Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir pris l’initiative de ce débat, et remercier également le Premier ministre d’être parmi nous pour clarifier cette réforme territoriale.

Avant toute chose, quitte à amputer quelque peu mon temps de parole, je souhaite faire part de l’émotion de mon groupe à la suite du décès, dans des conditions qui restent encore à déterminer, du jeune Rémi Fraisse, qui manifestait pour la suspension des travaux du barrage de Sivens, dans le Tarn. On ne peut mourir à vingt et un ans. Nos pensées sont tournées vers sa famille, ses proches, et nous espérons que la lumière sur ce drame sera faite au plus vite.

Mes chers collègues, notre débat de cet après-midi ne peut être déconnecté de ce qui se passe dans le pays : chômage en constante progression, croissance quasi nulle, demande agonisante et austérité bien présente, alors que les déficits sont à leur paroxysme.

De manière générale et plus particulièrement dans ces circonstances, vous n’êtes pas sans le savoir, les élus, les collectivités, sont souvent les derniers remparts – d’aucuns disent les boucliers – contre la dislocation du tissu social.

Monsieur le Premier ministre, avec votre déclaration de ce jour sur la réforme territoriale, vous nous présentez en quelque sorte de nouveau votre projet de société. Libéral ? Social-libéral ? Je vous laisse le soin de le qualifier…

Pour ma part, ce qui m’intéresse, ce sont les contenus et le sens. Une chose est sûre, cependant : ce projet tourne le dos aux valeurs qui ont construit la gauche au fil des décennies.

Rares sont celles et ceux qui croient aujourd’hui que l’objectif de votre politique est de répondre aux espoirs exprimés au mois de mai 2012. Vous ne cessez d’ailleurs de le répéter : vous voulez casser le lien avec cette gauche que vous avez reniée, alors même qu’elle fonde votre seule légitimité politique.

Votre gouvernement a entériné une politique de l’offre conforme aux souhaits du MEDEF et, pour la financer, vous vous attaquez à la protection sociale, au code du travail et aux collectivités. En résumé, vous demandez des efforts à la population pour améliorer la situation du pays, alors que vous faites des cadeaux aux entreprises et à leurs actionnaires.

Autant de choix qui n’offrent pas de différence de fond avec la politique économique menée par la droite. Vous ne laissez qu’une seule option aux Français, puisqu’ils doivent choisir entre deux maux : le moins pire, c’est-à-dire la réduction des dépenses de 50 milliards d’euros que vous proposez, et le pire, les économies de 120 milliards d’euros voulues par la droite. Mais pire ou moins pire, c’est toujours pire ; or ce n’est ni pour l’un ni pour l’autre que nous avons voté !

Certes, vous n’êtes pas, je dois le reconnaître, monsieur le Premier ministre, le seul responsable des évolutions libérales en matière économique et sociale de la société ; il en va de même, d’ailleurs, pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, l’organisation du territoire : cette évolution remonte en effet à de longues années.

Après les grands espoirs suscités par les lois de décentralisation de 1982, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a engagé le morcellement de la République. Le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, en avait fait sa réforme clé : la clé d’une politique libérale totalement revendiquée, dont la finalité fut d’opérer de vastes transferts d’activités publiques rentables vers le secteur privé et de diminuer considérablement les dépenses publiques.

Les réformes engagées par Nicolas Sarkozy ont poursuivi une logique de désengagement financier et politique de l’État, avec une méthode : la mise en compétition « à la libérale » des territoires mortifère pour les communes.

La réforme des collectivités territoriales de l’année 2010, que toute la gauche avait pourtant combattue, n’a été ni abrogée ni même détricotée par votre gouvernement.

Seul le conseiller territorial, qui remplaçait les conseillers généraux et régionaux, a été supprimé à la suite de l’adoption d’une proposition de loi déposée par mon groupe au Sénat.

« Réformer les territoires pour réformer la France » : telle est la formule utilisée par le Président de la République pour justifier sa politique territoriale, qui remet en cause l’architecture institutionnelle de notre pays. Cette réforme territoriale a trois objectifs : imposer l’austérité, attiser la concurrence entre les territoires et ouvrir de nouveaux espaces de profit pour les marchés, tout en détruisant la démocratie locale.

