M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le rabot sévissant autant sur les temps de parole que sur les crédits, je limiterai mon propos à trois considérations. (Sourires.)

D’abord, ce projet de loi de finances rectificative comporte une dimension très classique : celle du constat dressé à la fin de chaque année.

Ensuite, derrière ce classicisme, quelques singularités conduisent à s’interroger, de manière parfois positive, mais souvent négative, notamment eu égard à ce trop-plein de taxes et de mesures nouvelles.

Enfin, le présent projet de loi de finances rectificative ne parvient pas à masquer une réalité qui s’impose au Gouvernement, comme à tous les parlementaires : notre difficulté collective à adapter notre pays pour le mettre sur le chemin vertueux de l’orthodoxie économique et budgétaire.

Ce collectif budgétaire est donc, d’abord, très classique. Chaque projet de loi de finances rectificative contient, nous le savons, sa part d’ajustement à la croissance, à l’inflation, à la dérive positive ou négative des recettes, des dépenses et, par conséquent, du solde.

Vous ne l’éviterez pas, monsieur le secrétaire d’État ; et, autant le dire, dans le contexte actuel de morosité économique, les indicateurs se dégradent. C’est logique ! Mais ces indicateurs montrent également que vous ne maîtrisez pas la situation, qui, à bien des égards, vous échappe. C’est donc le constat d’un échec, ou d’une absence de contrôle de la situation.

Nous remarquons malheureusement que le déficit budgétaire dépassera cette année de 13 milliards d’euros celui de l’an dernier, et qu’il sera supérieur de 6 milliards d’euros à la prévision qui a présidé à l’élaboration de la loi de finances initiale. La France est le seul pays important en Europe dont les finances publiques se sont dégradées autant entre 2013 et 2014 : son déficit passera de 4,1 % du PIB à 4,4 % cette année. Ce simple rappel contredit l’enthousiasme et la satisfaction du Gouvernement relatifs à l’exécution du budget de 2014. Cette situation, en effet, met directement en cause la souveraineté budgétaire de notre pays.

Nous notons aussi la dégradation des rentrées fiscales, qui connaissent une baisse de 12 milliards d’euros, dont 6 milliards d’euros pour le seul impôt sur le revenu. Certes, l’absence de croissance explique en partie ce phénomène, mais force est de le constater, plus la pression fiscale augmente, plus le produit réellement perçu chute par rapport à la prévision. Il faut sans doute y voir la conséquence des mesures fiscales adoptées par la majorité à l’Assemblée nationale.

L’impôt sur les sociétés a, quant à lui, rapporté 4 milliards d’euros de moins que prévu, conséquence tant de la baisse d’activité que du mitage dont il est l’objet, du fait des multiples dispositifs, de plus en plus complexes, de crédits d’impôt.

Mais, me direz-vous, il y a bien sûr des signaux positifs : le recul du prix du baril de pétrole, les taux d’intérêt bas, l’euro faible. Or ces faits ne sont pas dus à notre action. Ensuite, si ces signaux doivent annoncer des lendemains meilleurs, ils n’ont pas de traduction positive dans le présent projet de loi de finances rectificative ; vous nous avez habitués, monsieur le secrétaire d’État, aux annonces et aux paris non tenus !

On le constate, derrière les éléments classiques d’ajustement de crédits de fin d’année, la noirceur du diagnostic sur l’état de l’économie et sur les résultats de votre politique apparaît.

Mais, me direz-vous encore, ce projet de loi de finances rectificative comporte des mesures nouvelles. Il y en a même trop ! Je pense notamment aux taxes diverses et variées qu’il contient : en réalité, vous faites le plein avant 2015 !

Je relève par ailleurs – tous les gouvernements procèdent ainsi – des surprises, quelques singularités, qui auraient pu ou dû être exposées dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances initiale, mais qui se trouvent curieusement inscrites dans le présent projet de loi de finances rectificative, avec une caractéristique : taxes et nouveautés comprises, on frise l’overdose !

Cela étant, les dispositions nouvelles sont parfois positives ; je pense aux mesures de soutien à l’aviation civile. Elles sont néanmoins souvent négatives ou apparaissent comme bricolées, en tout cas impossibles à expertiser aussi rapidement ; je pense au financement du pass navigo en Île-de-France, à la fin de la prime pour l’emploi, ou encore aux dispositions relatives aux casinos. Je ne développerai pas mon propos sur ce point, faute de temps. Mme la présidente de la commission des finances et M. le rapporteur général, d’ailleurs, l’ont fort bien indiqué : trop de mesures ajoutées à l’Assemblée nationale, et pilotées par le Gouvernement,…

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Pas toutes !

