M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.

Mme Cécile Cukierman. Le présent article fixe les règles applicables au contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement, relevant de la compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressorts. En d’autres termes, il prévoit les recours possibles pour les citoyens contre toute surveillance abusive.

Renforcer les capacités d’action intrusive a nécessairement pour effet d’élargir les occasions, pour les services spécialisés, de porter atteinte au respect de la vie privée et aux droits et libertés fondamentaux de nos concitoyens. Sur ce point, le rapport de la commission des lois du Sénat est très clair. Une telle évolution ne peut s’envisager sans ses corollaires indispensables : d’une part, la création de contrôles effectifs, garantissant que ces atteintes s’exercent de manière légitime, nécessaire et proportionnée ; d’autre part, l’ouverture de voies de recours pour les personnes qui s’estimeraient victimes d’abus.

Qu’en est-il donc de ces contrôles et de ces voies de recours ? Face à l’extension des pouvoirs dévolus aux services de renseignement, ces corollaires se révèlent, hélas ! dérisoires.

Le Premier ministre, qui chapeautera l’action des services, pourra autoriser des opérations de surveillance en passant outre l’avis préalable de la CNCTR. Certes, le projet de loi crée une procédure contentieuse devant le Conseil d’État, qui pourra être saisi par la CNCTR et par les personnes s’estimant victimes de mesures de surveillance. Mais, dans les faits, celle-ci restera tout à fait opaque.

Tout le dispositif de recours est compromis par le secret qui entoure les techniques de renseignement et, dès lors, confère un caractère hasardeux aux demandes des justiciables. Ces derniers ne peuvent que soupçonner l’existence d’une surveillance mise en œuvre à leur encontre. Nul ne saura vraiment si un IMSI catcher a été déposé dans son entourage ou si l’algorithme fouillant les métadonnées – puisqu’on ne parle plus de « boîtes noires » – l’a pris dans ses filets.

Ce mode de fonctionnement, qui contraint les justiciables à avancer à l’aveugle, s’applique à l’ensemble de la procédure : la saisine de la CNCTR porte, par définition, sur des faits inconnus du requérant, lequel en est réduit à faire état d’indices ou d’impressions.

Non seulement le requérant est tenu de former un recours en restant dans l’ignorance totale de sa situation, mais il soutiendra ledit recours dans des conditions très éloignées d’un procès équitable, au sens où l’entend la Cour européenne des droits de l’homme. Face à l’État, il sera placé de facto dans une position inégalitaire.

En outre, ce projet de loi permet aux services de présenter au juge administratif des documents classés « secret » et d’obtenir des audiences à huis-clos. Le plaignant et son avocat seront alors, pour ainsi dire, mis sur la touche.

Ce texte conduira lentement et subrepticement nos concitoyens à modifier leurs comportements : inconsciemment, on commencera à s’autocensurer pour ne pas être surveillé, pour éviter de voir ses données personnelles et donc sa vie privée tomber dans le « domaine public », en l’occurrence les fichiers de l’État.

Il semblerait que l’on s’emploie à déployer le principe du panoptique imaginé par Jeremy Bentham et analysé par Michel Foucault dans Surveiller et punir. Le panoptique, c’est cette disposition architecturale qui permet, en prison par exemple, de voir sans être vu…

Force est de le constater, la question d’un recul démocratique se pose.

Monsieur le rapporteur, hier, vous avez cité Alexis de Tocqueville, penseur de la démocratie.

M. Philippe Bas, rapporteur. Absolument !

Mme Cécile Cukierman. Eh bien, je doute que Tocqueville eût approuvé ce texte,…

M. Philippe Bas, rapporteur. Au contraire ! Il aurait même pu l’écrire !

Mme Cécile Cukierman. … lui qui redoutait le « despotisme doux » d’une démocratie où « s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer [la] jouissance et de veiller sur [le] sort » des individus.

Au surplus, avec ce projet de loi, nous sommes bien loin du Livre noir des libertés publiques, que publiait le parti socialiste en 2009, époque à laquelle il était dirigé par Martine Aubry.

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. C’était avant que le PS ne s’inspire à Poitiers… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Cécile Cukierman. Cet ouvrage entendait « décrypter ce qu’est le sarkozysme, cette certaine idée des libertés publiques », et dénonçait « l’instauration d’une société de surveillance ».