La précipitation de cette réforme, menée qui plus est sans consulter le peuple, est le symptôme de la poursuite des attaques portées contre la République ; elle dénote un vrai mépris pour la démocratie et la souveraineté populaire, le Gouvernement se pliant à la seule volonté de la Commission européenne, dont l’ambition est de dissoudre, par la promotion des régions, le cadre national, afin de faciliter la circulation des capitaux et des travailleurs sans droit.

Scindée en plusieurs textes, cette réforme est devenue illisible – quoi qu’en disent certains – pour les citoyens. Comment peuvent-ils s’y retrouver quand les élus locaux eux-mêmes s’y perdent ? En réalité, elle s’attaque aux deux collectivités les plus proches des citoyens, celles qui sont à leur côté dans les difficultés. Cela ne peut que renforcer la crise politique et entraîner une remise en cause de la cohésion sociale.

Répondant aux attentes de la Commission européenne et du « top secret » Comité des régions, la suppression des départements et la réorganisation libérale du territoire marquent la volonté de réduire au maximum l’expression de la souveraineté populaire.

En ce sens, l’adaptation du territoire au libéralisme sacrifie les structures démocratiques pour mieux s’éloigner de l’intérêt général.

Par ailleurs, ce projet défend une conception de l’État recentré sur ses missions régaliennes, conception promue par les idéologues du libéralisme et leurs traités européens, afin de réduire les dépenses publiques.

Cet aménagement du territoire entraînera nécessairement une mise en concurrence internationale, européenne et nationale des territoires.

Elle aura pour conséquence prévisible d’approfondir le fossé entre les régions à fort potentiel économique et les autres. Les régions riches ne vont certainement pas tirer vers le haut les régions les plus pauvres ; elles seront en réalité de véritables trous noirs, qui aspireront l’essentiel des richesses.

Cette concurrence induira un déséquilibre territorial, une hiérarchie inévitable, et laissera encore davantage les plus démunis au bord de la route.

Mettre en concurrence des territoires participe du démantèlement des services publics, garants du principe d’égalité. De ce point de vue, ce qui nous sépare profondément de vous, monsieur le Premier ministre, c’est notre attachement au principe républicain d’unicité des services publics.

Or cette réforme porte, dans ses fondements mêmes, l’éclatement de l’égalité républicaine. La mise en concurrence a été poussée à son paroxysme avec la création des métropoles. Avec ces dernières, dans un objectif de concentration et d’optimisation économique, sont constitués de grands centres économiques adaptés au marché et est mis à la disposition du marché capitaliste ainsi que des multinationales un espace dans lequel ils vont pouvoir trouver tout ce dont ils ont besoin pour satisfaire leur appétit. En clair, tout est fait pour mettre les institutions au service des dogmes de rentabilité et de compétitivité.

Monsieur le Premier ministre, nous n’acceptons pas que votre gouvernement, qui tient sa légitimité du peuple de gauche, avance et répète, comme un vieux disque rayé, le fameux argument de la réduction des dépenses publiques.

Le regroupement et la mutualisation permettraient, selon vous, de faire des économies, sans licenciement, tout en améliorant les prestations offertes à la population. Qui, à part vous et vos amis, bien sûr, peut sincèrement soutenir cette thèse ?

Nombreux aujourd’hui sont ceux qui considèrent – y compris, et c’est un comble, des agences de notation ! – que les frais de regroupement des organisations nouvelles vont coûter plus cher pendant une période de cinq à dix ans.

Ce ne sont pas les frais de structures ni les fonctions support qui coûtent le plus aux collectivités territoriales ; ce sont les services mis en place en faveur de la population. Il n’y aura donc réduction des coûts qu’au prix d’une baisse brutale des services, ce qui est bien l’objectif inavoué de cette réforme. Si les collectivités dépensent plus pour se réorganiser, et que, dans le même temps, les dotations d’État baissent, alors les collectivités devront réduire leur action en direction de la population, ainsi que leurs investissements.

Ce mouvement est déjà à l’œuvre et l’austérité gagnera toujours plus l’action locale. Comment pouvez-vous ignorer à ce point la colère qui monte chez les élus, les fonctionnaires et nos concitoyens, face à la réduction des dotations aux collectivités ? Cet après-midi même, de nombreux maires ruraux sont venus dire cette colère devant le Sénat.

Monsieur le Premier ministre, notre vision de la démocratie, de l’organisation des institutions et du territoire n’est ni dépassée ni archaïque. C’est au contraire la politique du Gouvernement qui n’est nullement tournée vers l’avenir, qui s’inspire des vieux préceptes libéraux, à peine dépoussiérés, promus par les économistes des XVIIIe et XIXe siècles David Ricardo et Adam Smith.

