Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord, au nom du groupe écologiste, à remercier la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, dont je salue le président, ainsi que celui qui s’est exprimé au nom de cette commission, d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat sur un sujet qui est à la croisée d’enjeux majeurs, aussi bien économiques, écologiques que d’aménagement du territoire.

Commençons par un constat : notre pays dispose d’une filière complète dans le domaine de l’industrie ferroviaire.

Ce tissu industriel est une richesse, et ce à plusieurs titres. En effet, l’industrie ferroviaire est probablement, de toutes les industries, la plus structurante pour la société. Il s’agit d’une activité productive à haut niveau de compétences, pourvoyeuse d’emplois qualifiés, comprenant une grande diversité de métiers. Le secteur est constitué d’un large réseau d’entreprises de taille et de métiers très divers, allant des leaders mondiaux jusqu’aux PME.

C’est aussi un vecteur d’aménagement du territoire. Or nous savons, tout particulièrement au Sénat, que des politiques de mobilité réussies contribuent au dynamisme des territoires et réduisent cette fracture territoriale et sociale dont on parle tant.

Le ferroviaire, c’est également un moyen de transport décarboné. Quand on a à l’esprit qu’un quart des émissions de gaz à effet de serre est dû aux transports, et que le transport routier est à lui seul responsable de 92 % d’entre elles, la nécessité de développer les alternatives à la route, notamment le transport ferroviaire de voyageurs et de marchandises, apparaît comme une urgence écologique et de santé publique.

Au regard de l’importance de ces enjeux, ce serait une grave erreur que de laisser l’industrie ferroviaire se déliter. C’est pourtant ce qu’il est en train de se passer.

En effet, des menaces pèsent sur ce secteur, qui devient très concurrentiel, faisant perdre des parts de marché aux entreprises de notre pays. Entre 2002 et 2013, les trois constructeurs historiques que sont Alstom, Bombardier et Siemens ont vu leurs parts de marché mondial passer de 53 % à 24 %, tandis que celles des deux constructeurs chinois, désormais réunis, qui étaient globalement de 6 % en 2002, atteignaient 32 % en 2013.

Nous ne pouvons que nous réjouir que ce moyen de transport et cette industrie se développent partout à travers le monde. Notre industrie, pour survivre, doit s’adapter à cette évolution de la concurrence, tant dans le secteur de la construction que dans celui de l’exploitation.

L’industrie française doit-elle, de plus, s’adapter aux besoins des autres marchés pour s’y développer ? Bien entendu ! À cet égard, il faudrait davantage de coopérations industrielles à l’échelle européenne. Ces coopérations devraient d’ailleurs se déployer sur l’ensemble de la filière, des rails aux trains, puisque, pour s’exporter, surtout dans les pays où le réseau est en cours de développement, le matériel roulant doit évidemment être accordé à l’infrastructure.

Cela étant, le développement à l’international ne peut être la panacée. Nous devons nous intéresser en priorité au marché intérieur, qui a vocation à soutenir le développement de nos constructeurs.

J’ajoute que notre modèle de TGV est fondé sur du matériel roulant conçu pour fonctionner trente ans, là où, par exemple, le TGV japonais est prévu pour être renouvelé au bout de quinze ans. Nous, les écologistes, soutenons davantage la logique industrielle française, préférant du matériel robuste, d’une longue durée de vie. Par définition, cette industrie a un caractère cyclique. Si Alstom a bénéficié en 2013 d’une commande de TGV émanant de la SCNF pour un montant de 1,2 milliard d’euros, ses carnets de commandes sont désormais bien moins remplis.

Dès lors, l’externalisation de la maintenance de la SNCF, qui commence à être évoquée, est-elle une solution pour maintenir le niveau d’activité de l’industrie ? Selon nous, c’est une fausse bonne idée.

En réalité, ce qui menace surtout l’industrie ferroviaire, c’est le manque de vision, le défaut dramatique de pilotage du système, et donc de maîtrise des coûts, aboutissant à des analyses et à des décisions purement comptables, qui alimentent une spirale du déclin.

Au regard des enjeux économiques, écologiques et d’aménagement du territoire que j’ai signalés, les autorités organisatrices, dont l’État, doivent jouer pleinement leur rôle : par l’investissement, elles doivent soutenir cette industrie, extrêmement dépendante de la commande publique.

