M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe UMP.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie agroalimentaire occupe une place essentielle dans notre économie : elle demeure notre premier secteur économique par son chiffre d’affaires, qui est de 161 milliards d’euros par an, comme par le nombre d’emplois qu’elle représente, qui est presque de 500 000.

Avec l’aéronautique, l’agroalimentaire joue donc un rôle stratégique dans notre activité économique. Je rappelle que, avec le soutien de l’État et de votre administration, monsieur le ministre, ce secteur a enregistré en 2013 une croissance de ses exportations plus forte que tous les autres.

Il faut aussi souligner la stabilité des effectifs employés par l’agroalimentaire : de fait, elle est le seul secteur industriel à avoir pratiquement maintenu le nombre de ses emplois depuis les années soixante-dix. Ces emplois sont de surcroît répartis sur nos territoires.

Le présent débat nous invite à réfléchir aux freins à la production et aux futurs leviers de croissance pour ce secteur. Mon intervention s’ordonnera autour de trois axes.

En premier lieu, je m’attacherai aux enjeux du XXIe siècle auxquels l’agroalimentaire va devoir faire face. L’expansion démographique mondiale sera-t-elle une chance pour notre industrie agroalimentaire, ou bien regarderons-nous les autres saisir les occasions qu’elle offre ? De fait, l’accroissement démographique à travers la planète place notre pays devant un véritable défi : l’agriculture et l’industrie agroalimentaire françaises auront-elles la volonté et les moyens d’investir les nouveaux marchés qui vont s’ouvrir ?

La diversité considérable de nos terroirs et de nos savoir-faire est notre chance, de même que la grande variété de nos agricultures et de nos entreprises agroalimentaires. Peu de pays au monde jouissent d’une si grande diversité !

Nous pouvons également compter sur la force de frappe de notre industrie agroalimentaire, qui est capable de rivaliser avec ses concurrentes étrangères, ainsi que sur la qualité de nos produits, fruit d’efforts de traçabilité et de respect des normes environnementales alliés au souci de la compétitivité.

Pour répondre à cette demande, il est nécessaire d’adopter une politique offensive. Ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, nous avons su créer la capacité de production requise. Nous avons garanti la satisfaction alimentaire à la population, tout en participant à une amélioration sans précédent de l’espérance de vie en France.

Il est temps d’adopter une vision positive des progrès techniques, car ils permettront à notre agriculture et à notre industrie agroalimentaire de répondre aux défis du temps tout en s'inscrivant dans une démarche environnementale et sociale responsable.

Aussi, monsieur le ministre, il faut avoir le courage de dire que les biotechnologies peuvent apporter des réponses et assurer la compétitivité de nos filières agroalimentaires, pourvu que l’on se dote de véritables pôles de recherche en la matière, sans abandonner ce terrain à nos concurrents étrangers. La France doit consacrer toute son énergie à adapter ses outils industriels et à rester compétitive.

Je dirai un mot sur la silver economy : le vieillissement de la population – un sujet qui sera abordé la semaine prochaine au Sénat – crée un nouveau marché, et, là encore, il est nécessaire de saisir cette occasion.

Le deuxième point que je souhaitais évoquer concerne la fin des quotas laitiers. En effet, nous sommes maintenant à quelques jours d’un événement historique.

Depuis la création de la politique agricole commune, il était gravé dans le marbre qu’un paysan pouvait produire même sans clients, puisque l'Europe payait – d’où les montagnes de beurre et de poudre de lait… (M. le ministre acquiesce.)

Ensuite, nous avons eu les quotas laitiers, qui ont eu l’avantage d’attacher, dans les territoires, la production laitière à la production industrielle. C'était la première fois que le secteur laitier, dès lors qu’il n’avait plus de débouchés, n’avait pas non plus de client. C'était aussi la première fois que l'Europe abandonnait d’une manière responsable la filière laitière.

À cet égard, je voudrais vous encourager, monsieur le ministre, à prendre des initiatives pour que les producteurs aient encore envie d’investir. Vu les conditions d’emprunt actuelles, je pense qu’il serait temps d’accorder, comme le font certains pays, des prêts de carrière à taux zéro. Je sais que vous travaillez sur le plan de modernisation des bâtiments, mais pour encourager ceux qui, d’une façon générale, veulent se lancer dans des investissements lourds, je vous conseille vivement de trouver les moyens de mettre en place un filet de sécurité.