C’est votre politique qui ramène vers le passé notre pays : retour sur les acquis sociaux par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 ; destruction organisée des services publics ; culpabilisation des chômeurs ; atteintes aux droits des salariés ; coups donnés aux fonctionnaires ; recentralisation des pouvoirs ; éloignement des centres de décisions des citoyens ; et j’en passe ! Sous couvert de modernité, c’est en réalité un recul démocratique majeur qui est en cours.

Non, monsieur le Premier ministre, pour reprendre vos propos tenus dans une interview accordée à un hebdomadaire qui a récemment changé de nom, nous ne choisissons pas « de défendre les solutions d’hier plutôt que de résoudre les problèmes d’aujourd’hui » ; nous sommes des partisans déterminés du progrès. Or, selon nous, le progrès, c’est placer l’humain au cœur des décisions, et non pas, comme vous le faites, la logique financière comptable.

Nous sommes favorables à une évolution des structures locales ; encore faut-il analyser les forces et faiblesses de ce qui existe aujourd’hui. C’est pourquoi nous proposons, dans le respect des structures démocratiques existantes, une remise à plat de notre organisation territoriale, accompagnée d’une réforme fiscale,…

M. Jean-François Husson. Promise par Jean-Marc Ayrault !

Mme Éliane Assassi. … cette fameuse réforme dont nous avons longtemps entendu parler, et qui a été enterrée, renforçant la libre administration des collectivités et les outils de péréquation sur la base de quatre axes cardinaux : démocratie, proximité, coopération, services publics.

Nous sommes pour une profonde rénovation de nos institutions ; une rénovation tournée vers le partage et non vers la domination des unes sur les autres. Dès lors que ce sont les objectifs de services publics et d’épanouissement humain qui priment, nous sommes favorables, monsieur le Premier ministre, à des regroupements de territoires, pour autant qu’ils se fassent sur la base de projets convergents, respectueux de l’unicité de la République.

Quant à l’État, nous voulons qu’il s’investisse dans des grands projets structurants, utiles, développeurs de solutions publiques, créateurs d’emplois, et qu’il joue son rôle, à son échelle, dans un certain nombre de domaines : la santé, les transports, l’éducation, l’énergie, la culture et l’environnement, notamment.

Oui, nous sommes pour une VIe République démocratique et sociale. Nous sommes courageux, monsieur le Premier ministre ; nous n’avons pas peur, vous le savez bien, de changer radicalement nos institutions, à condition qu’elles apportent plus de démocratie. Je pense à l’Assemblée constituante, pour plus d’implication citoyenne ; je pense également au contrôle citoyen, grâce à un droit de regard du peuple sur les prises de décisions et à plus de coopération.

La réforme du Président de la République que vous défendez ne recueille pas l’assentiment de la majorité des élus ni du pays ; elle est même à l’origine de fissures au sein de votre majorité.

Elle doit faire l’objet d’un référendum populaire, car le peuple ne peut être mis devant le fait accompli que représente une telle modification des règles démocratiques.

Contrairement aux idées reçues, nos concitoyens sont très attachés à leurs collectivités, dont leur département, y compris en milieu urbain. C’est ce dont témoignent les 32 000 signatures recueillies dans le Val-de-Marne (M. Philippe Dallier s’exclame.), que mon ami Christian Favier, sénateur et président du conseil général du département en question, va vous soumettre aujourd’hui.

Oui, monsieur le Premier ministre, l’heure est au choix : entre les valeurs d’avenir, de progrès et de justice sociale – des valeurs de gauche, en résumé, de cette gauche dont la raison d’être est la contestation de la toute-puissance du capitalisme – et celles d’un libéralisme passéiste, arc-bouté sur ses privilèges, dont vous semblez malheureusement vous faire aujourd’hui le porte-parole. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC se lèvent et applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe UMP. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Philippe Bas. Monsieur le Premier ministre, vous avez revendiqué, à l’avantage de votre réforme, la clarté, la simplicité et la lisibilité. Si votre réforme n’est pas marquée par la qualité de lisibilité, votre discours, lui, était clair.

Vous avez un modèle, je l’ai compris. Or votre réforme n’y correspond pas et vous ne l’assumez pas vous-même. De toute façon, d’ailleurs, il ne correspond pas à celui que nous avons à l’esprit.