M. Vincent Capo-Canellas. … obèrent largement ce projet de loi de finances rectificative.

Enfin, et ce sera ma dernière observation, au terme ou presque de l’exécution de l’année budgétaire, nous pouvons constater ensemble les difficultés de la France qui sont aussi les nôtres. Projet de loi de finances après projet de loi de finances, projet de loi de finances rectificative après projet de loi de finances rectificative, mesure après mesure, nous sommes face à la difficulté d’adaptation de notre pays. La situation budgétaire se dégrade, les marges et l’investissement des entreprises sont au plus bas, le chômage augmente. Cela doit nous amener à nous interroger collectivement sur l’efficacité des réformes et des mesures prises par ce gouvernement comme par ses prédécesseurs : l’accord national interprofessionnel ne produit pas les effets attendus, la réforme de la formation professionnelle est trop timorée, le pacte de responsabilité et de solidarité et le CICE ne donnent pas les résultats annoncés.

Est-ce une question de calibrage ou une simple question de délai, comme semble le penser le Gouvernement ? Nous ne pouvons pas nous en contenter et attendre que la croissance revienne. Les efforts du Gouvernement, si réels soient-ils, ne sont pas à la hauteur de la situation économique actuelle. Telle est notre conviction.

Je conclurai en vous disant, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’il nous faut fournir un effort plus important d’adaptation. Les déclarations des responsables européens sont de plus en plus explicites, pour le moins, sur ce sujet. Nous devons en avoir conscience : nous jouissons d’un sursis. Au-delà du risque qui est associé à ce dernier, il nous faut éviter le décrochage économique complet. C’est tout l’enjeu, ou plutôt la gageure, devrais-je dire, du projet de loi Macron, si tant est qu’il suffise, ce dont je doute.

Il faut donc aller plus loin. Ce défi est le vôtre, monsieur le secrétaire d’État, il est aussi celui de tout le pays. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung. (MM. Jacques Chiron et Jean Germain applaudissent.)

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, disposant d’un temps de parole inférieur à celui qui était imparti à Francis Delattre, je me contenterai, pour lui répondre, de faire miennes les observations formulées à l’instant par Jean Germain, et de me livrer à quelques remarques ponctuelles sur certains aspects du projet de loi de finances rectificative.

Je voudrais d’abord évoquer la question de la non-déductibilité de la taxe de risque systémique, ou TRS, et des futures contributions au Fonds de résolution unique, le FRU.

Lors de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dit «DDADUE» – nous l’avons examiné en commission mixte paritaire ce matin –, André Gattolin avait présenté un amendement visant à rendre non déductibles de l’impôt sur les sociétés les contributions au FRU. J’avais alors quelque peu hésité : le texte en question n’était pas de nature fiscale. De plus, au mois d’octobre, nous ne savions pas que la TRS allait être progressivement supprimée d’ici à 2019, parallèlement à la montée en charge, elle aussi progressive, des contributions au FRU. Compte tenu du nouveau contexte, il paraît logique de prévoir la non-déductibilité de la TRS et des contributions au FRU. Je ne partage donc pas le point de vue du rapporteur général en la matière.

M. Francis Delattre. On appelle cela de la flexibilité !

M. Richard Yung. Il s’agit en effet d’un point important de l’accord avec l’Allemagne.

M. Francis Delattre. Ce n’est pas ce que disait le rapporteur du texte voilà quelques semaines !

M. Richard Yung. Quel rapporteur ? Sur quel texte ? Je ne vois pas de quoi vous parlez, mon cher collègue. Je n’étais pas partie à la négociation et, en tout cas, je n’ai certainement pas tenu les propos que vous prétendez avoir entendus.

Il est tout à fait clair que l’Allemagne a considéré que la déductibilité des contributions des banques françaises au FRU était un problème, ses propres banques ne l’appliquant pas. Cela a donc fait partie du deal avec elle.

