M. le président. Il faut conclure !

M. David Rachline. Je remercie mon collègue varois, rapporteur de la proposition de loi, d’y avoir remis un peu de bon sens. Il faut évidemment aborder la question de manière générale. Je salue la modification apportée par la commission, et je soutiendrai ce texte si cette version est conservée lors de nos débats.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Une intervention tout en nuances !

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, échéances électorales après échéances électorales, force est de constater un désintérêt croissant de nos concitoyens pour les élections, qui se traduit dans les chiffres de la participation.

Il y a quelques années, ce désintérêt touchait les élections les plus « éloignées » des citoyens, sans doute parce que ceux-ci ne connaissaient pas vraiment les candidats ou encore le rôle de l’institution concernée ; je pense notamment aux élections européennes. Désormais, on constate hélas que les taux d’abstention sont de plus en plus forts à toutes les élections, y compris à celles dites « de proximité » ; je pense notamment aux élections municipales et départementales.

Le problème est-il lié aux dates de révision des listes électorales ? Franchement, je ne le pense pas.

Je pense plutôt qu’il est dû, d’une part, à une désaffection et une incompréhension de nos concitoyens devant la complexification croissante et incessante de nos institutions. Ainsi, ces dernières années, il y a eu un redécoupage des cantons, de nouveaux modes de scrutin pour les municipales et pour les départementales, des bouleversements du calendrier électoral, spécialement cette année, ou encore la mise en place de nouvelles régions. Cette élection inédite de décembre prochain va encore accroître les incompréhensions et les questions.

D’autre part, j’aurai tendance à souligner le sentiment grandissant pour les électeurs que, quelle que soit la majorité au pouvoir, les problèmes concrets, réels, auxquels ils sont confrontés, tels que le chômage, la hausse des prélèvements, la baisse du pouvoir d’achat, le chômage des jeunes, persistent élection après élection. Il y a, en quelque sorte, un sentiment de fatalité qui s’installe chez nos concitoyens, pour qui voter ne sert plus à grand-chose. Quand on en est là, c’est la démocratie qui peut être en danger !

Cette proposition de loi peut-elle régler tous ces problèmes ? Rien n’est moins sûr, il faut bien le dire. Ainsi que l’a souligné le rapporteur, il n’est pas prouvé qu’un individu qui ne n’est pas inscrit sur les listes électorales pendant la période habituelle de fin d’année 2014 saisira nécessairement l’opportunité offerte par ce texte de s’inscrire sur la période, qu’on pourrait qualifier de « rattrapage », entre juillet et septembre 2015.

Toutefois, à défaut de régler, pour le moment, les problèmes de fond de notre pays et de réconcilier ainsi durablement les électeurs avec leurs institutions et leurs élus, il convient d’agir sur tous les leviers qui peuvent permettre une meilleure participation des Français aux divers scrutins.

Cette proposition de loi, telle qu’elle a été retravaillée par notre rapporteur, Pierre-Yves Collombat – lequel n’en fait plus une loi de circonstance, mais crée un dispositif pérenne facilitant les inscriptions sur les listes électorales –, peut, du moins l’espérons-nous, constituer un progrès dans la lutte contre l’éloignement progressif des électeurs de l’institution électorale et, oserais-je dire, de la démocratie. Le groupe centriste votera donc en faveur de ce texte.

J’ajouterai qu’il est difficile de se ranger aux arguments avancés par M. le ministre en début de séance. À mon sens, toutes les modifications du calendrier électoral et des modes de scrutin, dont le gouvernement actuel est à l’origine, ont malheureusement plus de chances d’éloigner nos concitoyens du vote que de les en rapprocher ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de loi souhaitent revenir de façon exceptionnelle sur le principe de révision annuelle des listes électorales pour permettre la réouverture des délais d’inscription pour l’année 2015.

Il serait, selon l’exposé des motifs, « de la responsabilité du législateur, dans une période qui voit émerger les nécessités de reconstruire les fondamentaux de la citoyenneté, de l’appartenance à la nation et des valeurs républicaines de notre société, de prendre une telle mesure, qui est de nature à rapprocher les citoyens de leurs instances démocratiques ».