J’espère que le présent débat puis la discussion du projet de loi qui va suivre permettront de rapprocher les points de vue. Force est néanmoins de reconnaître qu’il y a beaucoup de chemin à faire.

Quel est donc votre modèle, monsieur le Premier ministre ? L’État, vous n’en parlez pas. Les régions, vous les qualifiez de « grandes régions stratèges ». Les départements, vous annoncez leur suppression. Je sais bien que des discussions, des évolutions, des atermoiements ont eu lieu, qui rendent à ce sujet l’avenir très incertain. Mais le propos que vous venez de tenir, en toute clarté, annonce bien la future suppression des départements. Les intercommunalités et les métropoles, vous voulez les renforcer. Les communes, elles, vous les oubliez.

Tel est votre modèle, que vous n’assumez pas, je le répète.

M. David Assouline. Vous n’avez rien compris !

M. Didier Guillaume. Nous n’avons pas entendu la même chose !

M. Philippe Bas. Cet État absent de votre discours asphyxie les collectivités territoriales ; il aggrave leurs charges !

M. Philippe Bas. L’exemple que vous avez malencontreusement cité, celui des rythmes scolaires, en atteste ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.) Je suis le modeste vice-président d’une communauté de communes de 16 000 habitants, et qui compte 1 000 élèves dans l’enseignement primaire.

M. David Assouline. Et combien dans l’enseignement privé ?

M. Philippe Bas. Comme nous sommes de bons citoyens, nous accueillons les enfants pour des activités périscolaires. Cela nous coûte l’équivalent de 8,5 % de nos ressources fiscales.

M. Yves Rome. C’est un investissement pour l’avenir !

M. David Assouline. C’est pour les enfants ! Vous qui n’arrêtez pas d’invoquer la famille…

Mme Nicole Bricq. Vous n’aimez pas les jeunes !

M. Philippe Bas. L’État asphyxie les collectivités territoriales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Monsieur le Premier ministre, vos « régions stratèges » seront des régions ankylosées, enlisées dans la gestion du quotidien ! Ce seront des régions obèses, sans dynamisme, sans ressort pour le développement économique et l’animation des territoires !

En effet, dans votre projet de réforme, vous les avez lourdement lestées de compétences de proximité qui étaient fort bien exercées par les départements. Mais, comme vous ne savez que faire des départements, il vous a semblé adroit de transférer ces compétences aux régions. Cela ne correspond pas du tout au modèle que vous décrivez.

Les départements, vous ne les supprimez pas !

M. François-Noël Buffet. Pas tout de suite !

M. Philippe Bas. Ni tout de suite ni demain ! Car, en 2020, vous ne serez plus là ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Michel Delebarre. Pessimiste !

Mme Annie Guillemot. Ils nous faisaient déjà le même coup en 1981 !

M. Philippe Bas. Par conséquent, tout ce que vous dites aujourd'hui sur les départements, c’est seulement pour en parler ! Vous postulez pour compte d’autrui. Il n’y a rien dans votre réforme sur l’avenir des départements. Vous avez peur d’engager une révision constitutionnelle et d’affronter le peuple français en le consultant par référendum !

C'est la raison, la seule, pour laquelle vous avez reculé sur la suppression des départements. Cela ne vous empêche pas de faire de multiples concessions au fil des semaines, concessions qui ne vous engagent à rien, puisque, encore une fois, ce n’est pas vous qui aurez à décider de l’avenir des départements, j’en suis convaincu.

M. David Assouline. Vous lisez l’avenir ?

M. Philippe Bas. Bien entendu, je ne veux pas anticiper sur ce que les Français décideront dans quelques années (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste.),…

M. David Assouline. Bref, ce que vous avez dit ou rien, c’est pareil…

M. Philippe Bas. … ce serait tout à fait prématuré et présomptueux de ma part.

M. Yves Daudigny. Et ce n’est pas votre genre…

M. Philippe Bas. Je ne m’engagerai donc pas sur ce terrain-là.

Mais, en tout état de cause, il y aura une élection présidentielle et probablement un nouveau gouvernement en 2017.

M. Bruno Retailleau. Au plus tard…

M. Philippe Bas. Et nous verrons bien ce que ce gouvernement décidera quant à l’avenir des départements.

Pour l’heure, vous handicapez fortement l’avenir de ces derniers en leur retirant des compétences qu’ils exercent pourtant mieux que ne pourront le faire les régions.