Toutefois, pour tracer des perspectives pour le secteur ferroviaire, encore faudrait-il établir des priorités claires, une véritable stratégie s’agissant des politiques de mobilité.

Or, alors qu’on a construit 110 000 kilomètres de routes en France entre 1995 et 2013, ce qui correspond à une extension de 11,4 % du réseau routier en moins de vingt ans, que, dans le même temps, le réseau ferré en service s’est contracté de 6 %, soit une perte de 2 000 kilomètres de lignes, et que le potentiel d’autres modes de transport, tels que le transport fluvial ou maritime, est clairement sous-exploité, force est de constater qu’il n’existe toujours pas de priorité claire accordée au rail, ou plus généralement aux modes de déplacement décarbonés.

Puisque la menace du changement climatique se fait de plus en plus précise, que la désindustrialisation est déjà une catastrophe pour l’emploi et une erreur stratégique pour le développement de notre pays, les écologistes demandent que les pouvoirs publics changent réellement les règles du jeu et favorisent le ferroviaire ainsi que les autres moyens de transport à faible empreinte carbone, aux dépens de la route.

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’industrie ferroviaire, l’un des fleurons de notre industrie nationale, est aujourd’hui confrontée à une situation préoccupante.

Ainsi, selon les professionnels, près de 10 000 emplois sur 30 000 seraient menacés d’ici à 2018. En effet, le niveau des commandes fermes à cet horizon est deux fois moindre qu’en 2014 ; il atteint péniblement 1 179 000 heures de production.

Si le secteur souffre, comme l’ensemble de l’industrie, de la crise économique et de la mondialisation, il est aujourd’hui doublement pénalisé par l’absence de politique publique ferroviaire ambitieuse.

En effet, la situation actuelle est la conséquence non seulement de la réduction de la commande publique, mais surtout d’un manque de stratégie visant à conserver une industrie forte en France.

Plus particulièrement, les politiques successives – car cette situation n’est pas nouvelle, cher collègue Louis Nègre ! – ont conduit à l’affaiblissement du système ferroviaire national, provoquant une contraction de l’offre ferroviaire, préjudiciable à l’emploi comme au service aux usagers.

Aujourd’hui, les entreprises attendent beaucoup du Grand Paris, qui peine d’ailleurs à se mettre en place, nous le voyons bien. Quoi qu'il en soit, quand bien même elles gagneraient tous les appels d’offres liés à ce projet, elles devraient tout de même supprimer des emplois et des sites de production ; c’est la triste réalité !

Il faut le redire, le poids de la dette ferroviaire plombe les capacités d’investissement du système ferroviaire, pénalisant donc directement l’industrie ferroviaire nationale, privée de l’offre intérieure. Cela est d’ailleurs confirmé par le Gouvernement, qui, interpellé sur cette question, ne fixe comme horizon pour l’industrie ferroviaire que l’exportation…

Toutes les branches d’activité sont aujourd’hui touchées par ce désengagement industriel.

C’est le cas des TER. La diminution des moyens des régions et l’augmentation de leurs compétences entament leur capacité d’investissement. Ainsi, le chiffre d’affaires sur ce segment d’activité devrait tomber, selon les prévisions, de 1,4 milliard d’euros en 2014 à 300 millions d’euros en 2018. Sur 1 860 commandes de train, seules 315 ont été confirmées. Toutefois, il faut saluer ici l’engagement des régions, qui ont assumé leurs responsabilités dans ce domaine. Je suis certaine qu’elles seraient prêtes à continuer si on leur en donnait les moyens.

C’est aussi le cas du TGV. Le rapport remis par la Cour des comptes a semblé sonner le glas de celui-ci, limitant les perspectives industrielles dès 2019. À ce sujet, nous attendons que les annonces du ministre de l’économie concernant un appel d’offres pour le TGV du futur soient suivies d’effets. Nous aimerions obtenir des précisions à ce sujet.

C’est encore le cas du fret. Jugé insuffisamment rentable, il est sacrifié depuis dix ans. Le projet d’autoroute ferroviaire a également été arrêté. L’entreprise Lohr Industrie devait fabriquer les wagons pour plus de 105 millions d’euros, ce qui représentait trois ans et demi de travail pour la société et ses sous-traitants.