Cette mesure, bien sûr, ne rencontre pas l’assentiment du secteur bancaire, mais elle est à mon sens cohérente avec les objectifs fixés pour l’union bancaire : prévenir les crises bancaires et éviter que l’argent des contribuables et des épargnants ne soit utilisé pour renflouer les banques en difficulté, ce qui ne manquerait pas d’arriver dans le cas contraire.

M. André Gattolin. Très bien !

M. Richard Yung. Ensuite, en ma qualité de représentant des Français établis hors de France, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer votre écoute, monsieur le secrétaire d’État, et vous remercier d’avoir non seulement mis en place, mais également fait fonctionner le groupe de travail sur la fiscalité des Français établis hors de France.

Plusieurs réunions ont déjà eu lieu ; elles nous ont permis d’aboutir sur deux points.

Je veux parler, premièrement, de l’harmonisation des taux d’imposition des plus-values immobilières réalisées par les non-résidents. Les résidents établis dans des États situés hors de l’Espace économique européen étaient imposés au taux de 33,33 %, sans compter les 15 % dus au titre de la CSG, quand les résidents en France ou dans un État membre de cet espace se voyaient appliquer un taux de 19 %, en plus de la CSG. La fiscalité des non-résidents sera désormais harmonisée, ce qui est un grand succès pour nous tous.

Je veux parler, deuxièmement, du plafonnement du quotient familial pour les non-résidents qui contribue à renforcer l’égalité de traitement entre les contribuables.

Mais nous avons encore quelques dossiers importants devant nous, monsieur le secrétaire d’État. L’assujettissement aux prélèvements sociaux – CSG et CRDS – des revenus du patrimoine et de placement de source française perçus par les non-résidents pose problème, par exemple ; il sera examiné prochainement par la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE. On aurait pu anticiper ; vous avez fait un autre choix. Je vous pose dès lors une seule question : savez-vous quand la CJUE rendra sa décision ?

Je souhaiterais signaler, par ailleurs, qu’il faut améliorer l’information des contribuables établis à l’étranger. Rares sont ceux qui savent qu’ils peuvent jouir d’un taux d’imposition inférieur au taux minimum de 20 % s’ils apportent la preuve que le taux de l’impôt français appliqué à l’ensemble de leurs revenus mondiaux serait inférieur à 20 %. Il existe bien d’autres règles encore, qui sont à leur avantage, mais qu’ils ne connaissent pas du tout.

J’en viens maintenant à l’autoliquidation de la TVA due à l’importation, dont je me félicite. Il s’agit d’une mesure de simplification importante, qui permettra de limiter de façon significative la fraude à la TVA. On sait très bien que l’entrée des biens sur notre territoire, hors TVA, peut entraîner l’apparition de carrousels, qui se perdent bien souvent dans des sables inconnus, et représentent ainsi des pertes de TVA pour notre pays. Cette disposition sera également un facteur important d’attractivité des ports français, lesquels subissent, vous le savez, mes chers collègues, la rude compétition des ports de l’Europe du Nord. Elle devrait donc renforcer notre compétitivité en la matière.

En ma qualité de président du Comité national anti-contrefaçon, j’accueille avec beaucoup de plaisir la disposition prévoyant l’interdiction de la vente de tabac à distance dans un pays étranger. Cette mesure permettra non seulement de freiner le développement du marché parallèle, qui représente tout de même 25 % de la consommation française, mais aussi de lutter plus efficacement contre le commerce des cigarettes de contrefaçon, lesquelles comportent des risques supplémentaires, par rapport aux cigarettes, déjà nocives, pour la santé publique.

Avant de conclure, monsieur le secrétaire d’État, je me permets de vous faire une suggestion sur un point non abordé dans le projet de loi de finances rectificative, à savoir la fiscalité des brevets. En effet, tous nos partenaires européens mettent en place des politiques d’attractivité en matière de brevets, passant par la création de « patent boxes », des « boîtes à brevets », en réalité des taux réduits de fiscalité sur les revenus de propriété industrielle. Ces pays – la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Irlande, notamment – pratiquent donc, disons-le, une concurrence déloyale ; nous devons par conséquent nous défendre nous-mêmes et entamer une réflexion sur ce sujet.

En conclusion, je dirai que, dans le contexte macroéconomique actuel, qui a évidemment contribué à la dégradation de nos finances publiques, nous avons opté pour le sérieux budgétaire. À la brutalité des coupes dans les dépenses publiques, la France préfère l’adaptation du rythme de l’assainissement budgétaire.

