Mme la présidente. Monsieur Longeot, l’amendement n° 37 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-François Longeot. J’ai bien entendu les explications de M. le rapporteur ; il me semble toutefois que l’adoption de cette mesure permettrait de lancer la réflexion.

Je maintiens donc cet amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.

M. Gérard Miquel. J’ai bien entendu les explications qui ont été données sur ce sujet. Des expérimentations existent dans un certain nombre de territoires pour la collecte des matières plastiques : nous en souhaitons la généralisation.

En effet, les matières plastiques sont un polluant que l’on retrouve parfois dans la nature, ce qui est bien dommageable. Pourtant, on peut recycler ces plastiques sous diverses formes : le recyclage matière et les CSR, qui constituent une réponse adaptée pour certains plastiques qui ne sont pas recyclables aujourd’hui, mais qui le seront sans doute demain.

On nous cite les éco-organismes, mais ne nous faisons aucune illusion ! Ils demandent des contributions aux metteurs en marché et les reversent aux collectivités. Dès lors, si ces dernières deviennent performantes, elles recevront beaucoup plus, puisque la tarification est incitative ; plus on est performant, plus on recycle de tonnes de déchets et plus la somme reçue par tonne est élevée. Les collectivités ont donc intérêt à être performantes.

Il existe des tonnes de matières plastiques excédentaires. Cela complique beaucoup les choses dans les grands centres de tri automatisés. On a complètement cassé l’emploi dans ces centres : c’est la grande mode aujourd’hui, mais c’est loin d’être de l’économie circulaire !

Or on veut construire toujours plus de ces très grands centres de tri, où six techniciens seulement feront fonctionner les machines qui traitent tous les produits. Toutefois, il faut être prudent : les résultats de ces centres sont moins bons, car les films plastiques perturbent le fonctionnement des machines. (Mme Évelyne Didier opine.)

Dans nos petits centres de tri, qui traitent dix à quinze mille tonnes de déchets, nous arrivons en revanche à collecter tous ces produits et à les trier dans de bonnes conditions. Et les produits répondent aux prescriptions techniques minimales, ou PTM.

Je ne vois donc pas pour ma part ce que peut apporter l’adoption de cet amendement. Il vise à insérer à l’alinéa 15 la phrase suivante : « L’éco-organisme en charge de la filière emballages mettra en œuvre les moyens nécessaires, notamment financiers, pour que les collectivités locales réalisent cette extension plastique sans surcoût pour les finances locales. »

Nous pouvons bien sûr partager ce vœu, mais ce n’est sûrement pas la solution. Nous devons plutôt démontrer que nous sommes performants ; les metteurs en marché seront alors bien obligés de dépenser des sommes supplémentaires pour faire face aux besoins de l’ensemble des collectivités.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 37 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 161, présenté par Mme Didier, M. Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 19, deuxième phrase

Remplacer les mots :

sont encouragées grâce à

par les mots :

font l’objet d’

La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. L’article 19 du projet de loi dispose que la politique nationale de prévention et de gestion des déchets est un levier essentiel de la transition vers une économie circulaire. Les objectifs de cette politique sont définis de manière à respecter la hiérarchie des modes de traitement des déchets : prévention, réduction, lutte contre l’obsolescence programmée, réemploi, valorisation matière et, en dernier lieu, valorisation énergétique des déchets.

En première lecture, nous avions eu l’occasion d’insister sur le danger de voir le déchet assimilé à une matière énergétique comme les autres. En effet, cette confusion remettrait en cause l’objectif premier que nous ne devons jamais perdre de vue, à savoir la réduction à la source.

L’alinéa 19 de cet article précise l’objectif de valorisation énergétique : il s’agit d’« assurer la valorisation énergétique des déchets qui ne peuvent être recyclés en l’état des techniques disponibles et qui résultent d’une collecte séparée ou d’une opération de tri réalisée dans une installation prévue à cet effet. Dans ce cadre, la préparation et la valorisation de combustibles solides de récupération – les CSR – sont encouragées grâce à un cadre réglementaire adapté. »

Cette notion d’encouragement des combustibles solides de récupération a été supprimée par les députés. Ils ont estimé qu’elle enfreindrait la priorité donnée à la valorisation matière sur la valorisation énergétique dans la hiérarchie des modes de traitement des déchets. Au Sénat, l’adoption d’un amendement en commission a eu pour effet de rétablir le texte adopté par le Sénat en première lecture. Je trouve néanmoins que la rédaction de l’Assemblée nationale était plus juste.

En effet, la commission du développement durable a considéré qu’il fallait « encourager ces combustibles et les valoriser jusqu’au bout, avant l’élimination ». Il faut évidemment en faire quelque chose. Toutefois, encourager, c’est créer une filière énergétique, qui ne pourra plus par la suite se passer de ces combustibles ; là est à mes yeux le danger.

Quoi qu’il en soit, la valorisation énergétique figure dans le projet de loi. Elle reste un mode de traitement des déchets, l’un des derniers dans la hiérarchie que nous tous avons votée. Il nous paraît donc étrange, sinon contradictoire, d’assigner un objectif d’encouragement à la réglementation visant à encadrer les CSR.

Mes chers collègues, afin d’écarter toute ambiguïté sur le fait que cette valorisation énergétique doit rester secondaire par rapport à la valorisation matière, nous vous proposons d’adopter notre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission du développement durable ?

M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Cet amendement vise à revenir sur le texte adopté en commission. Je rappelle que la hiérarchie des modes de traitement des déchets s’applique en tout état de cause, et qu’il ne s’agit donc d’encourager les CSR qu’après avoir épuisé les autres options de valorisation.

La commission du développement durable a émis par conséquent un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement émet quant à lui un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.