C’est enfin le cas des trains d’équilibre du territoire. La volonté du Gouvernement de revenir à un équilibre financier pour ces lignes d’intérêt général conduit de fait à réduire l’offre de liaisons ferroviaires. À la fin 2013, l’État s’était engagé à renouveler intégralement un parc vieillissant. Seule la première tranche a été engagée, à hauteur de 500 millions d’euros. Qu’en sera-t-il demain ?

C’est, à l’évidence, une situation très difficile, voire dramatique.

Et que dire du changement de comportement de l’État, qui se désengage des entreprises publiques ?

La privatisation d’Alstom a modifié en profondeur le modèle de l’industrie ferroviaire. Jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, la SNCF régnait sur l’ingénierie ferroviaire, imprimant de fait une certaine organisation à cette industrie. L’abandon de ce rôle a conduit à l’éclatement de la filière. Bercy a clairement fait le choix de devenir un actionnaire comme les autres. C’est plus simple, et cela évite de mettre les mains dans le cambouis ! Auparavant, la fabrication du matériel s’effectuait par un travail en commun entre l’utilisateur et le constructeur. Une distance entre les deux ingénieries s’est installée, qui a conduit à une perte de savoir-faire au sein de l’opérateur public. C’est le contraire du système ferroviaire intégré que, vous le savez, nous défendons depuis toujours.

Malheureusement, l’État se comporte aujourd’hui en fonction d’intérêts de court terme et de la rentabilité financière.

Je conclurai en vous rappelant le travail réalisé par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale présidée par Alain Bocquet en 2011. Parmi ses vingt-cinq préconisations, quelques-unes pourraient aujourd’hui être très utilement mises en œuvre.

D’abord, et parce que les sous-traitants affrontent plus brutalement encore la crise, il convient de favoriser les coopérations pour que les sous-traitants d’aujourd’hui deviennent des cotraitants.

Ensuite, Alstom, Bombardier et Siemens sont aujourd’hui concurrents. Ne faut-il pas imaginer un Airbus du rail – un orateur précédent le suggérait également –, dans lequel ces trois groupes et d’autres constructeurs coopéreraient ?

En outre, nous souhaitons l’intégration dans les marchés publics de clauses en matière d’emploi, mais aussi d’environnement, afin de répondre aux enjeux de la transition énergétique. Il ne serait pas anormal non plus de favoriser les entreprises nationales.

Enfin, il faut réfléchir à la création d’un fonds d’investissement et de modernisation des équipements ferroviaires permettant un accès facilité aux aides à l’investissement dans la recherche et le développement. La condition, là aussi, est que la Caisse des dépôts et la Banque publique d’investissement ne raisonnent pas comme des actionnaires libéraux.

Surtout, il est urgent d’engager de nouveau une politique publique ferroviaire ambitieuse, portant le projet de renforcer la mobilité et l’aménagement du territoire, en vue de répondre aux enjeux environnementaux et de service public, mais aussi conserver les usines et les emplois en France.

J’évoquerai une dernière piste, étant particulièrement sensible aux enjeux de l’économie circulaire. Il semble nécessaire de créer une véritable filière industrielle nationale du démantèlement et du recyclage pour le matériel roulant.

Voilà les quelques pistes de réflexion qui mériteraient d’être sérieusement étudiées. Sans acte fort et déterminant du Gouvernement, il y a fort à parier que des sites industriels fermeront prochainement – le cas de Reichshoffen, qui me tient à cœur, même si je ne suis pas élue en Alsace, a été évoqué – et que la France perdra encore une industrie.

Ce n’est pas le cas de l’Allemagne, qui, grâce à des initiatives très fortes, est en train de reconquérir son marché intérieur. Certains érigent notre voisin d’outre-Rhin en modèle. Peut-être feraient-ils bien de s’inspirer aussi de son attachement à la défense de ses intérêts ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Joël Labbé, Martial Bourquin et Jean-Jacques Filleul applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lors d’un déplacement en Franche-Comté, le 28 mai dernier, à l’usine Alstom de Belfort, dont environ la moitié des emplois serait menacée, le ministre de l’économie a expliqué les pertes d’emplois industriels dans les secteurs du ferroviaire et du nucléaire essentiellement par la mauvaise organisation industrielle, ainsi que par la faible part de l’investissement privé. Il a ajouté : « Mais nous allons désormais écrire une nouvelle page de la France industrielle. »

Voilà une ambition que le RDSE partage totalement – et j’espère que c’est le cas du Sénat dans son ensemble –, tant une industrie forte est indispensable au développement économique et à l’emploi dans notre pays.