Les intercommunalités, vous les déstabilisez profondément. La plupart des nouvelles intercommunalités ont été mises en place au mois de janvier. Les nouveaux conseils et les exécutifs ont été installés au mois d’avril. Et vous voudriez déjà les bousculer, les renverser, les disloquer après plusieurs années de mise en place pour les regrouper dans des ensembles plus vastes ? (Mlle Sophie Joissains applaudit.)

Après avoir fixé le seuil de 20 000 habitants, vous vous êtes rendu compte, et je vous en remercie, qu’il y avait quelque chose d’excessif dans l’application obligatoire d’une règle aussi abrupte. Tant mieux ! Cela prouve qu’il peut y avoir des évolutions positives.

Pour autant, remettre le couvert si tôt et après un exercice si difficile, alors que la loi prévoit elle-même une clause de revoyure après quelques années d’expérience pour permettre à nos intercommunalités de reprendre souffle, cela nous paraît une mauvaise idée !

Quant aux communes, ce sont les grandes oubliées de la réforme ! Pourquoi n’avez-vous pas réfléchi au développement de communes nouvelles pour inciter les communes qui le souhaitent à se regrouper, pour les rendre plus fortes dans les intercommunalités et pour leur permettre de conserver des compétences de proximité qu’elles n’ont pas forcément envie de déléguer aux intercommunalités, dans des décisions qui seront forcément plus lointaines ?

Monsieur le Premier ministre, que de grandes différences entre nous ! Pourront-elles être comblées ? Notre dialogue permettra peut-être d’avancer dans cette voie. Pour ce qui nous concerne, nous le souhaitons.

Pour cela, il faudra que vous avanciez plus franchement, en choisissant la ligne droite, au lieu de contourner l’obstacle et de prendre un chemin sinueux et incertain ! Comme je le soulignais tout à l’heure, les concessions que vous avez prétendu faire sur les départements ne vous engagent à rien. En revanche, les concessions que vous ne faites pas actuellement sur les départements vous engageraient à quelque chose. Ce sont celles-ci que nous attendons, et non des concessions spéculatives. Pour notre part, nous sommes dans l’action, et non dans la doctrine pour savoir ce que l’on pourra faire dans cinq ans.

Vous avez mis le département en voie d’extinction et en apesanteur. Il est profondément déstabilisé ;…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. C’est vrai !

M. Philippe Bas. … ses personnels sont démoralisés. Il est interdit de projet ; il n’investira plus.

M. Didier Guillaume. Si ! Nous, nous continuons à investir !

M. Philippe Bas. Car il est en attente, tétanisé par votre réforme ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Monsieur le Premier ministre, au lieu d’insister, comme vous le faites aujourd'hui en agitant une sorte de rideau de fumée, sur l’avenir mortifère que vous avez annoncé pour les départements, vous feriez mieux de ne pas handicaper les régions en les lestant de compétences qui sont, en réalité, des compétences de gestion, de maintenance et de proximité, et de laisser l’exercice de telles responsabilités aux départements en mettant un peu de clarté dans la répartition des rôles.

Oui aux « régions stratèges » que vous préconisez ; mais, pour que les régions soient stratèges, il ne faut pas qu’elles soient obèses !

Oui aussi aux départements, qui ont un avenir ! Notre collègue Jacques Mézard l’a rappelé tout à l’heure, en citant des propos que vous aviez vous-même tenus lorsque vous étiez ministre de l’intérieur. Nous n’avons pas renoncé à donner un avenir aux départements. Pour nous, ils offrent le meilleur service aux citoyens de notre pays.

Entre toutes les solutions possibles, toutes celles qui étaient à votre disposition, vous avez choisi la pire ! Vous avez pris le parti de l’entre-deux. Cela ne peut pas durer cinq ans.

Monsieur le Premier ministre, il faut sortir d’une telle situation. Il faut cette clarté que vous avez prétendu vous approprier. Je ne nie pas que vous ayez tenu un discours clair. Mais il ne correspond pas à la réalité !

M. Bruno Retailleau. Absolument !

M. Philippe Bas. Vous êtes en train de concevoir de véritables usines à gaz en envisageant l’avenir des départements, qui ne dépend pas que de vous.