Les bonnes nouvelles sur le front du déficit, rendues publiques aujourd’hui, ainsi que la hausse de 0,3 % du PIB enregistrée au troisième trimestre montrent que cette politique a des résultats encourageants. Nous espérons qu’elle ira plus loin, car nous avons besoin d’une croissance beaucoup plus forte.

Pour toutes ces raisons, avec mes collègues du groupe socialiste, je voterai le présent projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.

M. Jacques Chiron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ne disposant pas d’un temps de parole suffisant pour revenir sur les grands équilibres de ce projet de loi de finances rectificative, je m’en abstiendrai, d’autant que démonstration en a été faite par Michèle André, Jean Germain et Richard Yung.

J’examinerai en revanche des points plus spécifiques, qui concernent principalement la fiscalité. Le présent texte contient en effet une série de dispositions satisfaisantes.

Tout d’abord, il met l’accent sur la lutte contre la fraude. Certes, des flux trop importants sont encore exemptés de fait de l’impôt, mais, depuis 2013, budget après budget, le Gouvernement avance avec constance, en s’appuyant sur les décisions et recommandations de l’OCDE, à laquelle, monsieur le secrétaire d’État, tout comme Michel Sapin, vous apportez votre soutien.

Les moyens de la lutte contre la fraude à la TVA sont renforcés, ce qui entraîne une augmentation des recettes fiscales de l’ordre de 150 millions d’euros. L’action est concentrée sur des canaux de fraude qui ont émergé relativement récemment dans le domaine de la vente en ligne ou de la construction, ainsi qu’en matière de vente de véhicules d’occasion. Nous avons toutes les raisons de nous féliciter de cet effort.

Le texte du Gouvernement a été judicieusement complété par nos collègues de l’Assemblée nationale, notamment sur la question des prix de transferts, ces mécanismes de facturation de services entre entités d’une même multinationale qui donnent lieu à des pratiques d’optimisation fiscale. Il s’agit d’un problème récurrent, souvent évoqué dans cet hémicycle ou à l’occasion des différentes commissions d’enquête sur l’évasion et l’optimisation fiscales auxquelles, avec un certain nombre de collègues, j’ai pu participer.

Je salue pour ma part l’initiative du député Dominique Lefebvre qui a présenté un amendement tendant à éviter le règlement contentieux des litiges en la matière. Il s’est inspiré du fonctionnement de la cellule de régularisation des avoirs détenus à l’étranger, le service de traitement des déclarations rectificatives, créé au mois de juin 2013, qui donne des résultats extrêmement positifs, au-delà des attentes qui avaient été exprimées au moment de sa création et de certaines interrogations formulées à l’époque, dont je me souviens.

Il s’agit donc d’une proposition intéressante, qui peut permettre de fluidifier le règlement des différends et d’assurer ainsi la rentrée effective de ressources fiscales pour l’État.

Des dispositions visant à mettre un terme à une exemption fiscale dont bénéficient les sociétés concessionnaires d’autoroutes ont également été intégrées au texte par nos collègues députés. Si je partage profondément l’émotion qu’ont suscitée les rapports successifs de l’Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes, je sais aussi que le Gouvernement est actuellement au cœur d’une négociation qu’il n’est pas souhaitable de déstabiliser par des prises de position pouvant se révéler contreproductives. C’est la raison pour laquelle je me rangerai à la position que le Gouvernement estimera être la plus sage, étant donné sa prise de conscience de l’affaiblissement du poids de l’État dans le rapport contractuel en cause.

Je rappelle d’ailleurs que ce dernier a été institué en 2005 par un autre gouvernement sous la forme d’une cession de gré à gré, laquelle a entraîné la situation actuelle. Monsieur le secrétaire d’État, je note votre volonté de reprendre la main sur le sort de nos autoroutes.

Les taxes non déductibles ayant été évoquées par mes collègues André Gattolin et Richard Yung, je n’y reviendrai pas.