« Défendre les libertés publiques serait, pour [Nicolas Sarkozy], nécessairement synonyme de laxisme, de désintérêt, voire d’incompréhension, pour les exigences de sécurité de nos concitoyens. » Voilà, cher Jean-Pierre Sueur, ce qu’écrivait le parti socialiste d’alors !

Je le sais, vous n’aimez guère les exemples journalistiques. Pour notre part, nous nous fions au travail sérieux et à la déontologie des journalistes, et, à cet égard, je tiens à citer un article de Mediapart :

« L’histoire de France nous a habitués à ce que des pouvoirs de droite, conservateurs par réflexe, autoritaires par habitude, s’en prennent aux libertés. Mais ce n’était pas une fatalité sans retour, puisque l’opposition de gauche devenait l’alternative en disant non à ce " coup d’État permanent ". Aussi, quand c’est au tour d’une majorité élue par la gauche d’y céder, avec le zèle des convertis et le soutien de la droite, le désastre est bien plus grand. Combattre la loi sur le renseignement, ce n’est pas seulement refuser la surveillance généralisée. C’est aussi sauver la République comme espérance et exigence démocratiques. »

Vous l’avez vu, nous n’avons pas baissé les armes face à ce projet de loi et, fidèles à nos valeurs, nous ne désarmerons pas !

Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi d’aborder les impacts économiques du présent texte.

Ce matin même, nous avons débattu du coût de ce projet de loi. En la matière, diverses questions se posent : qu’en sera-t-il des hébergeurs, qui, d’ores et déjà, menacent de quitter le pays ? Et, après leur départ, que deviendront les emplois qui dépendent d’eux ? Pouvez-vous, sur ce sujet, nous apporter des éclaircissements ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame Cukierman, il y a de cela plusieurs semaines, nous avons rencontré les représentants de tous les hébergeurs, lesquels ont, par l’intermédiaire d’OVH, publié un communiqué qui est aux antipodes de votre déclaration.

Mme Éliane Assassi. Nous demandons à voir…

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous en donnerai lecture et vous en remettrai une copie dès que mes services l’auront mis à ma disposition. Il est sans ambiguïté et sera de nature à vous rassurer pleinement.

Convenez-en, chaque fois que vous avez sollicité le Gouvernement, je me suis efforcé de vous donner des explications aussi précises que possible, pour vous prouver que, dans son contenu, le présent texte n’allait en rien dans le sens d’une surveillance généralisée. C’est même le contraire !

D’ailleurs, si, au terme de nos discussions, une partie, un article ou un alinéa du présent texte relevait à vos yeux d’un principe de surveillance généralisée, n’hésitez pas à nous l’indiquer : il est encore temps d’amender ce projet de loi. Toutefois, je vous le dis d’emblée, vous ne trouverez aucune disposition de cette nature.

Ce n’est pas en réitérant à l’infini les mêmes propos sur le contenu d’un texte, en laissant accroire qu’il contient des éléments dont il est fait dépourvu, que ces propos deviennent vérité.

Permettez-moi de vous répondre sur le terrain que vous avez choisi. Ce gouvernement de gauche encadre l’activité de services de renseignement qui, jusqu’à présent, ne faisaient pas l’objet d’un tel encadrement. Il place ces services sous le triple regard d’une haute autorité administrative, d’une délégation parlementaire au renseignement et d’un contrôle juridictionnel qui n’existait pas auparavant. Il garantit que les techniques susceptibles d’inspirer des interrogations seront utilisables, presque exclusivement, au titre de la lutte contre le terrorisme – c’est le cas de la détection sur données anonymes, du suivi en temps réel des terroristes, c’est-à-dire des procédés qui ont fait le plus débat.

Parallèlement, je le répète, ce gouvernement exclut la mise en œuvre de dispositifs de surveillance généralisée.

Le Gouvernement a entendu les interrogations d’un certain nombre d’institutions, comme la CNCDH – Commission nationale consultative des droits de l'homme – et il les a prises très au sérieux, au point d’y répondre systématiquement, de manière extrêmement détaillée, sur quatorze pages, et en se fondant non sur des impressions, mais tout simplement sur les éléments du droit, qu’ils soient issus des textes ou de la jurisprudence.

En agissant ainsi, nous procédons avec rigueur, à la suite de ceux qui, dans la famille politique à laquelle j’appartiens, ont toujours défendu les libertés et la République.

