M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Jacques Lozach. La RGPP, la révision générale des politiques publiques, s’est traduite, pour les services de l’État par une recentralisation insidieuse. Veillons à ce qu’une refondation des collectivités territoriales n’emporte pas les mêmes conséquences.

Enfin, les deux textes de cette réforme territoriale doivent non pas verrouiller le dialogue, mais au contraire offrir la possibilité, pour la période 2016-2020, de s’appuyer sur l’« intelligence des territoires », pour faire vivre un échange fructueux, porteur d’évolutions nouvelles et visant à instaurer un climat et un pacte de confiance entre l’État et les collectivités territoriales. Notre pays en a besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour la troisième fois en un peu plus d’un an pour débattre d’un nouveau projet de loi visant à bouleverser en profondeur, et avec brutalité, l’organisation décentralisée de notre République.

Cela pourrait s’apparenter à du comique de répétition si l’enjeu n’était pas crucial et historique. Il s’agit bien, mes chers collègues, de montrer à nos concitoyens que leurs élus et les organisations partisanes peuvent encore être les moteurs de la réforme, de l’adaptation du pays aux défis de notre époque.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous aimerions croire que le Gouvernement n’est pas, telle une girouette, soumis aux aléas du vent, tourbillonnant sans fin jusqu’à en perdre le nord. En décembre dernier, le Parlement votait le premier volet de ce qui devait être le grand texte de décentralisation du quinquennat : réintroduction de la clause de compétence générale, renforcement des départements, développement des métropoles. La gauche décentralisatrice était de retour, le changement était en marche ; nous l’avons entendu ici !

Pourtant, à peine le texte était-il voté que le Premier ministre d’alors, M. Ayrault, changeait d’avis, déclarant que, finalement, il faudrait probablement revenir sur la clause de compétence générale. Cette suppression devait être actée dans un nouveau projet de loi qui aurait remplacé les deux autres volets du premier, abandonnés en rase campagne. Depuis le début, les faits nous le prouvent, vous naviguez à vue et improvisez en permanence.

Mais nous n’avions pas tout vu ! Il a fallu attendre le gouvernement de M. Valls et son discours de politique générale pour qu’un nouveau projet de loi soit présenté, en décalage radical avec le programme électoral du candidat Hollande, qui recueillait en 2012 une majorité de suffrages, et en contradiction totale avec le texte voté quelques mois plus tôt. J’espère que vous me suivez toujours !

M. Éric Doligé. C’est la valse à quatre temps !

M. Jean-François Husson. Ou les quatre points cardinaux !

Alors que la clause de compétence générale a été réintroduite, on veut la supprimer ; alors que les départements ont été renforcés pour en faire des acteurs de solidarité territoriale, on veut les effacer ; alors qu’une grande réforme de simplification fiscale avait été annoncée au congrès des maires de France, on brouille encore un peu plus les lignes, en faisant peser des charges toujours plus lourdes sur les collectivités, sans leur transférer des moyens supplémentaires.

Pour couronner le tout, vous annoncez soudainement vouloir fusionner les régions, sans aucune précision sur les compétences qu’il s’agirait de leur confier, et encore moins sur les ressources dont elles pourraient disposer. Le projet de loi que vous présentez devant le Sénat est tout à fait incohérent et inconséquent.

Inconséquent sur la forme : il est réalisé sans qu’aucun des acteurs concernés n’ait été entendu, qu’il s’agisse des élus, qui œuvrent pourtant quelle que soit la collectivité dans le cadre de laquelle ils ont été désignés par les électeurs, ou des citoyens, nous avons pu le voir voilà quelques jours. Une réforme d’une telle ampleur historique méritait infiniment mieux.

On sait que le texte a été rédigé entre amis, socialistes, sur un coin de table à l’Élysée, au gré de petits arrangements dignes de la IVe République. Autant dire qu’ils ne sont pas à la hauteur de la cinquième puissance mondiale.