Même si l’inscription sur les listes électorales est une obligation posée par l’article L. 9 du code électoral, force est de constater que plusieurs millions d’électeurs ne sont pas inscrits sur les listes, et que la France – j’y inclus volontiers les outre-mer – est devenue une démocratie de l’abstention. La participation électorale, considérée comme l’une des caractéristiques de la bonne santé d’un régime démocratique, ne cesse de s’affaiblir depuis une vingtaine d’années.

Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Certes, notre pays souffre d’une profonde crise du politique et bon nombre de nos concitoyens éprouvent un sentiment de défiance à l’égard de leurs représentants, mais ce n’est pas la seule raison.

Plusieurs rapports et études montrent en effet que les modalités d’inscription sur les listes électorales peuvent également constituer un frein à la participation électorale, la France disposant d’une procédure parmi les plus complexes au monde.

Ce sont ainsi près de 3 millions de Français qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales, auxquels il faut ajouter 6,5 millions de personnes « mal inscrites », c’est-à-dire qui ne sont pas inscrites sur la liste électorale du bureau de vote rattaché à leur domicile. Ce phénomène touche pratiquement tout le monde à un moment donné et fait de ces « mal inscrits » des abstentionnistes malgré eux. Parmi les Français qui ont déménagé en 2014, seul un électeur sur cinq s’est réinscrit dans sa nouvelle commune, contre un sur deux en 2013.

C’est la raison pour laquelle le Président de la République a annoncé, le 30 octobre dernier, dans le cadre du choc de simplification, son intention de permettre l’inscription sur les listes électorales jusqu’à un mois avant un scrutin pour qu’ « aucun Français ne soit privé de son droit de vote à cause de la rigidité des règles ».

L’objectif de cette proposition de loi, qui est de lutter contre l’absentéisme électoral, est louable, et nous ne pouvons qu’y souscrire. Pour autant, et le rapporteur l’a bien rappelé, une mesure ponctuelle, exceptionnelle, n’est certainement pas le meilleur moyen de remédier à ce problème, d’autant qu’il est récurrent. Je ne pense pas que procéder à une réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes en vue des élections régionales de décembre prochain soit satisfaisant.

Comme l’a très bien dit, avec d’autres mots, notre collègue rapporteur, on ne peut pas en permanence faire des lois pour régler les dégâts collatéraux des lois antérieures.

Aussi, je tiens à saluer le travail de la commission des lois, et plus particulièrement celui de son rapporteur. L’approche retenue me semble particulièrement intéressante, puisqu’elle propose une solution pérenne et beaucoup plus simple : permettre aux électeurs qui emménagent dans une nouvelle commune après la clôture des inscriptions de s’inscrire sur la liste électorale, quel que soit le motif du changement de domicile.

Finalement, la seule différence avec la proposition de loi initiale réside dans le fait que les personnes qui habitent déjà dans leur commune, mais qui n’ont entrepris aucune démarche, ne pourront pas aller voter. Comme l’a dit Pierre-Yves Collombat, s’ils ne l’ont pas fait avant, ils ne le feront probablement pas après, même si nous leur en donnons les moyens. Les propositions du rapporteur ont également reçu un avis favorable en commission et l’appui de tous ses membres, y compris celui de l’opposition sénatoriale. Nous sommes donc quelque peu surpris de constater que le groupe socialiste a déposé des amendements, identiques à ceux du Gouvernement, pour revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale.

Surtout, les arguments avancés ne me semblent pas fondés. Vous proposez de revenir à la procédure actuelle de révision des listes électorales avec la mise en place d’un délai supplémentaire pour s’inscrire jusqu’au 30 septembre 2015. Je lis dans l’objet de l’amendement du Gouvernement que « ce délai permettra à l’ensemble des citoyens déménageant pendant la période estivale d’effectuer les démarches d’inscription ».

Monsieur le ministre, le texte adopté par la commission des lois le permettra également, puisque, selon l’article L. 30 du code électoral, les inscriptions dites « hors période » peuvent avoir lieu jusqu’à dix jours avant le scrutin. Il n’y a donc aucun « risque de générer un profond mécontentement et un décalage de la démocratie avec les réalités de notre société », comme le craignent les auteurs de la proposition de loi.