Le troisième et dernier point que je voulais évoquer concerne l’obligation qu’a notre pays d’afficher une politique très claire et volontariste en matière agroalimentaire. Nous avons une chance formidable avec l’espace, l’eau et le savoir-faire dont nous disposons. Toutefois, nous sommes toujours très timides ; nous sommes toujours piégés par notre incapacité à arbitrer entre politique environnementale et volontarisme industriel.

Monsieur le ministre, si nous ne donnons pas confiance aux producteurs et aux entreprises agroalimentaires, si nous ne définissons pas de règles précises, si nous n’avons pas une stratégie et une ambition, la France passera effectivement à côté d’une occasion absolument formidable pour ses territoires.

C'est cette confiance et cette dynamique que je voulais évoquer aujourd'hui avec vous. C'est cette chance qu’a la France, forte de la diversité de son pôle agroalimentaire, d’écrire de nouvelles pages d’histoire dans ce secteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste.

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux qu’ait été organisé ce débat sur l’une des principales forces de notre pays : son industrie agroalimentaire. Je remercie notre collègue, Françoise Gatel, de cette initiative.

Je souhaite rappeler à mon tour les bons chiffres – quand il y en a, autant insister ! – du secteur, même s’ils sont connus. Les industries agroalimentaires en France représentent 160 milliards d’euros de chiffre d'affaires, près de 500 000 emplois directs et près de 12 000 entreprises ! Elles constituent le premier secteur industriel français.

Parfaitement connecté avec l’amont agricole, ce secteur achète et transforme 70 % de la production agricole française. Sa contribution positive à la balance commerciale nationale, à hauteur de 9,2 milliards d’euros, en fait le deuxième atout de la France, juste derrière l’aéronautique. La France se tient à la quatrième place mondiale des exportateurs en ce qui concerne l’agroalimentaire. La viticulture contribue pleinement à ces bonnes performances ; bien sûr, en tant que viticulteur, je m'en félicite !

Malgré les drames économiques et sociaux connus de tous et contre lesquels le Gouvernement a fait son maximum – Gad et Doux notamment – et malgré les conséquences de la crise russe, l’association nationale des industries agroalimentaires estime avoir plutôt bien résisté à la crise.

Il y a quelques bonnes nouvelles dont nous pouvons nous enorgueillir, avec, on l’a dit, des investissements étrangers sur notre territoire – je pense à l’investissement chinois dans la poudre de lait dans le Calvados – qu’explique la séduction exercée par nos produits, et de nouveaux marchés ouverts à l’exportation – je pense encore à la Chine, concernant cette fois le jambon de Bayonne. Au total, l’an dernier, quelque 1 400 emplois ont été créés dans le secteur agroalimentaire, l’un des premiers à inverser la courbe du chômage.

Le tableau que je viens de vous brosser pourrait laisser penser que tout va pour le mieux dans le monde de l’industrie agroalimentaire. Pour autant, il y a des points d’achoppement, notamment dans les relations entre distributeurs et producteurs.

Le Gouvernement s’est saisi de ces enjeux. Engagée par Mme Delga, M. Montebourg et vous-même, monsieur le ministre, une prise de conscience inédite s’est opérée sur l’inégal partage des marges entre distributeurs et producteurs. Au sein de l’exécutif, beaucoup ont accepté l’expression de « guerre des prix », longtemps taboue. D’ailleurs, lors du salon de l’agriculture, j’ai eu le plaisir de réentendre Mme Delga et vous-même déclarer : « La guerre des prix est arrivée à ses limites, car les bons produits ont un coût, et nous devons avoir comme objectifs la qualité et la protection de la santé. »

Si la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », a déjà corrigé les aspects les plus dangereux de la loi de modernisation de l’économie de Mme Lagarde, il reste des progrès à accomplir.

Le décret instituant le nouveau dispositif de sanctions – ainsi élargies et renforcées – des pratiques abusives introduit par loi Hamon a été publié le 30 septembre 2014. Le décret sur la clause de renégociation des prix en cas de forte volatilité des coûts des matières premières a été publié le 18 octobre 2014. Enfin, le Gouvernement a saisi l’autorité de la concurrence au sujet du rapprochement de certaines enseignes de la distribution annoncé en octobre 2014, ce qui a remodelé considérablement le paysage et donc l’équilibre des forces dans les négociations.