Comment pouvez-vous présenter un projet de loi aussi important et déterminant sans concertation ? Convenez en outre que la légitimité populaire acquise en 2012 est aujourd'hui grandement amoindrie.

Adapter l’organisation du territoire républicain aux nécessités du temps, pour la faire progresser et répondre aux enjeux de demain, constitue un objectif volontiers partagé. Mais il aurait fallu commencer par se poser quelques questions fondamentales : une nouvelle étape, oui, mais dans quel but ? Avec quels moyens, quelle stratégie et quel calendrier ?

Vous auriez pu prendre le temps de la consultation, en vous appuyant sur un certain nombre de structures capables de réaliser de bonnes études. Je citerai ici la DATAR, que vous avez vous-même ressuscitée, les agences d’urbanisme, un certain nombre de grands outils. Que nenni ! Pas de son, pas d’image !

Vous auriez pu aussi vous fonder sur l’intelligence des territoires, des exemples de coopérations réussies et d’innovations institutionnelles permettant de faire avancer des projets au-delà des seuls périmètres institutionnels et administratifs.

La France a besoin de lutter contre son déficit public. En quoi votre projet répond-il à cet objectif ? Quelles sont les économies prévues ? Quelle réforme de l’État proposez-vous ? Il aura fallu attendre aujourd'hui pour apprendre que, s’agissant des départements, vous auriez de nouveaux objectifs.

Ce premier projet de loi ne reflète-t-il pas la volonté de faire insidieusement assumer par les collectivités territoriales la responsabilité de la baisse de la dépense publique ? Ce serait extrêmement dangereux pour la vie des territoires et le dynamisme des entreprises qui y vivent et les irriguent.

La France a aujourd'hui besoin d’un pays uni, dans sa diversité, au-delà des sensibilités politiques : interdépendance entre territoires ruraux et urbains ; solidarités entre territoires riches et plus pauvres ; diminution de la fracture territoriale, une fracture que vous semblez plutôt creuser. Quelle est, aujourd'hui, l’approche prévue en termes de péréquation entre les régions ?

Sur ce projet de loi, comme sur le reste de votre politique, nous n’arrivons pas à identifier le cap suivi. Le contexte est trop grave pour ignorer les Français, leurs souffrances, leurs difficultés. Ils vous les ont signifiées à deux reprises. Cessez d’improviser !

Enfin, je veux le dire à cette tribune avec solennité et gravité : les voix de l’abstention – et celle-ci est, bien souvent, le fait des « sans-voix » – doivent être entendues comme des cris de doute, de dépit et de défiance.

M. Gérard Larcher. Il a raison !

M. Jean-François Husson. Aujourd’hui, nous avons tous, collectivement, une responsabilité dans la montée du vote protestataire, du vote contestataire, en France et en Europe.

Alors, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, ce nouvel acte de la décentralisation aurait pu être l’occasion pour la France de s’adapter aux conditions d’aujourd'hui.

Le Président de la République a reçu mandat du peuple pour réformer le pays, non pour être le marieur des régions, au gré des envies de quelques notables socialistes.

Vous êtes aux responsabilités. L’audace serait de les assumer, ces responsabilités, et de prendre le temps de la réflexion, de la concertation, en considérant également les territoires et leurs représentants.

Les responsabilités que vous détenez, monsieur le ministre, mes chers collègues, vont de pair avec l’ardente obligation de servir le pays, de le réformer.

M. le président. Veuillez conclure, cher collègue !

M. Jean-François Husson. Réformer pour améliorer, oui ! Assembler pour mieux rassembler, oui ! Mais découper pour rendre un travail bâclé, non ! La France, assurément, mérite – je dirai même : méritait – beaucoup mieux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jacques Mézard et Mme Anne-Marie Escoffier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dès lors qu’il s’agit de changer les limites régionales, c’est-à-dire de donner plus de force aux nouvelles entités, il eût été logique d’en évoquer les nouvelles compétences, qui ne pourront s’exercer sérieusement sans nouveaux moyens financiers.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. C’est sûr !