Car vous avez bien imaginé qu’il faudrait remplacer par quelque chose les départements que vous voulez faire disparaître. Nous avons entendu parler tantôt d’« agences régionales » dans les départements, tantôt de « fédérations d’intercommunalités », tantôt de fusions de départements et de métropoles, tantôt du maintien des départements ruraux ; oui mais lesquels ? Vous insistez sur le rôle des agences régionales de santé et des caisses de sécurité sociale pour la gestion des problèmes sociaux.

M. Didier Guillaume. Tout ça, c’est très bien !

M. Philippe Bas. Personne ne s’y retrouve ! Le point commun de toutes les idées agitées aujourd'hui, c’est que vous voulez remplacer un système démocratique, celui des conseils généraux avec des élus au suffrage universel direct, par un système technocratique ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Je regrette de devoir le dire, mais c’est la vérité.

À propos des régions, nous avons d’abord un désaccord profond sur la méthode. Honnêtement, dessiner la carte des régions en dehors des heures de service, nuitamment, sur un coin de table, ce n’est pas une bonne idée ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Dominique Bailly. Caricature !

M. Philippe Bas. Le moindre regroupement d’intercommunalités passe par une procédure démocratique, avec consultation et vote de nos collectivités territoriales !

Mais, pour les régions – sans doute n’ont-elles pas dans votre esprit autant d’importance que vous voulez bien le dire ! –, le législateur est saisi tambour battant et sommé de participer à vos choix à la hussarde !

M. Yves Rome. Café du commerce !

M. Philippe Bas. Nous sommes dans un esprit coopératif ; j’espère que vous en avez conscience en entendant mes propos. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) Cet esprit coopératif nous conduit à examiner tout de même la carte. Du moins espérons-nous que vous tiendrez compte de ce que nous avons à dire sur le sujet : nous craignons nous-mêmes de devoir prendre des décisions qui ne seraient pas assises sur une concertation suffisante avec les élus et les forces vives des territoires concernés.

C'est la raison pour laquelle il est vital qu’un droit d’option soit institué et puisse prendre corps dans des conditions de délai limitées. En effet, si les forces démocratiques régionales et départementales de notre pays souhaitent des modifications des frontières régionales que nous aurons décidées par le biais de la loi, il ne serait pas juste de les en empêcher. Il faut qu’il y ait une soupape de sûreté dans le système que vous avez choisi, faute de quoi il sera trop brutal. Il n’est pas certain que de nombreux départements aient envie d’utiliser une telle faculté. Mais il est tout simplement impossible et irrespectueux de la démocratie locale de ne pas au moins la prévoir, c'est-à-dire de ne pas adopter un système de droit d’option susceptible de fonctionner réellement.

Monsieur le Premier ministre, nous aimerions pouvoir vous aider. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

M. Dominique Bailly. Nous, nous aimerions pouvoir vous croire !

M. Michel Delebarre. Passez à l’acte !

M. Philippe Bas. Nous craignons la voie que vous avez choisie. Vous prenez le risque de rester dans l’histoire comme l’inventeur d’un nouveau centralisme : le centralisme régional !

M. Didier Guillaume. Ce sera un centralisme démocratique ! (Sourires sur les mêmes travées.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Justement non ! Ce ne sera pas du tout démocratique !

M. Philippe Bas. Je devrais plutôt parler de centralisme « super-régional », puisque ce sont des « super-régions » qu’il s’agit d’instituer.

Ce centralisme en cache un autre, mieux connu de tous : le centralisme d’État.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Qui a fait la réforme de l’administration territoriale de l’État, la REATE ?

M. Philippe Bas. Je le vois dans votre réforme sur l’organisation territoriale : vous donnez un véritable pouvoir de tutelle aux préfets de région, qui auront à approuver, avant leur entrée en vigueur, les grands schémas pour le développement économique et pour l’aménagement du foncier prévus par ce texte.

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Bas. En outre, je le rappelle, jusqu’à ce jour, vous n’avez pas eu de véritable réflexion sur le transfert de compétences de l’État aux régions.

Vous avez prononcé tout à l’heure une phrase qui a apporté une musique moins désagréable. Vous avez soulevé l’idée selon laquelle il pourrait être intéressant de développer, par transfert de compétences de l’État, et à côté des compétences de formation professionnelle des régions, des compétences régionales en matière de politique de l’emploi, compte tenu des carences de l’État. Eh bien travaillons-y ! Le Sénat est, me semble-t-il, tout à fait intéressé par ce que j’ai cru percevoir comme une ouverture de votre part.