Aujourd’hui, défendre les libertés et la République, c’est protéger les Français contre le terrorisme, dans le respect rigoureux des principes constitutionnels et des principes généraux du droit. Il n’y a rien, dans ce texte, qui soit assimilable à ce que d’autres pays ont fait ; je songe notamment au Patriot Act.

Vous avez souvent dit que, dans cet hémicycle, on ne pouvait distinguer, d’un côté, les partisans de la sécurité, de l’autre, les tenants du laxisme. Mais il n’y a pas non plus, dans cet hémicycle, d'un côté, ceux qui défendent toujours les libertés publiques, parce qu’ils sont du côté du bien – peut-être aussi parce que ce combat a pour eux un attrait narcissique –, et, de l'autre, ceux qui les remettraient en cause, parce qu’ils exerceraient le pouvoir ou trahiraient certains principes.

M. Jacques Chiron. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les choses sont plus compliquées que cela ! La rigueur intellectuelle, que nous avons veillé à garantir tout au long de ces débats, doit nous conduire à porter un jugement plus balancé, plus nuancé, sur une réalité complexe. C’est cette dernière qui, à travers ce texte, nous a conduits à nous mobiliser avec sincérité et exigence.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l'article.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 4 de ce projet de loi n’est pas celui qui a fait le plus parler de lui ; il n’en est pas moins fondamental à mes yeux. Il s’agit en effet de prévoir les modalités de recours contre la mise en œuvre des techniques de recueil de renseignements dont nous avons débattu hier soir.

Le projet de loi attribue au Conseil d’État la compétence exclusive pour connaître de ces requêtes.

Si le groupe écologiste n’éprouve a priori aucune suspicion à l’endroit du juge administratif, l’exclusion totale du juge judiciaire du dispositif lui paraît toutefois appeler quelques remarques.

Selon notre rapporteur, l’article 66 de la Constitution n’a pas vocation à s’appliquer ici, en ce qu’il réserve l’intervention du juge judiciaire aux mesures privatives de liberté. Or, depuis 1999, les contentieux d’atteinte grave et prolongée à la liberté individuelle relèvent de la compétence de principe du juge judiciaire, de même que le contentieux des droits fondamentaux, qui lui est réservé par tradition, et des mesures privatives de liberté ne sont alors pas nécessairement susceptibles d’être prises.

Ainsi, le juge de la liberté et de la détention est compétent pour autoriser les perquisitions de nuit, ainsi que les visites domiciliaires et les saisies de pièces à conviction.

De la même façon, tous les contrôles d’identité, y compris de nature administrative, et toutes les fouilles de véhicules, même dans le cadre de l’exercice des pouvoirs de police administrative prévus à l’article 78-2-4, sont placés sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

De surcroît, le droit au respect de la vie privée figure parmi les contentieux des droits fondamentaux, réservés par tradition au juge judiciaire.

Nous considérons que ces éléments ne peuvent être balayés d’un revers de la main et que les atteintes les plus graves à la liberté individuelle, impliquant à la fois la violation de la vie privée et du domicile, auraient pu être soumises au juge judiciaire.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. On vient de me faire parvenir le document dont je souhaitais vous donner connaissance, madame Cukierman. Voici ce qu’on peut y lire :

« Loi sur le renseignement : OVH satisfait des concessions du Gouvernement. Dans une série de tweets, Octave Klaba, le fondateur d’OVH, a fait part de sa satisfaction après le vote de l’amendement n° 437 lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement à l’Assemblée nationale. »

Suit un article complet expliquant comment nous avons travaillé et décrivant les compromis auxquels nous sommes parvenus.

Permettez-moi, madame la sénatrice, de vous remettre copie de ce document. (M. le ministre de l’intérieur prie un huissier de transmettre le document à Mme Cécile Cukierman.)

Mme Cécile Cukierman. Merci, monsieur le ministre !

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 112 rectifié n'est pas soutenu.