M. Yannick Vaugrenard. Pour autant, la nécessité d’avoir des collectivités régionales plus fortes économiquement, et donc financièrement, ne fait pas débat, non plus que l’utilité d’en réduire le nombre. La quasi-totalité de l’échiquier politique acquiesce à ce qui est devenu une évidence, et le rapport Raffarin-Krattinger du 8 octobre 2013, souvent évoqué aujourd'hui, en avait étayé la pertinence.

Cette perspective et les bénéfices à en tirer en termes d’efficacité imposent, me semble-t-il, de ne pas tarder, compte tenu de la situation notre pays.

Modifier les limites territoriales, c’est aussi modifier les habitudes de concertation, voire les habitudes de vie, peut-être aussi l’appréhension des infrastructures. C’est donc un vaste chantier pour le présent, mais aussi et surtout pour l’avenir.

Notre horizon doit être celui d’une réforme pesant au moins sur les quarante à cinquante années à venir. C’est pourquoi les raisonnements court-termistes doivent être exclus de nos débats.

C’est dans cette logique que j’essaie de me situer pour vous parler des régions de l’ouest atlantique. Je pense qu’il est d’une impérieuse nécessité pour les régions de l’ouest de la France de se rassembler économiquement, financièrement mais aussi bien sûr dans leur organisation administrative. À ce titre, l’idée d’une union entre Poitou-Charentes et Aquitaine va dans le bon sens, en y adjoignant le Limousin. Nous devons faire ce même chemin pour les régions Bretagne et Pays de la Loire, et cela pour au moins trois raisons.

L’ouest de la France ne doit pas devenir le Far West de l’Europe. La modification des frontières européennes et son extension à l’est ont changé le centre de gravité de l’Union européenne et fait que nous risquons, sur la façade atlantique, de souffrir encore plus de notre périphéricité.

Voici déjà quelques années, la DATAR, la Délégation à l’aménagement du territoire – à l’époque sous la responsabilité d’Olivier Guichard – avait développé le concept d’Arc atlantique, partant de Glasgow en Ecosse, pour aller jusqu’au sud de l’Espagne. L’utilité, pour toutes ces régions périphériques, d’avoir des actions communes, des logiques économiques et d’aménagement concertées allait de soi. C’est a fortiori le cas pour les régions Bretagne-Pays de la Loire, qui sont au cœur de l’Arc atlantique et en sont symboliquement la flèche. La communauté d’intérêts est évidente en de nombreux domaines : transport, ferroviaire ou aérien, économie maritime...

La deuxième raison d’unir la Bretagne aux Pays de la Loire est l’excellente habitude de travail en commun prise depuis déjà de très nombreuses années, avec des spécialisations économiques semblables, notamment en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, des pôles de compétitivité de dimension interrégionale, une stratégie conjointe de lobbying au sein de l’espace interrégional européen, une université fédérale commune, qui verra le jour le 1er janvier 2016, une coopération sur la pêche et l’aquaculture ou encore sur les énergies marines renouvelables, la formation professionnelle continue…

Cette liste, loin d’être exhaustive, démontre, si nécessaire, que déjà une logique conjointe de travailler ensemble est évidente et que l’union des deux régions Bretagne et Pays de la Loire serait ni plus ni moins que la formalisation démultipliée, compte tenu des nouvelles compétences, d’un fait majeur des trente dernières années, à savoir une coopération très privilégiée entre ces deux régions.

La troisième raison, c’est que les populations ligériennes et bretonnes le demandent, ainsi que les acteurs économiques. Un sondage paru aujourd'hui nous indique que 67 % des habitants des Pays de la Loire y sont favorables, tout comme 63 % des Bretons.

