M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour que l’administration publique soit au plus près des territoires, nous proposons que l’État central déconcentre ses pouvoirs vers l’État territorial. Ainsi, il pourra y avoir dans les territoires ruraux, dont vous nous dites qu’ils sont en risque de rupture et de décrochage, davantage de fonctionnaires, là où les précédentes réformes en ont supprimé beaucoup.

Je le dis à M. Gérard Larcher, qui a fait une déclaration très passionnée, enflammée, sur ce sujet : nous voulons non pas prendre aux régions ou aux départements des pouvoirs pour les redonner à l’État, mais déconcentrer les pouvoirs de l’État central vers les territoires pour corriger les effets de la révision générale des politiques publiques, qui a conduit à une véritable attrition de l’administration territoriale.

La démarche que nous préconisons doit-elle vraiment être condamnée à tout prix ? Ne pouvez-vous pas, sur cette question, compte tenu de la situation de l’administration territoriale de l’État, simplement accompagner, de bonne foi, la volonté du Gouvernement ?

J’en viens au deuxième point sur lequel je tiens à apporter une correction : la carte régionale que nous proposons d’adopter serait nécessairement mauvaise parce que la réforme est inopportune. Je veux bien admettre, comme je l’ai d’ailleurs déjà dit lors la discussion générale, qu’un certain nombre d’éléments de la carte ne conviennent pas. Mais, sauf à être totalement de mauvaise foi, on ne peut pas ne pas reconnaître que d’autres éléments de la carte, eux, sont tout à fait adéquats !

On ne peut pas non plus dire, monsieur le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, que nous essayons de capter de façon indélicate le rapport que vous avez rédigé avec Yves Krattinger. Dans ce rapport, il était proposé de constituer quinze régions. Vous vous êtes vous-même exprimé sur cette question pour dire à quel point il était important que la taille des régions soit suffisamment grande pour leur permettre de mener une politique de développement économique. Mais lorsque nous proposons de le faire nous-mêmes, vous considérez que notre proposition est inopportune : c’est absurde !

Voilà précisément ce dont la politique française se meurt : que des élus, selon qu’ils sont dans la majorité ou dans l’opposition, disent le contraire de ce qu’ils avaient dit ou écrit la veille, simplement parce que leur idée est maintenant portée par un gouvernement qu’ils combattent !

M. Jean-Pierre Raffarin. Tel n’a pas été mon propos !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Raffarin, lors de la discussion générale, j’ai cité fidèlement une phrase de votre rapport !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous prenons position pour le département et vous le supprimez ! Ne faites pas référence au rapport !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je n’ai jamais dit que vous préconisiez la suppression du département. Comme je suis précis et rigoureux, j’ai indiqué que vous préconisiez de faire de grandes régions et que vous estimiez que le plus important était leur taille, car c'est ce qui leur permettait d’être pertinentes et efficaces.

Je ne dis pas que nous reprenons la totalité des propositions figurant dans votre rapport. J’évoque simplement une idée que vous aviez intelligemment avancée. Nous l’avons reprise, car il n’y a pas de raisons de ne pas prendre les idées qui ont été développées dans des rapports parlementaires, même si elles l’ont été par des sénateurs de l’opposition.

Bien entendu, vous ne proposez pas, vous, monsieur Raffarin, la suppression des départements, mais d’autres le font. En réponse hier à M. Retailleau, j’ai repris les propos de celui qui était encore le président de votre parti il y a un mois : dans un entretien publié par Le Parisien le 14 janvier dernier, il a déclaré qu’il était partisan de la suppression des départements.

Je veux bien que toutes les idées, dès lors qu’elles viennent de la majorité, soient pernicieuses, mais vous les avez, pour beaucoup d’entre elles – par le truchement de différents responsables politiques, notamment des parlementaires –, vous-mêmes formulées.

Nous voulons des régions de taille européenne afin qu’elles puissent être efficaces. Vous avez vous-même, monsieur le Premier ministre, soutenu que la question de la taille était importante. Si les périmètres de ces régions ne vous conviennent pas, ce que je peux tout à fait comprendre, proposez par amendements que l’on en dessine d’autres, plutôt que de polémiquer en cédant à l’outrance ! Vous ne faites que jeter le discrédit sur un projet sous prétexte qu’il n’est pas le vôtre, alors qu’il reprend des propositions que vous avez vous-même pu faire, sacrifiant par là au jeu classique de la politique, lequel, je le redis, affaiblit la démocratie et le Parlement.