Même si j’ai bien conscience que ce sujet déborde le strict cadre de la discussion qui nous occupe aujourd’hui, je voudrais néanmoins examiner maintenant les enjeux du régime fiscal réservé aux instances qui organisent des événements sportifs exceptionnels, dont les retombées économiques singulières seraient supérieures à leur coût fiscal, en particulier l’UEFA, dans le cadre de l’organisation de l’Euro de football qui aura lieu en 2016. Il s’agissait d’assurer la nécessaire continuité de l’État et de confirmer la crédibilité de la parole de la France. En même temps, nous devons a minima éprouver une certaine gêne face à l’argument selon lequel, si nous voulons continuer à accueillir de grands événements sportifs contribuant au rayonnement de notre pays, nous devrions impérativement concevoir des mécanismes de contournement de l’impôt, dont nous combattons par ailleurs le principe.

Compte tenu de ces contraintes, la position adoptée me paraît relativement équilibrée : nous sommes d’accord pour confirmer les engagements de la France, mais nous n’avons pas vocation à pérenniser ce genre de niches fiscales géantes.

Du reste, comme cela a été mentionné en commission des finances, il est nécessaire aujourd’hui de trouver des relais auprès de la Commission européenne, de l’OCDE, et d’engager une réflexion forcément collective et internationale pour éviter que de tels événements ne laissent derrière eux des pays au bord de la faillite, comme la Grèce après les jeux Olympiques de 2004, ou proches de la guerre civile, comme le Brésil à la suite de la Coupe du monde de football de 2014.

Enfin, je souhaite évoquer un amendement, dont l’adoption n’aurait pour effet ni dépenses ni recettes, qui vise à alléger les contraintes administratives pesant sur les véhicules d’investissement créés par ce que l’on appelle les « business angels ». Ceux-ci sont très présents dans la région Rhône-Alpes, en particulier à Grenoble. Il s’agit de personnes physiques qui investissent, à titre personnel, entre 5 000 euros et 20 000 euros dans le cadre d’une société d’investissement de business angels. Ces fonds sont contrôlés par un expert-comptable.

Lorsqu’une jeune entreprise qui présente un projet jugé porteur d’innovations relevant de nouveaux segments d’activités n’est pas écoutée par le secteur bancaire – ce que l’on peut regretter –, elle est accompagnée par le tutorat d’un comité d’investisseurs, qui débloque les fonds nécessaires mis en réserve et soutient son développement. Le montant de ceux-ci se situe généralement entre 100 000 et 200 000 euros.

Vous l’avez compris, il s’agit de structures légères, réactives, qui comportent une prise de risque par des personnes physiques et qui n’emploient pas de salarié afin de consacrer l’intégralité des sommes récoltées à l’investissement - je reviendrai sur le fait qu’on leur imposait auparavant deux salariés.

Depuis leur création, plus de 200 entreprises ont été accompagnées et ont créé plus de 20 000 emplois.

À ce propos, dans une étude, la Banque publique d’investissement a relevé la forte incidence de ce type d’aides à l’investissement sur le décollage de jeunes entreprises innovantes, comme nous l’a exposé son directeur général au début de l’année en nous présentant son bilan.

L’assouplissement des conditions d’investissement des business angels proposé me paraît salutaire et s’inscrit dans le cadre plus global de l’activation de tous les leviers favorables à la croissance dans le présent projet de loi de finances rectificative.

En conclusion, parce qu’il traduit l’esprit de responsabilité du Gouvernement et qu’il intègre de vrais marqueurs de solidarité et de justice sociale, je soutiendrai naturellement avec mes collègues socialistes, monsieur le secrétaire d’État, le texte que vous nous soumettez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Étant donné l’heure tardive, je m’efforcerai d’être bref. La discussion des articles permettra d’examiner chaque sujet abordé.

M. Richard Yung. Il faut répondre à M. Delattre !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je vous prie d’ores et déjà, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir m’excuser de ne pouvoir être parmi vous demain, car je dois être présent à l’Assemblée nationale. Cependant, vous ne perdrez pas au change ! (Sourires.)

Sur la forme, plusieurs orateurs se sont étonnés de la brièveté des délais d’examen du présent texte. Je ne suis pas responsable de l’organisation de vos travaux, mais je conçois que l’introduction d’un grand nombre d’articles nouveaux par l’Assemblée nationale puisse être source de difficulté et perturber votre travail, ce que je ne peux que regretter. Cela étant, la version initiale du projet de loi de finances rectificative était connue depuis suffisamment longtemps, comme c’est la règle. Je cherche non pas à me défausser sur l’Assemblée nationale, mais simplement à vous montrer que je ne suis pas responsable de tout.