Monsieur le Premier ministre, face au millefeuille administratif, territorial, et pour éliminer les doublons, vous préconisez la suppression d’un échelon, mais vous vous gardez bien de mettre cette préconisation à exécution.

Pour notre part, nous proposons un autre modèle : la spécialisation des échelons. Chacun doit exercer les responsabilités, les pouvoirs et les compétences pour lesquels il est le mieux placé selon un principe que le président Jacques Chirac et son Premier ministre Jean-Pierre Raffarin ont voulu inscrire dans la Constitution en 2003 : la subsidiarité.

Si vous évoluez en faveur de ce principe, vous nous trouverez naturellement à vos côtés. Nous souhaitons que la réforme territoriale soit une réforme démocratique et non technocratique, une réforme de simplification et non de complexification, une réforme de décentralisation et non de recentralisation. Nous ne désespérons pas d’être entendus. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck, pour le groupe socialiste.

M. René Vandierendonck. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de vous prêter à ce débat proposé par M. le président du Sénat.

Ayant la chance de vous côtoyer au fil de différentes réunions, je dois à la vérité de souligner que vous êtes quasi systématiquement présent – ce sera encore le cas la semaine prochaine devant l’Assemblée des départements de France – auprès des associations d’élus locaux.

Il a été beaucoup répété qu’il fallait faire confiance à l’intelligence territoriale. Monsieur le président, c’est bien le débat qui nous occupe aujourd'hui. À une époque, on disait que la gauche était majoritaire dans cette enceinte. (Sourires.) Pourtant, c’est le même débat auquel j’ai eu à faire face en tant que rapporteur de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPAM ». J’avais alors veillé à montrer, avec beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, qu’il était possible de peser dans le débat sur les représentations et les territoires, ne serait-ce que parce que le Sénat était investi de cette mission constitutionnelle, à condition qu’il se saisisse de cette opportunité dès l’examen du texte en première lecture.

Madame la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, grâce au débat sur la loi précitée, le Sénat a jalonné le chemin. Je tiens à souligner que, après des heures de discussions et d’écoute mutuelle, le principe de diversité des territoires est en marche, ainsi que son corollaire qui met en œuvre entre l’État et les collectivités territoriales de nouveaux modes de concertation et de contractualisation. J’ai entendu M. le Premier ministre rappeler sa volonté de reconnaître ce principe de la différenciation territoriale, notamment dans le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Vous avez raison, mes chers collègues, ces discussions ont été un peu chaotiques et ceux d’entre vous qui ont passé des nuits à examiner la clause de compétence générale des régions et des départements s’en souviennent,...

M. René Vandierendonck. ... surtout aujourd'hui, alors qu’on l’abandonne ! Convenez tout de même que, déjà à cette époque, dans nos débats très juridiques et très sophistiqués, on s’accordait à dire que la liberté interstitielle, voire résiduelle qu’elle laissait auxdites collectivités était assez limitée. Nous avions aussi longuement parlé des chefs de file, en regrettant – je me rappelle les positions de mon collègue Patriat – que le Conseil constitutionnel ne leur donnât pas le pouvoir de fixer les priorités dans l’exercice des compétences.

Cela étant, nos échanges nous ont malgré tout permis de clarifier l’architecture institutionnelle. Notons d’ailleurs que c’est lors de l’adoption de la loi MAPAM que l’architecture territoriale et bien d’autres problématiques ont été réglées : c’est par le biais de ce texte que la région acquiert, notamment dans la discussion sur les chefs de file, sa reconnaissance stratégique en matière d’aménagement et de développement durable des territoires, de protection de la biodiversité, de développement économique, d’innovation, d’internationalisation des entreprises, de schémas de transport, d’enseignement supérieur et de recherche. C’est aussi dans ce texte que le département s’articule autour de deux grandes compétences, action sociale et développement social et solidarité des territoires.

Madame la ministre, dois-je rappeler que nos débats avaient d’abord porté sur le bloc communal qui devait être chef de file en matière de... qualité de l’air ! (Sourires.)

M. René Vandierendonck. Nous avons remis les choses à leur place en intégrant la mobilité durable, l’organisation des services publics de proximité, l’aménagement de l’espace et le développement local.