J’utilise le terme de « négociation », mais nous connaissons tous le rapport de forces déséquilibré qui prévaut trop souvent : le racket au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – le CICE – est une réalité contre laquelle les services de l’État luttent quotidiennement. Espérons que les conclusions de l’Autorité de la concurrence rebattront un peu les cartes.

Il est difficile d’aborder les problématiques agroalimentaires sans évoquer des enjeux qui, au premier abord, peuvent sembler purement agricoles. C’est par exemple le cas concernant la certification : s’agit-il d’une question qui concerne les exploitants, les industriels ? Il faut évidemment prendre en compte l’ensemble de la filière pour être complet.

Ainsi, lors du salon de l’agriculture, j’ai été interpellé sur l’initiative de M. Jégo. J’ai beaucoup de respect pour le label « Origine France garantie » qu’il a créé et qui contribue au rayonnement du made in France dans notre pays. Toutefois, j’ai quelques doutes concernant sa remise en cause par amendement, dans la loi pour la croissance et l’activité, de la démarche « Viandes de France ». (M. le ministre acquiesce.)

M. Jégo définit comme une pratique commerciale frauduleuse toute utilisation du drapeau tricolore sur un produit vendu en France qui ne bénéficie pas d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique ou qui n’a pas fait l’objet d’un processus de certification attestant son origine française. En l’état actuel de sa rédaction, cet article reviendrait à interdire, demain, la démarche « Viandes de France » lancée et contrôlée par l’ensemble des filières de viandes françaises et par les services de l’État.

En effet, INTERBEV, la filière de la viande bovine, précise que, juridiquement, Viandes de France n’est pas une appellation d’origine, ni une indication géographique, ni un processus de certification. Pour autant, Viandes de France est soumis à un contrôle permanent réalisé par des organismes indépendants, qui est gage de qualité et de confiance.

J’aimerais, monsieur le ministre, avoir quelques éléments concernant votre position sur ce sujet. Comme beaucoup d’entre nous, je soutiens toutes les démarches valorisant le made in France. Néanmoins, je trouverais regrettable que l’on remette en cause le travail effectué sur Viandes de France.

Bien sûr, les labels et appellations constituent l’un des atouts de notre agriculture, ainsi qu’une reconnaissance de qualité. Riz, sel, taureau de Camargue, Roquefort, Comté, Piment d’Espelette, volailles du Languedoc, beurre d’Isigny : à travers les seuls noms de ces produits sont évoqués un territoire, marqueur fort d’une identité et d’une compétence.

Chacun, dans nos régions et nos départements, nous sommes fiers de citer nos produits qui révèlent un savoir-faire et une culture teintée d’art de vivre. Dans l’Hérault – j’y reviendrai –, je peux citer spontanément des dizaines de produits, du navet de Pardailhan à l’huître de Bouzigues en passant par les Pélardons que l’on déguste avec nos vins, reflets de nos territoires.

En effet notre pays s’est engagé depuis plus d’un siècle sur la voie de la qualité et de l’origine des produits agricoles et agroalimentaires. C'est un gage de protection qui permet aux producteurs et aux acteurs économiques d’arborer la diversité, la qualité et la typicité de leurs produits. C'est aussi un gage d’image et de notoriété pour notre pays, dont la gastronomie est célèbre dans le monde entier.

Insister sur ces noms de produits, les valoriser, les porter avec fierté et afficher ces chiffres de réussite démontre que la France a su relever de nombreux défis : ceux de la concurrence mondiale, de l’évolution des goûts des consommateurs et de la transformation des métiers. Cela montre aussi la détermination de nos agriculteurs et de toutes les filières, qui ont su s’adapter, produire et vendre mieux, non seulement sur les marchés intérieurs, mais aussi à l’export, en s’engageant fermement sur la voie de la qualité.

Ce sont là des enjeux et une stratégie que le Gouvernement, sous votre pilotage, monsieur le ministre, a su concrétiser l’an dernier avec la loi d’avenir agricole. Nous nous devions de nous poser les bonnes questions, pour que, demain, la France soit toujours citée pour son modèle agricole, ses agriculteurs responsables et ses industries.

Ces enjeux sont à la base du triptyque du développement durable.

Tout d'abord, il y a les enjeux sociaux : quel devenir pour les métiers de la terre et de la mer ? Quel avenir pour nos jeunes, avec tous les problèmes de transmission d’exploitations que l’on connaît ?

Ensuite, viennent les enjeux économiques : il s'agit de maintenir l’industrie agroalimentaire à sa place de deuxième employeur de l’Hexagone, de soutenir les entreprises dans leur volonté de modernisation et de favoriser les groupements pour faciliter la mutualisation.

Enfin, il y a les enjeux environnementaux : préserver la ressource en eau, le foncier face à l’artificialisation des terres et, bien sûr, la biodiversité.

Dans l’Hérault, j’aime répéter que nous devons viser une agriculture qui soit raisonnée et raisonnable, pour pouvoir être durable. De nombreux agriculteurs se sont tournés vers le bio. En termes de surfaces, le Languedoc-Roussillon est le premier vignoble en France en agriculture biologique. Parmi les exploitants, ceux qui se sont lancés depuis des années dans cette nouvelle façon de produire – certains étaient de vrais pionniers, qui ont engagé une évolution des pratiques et des mentalités – l’ont fait à double titre : dans une démarche de conscience, mais aussi de stratégie d’entreprise.

Ils se sont posé les bonnes questions : quelle terre pour demain ? Comment développer la compétitivité tout en préservant l’environnement ? Grâce à la traçabilité et à des cahiers des charges précis et exigeants, tout en s'engageant auprès des consommateurs français, ils ont gagné en termes d’image à l’international.

En effet, les goûts et les habitudes d’achat ont évolué, avec en toile de fond des préoccupations de santé, d’art de vivre et de « bien consommer ». Les exemples concrets sur mon territoire comme sur les vôtres, monsieur le ministre, sont tellement nombreux qu’il est impossible d’en dresser des listes exhaustives. Ils concernent la biodiversité, les circuits courts et les démarches qualité.

À Clermont-l’Hérault, notre huilerie coopérative s’est engagée dans la labellisation AOC de son huile d’olive, alors que nos taureaux de Camargue ont déjà obtenu ce label, tout comme une soupe de poisson à Sète. Cela souligne les partenariats engagés sur l’ensemble de la chaîne : du producteur jusqu’au distributeur, pour arriver chez le consommateur.

Agrilocal est également un exemple fort de la valorisation des circuits courts – j’en ai déjà parlé dans cet hémicycle. Née dans la Drôme, cette plateforme concrétise le slogan « du producteur au consommateur ». Et ça marche ! Aujourd’hui, ce sont plus de 3 000 producteurs et artisans qui vendent directement via cet outil dans toute la France. Je me félicite de la déclinaison nationale de la généralisation des circuits courts que vous avez opérée, monsieur le ministre.

Le 2 décembre 2014, un guide pratique pour favoriser l’approvisionnement local et de qualité en restauration collective a été diffusé aux élus de la France entière. Il offre aux donneurs d’ordre les outils juridiques permettant d’accorder toute leur place aux produits locaux, dans le respect du code des marchés publics.

Plus largement, en Languedoc-Roussillon, plus de 20 % des exploitants agricoles vendent en circuit court – les chiffres atteignent même 56 % pour les producteurs de miel et 46 % pour les producteurs de légumes. C’est dire l’intérêt des agriculteurs pour ce moyen de diversification de leurs revenus.

La biodiversité, l’agriculture raisonnée et bien sûr l’agriculture biologique, relayées ensuite via des circuits de proximité, sont autant de réponses qui conjuguent l’éthique, le respect de la terre et les préoccupations sociales et humaines.

L’agroalimentaire français peut donc compter sur l’engagement et l’audace de ses agriculteurs et de ses chefs d’entreprise. Le Gouvernement soutient ces démarches d’avenir. Ainsi, le 30 janvier 2015, vous avez annoncé, monsieur le ministre, le lancement d’une version 2 du plan Écophyto, avec notamment un objectif de réduction de 25 % de l’usage des pesticides à l’horizon 2020 et de 50 % d’ici à 2025.

Le plan précédent visait une réduction de 50 % des pesticides en dix ans. Or aucune tendance à la baisse n’a pu être observée depuis son lancement en 2008, même si une « révolution culturelle est en marche ».

Afin de mettre en œuvre le projet agroécologique porté par la majorité, le nouveau plan se structure autour de six axes : agir aujourd’hui et faire évoluer les pratiques ; améliorer les connaissances et les outils pour demain et encourager la recherche et l’innovation ; évaluer et maîtriser les risques et les impacts ; inscrire le plan dans une logique de territoires et de filières ; accélérer la transition vers le zéro phyto dans les jardins et espaces à vocation publique ; communiquer et renforcer le suivi du plan.

Pour conclure, j’ajouterai que nous avons le devoir, en tant que parlementaires, de soutenir nos agriculteurs sur la voie de l’excellence, en leur proposant quelques pistes d’amélioration : clarifier les labellisations pour une meilleure compréhension et lisibilité des consommateurs ; simplifier les procédures et raccourcir les délais d’obtention d’un label ; inciter à une relation de qualité entre les producteurs et les distributeurs pour améliorer les marges dans un juste équilibre pour chacun. C’est important, car il y va de la survie de certaines exploitations.

L’innovation est un facteur clef de la compétitivité de notre industrie. La filière agroalimentaire est constituée à 98 % de PME et TPE, qui consacrent moins de 1,8 % de leur valeur ajoutée à la recherche et au développement. C’est peut-être là que réside notre faiblesse.

Je sais, monsieur le ministre, que le Gouvernement avait de grandes ambitions en la matière : le contrat de filière alimentaire, signé en juin 2013, prévoyait en effet que le programme d’investissements d’avenir, ou PIA, permette de soutenir les projets de modernisation – mécanisation, robotisation et utilisation du numérique – des entreprises alimentaires ayant pour objectifs d’améliorer leur productivité. Au moment où le Président de la République annonce un rechargement du PIA, que pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, sur ce sujet ?

La filière agroalimentaire doit s’inscrire dans la logique d’un aliment bien-être et durable, d’un emballage intelligent et d’une usine du futur. Les perspectives de développement passeront par la capacité à s’insérer parfaitement dans l’internationalisation des échanges, ainsi qu’à remplir les exigences liées à la sécurité, à la qualité et à l’environnement. (M. André Gattolin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les chiffres ont déjà été cités. Comme ils nous font plaisir, je n’hésiterai pas à les rappeler !

Premier producteur européen, quatrième exportateur mondial, un chiffre d’affaires global supérieur à 160 milliards d’euros, 600 000 personnes employées, près de 13 000 entreprises : nous ne pouvons qu’être fiers de l’industrie agroalimentaire française.

Ce tableau élogieux cache cependant des réalités parfois plus sombres. Il est ainsi impossible de passer sous silence la crise de la filière porcine, qui dure depuis plusieurs années et qui, malgré les efforts déployés, ne semble pas en passe d’être résolue.

M. Michel Canevet. C’est vrai !

M. André Gattolin. Nous avons laissé la qualité de nos productions se dégrader, en adoptant pour seule vision les volumes de production, la minimisation des coûts et la standardisation. Les salaisonniers français s’approvisionnent même désormais à l’étranger pour trouver des porcs adaptés à la production de jambon sec. On importe des produits à plus forte valeur que ceux que nous exportons !

Il est urgent d’opérer une transition qualitative pour redresser la filière. Cela commence par mettre les porcs sur la paille, et non les éleveurs. (Sourires.)

Le secteur laitier est également en crise. La situation est en passe de s’aggraver lourdement avec la suppression des quotas au 1er avril prochain, laquelle ne relève malheureusement pas du canular.

L’organisation européenne des producteurs laitiers, le European Milk Board, enjoint les décideurs européens à mettre en place un « programme de responsabilisation face au marché », pour contrer une éventuelle catastrophe.

Ce programme obligerait les producteurs augmentant leur production en dépit d’une saturation du marché à payer une taxe, tandis qu’il accorderait une prime à ceux qui réduiraient leur production. Ce système de régulation pourrait éviter une surproduction massive du marché dans un contexte baissier.

De même, la fin du système de négociation du prix par l’ensemble des acteurs de la filière, sans qu’il soit remplacé par un autre mécanisme, a pour effet d’étrangler les producteurs : une augmentation des marges des distributeurs est observée à leur détriment, ce qui n’est d’ailleurs pas un problème propre au seul marché du lait.

Nous avons la chance, en France, de posséder un outil productif de très grande qualité, des savoir-faire reconnus dans le monde entier, une culture alimentaire et culinaire classée au patrimoine immatériel de l’humanité. Nous devons être à la hauteur de notre réputation et chercher inlassablement la qualité de nos productions, plutôt que les volumes de production ou la baisse des coûts.

Notre agriculture, qui est à la base de notre industrie agroalimentaire, est en pleine mutation. Nous devons accompagner une telle transformation. C’est d’ailleurs le sens de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, défendue par vous-même, monsieur le ministre, et adoptée en octobre dernier. Nous sommes aujourd'hui à un tournant économique, écologique et climatique : les choix que nous opérons en ce moment sont lourds de conséquences, positives comme négatives.

Globalement, le fond de mon propos tient en quatre mots : indépendance, relocalisation, agroécologie et gouvernance alimentaire.

Si l’indépendance est aussi importante, c’est parce que, malgré la puissance de notre agriculture, nous ne sommes absolument pas autosuffisants sur le plan alimentaire. Pour citer un seul exemple, un million d’hectares de terres en Amérique latine servent à faire pousser du soja destiné uniquement à nourrir les élevages intensifs de Bretagne !

J’en viens à la relocalisation. Aujourd’hui comme hier, un pot de yaourt peut effectuer 5 000 kilomètres en camion avant d’arriver sur notre table. J’ignorais que la Normandie était aussi éloignée de Paris ! Les circuits courts, l’agriculture bio, les fermes de proximité, sont bien plus intensives en emploi et bien plus respectueuses de l’environnement que la monoculture.

Vous avez contribué à populariser le terme d’agroécologie, monsieur le ministre, et nous vous en remercions.

Jusqu’à présent, nous avons préféré mettre des chimistes dans les champs. Toutefois, ce sont les agronomes qui nous permettront de restaurer les sols, pour qu’ils deviennent riches et vivants, en diminuant drastiquement la quantité d’intrants chimiques que nous épandons. Il faudra aussi réfléchir à la manière de rémunérer les services écosystémiques rendus par les sols et l’agriculture en général, afin d’accélérer la transition indispensable que nous appelons de nos vœux.

Nous devons suivre le nouveau modèle agricole promu par la réforme de la PAC, dont l’objectif est d’aider d’abord les exploitations de taille petite et moyenne. Les « fermes usines » sont donc à bannir.

Je renouvelle ici la requête formulée dans cet hémicycle à deux reprises par mon collègue Joël Labbé, qui vous a demandé, monsieur le ministre, un chiffrage financier précis du coût des externalités négatives de l’agriculture industrielle classique et des bénéfices que nous retirons des externalités positives d’une agriculture reposant sur les principes de l’agroécologie.

Enfin, je veux souligner la nécessité d’une véritable gouvernance alimentaire mondiale. Nous ne pouvons plus continuer de tolérer la spéculation financière sur les denrées alimentaires ; nous ne pouvons plus tolérer que certains pays soient dépossédés de leurs terres, celles-ci étant vendues au plus offrant, à défaut d’être exploitées par leurs habitants.

Monsieur le ministre, pour conclure, j’évoquerai la décision que vous avez prise de réduire de 25 % les aides au maintien en agriculture biologique pour 2014.

Parce qu’elle fait le choix de ne pas dégrader notre environnement commun, l’agriculture biologique est plus soumise aux aléas de production que l’agriculture chimique. Si les aides de long terme à l’agriculture biologique sont elles-mêmes soumises à des aléas, le soutien à cette filière, dont se prévaut le Gouvernement, perd tout son sens.

Votre ministère évoque dans la presse des « contingences techniques ». Il est crucial, monsieur le ministre, d’apporter une réponse politique. Les quelques millions d’euros qui font défaut ne doivent pas peser sur cette filière d’avenir qui est fragile. Les écologistes comptent sur vous ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, pour le groupe CRC.

M. Patrick Abate. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous saluons la tenue de ce débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire. De nombreuses questions sont posées depuis de nombreuses années. Je souhaiterais pour ma part aborder deux points : les négociations commerciales et les quotas laitiers.

Les négociations commerciales entre la grande distribution et les entreprises agroalimentaires relèvent, convenons-en, d’un exercice de funambule. Les négociations pour 2015 n’ont pas échappé à la règle. Comment peut-il en être autrement, alors que quatre grandes centrales concentrent désormais 93 % des achats ?

À cet égard, la commission des affaires économiques a reconnu en octobre dernier l’existence d’un déséquilibre persistant des rapports de forces, au détriment des producteurs de produits agroalimentaires, et de tensions récurrentes que rien ne semble pouvoir apaiser.

C’est pourquoi elle a décidé de saisir pour avis l’Autorité de la concurrence, afin de « mieux identifier l’impact de la concentration des centrales d’achat de la grande distribution sur le marché d’approvisionnement en produits agroalimentaires ».

Nous sommes encore une fois dans l’attente de propositions pour améliorer la situation face à la concentration des achats de produits agroalimentaires et, donc, de solutions pour les acteurs de toute la filière agricole, durement touchée par la crise.

Ce déséquilibre des rapports de force n’est pas nouveau, et le Gouvernement le souligne dans chacune de ses réponses aux questions de nombreux parlementaires. La déréglementation des relations commerciales entre producteurs et distributeurs, notamment par la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, a affaibli les producteurs. Tous les responsables du monde agricole en conviennent, la grande distribution maintient une pression à la baisse sur les prix d’achat, obligeant les producteurs à vendre bien en deçà de leurs coûts de production.

Ces situations de dépendance économique continuent de favoriser les mauvaises pratiques. Après le déni de négociation de la part des grandes enseignes, l’association des industries agroalimentaires dénonce, entre autres choses, l’apparition de demandes de compensation de marges rétroactives jusqu’en 2013 et l’augmentation des déréférencements partiels lors de la période de négociation. Or ces négociations ont un impact sur toutes les filières agricoles.

Le problème de fond des agriculteurs et des pêcheurs est clairement identifié : l’absence de garantie d’un prix de vente rémunérateur pour leur production.

Or la contractualisation décidée par le gouvernement précédent n’empêche pas la concurrence entre producteurs ou entre bassins de production. Elle n’empêche pas davantage le dumping social et environnemental. Elle ne permet pas non plus de garantir un revenu décent aux agriculteurs. Quelle portée la contractualisation peut-elle avoir quand on sait que sept centrales d’achat et 12 000 entreprises agroalimentaires font face à 507 000 exploitations agricoles ?

Voilà plusieurs années que les sénateurs du groupe CRC formulent en la matière des propositions dont l’adoption aurait peut-être permis d’encadrer réellement les pouvoirs exorbitants des distributeurs dans la négociation des prix. En effet, il faut agir sur ces derniers ! Il fut un temps où les parlementaires de gauche soutenaient l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi, par exemple, à tous les produits agricoles périssables…

De même, nous souhaitions autoriser les interprofessions à définir des prix minima indicatifs dans le cadre d’une conférence bisannuelle rassemblant les producteurs, les fournisseurs et les distributeurs, ainsi que l’ensemble des syndicats agricoles. Ce prix minimum indicatif pourrait servir de référence dans la négociation pour la contractualisation.

Il s’agit non pas de s’entendre sur les prix ni de les tirer vers le bas, mais au contraire de constituer un « filet de sécurité » pour la profession : il faut mettre en place des garde-fous permettant au secteur agricole de ne pas être totalement soumis à la volatilité des marchés et aux appétits insatiables des grandes centrales d’achat.

Et tant pis pour le droit à la concurrence ! Celui-ci et son encadrement européen peuvent et doivent s’adapter aux situations de crise. On ne peut pas continuer à produire à des prix sacrifiés. Les entreprises de la filière, ainsi que leurs salariés, doivent, à chaque étape, renouer avec les profits. Eh oui, mes chers collègues, le problème, ce ne sont pas les profits – il en faut ! –, mais la manière dont on les partage !

Nous devons repenser le cadre des relations commerciales, réinventer le rapport que chaque acteur de la filière entretient avec l’autre, remettre la valeur au cœur du système.

Le drame humain et industriel causé par cette politique, à l’image de ce qu’il s’est passé avec les groupes Doux, Gad et Tilly-Sabco, qui ont licencié des centaines de personnes en Bretagne, pour ne citer que cette région, doit cesser. C’est d’autant plus impératif que, demain, la fin des quotas laitiers entraînera une libéralisation du secteur, ce qui suscite des interrogations et des inquiétudes.

Cette semaine, le journal Les Échos écrivait : « À quelles conditions la diversité et les spécialités gastronomiques peuvent-elles se maintenir une fois le pays engagé dans une course à la concurrence mondiale face à des puissances telles que la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et l’Australie ? » Il poursuivait : « Comment préserver le modèle français et ses 1 000 fromages ? »

Si nous voulons imposer le modèle de l’agroécologie, il faut le soustraire de manière raisonnable, pragmatique et efficace aux logiques purement marchandes, à commencer, monsieur le ministre, mes chers collègues, par le périmètre des négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange.

Il faut le faire non seulement pour protéger nos terroirs et nos filières agricoles, tout particulièrement l’élevage, mais également pour assurer à nos concitoyens une alimentation saine et de qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)