Mais, pour le moment, la réalité semble bien différente. Un certain nombre de questions se posent. Le présent débat, organisé sur l’initiative de la commission du développement durable, est l’occasion de les formuler.

Au troisième rang mondial après l’Allemagne et la Chine, la filière ferroviaire française souffre de la baisse des carnets de commandes pour les trois prochaines années, menaçant ainsi l’emploi, comme en témoigne l’alerte lancée par la Fédération des industries ferroviaires et évoquant 10 000 à 15 000 emplois concernés.

Pourtant, il s’agit incontestablement d’un secteur d’avenir dans les pays émergents, qui doivent répondre à la demande croissante de mobilité résultant de la forte urbanisation, mais aussi dans le monde, avec la nécessaire modernisation des infrastructures et du matériel roulant.

Or l’industrie ferroviaire française peut notamment compter sur son savoir-faire à l’exportation, avec une croissance de 60 % à 70 % en 2013 pour le matériel roulant et les signalisations. Ce secteur est également porteur en France puisque les infrastructures et le matériel roulant souffrent d’un sous-investissement chronique, qui perdure depuis trente ans.

S’il existe un marché considérable dans notre pays, avec le renouvellement des rames de la première génération de TGV, de l’ensemble des trains d’équilibre du territoire et des trains express régionaux, ainsi que l’acquisition des futurs métros du Grand Paris ou des tramways, force et de constater que l’industrie ferroviaire française est surtout pénalisée par une régression de la commande publique.

Cela met en difficulté les grands constructeurs, mais aussi les petits équipementiers qui en dépendent. Cette situation peut entraîner des retards de livraison, comme c’est le cas actuellement des trente-quatre trains Coradia Liner.

Cette industrie subit, de surcroît, la concurrence des autres modes de transport, l’aérien, notamment avec les compagnies aériennes low cost, et le routier, qui ont indirectement bénéficié du manque d’investissements de l’État en matière d’infrastructures ferroviaires. À cela s’ajouteront prochainement l’ouverture à la concurrence des liaisons par autocar prévue par le projet de loi Macron et les fermetures de lignes TET, qui semblent se profiler avec la publication le 25 mai dernier du rapport Duron, au risque de favoriser encore un peu plus le report du mode ferroviaire sur le mode routier, de manière peu cohérente avec la transition écologique.

Toutefois, ce qui pénalise réellement l’industrie ferroviaire, c’est bien l’absence de stratégie claire du Gouvernement ou de décisions fermes. Nous avons pu le constater avec l’abandon laborieux de l’écotaxe poids lourds, non compensé par des ressources pérennes, alors que le financement des transports ferroviaires est loin d’être assuré au moment où la dette du secteur atteint 40 milliards d’euros.

Cette politique des transports hésitante et confuse donne une mauvaise visibilité à nos grands constructeurs et aux milliers de petites et moyennes entreprises qui rencontreront des difficultés à se positionner sur le plan international. Il en résultera, comme pour le nucléaire, une perte d’expertise et de savoir-faire, donc des destructions d’emplois.

Au moment de la fusion des grands constructeurs chinois CNR et CSR, du rachat de l’italien Ansaldo STS par le japonais Hitachi, et avec un groupe Alstom fragilisé par la vente de sa branche « énergie », il y a urgence à agir.

Il convient de revoir le mode de financement des transports ferroviaires et leur modèle économique, à la veille de l’ouverture des lignes intérieures à la concurrence, prévue pour 2019, à laquelle la France n’est manifestement pas assez préparée.

En outre, le rapprochement avec les autres constructeurs européens est souhaitable, en vue d’assurer l’interopérabilité des réseaux européens et la standardisation du matériel.

Un appel d’offres devrait être lancé à la fin du mois de juin pour le TGV du futur. Pour autant, est-ce compatible avec la priorité que le Gouvernement prétend accorder aux trains du quotidien, à l’heure où la ressource publique se fait rare ?

L’ambition que le Gouvernement porte pour les grands projets est saine, à condition de prévoir les financements correspondants. Sinon, à quoi bon ?

Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, nous espérons que vous pourrez nous éclairer sur la stratégie du Gouvernement pour soutenir l’industrie ferroviaire française et l’aider à demeurer une filière d’excellence, avant qu’il ne soit trop tard.