J’en viens, enfin, à la question des départements. Sur ce sujet, le Gouvernement a une position très simple, qu’il n’y a pas lieu de travestir, d’amplifier ou de dramatiser, pour faire peur.

Premièrement, nous voulons des intercommunalités fortes. Pourquoi ? Parce que l’intercommunalité répond à notre besoin de proximité, tout en contournant les difficultés que pose l’existence de 36 0000 communes. Pour ce faire, le Gouvernement veut aller au bout des réformes conduites par les gouvernements précédents. Autrement dit, la réforme que nous entendons mener ne marquera pas une rupture.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Elle s’inscrira dans la continuité de ce qui a été fait antérieurement, en l’approfondissant.

Deuxièmement, nous voulons déconcentrer dans l’esprit que je viens d’évoquer : en mettant à un terme à la destruction de l’administration déconcentrée de l’État engagée depuis des années. Est-ce condamnable ? Je ne le crois pas.

Troisièmement, nous voulons nous doter de régions de dimension européenne.

Quatrièmement, nous raisonnons à l’horizon 2020. Vous aurez noté que, dans le texte qui vous est soumis, il n’est pas question de supprimer les départements. D’ici à 2020, il nous reste six ans : six ans pour échanger au travers de débats parlementaires, pour évaluer ce que nous avons fait, pour mener une réflexion associant chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs ; 2020, ce n’est pas demain ! D’ici là, nous avons le temps de créer, ensemble, les conditions d’une suppression des conseils départementaux – et nous le ferons !

Nous aurons six ans pour débattre des conséquences de cette réforme sur la proximité et l’efficacité des services publics, que certains d’entre vous craignent de voir remises en cause. Trouvez-vous que six ans, c’est trop court pour évoquer ces questions ensemble, pour les mettre sur le métier, pour essayer de trouver les bons équilibres ? Tel n’est pas notre avis.

Sous prétexte que nous proposons de débattre de cette question avec vous pendant six ans, il faudrait que nous ne décidions rien aujourd'hui ? Non ! Dès aujourd'hui, nous devons trancher, parce que beaucoup de sujets relèvent de l’urgence.

Je veux, avant de conclure, évoquer la question des conséquences de la fusion des régions sur l’administration de l’État. J’ai entendu tout à l'heure que l’on ne pouvait pas fusionner les régions parce que la réduction du nombre de capitales régionales conduirait à des transferts massifs d’administrations depuis les capitales existantes vers les capitales nouvelles. Mais raisonner ainsi, c’est s’empêcher de faire une seule fusion ! Vous feriez mieux de dire que vous êtes opposés à toute évolution de la carte régionale ! (Protestations sur les travées de l'UMP.) Si vous y êtes favorables, vous devez accepter que des rectorats et des services déconcentrés de l’État se regroupent !

D'ailleurs, je dois vous dire, à vous que préoccupe la nécessité de faire hardiment des économies, notamment dans la fonction publique et dans l’appareil d’État, que vous n’en ferez aucune si vous ne rationalisez pas la carte des administrations sur les territoires. Nous, nous proposons de le faire, mais tout en garantissant la proximité et l’efficacité des services publics.

Vous ne pouvez réclamer 100 milliards d’euros d’économies – quand nous en proposons 50 milliards – et, dans le même temps, décrier chacune des réformes de l’administration que nous envisageons ! Ou alors expliquez-nous comment vous comptez réformer l’administration pour réaliser ces 100 milliards d’euros d’économies ! À moins qu’il n’y ait là que démagogie, et que vous ne sachiez comment procéder…

Pour ce qui nous concerne, investis que nous sommes de la responsabilité de redresser les comptes, nous ferons ces 50 milliards d’économies parce que nous considérons que la situation du pays est suffisamment dégradée, du fait de la gestion des gouvernements successifs, pour les rendre indispensables.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, les fusions de régions impliqueront des regroupements au niveau de certaines capitales. C’est normal ! Si l’on ne veut pas de ces regroupements, il ne faut pas entreprendre de réforme régionale. Cette clarté, cette honnêteté, nous les devons à la représentation nationale et aux Français. On ne peut vouloir tout et son contraire !