Monsieur le ministre, vous écrivez également que le texte de la commission « aggrave les risques de double inscription et la possibilité de vote de personnes en situation d’incapacité électorale ». Dans ce cas, monsieur le ministre, c’est l’article L. 30 qu’il faut supprimer !

Je le répète, la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales jusqu’à dix jours avant le scrutin existe déjà pour un certain nombre de personnes. Enfin, si le texte proposé par la commission des lois est adopté par la Haute Assemblée, puis en commission mixte paritaire, il n’y a aucune raison pour que la loi ne puisse pas s’appliquer aux élections régionales de décembre prochain, la procédure accélérée ayant été engagée.

Aussi, pour toutes ces raisons, le RDSE apportera son soutien au texte de la commission et de son rapporteur, notre excellent collègue Pierre-Yves Collombat. (Applaudissements sur les travées du RDSE et au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’accès au vote de tous les électeurs constitue l’un des principes fondamentaux qui commandent les opérations électorales. Partant de ce principe, étudions le texte qui nous est soumis aujourd’hui.

Cette proposition de loi, telle qu’elle nous a été transmise par l’Assemblée nationale, et telle que rédigée initialement par ses auteurs, a pour objectif la réouverture des délais d’inscription sur les listes électorales en vue des élections régionales de décembre prochain.

Il est proposé de revenir, de façon exceptionnelle, sur le principe de révision annuelle des listes électorales prévu par l’article L. 16 du code électoral. Une révision supplémentaire en 2015 permettrait de prendre en compte les demandes d’inscriptions déposées jusqu’au 30 septembre 2015. Les opérations d’inscription et de radiation seraient donc effectuées aux mois d’octobre et novembre prochains, en vue de l’établissement des listes électorales définitives pour les élections de décembre.

La proposition de loi ainsi formulée répond ponctuellement à une situation exceptionnelle, puisqu’elle concerne uniquement les prochaines élections régionales, reportées de mars à décembre 2015. Généralement, les élections régionales se tiennent en mars et aucune élection n’a eu lieu en décembre depuis cinquante ans, mais le Gouvernement en a décidé autrement.

Ainsi, les listes électorales pour les élections de décembre auraient dû être celles arrêtées au 1er mars 2015, à partir des demandes déposées avant le 31 décembre 2014. Le délai entre la clôture des demandes et le scrutin étant très important – quasiment un an ! –, la volonté de rouvrir les délais est compréhensible, mais cette révision exceptionnelle est-elle véritablement nécessaire ?

Les citoyens français vont-ils être plus nombreux à s’inscrire sur les listes électorales spécialement pour ce scrutin ? Pourquoi ne l’auraient-ils pas fait avant le 31 décembre dernier ?

Les élections régionales se caractérisant généralement par une forte abstention, susciteront-elles un plus fort engouement si nous avons rouvert les délais d’inscription sur les listes ? Permettez-moi d’en douter.

À mon sens, cette réouverture ne changera rien, car le problème est plus vaste. Les personnes ne s’étant pas inscrites sur les listes avant le 31 décembre ne le feront pas davantage avant le 30 septembre.

Alors, qu’est-ce qui empêche aujourd’hui les citoyens français de faire la démarche de s’inscrire sur ces listes ?

La sensibilisation au droit et au devoir de voter est un sujet que nous devons véritablement approfondir, mais revenons sur les conséquences de la mesure proposée par les auteurs du texte.

Sans m’attarder sur le caractère totalement inopportun de la période à laquelle ces élections régionales ont été placées, à savoir juste avant les fêtes de Noël, je voudrais souligner le probable sentiment d’opportunisme électoral que risque de susciter cette réouverture soudaine des délais d’inscription. En modifiant les lois électorales, comme il l’a fait depuis la première année suivant son arrivée au pouvoir, en malmenant le calendrier électoral, le Gouvernement a entretenu des soupçons de manipulation, ce qui a joué sur la confiance des Français. Dans le contexte que nous connaissons aujourd’hui, je doute que cette attitude soit très opportune, quand nos concitoyens attendent des élus une plus grande transparence.

Enfin, l’Association des maires de France l’a souligné, une révision exceptionnelle imposerait aux communes – surtout pour les petites, comme celle dont je suis le maire – une charge supplémentaire.