De même, sur l’éventuelle prise de participations de l’État au sein d’Alstom, nous attendons vos éclaircissements, comme les salariés concernés, y compris ceux des nombreux sous-traitants. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier à mon tour la commission du développement durable d’avoir pris l’heureuse initiative de ce débat sur l’avenir de l’industrie ferroviaire française. L’actualité du thème est évidente sur le plan intérieur. J’ajoute qu’il s’agit d’un sujet brûlant pour l’Union européenne.

En effet, le conseil « transports » doit se prononcer après-demain sur le quatrième « paquet ferroviaire ». Cette expression désigne un ensemble de six textes ayant pour objectif commun d’accroître la part des chemins de fer dans les transports de passagers.

Le moment est donc particulièrement bien choisi pour examiner la contribution que le droit européen en cours d’élaboration apportera à l’avenir de l’industrie ferroviaire. Par nature, l’achèvement de la libéralisation augmentera la demande adressée à l’industrie. Il s’agit là d’une perspective à relativement long terme. Elle fait l’objet de ce que l’on dénomme le pilier politique du quatrième « paquet ferroviaire ». Lorsqu’il entrera en vigueur, ce pilier politique étendra la concurrence aux transports de passagers par train au sein de chaque État membre.

Actuellement, la concurrence ne peut s’exercer que pour les transports internationaux de passagers, ainsi que pour l’ensemble du fret ferroviaire, qu’il soit international ou purement national. Cette libéralisation a-t-elle tenu ses promesses ? Pas autant que nous l’aurions souhaité au sein de cette assemblée : les conditions techniques de certification et de signalisation ferroviaire induisent des frais qui empêchent les opérateurs de proposer des tarifs plus attractifs aux passagers.

Ce double constat justifie que l’on accorde la plus grande importance au pilier technique. Celui-ci comporte, notamment, un projet de règlement tendant à généraliser les spécifications techniques d’interopérabilité valables pour l’ensemble de l’Union européenne.

Ce processus permettra d’éliminer progressivement les 11 000 règles nationales encore en vigueur aujourd’hui, soit plus de 400 par État membre en moyenne. Ce même projet de règlement conférera un rôle spectaculairement accru à l’Agence ferroviaire européenne.

Aujourd’hui, l’utilisation du matériel ferroviaire sur le réseau d’un État membre suppose que l’autorité ferroviaire nationale ait autorisé celle-ci. Chaque organisme utilise ses propres normes, avec des procédures spécifiques. La Commission européenne a observé que le coût d’une procédure d’autorisation dans un seul État membre peut atteindre 10 % du prix de revient industriel. Un fabricant de locomotives souhaitant proposer sa dernière motrice à un opérateur dont l’activité couvrirait la Pologne, l’Allemagne et la France devra suivre trois procédures distinctes et élaborer trois dossiers tout à fait dissemblables. Le coût total des certifications n’atteindra peut-être pas 30 % du prix de revient industriel, mais la combinaison des délais et les vérifications diverses demandées par chacun des trois États membres accroissent fatalement le prix de vente. Il est donc extrêmement souhaitable que l’Agence ferroviaire européenne délivre la certification unique permettant d’utiliser le matériel concerné dans chaque État membre.

L’unification de la signalisation est le deuxième aspect du pilier technique. L’enjeu est la généralisation du dispositif paneuropéen de signalisation, couramment dénommé ERTMS. L’Europe comporte aujourd’hui plus de vingt systèmes différents de signalisation et de contrôle de vitesse des trains. Chaque système impose que les cabines des locomotives soient équipées en conséquence. Reliant Paris à Bruxelles, le Thalys utilise successivement sept dispositifs embarqués : sept systèmes pour seulement deux États membres ! La généralisation de l’ERTMS sera donc source d’économies pour les opérateurs.

Jusqu’à présent, la libéralisation des transports ferroviaires s’est effectuée dans des conditions provoquant une hausse des prix pour les opérateurs. En conséquence, les clients ne voient pas baisser les prix des trajets. Je profite donc de ce débat, monsieur le secrétaire d'État, pour demander que la France obtienne jeudi du conseil « transports » qu’il adopte sans plus tarder le pilier technique du quatrième « paquet ferroviaire ».