Le rapprochement entre Bretagne et Pays de la Loire apparaît donc d’une grande rationalité et il correspond à une évidence de travail partagé et d’intérêts communs, pour les populations de même pour l’avenir de ces deux régions de l’ouest atlantique.

En conclusion, je voudrais insister sur la nécessité d’avoir, dans ce débat, l’avenir à l’esprit. Je peux entendre qu’ici ou là des élus ne soient pas encore prêts, hésitent ou demandent plus de réflexion. C’est le respect dû à tous et à chacun, mais ce respect nous le devons aussi aux générations futures. C’est pourquoi tout démantèlement des régions actuelles doit, selon moi, être proscrit, car ce serait rayer d’un trait de plume les efforts de plusieurs décennies.

Faute de mieux, le statu quo, regrettable pour nos deux régions, ne pourrait être que momentané. Continuons la réflexion, écoutons aussi les nouvelles générations des maires de l’ouest. Prenons le temps de l’échange renouvelé, laissons les esprits et les consciences évoluer.

Laissons aussi la place à l’expérimentation entre les territoires, à l’ouest comme ailleurs. L’unité de la France n’implique pas l’uniformité ! Osons l’expérimentation à géométrie variable. L’administration centrale n’a rien à craindre de cela et notre pays a tout à y gagner. Soyons des bâtisseurs d’avenir comme d’autres l’ont été avant nous, en prenant leçon du passé et du présent ; bref, suivant la si jolie formule dont Pierre Mauroy avait fait le titre d’un livre un livre, soyons les « héritiers de l’avenir ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Boutant.

M. Michel Boutant. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’organisation territoriale de notre pays est un thème ancien et même révolutionnaire : Condorcet, Sieyès, Thouret, Cassini et, plus récemment, Attali et Balladur ainsi que quelques-uns de nos collègues, ici au Sénat, se sont attelés à cet ouvrage.

Et pendant que les parlementaires, les conseillers, les anciennes éminences réfléchissent, se réunissent, discutent et rédigent des rapports, l’œuvre de la réorganisation s’accomplit avec un objectif qui n’a jamais été abandonné ni par un bord ni par l’autre, ni par la droite ni par la gauche ; il s’agit, de manière quasi implacable, d’effacer petit à petit les départements de la carte de France,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Eh oui !

M. Michel Boutant. … de les fondre dans des régions, dans des intercommunalités, de les réduire, de les dévitaliser et peut-être même de les « exploser, façon puzzle ». (Sourires.)

D’ailleurs, l’État a déjà montré l’exemple en réduisant le rôle des préfets de département au bénéfice des préfets de région, en transférant à la région bon nombre d’anciens services départementaux : exit les directions départementales de l’équipement, les directions départementales de l’agriculture et de la forêt, les directions départementales de la jeunesse et des sports ; exit, donc, tous ces cadres, toute cette matière grise qui ont quitté les villes chefs-lieux de département pour se concentrer dans les capitales régionales ou les métropoles, amoindrissant du même coup les forces de territoires qui ne sont ni tout à fait ruraux ni tout à fait urbains.

On a vu fleurir les directions régionales, voire interrégionales, telles que les DIR, les DRAC, les DIRECCTE et autres acronymes, qui s’éloignent peu à peu des territoires.

Ce processus de réduction, de redéploiement, de reconcentration tourne le dos à la décentralisation, acte d’émancipation des collectivités, signe incontestable de vitalité des territoires, qui leur avait été octroyé par François Mitterrand, Gaston Defferre et Pierre Mauroy.

Vers quelle collectivité s’est pourtant tourné l’État pour transférer les personnels des ex-DDE et des collèges ? Vers qui s’est tourné l’État pour partager le financement des allocations individuelles de solidarité que sont l’APA, le RSA, la PCH, faisant du coup supporter par les recettes propres des départements une charge de 42 milliards d’euros – j’attire votre attention sur ce chiffre, mes chers collègues – entre 2002 et 2013 ?