L'amendement n° 22 rectifié ter, présenté par MM. Hyest, Allizard, G. Bailly, Béchu, Bignon, Bizet et Bonhomme, Mme Bouchart, MM. Bouchet, Bouvard, Buffet, Calvet et Cambon, Mme Canayer, MM. Cantegrit et Cardoux, Mme Cayeux, MM. César, Chaize, Charon, Chasseing, Chatillon, Commeinhes, Cornu, Dallier, Danesi, Darnaud et Dassault, Mmes Deroche, Deromedi, Des Esgaulx, Deseyne et di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, MM. Duvernois et Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. B. Fournier, J.P. Fournier, Frassa et Frogier, Mme Garriaud-Maylam, MM. J. Gautier, Genest et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grosperrin, Guené, Houel et Houpert, Mme Hummel, MM. Huré et Husson, Mme Imbert, M. Joyandet, Mme Kammermann, MM. Karoutchi et Kennel, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Lenoir, P. Leroy et Longuet, Mme Lopez, MM. Magras, Malhuret, Mandelli, A. Marc, Masclet et Mayet, Mme Mélot, MM. Milon et de Montgolfier, Mme Morhet-Richaud et MM. Morisset, Mouiller, Nachbar, Nègre, de Nicolaÿ, Nougein, Paul, Pellevat, Pierre, Pillet, Pointereau, Portelli, Reichardt, Revet, Saugey, Savary, Sido, Trillard, Vasselle, Vendegou, Vogel, Retailleau et Gremillet, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’il est saisi d’une requête concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, le Conseil d’État peut, à la demande de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision contestée si les moyens invoqués ou susceptibles d’être relevés d’office paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation de la décision contestée. » ;

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. La saisine du Conseil d’État par la CNCTR a été facilitée puisqu’elle relève désormais de son président, en cas d’avis défavorable à la mise en œuvre d’une technique de renseignement ou de l’insuffisance des suites données à une recommandation à ce sujet, ou d’une minorité d’un tiers de ses membres.

Dans une logique de sécurité juridique et de respect de la légalité, nous proposons de permettre au Conseil d’État de prononcer le sursis à exécution d’une décision de mise en œuvre d’une technique de renseignement. Cette procédure exceptionnelle serait réservée aux cas où l’illégalité apparaîtrait dès le stade de l’introduction de la requête.

L’initiative de cette procédure reviendrait uniquement à la CNCTR, et non d’un simple requérant, car elle seule dispose d’éléments suffisants pour apprécier la situation. Il appartiendrait alors au Conseil d’État de décider, ou non, avant toute décision au fond, de suspendre l’exécution de cette décision.

M. le président. L'amendement n° 201, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 7

Compléter cet alinéa par les mots :

et des fichiers intéressant la sûreté de l'État

II. - Alinéa 19

Supprimer les mots :

une donnée ou

III. - Alinéa 22

1° Au début de cet alinéa, insérer la référence :

Art. L. 773-8. -

2° Seconde phrase

Remplacer le mot :

personnelles

par les mots :

à caractère personnel

3° Compléter cet alinéa par les mots et deux phrases ainsi rédigées :

, sans faire état d’aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Elle peut ordonner que ces données soient, selon les cas, rectifiées, mises à jour ou effacées. Saisie de conclusions en ce sens, elle peut également indemniser le requérant.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.

M. le président. L'amendement n° 168, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Compléter cet alinéa par les mots :

et de l’article L. 854–1 du code de la sécurité intérieure

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement vise à préserver le régime spécifique de contrôle juridictionnel prévu par l’article 4 sur les mesures de surveillance internationale.

Il s’agit de rappeler la nature du contrôle juridictionnel pour les services qui interviennent à l’extérieur. Ce contrôle doit s’attacher à la conformité des mesures au cadre légal fixé dans ce texte ainsi qu’à la portée des actions de surveillance de communications électroniques. Il est en outre rappelé qu’il convient d’en vérifier les modalités, puisque seule la CNCTR peut saisir le Conseil d’État.

M. le président. L'amendement n° 37, présenté par M. Raffarin, au nom de la commission des affaires étrangères, est ainsi libellé :

Alinéa 11, première et deuxième phrases

Remplacer les mots :

et leur rapporteur public sont habilités ès qualités au secret de la défense nationale. Les agents

par les mots :

, leur rapporteur public et les agents

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Cet amendement tend à soumettre les membres des formations de jugement et leur rapporteur public à la procédure d’habilitation de droit commun au secret de la défense nationale, afin de leur permettre d’accéder aux informations et aux documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

En effet, la loi ne fixe pas la composition de ces formations de jugement, non plus que le nombre, la procédure de nomination et la durée des fonctions de leurs membres.

