de solidarité », très courantes, qui placent parfois dans des situations extrêmement difficiles les personnes ayant cédé leur commerce, et ce plusieurs années après la cession, parce que leur successeur ne paie plus le loyer.

Ces deux articles visent à protéger les cédants, en limitant dans le temps la validité de ce type de clause et en imposant au bailleur de prévenir le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans un délai d’un mois. Ils renforcent la dimension de ce projet de loi visant à faciliter la situation des artisans et des commerçants et l’exercice de leur activité dans un contexte de sécurité juridique et de réduction des contraintes.

Le maintien mais aussi le développement de l’activité et des emplois sur l’ensemble du territoire sont l’un des enjeux de ce projet de loi. Celui-ci donnera l’opportunité aux collectivités locales et aux porteurs de projets de travailler main dans la main, pour une véritable irrigation économique des territoires.

Je remercie M. le rapporteur d’avoir fait adopter un article visant à sécuriser l’exercice du droit de préemption par les communes. Je me réjouis en outre que l’article 7 donne la possibilité aux communes de déléguer ce droit de préemption à un établissement public de coopération intercommunale compétent, à un établissement public ou au concessionnaire d’une opération d’aménagement.

L’expérimentation permise par l’article 7 bis B, qui autorise la création de contrats de revitalisation commerciale pour intervenir efficacement en matière de dynamisme commercial dans certaines zones, me semble également très intéressante.

En plus de la réforme de l’urbanisme commercial et des mesures relatives aux baux commerciaux et à la situation locative des artisans et des commerçants, ce texte comprend un axe majeur, celui de tendre vers une réforme comprenant l’unification des régimes d’entrepreneuriat individuel.

Ce projet de loi résout un grand nombre de difficultés posées par la création du régime de l’auto-entrepreneur – difficultés que les membres du RDSE n’ont eu de cesse de souligner – et nous nous en réjouissons. Ainsi, il met fin à plusieurs exemptions dont bénéficiaient les auto-entrepreneurs, qui non seulement étaient injustifiées mais pouvaient parfois se révéler dangereuses. Tout artisan, qu’il soit entrepreneur ou non, devra désormais être immatriculé, mais aussi suivre le stage de préparation à l’installation ; cela me semble tout à fait logique et salutaire.

Il est vrai que la commission mixte paritaire a supprimé l’article 12 A, introduit par la Haute Assemblée sur l’initiative de nos collègues du groupe CRC, article qui visait à supprimer la présomption de non-salariat des auto-entrepreneurs.

Cet article a été « sacrifié » au nom du difficile équilibre auquel étaient parvenus le Gouvernement et l’Assemblée nationale à la suite des remous suscités par la version initiale du texte qui prévoyait un basculement des auto-entrepreneurs dans le régime de droit commun au-delà d’un certain chiffre d’affaires. Nous respectons ce compromis tant nous savons qu’il a été difficile à obtenir, et nous plaidons pour un apaisement des tensions entre auto-entrepreneurs et artisans, auquel ce texte contribuera certainement, même si nous craignons qu’il ne soit insuffisant sur certains points.

Malgré quelques regrets, les membres du RDSE souscrivent à la très grande majorité des dispositions de ce projet de loi et lui apporteront donc leur soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, je tiens à saluer Mme la secrétaire d’État qui reprend « en live », deux jours de suite, deux textes – hier, le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, aujourd’hui ce projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises –, deux textes qui possèdent leurs liens, leur cohérence, leur complémentarité et replacent l’humain au cœur de nos préoccupations.

L’artisanat, le commerce et les très petites entreprises ne sont pas seulement un secteur essentiel de l’économie française. Ces petites entreprises sont un vecteur de proximité et de lien social ; elles sont porteuses d’une économie à taille humaine, d’emplois non délocalisables et de savoir-faire précieux pour nos territoires.

Pour les écologistes, sauvegarder ces secteurs économiques de proximité est un enjeu essentiel. Et pour cause ! Les villages ou les zones urbaines sensibles voient en effet trop souvent disparaître leur dernier commerce. De même, des quartiers monofonctionnels ou encore des locaux commerciaux vacants apparaissent dans les villes. Avec cette disparition du commerce et de l’artisanat de proximité, ce sont l’animation et la vie dans les cœurs de villes et les bourgs qui menacent de s’éteindre.

Parallèlement, de grandes enseignes remplacent les commerces indépendants en centre-ville et des temples de la consommation continuent d’apparaître en périphérie. Je voudrais citer ici David Mangin, auteur de La Ville franchisée, pour qui « ces métastases urbaines périphériques » ne marquent pas l’histoire, mais « un chaos de l’histoire ». La progression de grandes zones commerciales périphériques est néfaste pour les petits commerces qu’elles concurrencent, mais elle est également contraire à l’intérêt général. Y remédier nécessite une forte volonté politique, manifestée avec souffle et passion, pour reprendre les termes employés par Mme la secrétaire d'État.