Vers quelle collectivité se tourne encore l’État pour financer les travaux sur la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique ou sur les routes nationales ? Les départements !

Ceux-ci ont supporté, en maugréant souvent, mais ont supporté tout de même les conséquences de décisions prises ailleurs et par d’autres. Ils ont pourtant préparé des budgets équilibrés – ils n’avaient d’ailleurs pas le choix –, tout en maintenant l’investissement si précieux pour les entreprises. Ils ont même pu, ici et là, développer des projets créateurs d’emplois. Là, un Futuroscope, ailleurs, un pôle de l’image animée.

Mais je sais que rien n’est immuable. Il faut être moderne. Il faut tourner les pages, il faut réduire le millefeuille, il faut « dégraisser le mammouth », disait-on à une époque, pour faire des économies et renouer avec la croissance.

Le transfert des compétences va-t-il diminuer le coût de l’exercice de ces compétences ? J’en doute. Ce que je pressens surtout et ce que j’entrevois, c’est un mouvement de plaques tectoniques, ou technocratiques, visant à la disparition des uns et à l’émergence des autres.

La question des compétences, de leur maintien, de leur exercice, de leur transfert est essentielle.

La question du périmètre des collectivités régionales ou intercommunales est d’importance. D’ailleurs, les élus locaux, les populations se sont emparés de cette question, sans doute à la surprise de beaucoup.

En Poitou-Charentes, par exemple, sur mon initiative, les conseils généraux des quatre départements se sont réunis le 6 juin dernier et ont voté à l’unanimité – moins une voix et deux abstentions – la formation d’une région Aquitaine–Poitou-Charentes–Limousin.

À ce jour, 300 des 404 communes que compte le département de la Charente ont délibéré sur la formation de cette région Poitou-Charentes–Limousin–Aquitaine.

Dans des régions plus grandes, les départements, surtout les départements ruraux, auront encore plus qu’aujourd’hui un rôle de première importance à jouer en termes de mutualisation, de solidarité tant humaine que territoriale. Ni trop éloignés pour être un gage d’efficacité et de réactivité, ni trop proches pour pouvoir mutualiser au mieux les moyens humains et matériels, ils seront à la fois une garantie de bonne gestion et, dans tous les cas, une source de péréquation et d’équité.

Je ne remets pas en cause la réforme, mais que l’on ne cloue pas au pilori tous ces élus, toutes ces femmes, tous ces hommes au service des collectivités, qu’on ne les désigne pas à la vindicte !

Réformer, oui ! Clarifier, oui ! Transférer des compétences, pourquoi pas ? Mais à la condition qu’elles soient plus efficacement exercées par ceux qui se les verraient alors confier et que ce transfert soit également compatible avec la situation financière et économique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du RDSE et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parler la dernière dans une discussion générale de plus de quatre heures est une gageure ! J’irai donc droit au but : je souscris, sans ambiguïté, aux objectifs affichés par le Gouvernement : plus grande efficience de l’action publique, clarification des compétences dévolues à chaque collectivité et simplification de la carte territoriale française.

Davantage que la date des élections ou le découpage géographique des territoires – quoique… –, c’est la manière dont les compétences seront exercées par les collectivités et le rapport de proximité qu’elles pourront établir avec les élus qui intéressent le plus nos concitoyens. Il me semble que cet axe aurait pu être abordé en tout premier lieu, à la suite des débats que nous avons eus l’an dernier à propos des métropoles.

L’enjeu est important pour l’avenir, celui de la France, celui des Françaises et des Français : il s’agit de réfléchir à la plus-value qui leur sera apportée lorsque telle collectivité remplira telle compétence ou telle mission.

Comment agir au plus près, et au plus juste, des besoins des territoires et des habitants en matière d’action économique, d’emploi et de formation, d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation, d’environnement, d’énergie et de transport ou encore d’éducation, de culture et de sport ?