Comme indiqué précédemment, le texte que nous examinons ce jour a été remanié par la commission des lois. Je tiens ici à saluer la qualité du travail de son rapporteur, Pierre-Yves Collombat (M. le président de la commission des lois opine.), de son président, Philippe Bas, et de ses membres.

La nouvelle rédaction de cette proposition de loi a donc pour objet de faciliter l’inscription sur les listes électorales. Aujourd’hui, d’après le code électoral, seules peuvent s’inscrire après la clôture des délais d’inscription les personnes qui établissent leur domicile dans une autre commune pour un motif professionnel. Cette mention du motif serait supprimée, ce qui permettrait donc l’inscription de toute personne qui a déménagé durant l’année de l’élection. Cette solution a l’avantage d’être pérenne.

En conclusion, je tiens à souligner l’utilité de cette proposition de loi, telle qu’elle a été modifiée par la commission des lois. Elle est très favorable à la démocratie, puisque son adoption permettra de mener plus de citoyens vers les urnes, sans pour autant créer de soupçons sur d’inutiles mesures exceptionnelles.

Cependant, à mon sens, le principe de révision annuelle des listes électorales n’est pas forcément bon. Nous devons assouplir les règles de l’accès au scrutin, et une réforme de modernisation de notre code électoral sur ce point s’avérerait nécessaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je voudrais remercier très sincèrement l’ensemble des sénatrices et sénateurs qui se sont exprimés sur ce texte, à l’exception de l’un d’entre eux, dont l’outrance et la violence du propos, empreint de caricatures et d’amalgames, ne correspondent ni à ma conception du débat parlementaire ni à ma conception de la République. Il se reconnaîtra… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. David Rachline. Merci du compliment !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, monsieur Rachline, la République, ce n’est pas cette violence, ce n’est pas cette capacité d’invective, ce n’est pas non plus cette propension à l’insulte…

M. David Rachline. Vous n’êtes pas plus républicain que moi !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si, je crois que je le suis beaucoup plus que vous, et votre discours en témoigne, s’il en était besoin, de même que votre ton, lequel contraste avec le mien.

En premier lieu, je souhaite rappeler les raisons pour lesquelles les électeurs seront invités à voter en décembre 2015, puisqu’un débat a eu lieu ici même sur ce sujet.

Il fallait fixer le scrutin au plus près de la création des nouveaux conseils régionaux. Cette création par fusion de collectivités n’est possible qu’au 1er janvier, au début de l’année fiscale et budgétaire. C’est la raison pour laquelle – nous nous en étions expliqués de manière technique et détaillée lors de la présentation du projet de loi créant les nouvelles régions – cette date a été choisie, après consultation non seulement des parlementaires, mais aussi des services concernés du Conseil constitutionnel.

En second lieu, je tiens à répondre à l’argument selon lequel la modification de l’article L. 30 du code électoral permettrait de simplifier la procédure. Effectivement, dans un tel cas, il n’y aurait pas de décret à prendre pour différer et ajuster les dates de consolidation du tableau des additions et retranchements, d’habitude publié en début d’année. L’INSEE serait moins impliqué et aurait donc moins de travail. En revanche, la procédure serait considérablement complexifiée pour les maires. Je le précise, puisque le dernier orateur a exprimé des inquiétudes quant à la charge que cette disposition ferait peser sur les maires ruraux : seuls, sans appui de l’INSEE, les maires seront mis sous pression et disposeront de neuf jours au lieu de deux mois pour procéder à la révision.

Selon ses partisans, les inconvénients de la modification de l’article L. 30 devraient s’avérer limités pour les élections régionales de 2015. Pour que cela soit vrai, il faudrait que les électeurs ne s’inscrivent pas, c’est-à-dire que cette réforme échoue. Surtout, la généralisation de la procédure de l’article L. 30, parce qu’elle serait pérenne, aurait des conséquences redoutables si elle était appliquée à tous les scrutins, notamment à l’élection présidentielle.

Je voudrais conclure mon propos en observant que les raisonnements tenus à l’appui des préventions exprimées contre cette proposition de loi ne tiennent pas, si l’on prend en compte les conditions dans lesquelles cette proposition de loi a été élaborée.