Une habilitation ès qualités présenterait un risque tant pour la protection des informations que pour les personnes dépositaires des secrets, lesquelles peuvent être vulnérables. Il est préférable de recourir, pour ce qui les concerne, à la procédure d’habilitation de droit commun.

Cet amendement a pour objectif de montrer l’importance du secret-défense et de la procédure d’habilitation. Il vise à contrer les tentatives de généralisation de cette habilitation ès qualités.

Monsieur le président, vous mesurez l’importance de cet amendement. Cependant, devinant l’avis de la commission des lois aussi bien que celui du Gouvernement, pour nous faire gagner du temps, je le retire ! (Sourires.)

M. Philippe Bas, rapporteur. Je ne pourrai donc pas y répondre !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est pour moi une immense frustration ! J’espérais un grand débat sur ce point ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. L'amendement n° 37 est retiré.

L'amendement n° 106, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 20

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Sans faire état d’aucun élément protégé par le secret de la défense nationale, elle informe le requérant ou la juridiction de renvoi qu’une illégalité a été commise et peut condamner l’État à indemniser le préjudice subi.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. La rédaction actuelle de l’alinéa 20 implique que le Conseil d’État ne puisse décider d’indemniser une personne que si cette dernière en fait la demande.

Il nous semble au contraire que, au regard de la complexité de la procédure, il n’y a pas lieu de limiter l’indemnisation aux seuls cas où elle aurait été préalablement demandée.

M. le président. L'amendement n° 162 rectifié, présenté par Mme S. Robert, MM. Sueur, Delebarre, Boutant et Reiner, Mme Jourda, MM. Gorce, Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 20, seconde phrase

Supprimer les mots :

Saisie de conclusions en ce sens lors d’une requête concernant la mise en œuvre d’une technique de renseignement ou ultérieurement,

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit de revenir sur une rédaction encadrant le pouvoir d’appréciation du Conseil d’État.

Selon les cas d’espèce qui lui seront soumis, celui-ci mesurera l’étendue du préjudice et il lui sera loisible d’évaluer l’éventuelle réparation qui en résulte ; si bien qu’il doit pouvoir librement et en toute indépendance décider de la condamnation de l’État à indemniser un requérant.

M. le président. L'amendement n° 176, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 22

Compléter cet alinéa par les mots et deux phrases ainsi rédigées :

, sans faire état d’aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Elle peut ordonner que ces données soient, selon les cas, rectifiées, mises à jour ou effacées. Saisie de conclusions en ce sens, elle peut également indemniser le requérant.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit de préciser les pouvoirs du Conseil d’État lorsqu’il est saisi d’un recours dans le cadre du contentieux de l’accès indirect aux fichiers de sûreté.

Dans la mesure où l’amendement n° 201, qu’a présenté M. le rapporteur, contient la même disposition, je retire cet amendement du Gouvernement au profit de celui de la commission, auquel je suis évidemment favorable.

M. Philippe Bas, rapporteur. Merci, madame la garde des sceaux !

M. le président. L'amendement n° 176 est retiré.

L'amendement n° 107, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le fondement de renseignements qui ont été irrégulièrement collectés. »

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Dans sa décision n° 2014-693 du 25 mars 2014, le Conseil constitutionnel a considéré qu’aucune condamnation ne pouvait être prononcée sur le fondement d'éléments de preuve dont la personne mise en cause n’avait pu contester les conditions de recueil.

Dans son avis sur le présent projet de loi, le Défenseur des droits s’interroge sur « les éventuelles conséquences d’une décision du Conseil d’État constatant l’irrégularité de la mise en œuvre d’une technique de surveillance à l’égard d’une procédure pénale dans laquelle des renseignements recueillis auraient été versés au dossier ».

Cet amendement vise donc à préciser que, en cas de transfert des informations à l’autorité judiciaire, aucune condamnation ne pourra être prononcée sur le fondement de renseignements irrégulièrement collectés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis de la commission est favorable sur les amendements nos 22 rectifié ter et 168, et défavorable sur les amendements nos 106, 162 rectifié et 107.

M. Jean-Pierre Sueur. Oui, pourquoi donc êtes-vous défavorable à l’amendement n° 162 rectifié ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous prenons ces amendements très au sérieux, car l’article 4 traite de la qualité, de la crédibilité et de l’efficacité du contrôle juridictionnel.