Je le reconnais, certains amendements présentés à l’Assemblée nationale ont parfois été inspirés par le Gouvernement ; mais ce n’est pas le cas de tous. Du reste, ils n’émanaient pas tous de Bercy. En effet, certains de mes collègues suggèrent des mesures à des parlementaires. (M. Francis Delattre s’exclame.) Vous êtes des parlementaires avertis, vous savez que cela arrive parfois aussi au Sénat ! Je n’en dirai pas plus.

Par ailleurs, pour ce qui concerne les temps de parole, la conférence des présidents est souveraine.

Cela étant, monsieur Delattre, vous n’êtes ni mon maître ni mon élève, et je ne suis ni juge ni procureur. Si j’ai marqué quelque irritation à un moment donné de votre intervention, c’est parce que vous avez évoqué à propos du CICE des chiffres faux (M. Francis Delattre proteste.) qui font référence à une base elle-même fausse.

Effectivement, nous avons estimé le coût du CICE, en année pleine, lorsque le mécanisme connaîtra son entière puissance, à 20 milliards d’euros. Le problème, monsieur Delattre, réside dans le fait que vous avez cité ce montant au titre de 2014. Or nous avions évalué le coût du CICE cette année à 12 milliards d’euros et non à 20 milliards d’euros.

Il ne vous a pas échappé, à vous qui suivez nos travaux, que les impôts sur les résultats de 2013, année pour laquelle le CICE était équivalent à 4 % de la masse salariale, sont perçus en 2014, et que les impôts sur les résultats de l’année 2014, pour laquelle le CICE s’élève à 6 %, seront perçus en 2015.

M. Francis Delattre. J’évoquais la publicité faite !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ensuite, seuls 6,5 milliards d’euros auraient été dépensés. Tout d’abord, au lieu de comparer cette somme à 20 milliards d’euros, vous auriez dû la comparer aux 12 milliards d’euros précités.

M. Francis Delattre. J’ai parlé de 7,2 milliards d’euros !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. J’ai dû mal entendre, alors prenons ce chiffre.

Là encore, si vous suivez attentivement nos travaux, vous savez qu’il faut distinguer trois situations pour le CICE, comme pour tous les crédits d’impôt. Soit il est octoyé aux entreprises lorsqu’elles ne paient pas d’impôt, comme cela arrive souvent. Soit c’est simplement le supplément qui est versé à l’entreprise : ainsi, si une société doit acquitter 100 d’impôt et recevoir 150 de crédit d’impôt, elle percevra alors 50. Soit, à partir des entreprises de taille intermédiaire et pour les plus grandes des entreprises, le CICE est versé avec un décalage dans le temps, puisqu’il est lissé sur trois ans selon un mécanisme progressif.

Par conséquent, entre le coût du CICE de 12 milliards d’euros et ce qui est effectivement inscrit au budget, il faut prendre en compte une partie qui est non pas une dépense, mais une moindre recette, puisqu’il s’agit d’un dégrèvement de l’impôt.

Quand on additionne ce qui a été payé – ce sont probablement les 7,2 milliards d’euros que vous évoquez – et la créance des entreprises sur l’État, c’est-à-dire une moindre recette d’impôt pour ce dernier, on arrive aujourd’hui à 10,6 milliards d’euros.

Aussi, si vous voulez effectuer une comparaison pertinente avec les estimations, il faut que vous compariez non pas 7,2 milliards d’euros à 20 milliards d’euros, mais 10,6 milliards d’euros à 12 milliards d’euros, sachant que les 10,6 milliards d’euros ne correspondent encore qu’à une donnée provisoire et que les entreprises ont trois ans pour demander leur crédit d’impôt. Vous savez que l’on peut toujours modifier son impôt dans les trois années qui suivent, par conséquent ce chiffre est probablement appelé à évoluer. Ainsi certaines entreprises ont préféré demander le CICE l’année suivante au titre de l’année antérieure, soit parce qu’elles bénéficiaient par exemple du crédit d’impôt recherche, soit parce que le CICE auquel elles avaient droit était modeste. Elles ont alors estimé préférable de cumuler le CICE sur plusieurs années, ne jugeant pas utile de bénéficier de liquidité l’année dite.

Telles sont les raisons pour lesquelles j’ai marqué une petite irritation, monsieur Delattre. Ma légère exaspération ne concernait pas le fond de vos propos, qui étaient évidemment, comme d’habitude, très mesurés.