Tout d’abord, ce texte résulte-t-il de la réflexion d’un parti contre tous les autres ? Absolument pas, puisqu’il est très précisément issu de travaux réalisés par deux députés, appartenant l’une à la majorité, l’autre à l’opposition. Cette proposition de loi a vocation à être généralisée par la suite, conformément à l’ensemble des préconisations de ce rapport parlementaire transpartisan.

Ensuite, un autre argument ne manque pas de saveur. Il vient de ceux qui affirment que l’on modifie le code électoral juste avant le scrutin pour que ceux qui gouvernent le pays puissent bénéficier des résultats de ce scrutin. Or les auteurs de cet argument sont les mêmes qui nous expliquent que le gouvernement actuel est condamné à perdre toutes les élections !

Je ne vois rien de logique dans ce discours qui consiste à dire que la majorité en place est toujours en difficulté lors des élections, mais que les nouveaux électeurs inscrits pourraient voter subitement en sa faveur. Si la politique du Gouvernement actuel est à ce point mauvaise, comme vous semblez le penser, il n’y a aucune raison de croire que ceux qui iront voter feront autre chose que d’exprimer leur condamnation de cette politique. À la limite, vous avez tout à attendre de ces nouvelles inscriptions, si l’on suit votre raisonnement : puisque tout va si mal et que l’on ne peut que voter contre le Gouvernement, vous devriez encourager toute mesure tendant à faciliter l’inscription de nouveaux électeurs, plutôt que d’exprimer votre méfiance !

En réalité, le sujet n’est pas là. Le discours que je viens d’évoquer reflète un raisonnement caractéristique de ce que la politique a de plus clivant et partisan. Notre préoccupation devrait être que les électeurs aillent le plus possible s’inscrire, quel que soit le vote qu’ils émettront. La démocratie est comparable à une grande roue qui tourne : on ne sait jamais quels seront les résultats des élections, car celles-ci offrent souvent des surprises. Dans l’histoire, ceux qui se sont estimés sûrs du résultat des élections à venir les ont souvent perdues. Il faut donc aborder ces sujets avec prudence et humilité.

Il vaut mieux se poser la question des principes. En l’occurrence, nous voulons lutter contre l’abstention. Est-ce une bonne chose ? Oui ! Cette proposition de loi est-elle susceptible d’influer sur le résultat des élections ? Non, pour les raisons que je viens d’indiquer. Peut-on introduire dans cette proposition de loi des dispositions applicables à toutes les élections ? Non, pour les raisons que vous avez exprimées : en effet, cette procédure est lourde et implique un travail de préparation, si l’on ne veut pas que les maires soient soumis à une pression épouvantable et ne puissent pas faire face à l’échéance. Je ne veux pas qu’une réforme destinée à lutter contre l’abstention mette tous les maires de France en difficulté.

Comme sur d’autres sujets non clivants dont nous avons eu à traiter devant cette assemblée, je propose que nous fassions preuve d’un état d’esprit qui rehausse le niveau du débat politique et du travail parlementaire en oubliant les clivages et en se concentrant sur les principes, qu’il s’agisse des conditions du vote ou du droit d’asile, sujets éminemment républicains. Essayons donc de construire des lois qui font l’unanimité, car c’est possible, et laissons les gens voter comme ils l’entendent en fonction de leurs convictions, puisque c’est cela la démocratie.

Je propose donc que l’on revienne au texte adopté par l’Assemblée nationale, ce qui permettra de conclure rapidement cette affaire et de garantir l’inscription sur les listes électorales de tous ceux qui ne peuvent pas voter. Vous avez une bonne raison de le faire, puisque je vous donne toute garantie, compte tenu du travail que les députés Jean-Luc Warsmann et Élisabeth Pochon sont prêts à faire ensemble, que toutes les préoccupations émises lors des travaux de la commission des lois seront reprises dans un texte présenté dans la foulée, afin de régler les problèmes qui pourraient se présenter à l’avenir.

Je propose donc au Sénat d’envoyer aujourd’hui un signal très fort à tous les électeurs de France, quoi qu’ils pensent ou votent, pour leur dire que le Parlement a fait en sorte que les conditions d’inscription sur les listes électorales permettent à tout le monde de voter afin de lutter contre le fléau de l’abstention. Cette réaction républicaine montrera aux Français que la politique, avec ses conflits et ses clivages, n’est pas à même de tout miner ni de tout détruire, en encourageant l’opposition à tout. La République a aussi besoin d’un tel message ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Monsieur le ministre, je voudrais aussi me situer sur le plan des principes.