En effet, la croissance des espaces commerciaux est déconnectée de la demande de nos concitoyens : chaque année, la surface commerciale augmente de plus de 3 %, principalement en périphérie, alors que la consommation évolue à moins de 1 %.

Or ces évolutions posent problème pour l’égalité entre les citoyens : la proximité est essentielle, pour les personnes âgées notamment, dont la mobilité peut être réduite. Elle est également importante pour les segments les plus pauvres de notre population qui vivent dans des territoires ruraux ou périurbains. Avec la hausse du prix de l’énergie, les inégalités économiques se doublent d’inégalités écologiques dans l’accès aux ressources. Une vulnérabilité apparaît pour ces populations dépendantes de la voiture – et même, pour beaucoup de ménages, de deux voitures –, qui risquent de subir les conséquences de la raréfaction du pétrole.

Ces évolutions sont par ailleurs problématiques pour l’environnement : l’étalement urbain, dont est porteuse la croissance du commerce de périphérie, engendre des déplacements coûteux en infrastructures, en émissions de gaz à effet de serre et de particules fines.

Ces périphéries sont également particulièrement gourmandes en surfaces agricoles. Les terres nourricières, qui devraient fournir aux citadins une alimentation de qualité via les circuits courts, sont grignotées par le développement de ces zones commerciales. Ce gâchis est d’autant plus fort que, dans ces espaces périphériques, entre lesquels la concurrence est effrénée, on voit surgir de plus en plus de friches commerciales. Or celles-ci ne pourront être que de plus en plus nombreuses, à l’heure où les enjeux environnementaux imposent plus de sobriété dans notre utilisation de l’énergie et dans nos pratiques de consommation.

Enfin, ces zones commerciales sont pauvres en emplois, notamment en emplois de qualité.

Pour faire face aux défis du pic pétrolier, du réchauffement climatique, du vieillissement de la population, de l’égalité des territoires, il nous est donc essentiel de préserver une économie de proximité.

Ce texte apporte un certain nombre de réponses à ces enjeux. La valorisation des savoir-faire des artisans va dans le sens d’une amélioration pour ce secteur et pour les consommateurs. De même, les mesures de simplification du droit pour les très petites entreprises seront utiles. Il fallait parallèlement mieux encadrer le statut d’auto-entrepreneur, notamment pour lutter contre le salariat déguisé.

Les mesures destinées à protéger les commerçants locataires étaient également nécessaires : les loyers trop élevés constituent une difficulté pour le maintien des activités artisanales et commerciales en centre-ville, en particulier pour le commerce indépendant.

Concernant l’aménagement du territoire, le texte donne des outils aux élus pour mieux maîtriser le développement du commerce. Je pense par exemple à la possibilité pour les communes de déléguer le droit de préemption commerciale, aux contrats de revitalisation artisanale et commerciale, ou encore à la possibilité d’autosaisine de la Commission nationale d’aménagement commercial, la CNAC, pour les très grands projets. Nous sommes également satisfaits de la fusion de la procédure de permis de construire avec l’autorisation d’exploiter.

Toutefois, les écologistes auraient souhaité aller plus loin encore dans la maîtrise de nos territoires, dans un objectif de développement soutenable. Je regrette, par exemple, que la commission mixte paritaire n’ait pas retenu la surface plancher plutôt que la surface commerciale comme critère d’examen pour les commissions départementales d’aménagement commercial, les CDAC. Cela aurait permis de contrôler davantage les projets commerciaux.

Je regrette par ailleurs que l’on n’ait pas trouvé le moyen d’assujettir les drives à la taxe sur les surfaces commerciales, ou TASCOM. J’espère que les prochaines lois de finances nous permettront de trouver une solution pour adapter notre fiscalité à cette nouvelle forme de commerce, de manière à contrôler les déséquilibres dont elle peut être porteuse.

Nous aurions en outre souhaité que des mesures soient prises pour favoriser une véritable mixité fonctionnelle, vecteur de proximité. Enfin, nous aurions préféré maintenir le lien entre le fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, et la TASCOM, pour affirmer la solidarité entre les petits commerces et les grandes surfaces. Nous désirons que l’application de la réforme de ce fonds se fasse en faveur des territoires les plus en difficultés.

Malgré ces quelques regrets, les écologistes se prononceront en faveur du présent projet de loi : ses dispositions seront utiles pour les artisans, les commerçants et les très petites entreprises, ainsi que pour les consommateurs, et offriront quelques outils à la puissance publique. Cependant, ces mesures techniques ne peuvent constituer qu’une étape. Les enjeux de l’adaptation de notre territoire et de notre économie à la raréfaction du pétrole et au changement climatique sont tels qu’une réforme d’ampleur est nécessaire pour recentrer l’économie et l’urbanisme commercial sur la proximité et les filières courtes . (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE et de l'UDI-UC.)