M. Jean-René Lecerf. Très bien !

M. René Vandierendonck. Monsieur le Premier ministre, quand vous avez été nommé, vous avez tenu à venir devant la Haute Assemblée – vous n’y étiez pourtant pas obligé – pour dire très explicitement que, sur cette réforme des collectivités territoriales saison 2 et saison 3 (Sourires.), vous tiendriez compte du rapport d’information Raffarin-Krattinger, dont a parlé Jacques Mézard. Il n’y a que le Sénat qui puisse produire un tel rapport : la mission d’information a recueilli l’unanimité et a procédé à des visites et à des auditions très fouillées, auxquelles j’ai eu la chance de participer.

Je fais observer que, depuis, les conclusions de ce rapport d’information ont peu ou prou été reprises par tous ceux qui se sont penchés sérieusement sur ces questions d’organisation territoriale et de mise en œuvre des politiques publiques ; je pense au rapport Malvy-Lambert, aux deux rapports thématiques de la Cour des comptes, dont le dernier est paru la semaine dernière. Rappelons ces préconisations, puisque tout le monde en parle : pas plus de dix grandes régions stratèges, cher collège Retailleau, qui – le rapport prend la peine de le préciser – doivent être déconnectées de la proximité, car les communautés d’intérêts sont stratégiques. Il s’agit de préparer l’avenir, de déterminer les investissements structurants et de définir la façon de s’adapter à la compétitivité européenne et mondiale qui n’est pas un gros mot, puisque c’est par là que passe la création d’emplois pour nos concitoyens. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme Éliane Assassi. Il faut garder leur vote !

M. René Vandierendonck. Reconnaissons que, sur l’importance d’un petit nombre de grandes régions stratèges, le Gouvernement ne fait que prolonger la réflexion de la mission d’information.

Cela étant et, sur ce point, je vous rejoins, monsieur Retailleau, ce rapport d’information soutient avec force qu’aucune avancée ne sera possible si l’on se contente de croire que les nouvelles étapes de la décentralisation doivent se réduire à optimiser les compétences entre les collectivités territoriales. Rien ne pourra se faire si l’on ne traque pas aussi les doublons dans les compétences de l’État.

M. Bruno Retailleau. Nous sommes d’accord !

M. René Vandierendonck. Il n’est qu’à lire le rapport établi par Philippe Jurgensen, inspecteur général des finances, Jean-Jack Queyranne, notre collègue député président de région, et Jean-Philippe Demaël, chef d’entreprise, tous trois mandatés par le Gouvernement dans le cadre de la mission de la modernisation de l’action publique et chargés de se pencher sur l’enveloppe de 46 milliards d'euros de dépenses publiques directement destinée aux entreprises. Ces trois personnalités valident les recommandations de la mission d’information Raffarin-Krattinger et le constat est sans appel : les interventions sont « fragmentées, sédimentées, [...] ne sont pas majoritairement orientées vers les priorités de la compétitivité de demain », les fameux quatre I que sont l’investissement, l’industrie, l’innovation, l’international.

À n’en pas douter, une nouvelle compétence exclusive en matière d’aide aux entreprises confiée aux régions était absolument nécessaire, ne serait-ce que pour retrouver des marges de manœuvre et pour réinvestir là où se joue l’avenir des emplois. C’est d’ailleurs bien ce que vous avez annoncé, monsieur le Premier ministre, lors du dernier congrès de l’Association des régions de France, ce dont je vous remercie. Je suis persuadé qu’aller chercher les queues de compétences encore exercées par l’État aujourd'hui et unifier la problématique de la formation professionnelle et de l’accès à l’emploi au profit de régions constituera une avancée considérable.

J’en viens à l’aménagement des territoires. Il faut bien reconnaître que, pour l’instant, l’élaboration des schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire, les SRADDT, est un exercice contemplatif ! (Rires.) En effet, ces schémas n’assurent pas la mise en cohérence de l’espace régional. Grâce à l’opposabilité minimale du SRADDT aux documents d’urbanisme, nous pourrons enfin défendre la ruralité et cesser de déplorer que l’équivalent d’un département en terres agricoles disparaisse chaque année. Nous aurons la possibilité, dans une France où seulement 20 % du territoire est couvert par un schéma de cohérence territoriale, de donner un effet à de vraies en matière d’aménagement du territoire.

Mme Sophie Primas. En Île-de-France, ce n’est pas vrai !

M. René Vandierendonck. Le Gouvernement me rendra cette justice : je plaide depuis longtemps pour l’avenir des départements.

M. Jean-François Husson. L’avenir en bleu ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)