En premier lieu, quand on est confronté à un problème comme celui de l’abstention, on essaie de le traiter au fond et pas simplement à la marge. On ne me fera pas croire que les rigidités des modalités d’inscription sur les listes électorales, même si elles peuvent jouer, représentent la difficulté essentielle. Ce n’est pas vrai ! Nous sommes préoccupés parce que les résultats électoraux montrent une désaffection de notre peuple, qui va plus loin que l’abstention.

Aujourd’hui, quand on vote – si on vote ! –, on le fait majoritairement contre ! Voilà le fond du débat et il est temps de se poser cette question, même si nous n’allons pas la régler avec une loi. Cette situation est constante, d’ailleurs. Dans un passage de L’Ancien régime et la Révolution, Tocqueville montre bien comment, à force de vouloir tout centraliser, les gens ne se déplaçaient même plus quand on leur demandait de voter. Posons-nous donc la question !

Ensuite, je vous l’avoue, je suis fatigué d’avoir à examiner des lois qui ont pour but de corriger les effets collatéraux négatifs des lois précédentes. On adopte une loi, on s’aperçoit ensuite que son application pose des problèmes et on présente une nouvelle loi ! C’est vraiment dénaturer notre fonction. Quand la loi modifiant la date du scrutin régional a été votée, on aurait pu se rendre compte du problème et décider de rouvrir les inscriptions sur les listes électorales.

Enfin, monsieur le ministre, comme mon collègue Philippe Kaltenbach, vous avez évoqué la nécessité d’un vote conforme du Sénat. Je suis toujours surpris que l’on nous présente de telles demandes, puisque la raison d’être du bicamérisme est bien que chaque assemblée puisse apporter sa contribution.

Ma position s’appuie donc sur des considérations de principe, et je remercie la commission de m’avoir suivi. Je veux bien admettre la nécessité de faire preuve de pragmatisme – après tout, c’est la base de la politique –, mais un pragmatisme qui n’est pas encadré par des principes devient un pur opportunisme !

Quelle est la raison qui justifie cette proposition de loi ? J’avoue que je n’en sais rien. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, ce n’est pas en rouvrant la possibilité de s’inscrire sur les listes que l’on va modifier les résultats des scrutins, j’en suis intimement persuadé. Alors, pourquoi nous soumettre cette proposition de loi ? Vous nous dites qu’il faut améliorer le taux de participation aux élections et que c’est un impératif absolu. Il est un peu tard pour s’en rendre compte ! Franchement, je ne crois pas que cette proposition de loi soit conforme aux principes que vous avez évoqués.

Quant à vos objections techniques, je ne peux pas non plus les accepter. L’article L. 30 du code électoral fonctionne déjà actuellement. Vous nous dites que les électeurs vont se précipiter dans les dix derniers jours. Pour quelle raison ? Nous n’en savons rien ! Je vous ai d’ailleurs proposé d’amender le texte sur ce point, si nécessaire.

Ensuite, vous nous avez dit que les électeurs allaient se précipiter en masse pour s’inscrire. Ce sera au mieux une demi-masse, puisque la moitié n’ira pas voter ensuite ! (Sourires.)

Alors que nous avons constaté un désengagement évident des électeurs au mois de mars, pourquoi devrions-nous constater un engouement extraordinaire au mois de septembre, pour élire des conseils régionaux dont on ne connaîtra même pas les compétences, puisque la loi n’aura pas encore été votée ?

Enfin, selon vous, les inconvénients de la solution que nous proposons provoqueront l’échec de cette réforme, mais je n’ai aucunement la prétention de défendre une réforme ! J’essaie simplement, pragmatiquement, mais conformément à mes principes, de présenter une solution qui vaut ce qu’elle vaut. Elle améliorera un peu le droit existant, à charge pour vous d’intégrer par la suite toutes ces propositions dans une réforme complète des conditions d’inscription sur les listes électorales, puisque vous nous avez dit que le Président de la République en avait pris l’engagement.

Pour l’ensemble de ces raisons, je persiste dans la volonté de vous présenter cette solution qui me paraît non pas la meilleure, mais la moins mauvaise !