Il ne faut pas non plus oublier l’ensemble des politiques de solidarité, si importantes dans la vie de nos concitoyens et assumées aujourd’hui largement par les départements. Je veux parler des politiques en faveur des personnes âgées ou handicapées, de la protection de l’enfance, de l’insertion ou du soutien aux familles. Nous aurons l’occasion de débattre de ces questions dans les prochains mois, et nous espérons de réels engagements en la matière.

Il ne s’agit pas de refuser tout changement, loin de là. Mais l’évolution de l’organisation territoriale n’a de sens que si elle contribue à mieux répondre aux attentes des citoyens et aux enjeux ressentis dans nos territoires. Il s’agit d’accompagner, d’encourager la mise en œuvre de politiques publiques efficaces et utiles, non de réduire les moyens, les marges de manœuvre ou les leviers d’action des élus locaux.

J’aborderai la délimitation géographique de la région des Pays de la Loire. Cette région a une histoire, certes récente, mais qui offre de grandes et belles réussites, et à plus d’un titre : taux de chômage et taux de pauvreté les plus faibles de France, première région pour ce qui concerne la création d’emplois industriels et le soutien à la recherche, ou encore région la plus sportive. Sans tomber dans l’autosatisfaction, je tiens à souligner que notre région a de la cohérence et des points forts.

L’unité des Pays de la Loire est précieuse, il faut la défendre. Il serait dangereux d’y mettre fin. Le sondage IPSOS cité par Yannick Vaugrenard révèle d’ailleurs que 83 % des Ligériens sont attachés à leur région et à ses cinq départements.

Le statu quo proposé par le Gouvernement n’est pas forcément une solution ; en tout cas, à mes yeux, elle manque d’ambition. Nous avons en quelque sorte l’impression d’un rendez-vous manqué pour le développement de nos territoires et l’avenir de leurs habitants.

Il ne fait aucun doute pour moi que la fusion des Pays de la Loire et de la Bretagne doit devenir réalité. Ce scénario a du sens au regard de la cohérence géographique, de la démographie, des retombées économiques et en matière de politiques universitaires ou culturelles.

Des coopérations fortes existent déjà, et les enjeux partagés entre les deux régions sont bien réels. Néanmoins, il faut désormais aller plus loin.

De nombreux citoyens, chefs d’entreprise, responsables associatifs, acteurs du monde culturel, élus de tous partis, s’expriment depuis plusieurs semaines pour défendre l’unité des Pays de la Loire et souhaiter un renforcement des échanges et des partenariats avec la Bretagne. Mentionnons, à ce titre, les présidents des chambres de commerce et d’industrie de Rennes et de Nantes-Saint-Nazaire, mais également les maires de Nantes, de Rennes et de Brest.

Je le disais au début de mon propos, l’évolution de l’organisation territoriale doit accompagner et encourager la mise en œuvre de politiques publiques efficaces et utiles.

Je crois, en l’occurrence, que la fusion des Pays de la Loire et de la Bretagne est ambitieuse. Surtout, je suis convaincue qu’elle constitue un véritable « plus » pour l’avenir de nos régions et des citoyens qui les font vivre, chaque jour. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à remercier l’ensemble des orateurs de tous les groupes, sans exception, qui ont apporté une contribution extrêmement utile et intéressante au débat sur ce projet de loi.

Je ne répondrai pas de façon exhaustive à chacun des intervenants, car, comme la discussion générale a duré près de cinq heures, vous pourriez, à juste titre, m’en tenir grief ! J’essaierai de reprendre quelques-unes des critiques les plus saillantes qui ont été exprimées et d’y répondre de façon brève.

La première impression que suscite l’écoute des différents orateurs lorsqu’on est au banc du Gouvernement pour porter ce texte, c'est qu’une partie des sénateurs ici présents seront bientôt renouvelés. Certains d’entre vous, siégeant notamment sur les travées de l’opposition, se sont davantage adressés à ce qu’ils imaginent être la majorité de demain pour la séduire qu’au Gouvernement pour critiquer son texte.