Dernier sujet important : celui de la proximité. Selon certains, si l’on fait de grandes régions et si l’on engage la suppression, à terme, des conseils départementaux, il n’y aura plus de proximité.

M. Philippe Bas. Exactement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Alors, monsieur Bas, c’est que vous ne pouvez imaginer la proximité autrement que dans le cadre de l’architecture actuelle des collectivités locales. En d’autres termes, vous considérez qu’aucune transformation du tissu intercommunal, aucune nouvelle articulation de la relation de l’État aux territoires ou des relations entre régions, intercommunalités, grandes villes et métropoles, ne peut permettre de faire vivre la proximité. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Vous ne concevez la proximité qu’au travers du tissu des structures locales et administratives actuelles, à tout jamais figé. En fait, vous nous expliquez que la proximité n’est possible qu’à la condition de renoncer à faire montre d’imagination ! Eh bien, ce n’est pas notre démarche.

M. Philippe Bas. Comment faire de la proximité dans de grandes régions ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous, nous considérons que la proximité est possible dès lors que l’on donne à des strates de collectivités locales organisées la possibilité de se doter de compétences qui leur permettront d’être beaucoup plus près des habitants.

Monsieur Bas, vous êtes le brillant conseiller général du célèbre petit canton de Saint-Pois.

M. Jean-Pierre Raffarin. Il n'y a pas de « petits cantons » !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous savez comme moi que le département de la Manche, dans lequel je suis aussi élu, compte au nord, une agglomération, Cherbourg, et, au centre, les villes de Saint-Lô et de Coutances. Tout le reste n’est qu’émiettement de petites communes, avec des intercommunalités de petite taille. Ne pensez-vous pas que, demain, les services seraient mieux rendus aux habitants de la Manche si les pays s’organisaient autour d’intercommunalités ?

M. Philippe Bas. Qui dit le contraire ? (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste s’exclament.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Donc, vous le reconnaissez vous-même !

Cela signifie que, aujourd'hui, il est bel et bien possible d’innover en matière d’ingénierie territoriale en faisant vivre la proximité, à condition de faire preuve d’un peu d’imagination, de mettre cette imagination au service d’un projet et de ne pas être conservateur.

Dans ces conditions, je suis absolument convaincu qu’il existe une place pour un compromis, qu’il existe un chemin qui nous permette de faire évoluer ensemble notre pays dans la bonne direction. Je suis convaincu que le Sénat ne fera pas le choix de saboter ce texte, qu’il ne refusera pas d’y travailler et qu’il participera pleinement à l’élaboration d’une grande réforme que le pays attend depuis longtemps et que les gouvernements précédents n’ont pas engagée ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Monsieur le président, le ministre a été disert, mais il n’a pas répondu à la question que je lui ai posée au nom de la commission spéciale : ce texte fera-t-il l’objet de deux lectures dans chaque assemblée ?

M. Éric Doligé. J’ai moi aussi posé cette question, sans obtenir de réponse !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Moi, je la pose en tant que président de la commission spéciale !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Avant que la commission spéciale ne soit constituée, je me suis très clairement exprimé sur ce sujet devant la commission des lois. Les comptes rendus en font foi ! Dès lors, je ne vois pas pourquoi on laisse accroire qu’il pourrait y avoir des intentions de revirement. Des revirements, j’en ai constaté beaucoup dans les propos qui ont été tenus ici, hier et aujourd'hui, mais vous n’en trouverez jamais dans les discours du Gouvernement ! (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Éric Doligé. Quid des propos de M. Kaltenbach ? Ce n’est pas sérieux !

M. Jean-Pierre Raffarin. Le débat de ce jour se termine sur une note d’humour…

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Discussion générale (suite)

9

Question prioritaire de constitutionnalité

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 3 juillet 2014, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 1613 bis A du code général des impôts (Contributions perçues au profit de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés) (2014-417 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la Séance.

Acte est donné de cette communication.

10

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 4 juillet 2014, à neuf heures trente, à quatorze heures trente et le soir :

Suite du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (Procédure accélérée) (n° 635, 2013-2014) ;

Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission spéciale (n° 658, 2013-2014) ;

Résultat des travaux de la commission spéciale (n° 659, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le vendredi 4 juillet 2014, à zéro heure vingt-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART