M. Richard Yung. Je retire mes propos sur Romorantin-Lanthenay !

M. François Pillet, corapporteur. Cette méfiance à l’égard des juges est inadmissible !

M. Richard Yung. Mais je maintiens qu’il faut avoir de la pratique.

Dans de nombreux autres pays, les juges en propriété industrielle sont spécialisés ; il existe même des juges techniciens en Allemagne. Et tous ces juges, techniciens ou non, restent en place pendant dix ou quinze ans. Du coup, nos entreprises saisissent plutôt les tribunaux allemands, qui rendent une jurisprudence stable et de haute qualité.

Certes, nous connaissons l’hostilité de la Chancellerie et du Conseil supérieur de la magistrature. Mais, à nos yeux, il serait bon d’avoir en France des juges formés et restant longtemps en place.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, corapporteur. Les auteurs de cet amendement demandent un rapport sur « l’opportunité » et les « conditions de la spécialisation » de certains magistrats. Dans ce cas, pourquoi se cantonner au droit de la propriété industrielle ? Et d’ailleurs, pourquoi se limiter aux seuls magistrats ? (Sourires sur les travées de l'UMP.)

La commission spéciale s’en tient à sa jurisprudence et reste favorable à la suppression de l’ensemble des demandes de rapports.

Au demeurant, il n’est même pas certain que le sujet mériterait un rapport de la commission des lois. Une simple question d’actualité du jeudi, voire une question orale du mardi matin, avec une réponse pointue du Gouvernement, ferait sans doute très bien l’affaire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je connais la rigueur de la commission spéciale sur la question des rapports.

Si le Gouvernement a eu le même avis que la commission sur l’amendement précédent, c’est en raison des mutations qui sont à l’œuvre, et non de l’action passée.

M. Yung soulève un sujet très compliqué. Un rapport pourrait être un bon stimulus. L’avis du Gouvernement est donc favorable.

M. Richard Yung. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 258.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 41 bis D demeure supprimé.

Article 41 bis D
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article 41 ter

Article 41 bis

Le premier alinéa du 1 de l’article L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :

1° Après la première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée :

« L’employeur informe le salarié, auteur d’une telle invention, lorsque cette dernière fait l’objet du dépôt d’une demande de titre de propriété industrielle et lors de la délivrance, le cas échéant, de ce titre. » ;

2° À la seconde phrase, les mots : « telle invention » sont remplacés par les mots : « invention appartenant à l’employeur ». – (Adopté.)

Article 41 bis
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article additionnel après l'article 41 ter

Article 41 ter

(Supprimé)

Article 41 ter
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Article 42 (Texte non modifié par la commission)

Article additionnel après l'article 41 ter

M. le président. L'amendement n° 257, présenté par MM. Guillaume et Yung, Mme Bricq, MM. Bigot, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après l’article 41 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :

1° Le second alinéa de l’article L. 311-1 est complété par les mots : « , ou de leur reproduction par une technologie d’impression en trois dimensions » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 311-5, après le mot : « support », sont insérés les mots : « ou de technologie ».

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Cet amendement concerne l’impression en trois dimensions, ou 3D. C’est un domaine nouveau.

Désormais, on peut maintenant installer chez soi des imprimantes qui coûtent entre 500 euros et 1 500 euros et permettent, grâce à l’achat, voire au piratage d’un logiciel, de fabriquer pratiquement tout objet matériel dans sa cuisine ou son salon !

Cela pose le problème des droits de propriété industrielle : il y a reproduction d’un objet, invention, marque, dessin ou modèle, sans contrepartie pour le titulaire du droit.

Les imprimantes ont longtemps été réservées à l’industrie. Aujourd’hui, c’est dans le domaine public. La combinaison de la technologie 3D et du scanner permet de fabriquer tout objet.

J’ai le sentiment que nous sommes au début d’une grande évolution, avec la généralisation des imprimantes 3D. Ces machines, qui ne sont ni très rapides ni très commodes pour l’instant, seront efficaces dans cinq ou dix ans. Dès lors, elles se généraliseront.

Nous avons cherché une solution pour régler le problème des droits de propriété industrielle. L’une de nos propositions, celle qui fait l’objet de l’amendement n° 257, consiste à s’inspirer du principe de la protection du droit d’auteur.

Prenons le cas de la musique. Quand vous achetez un support audio, vous payez la redevance pour copie privée, qui est assez modeste, mais qui alimente un fonds destiné à dédommager les auteurs dont les œuvres sont copiées.

Par parallélisme, nous avons imaginé la création d’une redevance pour copie privée qui s’appliquerait à l’imprimante 3D. Lors de l’achat d’une machine, on paierait une redevance qui permettrait aux inventeurs ou titulaires de brevets, marques, dessins et modèles, de percevoir une rémunération.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, corapporteur. Les auteurs de cet amendement soulèvent un sujet important. Mais le dispositif envisagé n’est pas abouti.

Par nature, les œuvres d’art matérielles sont exclues de l’autorisation légale de copie privée. Certes, on peut graver chez soi, à titre privé, un CD ; c’est pour cette raison qu’une taxe sur les CD existe. Mais il ne saurait y avoir de rémunération pour copie privée pour les dessins ou les sculptures.

L’extension qui nous est proposée reviendrait à taxer la technologie de reproduction, et non le support d’enregistrement. Une telle innovation du dispositif n’est pas prévue par l’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle. Il manque donc une coordination.

Du point de vue de la protection, un objet fabriqué par une imprimante 3D, au mépris des règles, est, en soi, une contrefaçon.

De plus, des questions fondamentales sur la nature des œuvres matérielles se posent. Imaginez que vous vouliez faire une copie d’un bronze ou d’une sculpture en marbre de Carrare d’un grand artiste, comme Pompon : l’imprimante 3D va vous faire une copie en résine, et non en bronze. S’agit-il là du même objet ? Cela pose un problème.

Il serait malavisé de clore une réflexion qui en est à ses débuts par une loi imparfaite.

D’ailleurs, nos collègues de l'Assemblée nationale travaillent actuellement sur un sujet connexe, celui de la répartition de la rémunération pour copie privée. Attendons donc le résultat de leurs travaux, qui interviendra assez rapidement.

Eu égard à ces observations juridiques et pratiques, je sollicite le retrait de cet amendement, qui porte, certes, sur un vrai sujet. À défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. La question est en effet complexe du point de vue de la propriété intellectuelle et de l’organisation de notre chaîne de valeur productive. C’est à juste titre que M. Yung la soulève.

Nous sommes progressivement en train d’investir et de réorganiser la production des imprimantes 3D. Mais ces équipements et les éléments qui en découlent sortent du champ des œuvres culturelles protégées par la rémunération pour copie privée. Ce sont des composantes industrielles ; il faut donc trouver le bon critère de protection.

Aujourd'hui, le secteur se développe. D’ailleurs, certains acteurs français se débrouillent très bien. Ils sont de véritables concurrents des acteurs internationaux. Je pense, entre autres, au groupe Gorgé.

L’enjeu est de connaître le bon critère de protection, surtout au regard de la compétition internationale, sans pour autant contraindre de manière excessive les acteurs concernés et les gêner dans leur développement industriel. La protection des œuvres culturelles est supérieure à celle qui s’applique pour les composants industriels classiques.

L'Assemblée nationale a engagé une réflexion sur le sujet. Je suggère que la Haute Assemblée mette en place un groupe de travail, en collaboration avec mon ministère, qui est également saisi. Nous devons avancer de manière patiente, mais résolue, afin de trouver le cadre adéquat dans les prochains mois ; le bon agenda serait d’ici à la fin de l’année. Les Allemands sont aussi très actifs dans ce domaine. À mon avis, la solution ne saurait être une application classique de la copie privée.

À la lumière de cet engagement, je vous invite à bien vouloir retirer cet amendement, monsieur le sénateur.

M. le président. Monsieur Yung, l'amendement n° 257 est-il maintenu ?

M. Richard Yung. Non, je vais le retirer, monsieur le président.

Je souhaite toutefois répondre à M. le corapporteur. La redevance pour copie privée a été créée pour les droits d’auteur. Mais rien n’interdit d’en élargir le champ. Il faut avoir une certaine souplesse dans l’approche des choses. Je signale d’ailleurs qu’un excellent rapport du Conseil économique, social et environnemental traite de la question des imprimantes 3D. Une autre possibilité serait de taxer les programmes utilisés pour activer l’impression. On pourrait imaginer une redevance sur les programmes informatiques.

Quoi qu’il en soit, je prends la balle au bond, monsieur le ministre. J’accepte votre offre de travailler ensemble pour affiner les propositions, et je retire mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 257 est retiré.

Article additionnel après l'article 41 ter
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article 43 A (Texte non modifié par la commission)

Article 42

(Non modifié)

Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Après le 7° de l’article L. 6143-1, il est inséré un 8° ainsi rédigé :

« 8° Les prises de participation et les créations de filiales mentionnées à l’article L. 6145-7. » ;

2° Au 1° de l’article L. 6143-4, la référence : « et 7° » est remplacée par les références : « , 7° et 8° » ;

3° Après le 16° de l’article L. 6143-7, il est inséré un 17° ainsi rédigé :

« 17° Soumet au conseil de surveillance les prises de participation et les créations de filiale mentionnées à l’article L. 6145-7. » ;

4° Le deuxième alinéa de l’article L. 6145-7 est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Les centres hospitaliers universitaires peuvent prendre des participations et créer des filiales pour assurer des prestations de services et d’expertise au niveau international, valoriser les activités de recherche et leurs résultats et exploiter des brevets et des licences, dans des conditions et limites fixées par décret en Conseil d’État.

« Le déficit éventuel des activités mentionnées aux deux premiers alinéas n’est pas opposable aux collectivités publiques et aux organismes qui assurent le financement des établissements. »

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.

Mme Laurence Cohen. À l’instar de l’ensemble de mes collègues du groupe CRC, je suis très inquiète : cet article s’attaque aux trente-sept centres hospitaliers universitaires, les CHU.

Au regard de l’intitulé du projet de loi, nous aurions pu croire – d’ailleurs, nous l’espérions – que l’objectif de croissance et d’activité conduirait à donner des moyens nouveaux aux établissements. Malheureusement, ce n’est pas le choix qui a été effectué.

Monsieur le ministre, vous préférez que les CHU puissent investir à l’étranger, rompant ainsi avec la législation actuelle, selon laquelle l’objet principal des établissements publics de santé « n’est ni industriel ni commercial ».

En autorisant les CHU à créer des filiales à l’étranger, à prendre des participations dans des sociétés commerciales ou à créer leurs propres antennes à l’étranger, vous entendez mettre fin à des prétendues « rigidités françaises », qui constituent au contraire, à nos yeux, une garantie contre la privatisation de la santé et du système hospitalier.

Nous nous félicitons de la reconnaissance du savoir-faire français en matière de soins, d’accueil et de prise en charge des patients. Mais nous estimons que les échanges peuvent continuer à s’effectuer dans le cadre de coopérations internationales, notamment en matière de recherche. De nombreux partenariats existent déjà, que ce soit au Vietnam ou en Algérie, pour ne prendre que ces exemples. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ou AP-HP, y joue un rôle important.

Mais, monsieur le ministre, ce n’est pas ce que vous souhaitez développer ! Vous voulez passer à une logique d’« hôpital-entreprise » à l’étranger. Au lieu de créer les conditions économiques pour renforcer notre système hospitalier public, vous allez permettre à ces établissements de se « refaire une santé » à l’étranger avec des opérations financières et commerciales !

Alors que notre système public se meurt, notamment depuis la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, ou loi HPST, et depuis les économies drastiques qui sont imposées année après année – je le rappelle, 21 milliards d’euros d’économies sont prévus d’ici à 2017, pour la sécurité sociale et la santé, dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité –, vous cherchez à investir l’international.

Il ne faut pas être devin pour savoir que la situation actuelle risque fort de s’aggraver. En clair, les activités jugées non rentables seront abandonnées.

Ce qui fait la renommée de notre système de santé, c’est précisément son caractère de service public, qui allie excellence et proximité. Depuis plusieurs années, ce modèle est remis en cause. Vous entendez bien franchir une nouvelle étape, ce que nous ne pouvons pas trouver juste.

Nous proposerons donc la suppression de l’article 42.

M. le président. L'amendement n° 48, présenté par Mmes Assassi, Cohen, David et Gonthier-Maurin, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement tend à la suppression de l’article 42, qui a été adopté sans modification par la commission spéciale.

Il nous paraît inopportun, voire pour le moins dangereux de permettre aux CHU de créer des filiales dans d’autres pays. Il y a là comme une incompatibilité d’activités, un mélange des genres entre le public et le privé.

Selon nous, la vocation des CHU n’est pas de vendre leur savoir-faire. L’esprit mercantile qui sous-tend l’article 42 nous dérange et nous inquiète, d’autant que la mesure prend place dans ce projet de loi d’inspiration très libérale.

De notre côté, nous sommes favorables à ce que des coopérations avec d’autres pays continuent à se développer, pour que l’excellence de nos CHU puisse être utile à l’international. Le cadre actuel a peut-être besoin d’être renforcé, mais il ne faut pas aller jusqu’à une libéralisation de certaines des activités.

Monsieur le ministre, vous concevez la santé comme une activité marchande, et tous les moyens sont bons pour faire du profit. Cela se retrouve pleinement dans cet article.

En réalité, ce dont ont besoin les CHU, c’est d’une politique d’investissements dans le cadre de leurs missions de service public. Voilà des années que les hôpitaux français sont délaissés, que les conditions de travail des salariés hospitaliers, donc la prise en charge des patients, se dégradent.

Compte tenu des économies drastiques que l’on exige des établissements, nous ne pensons pas qu’il leur semble opportun de créer des filiales à l’étranger.

Dans le contexte actuel, où la santé est plus que malmenée par les politiques successives, une telle mesure nous semble une aberration, voire une provocation !

C'est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 42.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Deroche, corapporteur. L’article 42 vise à autoriser les hôpitaux à créer des filiales, afin de développer leurs prestations à l’international et de valoriser leur recherche.

Pourquoi refuser aux hôpitaux ce qui a été reconnu à d’autres structures publiques de recherche, comme les universités ou le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS ?

Dans un contexte de concurrence internationale et de diminution de leurs ressources, il est tout à fait souhaitable que nos CHU puissent promouvoir leur savoir-faire et les compétences de nos médecins, de nos chercheurs et de nos équipes de gestion à l’étranger.

La commission donc est tout à fait défavorable à l’amendement n° 48.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Je souhaite m’adresser à mes chers camarades du groupe communiste. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

Les plateaux techniques de nos CHU sont extraordinaires et reconnus dans le monde entier. D’ailleurs, les établissements emploient un nombre non négligeable de praticiens étrangers. (MM. Michel Bouvard et Roland Courteau acquiescent.)

Nos hôpitaux, notamment ceux de l’AP-HP, ont noué des partenariats avec des instituts privés ; je pense par exemple à l’Institut Pasteur. (Oui ! sur les travées du groupe CRC.) Ils l’ont également fait avec des sociétés, aussi bien des jeunes entreprises, qui font de la recherche et de l’innovation, que des grands groupes.

Chers collègues, si vous voulez donner une projection au service public, votez l’article 42 ! En effet, le développement de l’excellence française est entravé, alors que nous savons très bien construire des hôpitaux, notamment grâce aux grands groupes français du BTP, mais aussi les gérer et les exploiter.

Lorsque j’étais ministre, j’ai exporté toute cette excellence française en Algérie. M. Jean-Marie Le Guen, le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, qui présidait alors l’AP-HP, nous avait accompagnés dans ce pays.

Mme Éliane Assassi. On s’en souvient !

Mme Nicole Bricq. Nous avons obtenu un contrat. Nous voulions Alger ; nous avons eu Constantine. Nous nous en sommes contentés.

Au Vietnam, nous avons obtenu un contrat pour équiper l’hôpital de Can Tho, dans le cadre non pas de la coopération, mais de la promotion à l’extérieur de l’offre française, à la fois évidemment de nos entreprises, mais aussi de notre savoir-faire.

Nous ne sommes pas les meilleurs au monde dans le domaine des dispositifs médicaux, mais nous sommes loin d’être nuls ! Il y a une excellence française en la matière.

Aujourd'hui, à l’étranger, on nous demande l’ensemble de notre chaîne de valeur.

L’article 42 permettra à nos CHU de disposer de filiales qui feront la promotion de l’offre française en matière de santé publique.

Je ne comprends donc pas que vous en demandiez la suppression. Vous préférez avoir des cliniques américaines partout ? (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.) La clinique Mayo, c’est du privé dur !

L’adoption de cet article ne nuira pas à la défense de l’hôpital dans notre pays. Nous le verrons au moment de l’examen du texte sur la santé.

Franchement, vous avez tort de vouloir supprimer cet article !

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Il est intéressant de voir surgir dans le projet de loi Macron des suggestions qui n’apparaissent pas dans les débats sur l’hôpital, où nous restons alors dans les schémas traditionnels, avec des discussions sur les moyens de développer le secteur de la santé.

Le dispositif en cause soulève une autre question : peut-on toujours concevoir la santé au travers de son mode de financement actuel, qui est assis sur des cotisations sociales ? D’un côté, on nous dit que le secteur doit se développer, pour la santé de la population et la création d’emplois. De l’autre, on insiste sur la nécessité d’en réduire le financement au nom des économies à réaliser. Il y a là une contradiction fondamentale. Cela fait une dizaine d’années que nous ne parvenons pas à la résoudre.

Monsieur le ministre, qu’apporte véritablement à l’économie française la création de filiales dans d’autres pays ? Mme Bricq a dit que c’était merveilleux.

Mme Nicole Bricq. Je n’ai pas dit cela !

M. Jean Desessard. Elle a souligné combien nous étions excellents, combien notre savoir-faire était intéressant… Elle a rappelé que nous étions engagés dans des projets, au Vietnam ou ailleurs. Elle a vanté la qualité française. C’est bien ! Sur tous ces points, nous sommes d’accord avec elle.

À l’écouter, nos médecins, qui sont brillants, vont aller au Vietnam, au Brésil… Sauf que nous manquons déjà de médecins dans notre pays !

M. Jean Desessard. Certes, pour la promotion de la France, il est très intéressant d’envoyer nos médecins brillants à l’étranger. Mais, dans le même temps, la France est en train de supprimer beaucoup d’instituts français à l’étranger.

M. Jean Desessard. Il faudrait donc savoir ce que l’on veut pour l’image de la France !

Monsieur le ministre, puisque vous dites vouloir développer l’excellence française, êtes-vous prêt à mettre un terme au numerus clausus qui caractérise la formation des médecins et des infirmières ?

Mme Éliane Assassi. C’est la vraie question !

M. Jean Desessard. Je ne nie pas l’intérêt de créer des filiales à l’étranger pour développer un savoir-faire et transmettre notre expérience.

Mais allez-vous former suffisamment de médecins et d’infirmiers dans les prochaines années pour faire face à la fois aux besoins existant en France et aux besoins que fait naître la création de ces filiales dotées de la qualité française ? Êtes-vous prêt à débloquer leur formation ? Convenez-en, devoir importer des médecins de Roumanie ou d’autres pays de l’Est pour exporter l’excellence française, cela ne servirait pas à grand-chose !

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Après le service public des transports, après celui de la justice, c’est le tour du service public de la santé !

Personne ne peut se plaindre que l’excellence française, dans tout le champ de la filière médicale, soit reconnue à l’étranger et sollicitée partout dans le monde. Mais, selon nous, elle ne doit pas être vue seulement comme une marchandise ou un bien propre à la vente.

Mme Éliane Assassi. Pour Mme Bricq, si !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame Bricq, ne voyez pas dans la position de notre groupe politique une volonté de garder pour nous, de manière presque chauvine, le savoir-faire national en matière de soins, d’accueil et d’accompagnement des patients.