Deux discours, en particulier, ont été tout à fait emblématiques de cette volonté de s’inscrire dans une perspective qui est non pas celle d’aujourd'hui, mais celle d’après les élections sénatoriales. Le Parlement a de tout temps fonctionné ainsi, cédant à la tentation de s’abandonner aux charmes de la « politique ». Ce débat a fourni une nouvelle illustration du phénomène.

Je le regrette vivement, car, au vu de la situation de notre pays depuis dix ans, on pourrait tout de même se dire les choses sans agressivité ou volonté de polémiquer. Le Front national a souvent été évoqué, mais le gouvernement actuel n’est pas le seul responsable, s’il devait avoir quelque responsabilité que ce soit à cet égard, de la montée de ce parti. Depuis dix ans, il y a eu d’autres gouvernements, qui n’ont pas tout réussi et qui et, par conséquent, pourraient partager la responsabilité du score du Front national.

Dès lors que nous acceptons de reconnaître que la responsabilité de la montée de ce parti est partagée, nous pourrions peut-être essayer ensemble d’en analyser les raisons. J’en vois une qui mérite d’être évoquée au moment où nous discutons ce projet de loi : c'est l’affaiblissement de notre pays et l’éloignement des citoyens de la classe politique. Quelle en est la raison ? Elle tient à ce que, face à des problèmes sérieux, qui impliquent des réformes urgentes, la politique, dans sa dimension la plus classique, la plus clivante, la plus « antagonisante », reprend ses droits, alors que nous devrions essayer de trouver des compromis pour élaborer ensemble de bons textes.

Cela vaut pour toutes les majorités, tous les gouvernements, quels qu’ils soient. Lorsque nous étions dans l’opposition, nous avons aussi cédé à ce type de charmes. Aujourd’hui, c'est vous, mesdames, messieurs les sénateurs de l’UMP, qui êtes dans l’opposition. Plutôt que de tirer des enseignements de ce que vous n’avez pas réussi à faire durant ces dix dernières années – vous avez commis de nombreuses erreurs que nous aurions, nous aussi, pu faire –, vous vous êtes lancés dans une entreprise de démolition absolument classique, et avec une jubilation sans limite.

Or, je le redis, quand un pays est en crise, que le Front national atteint un tel score et que les citoyens s’éloignent de la vie politique, celle-ci ne peut pas se résumer à une entreprise perpétuelle de démolition, avec toutes les outrances, les excès et les contre-vérités qui vont de pair. Et, au cours de ce débat, des outrances et des excès, j’en ai beaucoup entendu, qui ont contribué à fabriquer de belles contre-vérités.

Je les reprendrai les unes après les autres, pour qu’il reste au moins une trace de la sincérité des intentions du Gouvernement. On ne peut pas raconter tout et n’importe quoi dans un débat, notamment pour faire dire à un texte ce qu’il ne dit pas.

Tout d’abord, j’ai entendu dire que nous voulions recentraliser, que nous souhaitions prendre des pouvoirs aux collectivités locales pour les donner aux préfets, dans les départements, et que nous allions défaire ce que la décentralisation avait fait. C’est un énorme mensonge !

Pour qu’une telle allégation puisse avoir quelque crédit, il faudrait qu’une loi défasse ce que les lois de décentralisation ont fait et transfère à l’État des compétences que ces dernières avaient confiées aux collectivités locales. Pouvez-vous me citer un seul exemple de compétence qui avait été donnée aux collectivités locales, dans la multiplicité de leurs strates, et que l’État cherche à reprendre ? Non, car il n’y en a aucun !

Si nous donnons des pouvoirs supplémentaires aux préfets, ce n’est pas au détriment des collectivités locales, c’est à celui de l’État central ! Cela s’appelle la déconcentration !