Ainsi, les délais légitimement exigés par l’organisation d’une concurrence loyale ne retarderont pas l’entrée en vigueur des dispositions prétendument techniques. Il s’agit, en réalité, des préalables à la libéralisation réussie que je ne suis pas seul à appeler de mes vœux. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat est de la plus haute importance : il s’agit de 280 entreprises et de plus de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 1,5 milliard d’euros à l’exportation. Le secteur de l’industrie ferroviaire est une source d’emplois importante, puisqu’il représente 21 000 salariés. C’est également un secteur d’excellence qui fait la fierté de notre pays, au côté de l’aéronautique, du tourisme et de l’agriculture.

Si le chiffre d’affaires des entreprises ferroviaires est en augmentation de 60 % à l’export, il est en revanche en recul de 16 % au plan national. Les responsables de l’entreprise bien franc-comtoise Alstom, qui emploie 550 personnes à Belfort, m’a indiqué tout à l’heure mon collègue Cédric Perrin, m’ont dit pâtir avant tout d’un manque de visibilité.

En 2006, la SNCF a créé la marque Intercités. En 2010, le gouvernement de l’époque a pris l’heureuse initiative de mettre en place les TET. En 2015, monsieur le secrétaire d'État, votre décision de demander un rapport à M. Duron fut également bienvenue, car nous étions dans une sorte de flou artistique. Nous avions donc besoin d’y voir plus clair dans l’organisation générale des transports ferroviaires et routiers.

Après avoir pris connaissance de ce rapport, il me semble que nous devons faire attention à ne pas avoir un raisonnement trop rigide. En effet, lorsqu’une ligne n’est pas rentable, la supprimer purement et simplement n’est pas la seule option envisageable : on ne ferme pas systématiquement toutes les entreprises qui souffrent et ont connu deux années de déficit ! On peut aussi agir sur des leviers pour améliorer leur fonctionnement.

En l’occurrence, le premier levier est d’augmenter la productivité de la SNCF. Cette entreprise, l’une des plus belles en Europe, souffre curieusement d’un manque de productivité. Je rejoins Jean Bizet à ce propos : un peu de concurrence est nécessaire. Lors de l’examen du projet de loi Macron, le Sénat a d’ailleurs adopté le principe d’une mise en concurrence en 2017, sur lequel l’Assemblée nationale souhaite revenir, semble-t-il.

La dégradation de la qualité des infrastructures et du matériel est un autre problème, qui explique que le service rendu, en termes de régularité des horaires et de temps de parcours, ne soit pas ce qu’il devrait être. Pour gagner du temps, certains préconisent de supprimer des arrêts. Pourquoi ne pas plutôt actionner, là aussi, d’autres leviers ? L’amélioration des infrastructures, du matériel roulant peut permettre d’améliorer grandement la rentabilité des lignes et leur fréquentation. Les usagers des transports ferroviaires sont en réalité des clients, qu’il s’agit de satisfaire ! À cet égard, le confort joue également un rôle important.

En ce qui concerne l’achat de matériels pour les TET grandes lignes, le Coradia Liner V 200 d’Alstom – je n’oublie pas que deux autres entreprises, dont Bombardier Transport, produisent en partie en France –, surnommé le « petit frère du TGV » et roulant à 200 kilomètres à l’heure, constitue une option extrêmement intéressante pour les lignes électrifiées. C’est tout de même mieux que l’autocar !

D’autres lignes ne sont pas électrifiées, telle la ligne 4, autrefois appelée « Paris-Bâle ». Lorsque j’étais enfant, j’adorais prendre le train à vapeur l’Arbalète pour aller voir ma grand-mère à Paris. (Sourires.) Le rapport préconise le maintien de la ligne Paris-Belfort, mais il va falloir la moderniser. Je puis vous garantir que si nous l’équipons, par exemple, de Coradia Liner V 160, le succès sera au rendez-vous. Lorsque mon collègue Alain Joyandet a posé une question orale sur ce sujet, M. Jean-Marie Le Guen, qui vous remplaçait au banc du Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, a répondu que la ligne serait équipée de rames Régiolis, pouvant rouler entre 100 et 120 kilomètres à l’heure. Le matériel roulant sur cette ligne sera-t-il bien renouvelé, et si oui à quelle échéance ? S’agira-t-il de Coradia Liner V 160, qui offrent un tout autre niveau de confort que les Régiolis et présentent en outre l’avantage de rouler plus vite ?