Oui, le cadre juridique est contraignant. Personne ne le nie ! Mais il s’agit justement d’éviter les dérives qu’entraînerait la transformation de nos CHU en entreprises.

Oui, madame Bricq, nous voulons croire en la possibilité de faire profiter l’étranger de nos savoir-faire dans le cadre de protocoles de coopération et de solidarité internationaux ! Mais, comme cela a été souligné en commission spéciale, l’enjeu de l’article 42 est non pas de favoriser la coopération entre les États, mais de « vendre notre expertise » et « notre force de frappe ». (M. Jean Desessard s’exclame.)

On peut comprendre l’intérêt qu’a le Gouvernement à encourager la course aux capitaux étrangers. La situation financière des centres hospitaliers universitaires, malgré leur excellence avérée, est calamiteuse. Ainsi, à la fin de l’année 2012, les emprunts toxiques des CHU représentaient 2,5 milliards d’euros, d’après la Cour des comptes.

La dette à moyen et long termes des établissements publics de santé a triplé en dix ans, notamment sous l’impulsion des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, qui ont encouragé le recours à l’emprunt. Il apparaît aujourd’hui de plus en plus difficile aux professionnels hospitaliers de pallier les manques financiers des établissements.

Les rentrées d’argent qui résulteraient de l’adoption de l’article 42 permettraient, à court terme, de résorber à la marge ce trou béant. Mais à quel prix ? Celui de la marchandisation des actes de soin !

La santé ne peut pas être appréciée sous le prisme du commerce. Certains le font déjà. Leur vision des choses est détestable, et l’on ne saurait tolérer que la France se joigne à eux. Ce processus de marchandisation de la santé conduira à terme à la disparition des opérations de solidarité internationale. Cela constitue un facteur important d’incitation à la vente par les CHU de leur savoir-faire aux États qui peuvent se permettre de les acquérir.

Faut-il le rappeler, l’accès à la santé est prescrit par la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Certes, ce texte n’est pas contraignant juridiquement ; on peut d’ailleurs le regretter. Mais il doit tout de même rester une référence pour nous.

Parce que la vision de la santé du Gouvernement nous semble aller dans la mauvaise direction et engager un recul des principes du service public, parce que, pour nous, la santé ne peut pas être vue comme une marchandise et parce que nous estimons que la coopération internationale est le meilleur moyen de valoriser notre savoir-faire, nous proposons de supprimer l’article 42 du projet de loi !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Les débats sur l’avenir du système de santé sont très intéressants, mais ce n’est pas le sujet !

L’article 42 porte sur des cas très concrets. La ville de Constantine veut créer un CHU. Elle pose des conditions, avec des garanties financières. Elle veut passer des contrats avec un prestataire pour trouver les meilleurs partenaires.

L’AP-HP est emblématique de l’excellence médicale et scientifique à la française ; nous nous en félicitons. (Mme Éliane Assassi acquiesce.) Mais, en l’état actuel du code de la santé publique, l’AP-HP ne peut pas candidater à l’appel d’offres de la ville de Constantine ! Ce sont d’autres établissements qui le font à sa place.

Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC, si vous considérez que la défense du service public consiste à lui interdire de se développer et à favoriser à la place les Allemands, les Américains ou les Anglais, vous en avez une vision particulièrement obtuse !

Mme Éliane Assassi. Nous ne parlons pas de la même chose !

M. Emmanuel Macron, ministre. Pour vous, le meilleur moyen de protéger le service public français, c’est de l’empêcher de rayonner à l’étranger ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Aujourd’hui, le code de la santé publique ne permet pas de procéder à de telles opérations. Lisez attentivement l’article 42. Nous ne proposons pas de retirer de l’argent aux hôpitaux français ! Au contraire ! Les décisions sont sous le contrôle du conseil de surveillance de l’AP-HP et de l’agence régionale de santé.

M. Jean-Pierre Bosino. Moins 2 000 emplois dans la santé !

M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur le sénateur, nous n’allons pas refaire le débat sur la situation de la santé publique en France. Ne mélangeons pas tout !

Mme Éliane Assassi. C’est vous qui l’avez ouvert, avec votre article !