Nous sommes tous conscients qu’il s’agit là d’un texte de loi autorisant la mise en œuvre de techniques de surveillance très sophistiquées et dont l’usage peut être massif. Celles-ci sont susceptibles de porter atteinte à la vie privée et à la vie familiale, ainsi qu’à l’inviolabilité du domicile et au secret des correspondances, dont la protection est garantie par notre droit civil. Le Conseil constitutionnel a même conféré à cette protection une valeur constitutionnelle. De surcroît, elle relève des engagements internationaux, notamment conventionnels, de la France. Cet article est donc d’une importance extrême.

Il est incontestable que les citoyens admettent la nécessité de ces services de surveillance. Tout le monde comprend que nous donnons enfin un cadre juridique à leurs missions.

Dans le même temps, tout le monde est attaché à la préservation des libertés, par culture juridique et philosophique. La demande d’assurances concernant la qualité et la crédibilité du contrôle juridictionnel est constante. Elle est légitime.

Nous avons donc beaucoup travaillé sur cette dimension et nous avons pu introduire des améliorations, y compris durant les débats à l’Assemblée nationale.

Les avis émis par le Gouvernement sur les amendements qui lui sont présentés doivent se comprendre à la lumière de ces éléments. Certains amendements peuvent en effet, tout en étant motivés par le souci d’améliorer le contrôle, conduire à le fragiliser ou à en restreindre le champ.

Ainsi, l’amendement n° 22 rectifié ter vise à limiter à la CNCTR la saisine du Conseil d’État pour décider d’un sursis à exécution. La rédaction actuelle est plus large : en référence au code de justice administrative, le texte permet à tout requérant de saisir la CNCTR.

Le Gouvernement vous demande donc très respectueusement, monsieur Hyest, de bien vouloir retirer cet amendement. Vous conviendrez, je n’en doute pas, qu’il est préférable que tout requérant puisse saisir la CNCTR.

Par votre amendement n° 106, madame Benbassa, vous entendez modifier le droit commun administratif. Celui-ci prévoit que le requérant peut demander une indemnité. Or il ne revient pas au juge de décider d’autorité du droit à indemnisation. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

D’une manière générale, notre préoccupation a justement été d’éviter, dans ces situations exceptionnelles, l’institution de procédures d’exception. Compte tenu des pouvoirs qui sont reconnus aux services de renseignement, dans le champ de leur mission, nous avons donc préféré, autant que possible, faire prévaloir des procédures de droit commun.

Je dois dire qu’en la matière M. Jean-Pierre Raffarin a suscité chez moi une frustration immense. J’espérais en effet, au vu de la sensibilité de cette chambre sur les questions de droit, que nous aurions ici un débat sur la question de l’habilitation au secret-défense ès qualités ou par la procédure de droit commun. Vous avez choisi, monsieur le Premier ministre, de ne pas le susciter ce débat cette nuit. Je m’incline donc.

Madame Benbassa, avec l’amendement n° 107, vous demandez qu’une personne qui a fait l’objet d’une surveillance non respectueuse des procédures ne puisse subir une condamnation. Ce débat aussi est important, car la démocratie se définit également par les garanties procédurales qui sont offertes au justiciable.

On peut comprendre votre position de principe. Toutefois, s’agissant de la police administrative, les éléments qui peuvent être recueillis n’ont pas valeur de preuve. En tout état de cause, pour engager une procédure judiciaire, il faudra une enquête, et donc la mise en œuvre des procédures nécessaires pour collecter les éléments qui auraient valeur de preuve et qui seraient soumis à l’examen contradictoire, ce qui implique qu’ils soient mis à la disposition de toutes les parties.

Par ailleurs, je vous rappelle que nous avons introduit dans le texte une possibilité de recours préjudiciel, avec un délai de décision imposé au Conseil d’État d’un maximum d’un mois. Ce recours préjudiciel fonctionne ainsi : lorsque, dans une procédure judiciaire, il est besoin de savoir si une technique de renseignement a bien été mise en œuvre dans des conditions régulières, le Conseil d’État peut être saisi d’office par le juge pénal ou à la demande du justiciable. Donc, ce recours préjudiciel permet de savoir, au cours d’une procédure judiciaire, s’il y a eu, ou non, respect des procédures de mise en œuvre des techniques de surveillance.

L’amendement n° 162 rectifié tend à suivre la même logique. Comme le Gouvernement préfère en rester au droit commun, il sollicite le retrait.