M. Gérard Miquel. Je suis aussi, pour ma part, tout à fait favorable à cet amendement. En effet, on ne doit pas, à mon sens, considérer les CSR comme la solution qui permettra de traiter une quantité importante de déchets et ainsi de résoudre nos problèmes. Seuls les déchets résiduels après recyclage ou compostage doivent être utilisés comme CSR.

Par ailleurs, il existe une difficulté supplémentaire : le marché pour ces combustibles est aujourd’hui un marché captif, car ils ne peuvent être utilisés que dans les cimenteries. Or celles-ci sont en situation de monopole et se font donc pratiquement payer pour prendre en charge les CSR, ce qui est complètement anormal : de fait, les CSR leur permettent d’utiliser moins de fuel lourd et leur font donc faire des économies. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)

Il nous faut donc trouver d’autres solutions. C’est pourquoi nous devrons faire évoluer nos unités de traitement thermique, pour qu’elles puissent utiliser ces combustibles. Le pouvoir calorifique inférieur, ou PCI, des CSR est beaucoup plus élevé que celui des ordures ménagères en mélange que ces unités utilisent aujourd’hui. Il faudra donc une évolution, pour nous permettre de produire de l’énergie, de la chaleur et de l’électricité à partir de ces combustibles.

Mme Évelyne Didier. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 161.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 162, présenté par Mme Didier, M. Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 19

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

L’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie remet tous les trois ans au Gouvernement une étude sur la provenance, le tonnage et la composition des combustibles solides de récupération.

La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. À l’article 19 du projet de loi, la commission du développement durable, fidèle à sa pratique, a supprimé une demande de rapport à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, sur les combustibles solides de récupération.

Dans le texte issu de l’Assemblée nationale, il était prévu que l’ADEME remette un rapport au Gouvernement tous les trois ans. Ce document aurait porté sur la composition des CSR et sur les pistes de substitution et d’évolution des techniques de tri et de recyclage.

Par notre amendement, nous vous proposons que l’ADEME remette tous les trois ans au Gouvernement une étude, et non un rapport. Il y a tout de même une différence entre les deux. (M. Louis Nègre, rapporteur pour avis, manifeste son scepticisme.) Mais si, monsieur le rapporteur pour avis ! Un rapport est beaucoup plus profond ; il contient une analyse.

Dans le cas qui nous occupe, nous pouvons nous contenter d’une simple étude chiffrée, avec des tableaux, pour nous faire une idée, à charge pour nous ensuite d’en faire l’analyse. Ce serait moins lourd. De surcroît, je sais bien que l’ADEME et le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie produisent couramment de tels tableaux de bord.

L’étude que nous demandons porterait sur la provenance, le tonnage et la composition des combustibles solides de récupération ; ce serait un recueil de données.

En effet, l’extension des consignes de tri à l’ensemble des emballages plastiques ne doit pas s’accompagner d’un développement de l’incinération ou de la co-incinération. La priorité doit rester à la réduction des déchets à la source et à la valorisation matière. Tant que les combustibles solides de récupération sont composés de déchets pour lesquels il n’existe pas d’autre choix, bien sûr, ils se justifieront. Nous sommes tous d’accord sur ce point, mais l’idéal serait de ne rien avoir à brûler.

Il faut donc tendre vers la baisse, et non la hausse, des CSR. Pour agir en ce sens, il est nécessaire d’avoir des informations très précises. C’est pourquoi je vous propose de réintroduire cette demande de tableaux de suivi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission du développement durable ?

M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. La commission du développement durable a émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement a émis un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 162.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 279, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. – Le code de l’urbanisme est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 146-4, il est inséré un article L. 146-4-… ainsi rédigé :

« Art. L. 146-4-… – En Corse, par dérogation aux dispositions du premier alinéa du I de l’article L. 146-4, les ouvrages et installations nécessaires au traitement ou au stockage des déchets, relevant de l’article L. 511-1 du code de l’environnement et qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées, peuvent être implantés en dehors des espaces proches du rivage après délibération favorable de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme ou, à défaut, du conseil municipal de la commune concernée par l’ouvrage ou l’installation, et après avis du conseil des sites de Corse.

« Les ouvrages et installations mentionnés au premier alinéa ne peuvent pas être implantés s’ils sont de nature à porter atteinte aux sites et paysages remarquables.

« Le présent article s’applique sans préjudice de l’obligation pour le territoire de mener une politique ambitieuse de transition vers une économie circulaire, visant à améliorer notablement la prévention des déchets. » ;

2° Après le sixième alinéa de l’article L. 156-2, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 156-2, les ouvrages et installations nécessaires au traitement ou au stockage des déchets, relevant de l’article L. 511-1 du code de l’environnement et qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées, peuvent être implantés en dehors des espaces proches du rivage après délibération favorable de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme ou, à défaut, du conseil municipal de la commune concernée par l’ouvrage ou l’installation, et après avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites.

« Les ouvrages et installations mentionnés au premier alinéa ne peuvent pas être implantés s’ils sont de nature à porter atteinte aux sites et paysages remarquables.

« Les dispositions des deux alinéas précédents s’appliquent sans préjudice de l’obligation pour le territoire de mener une politique ambitieuse de transition vers une économie circulaire, visant à améliorer notablement la prévention des déchets. »

La parole est à Mme la ministre.

Mme Ségolène Royal, ministre. Cet amendement a pour objet l’adaptation de la loi Littoral dans les régions insulaires, notamment la Corse. Nous voulons ainsi permettre à ces territoires, qui sont confrontés à de très graves problèmes de gestion de leurs déchets, de bénéficier d’un assouplissement de la loi littoral. Celle-ci impose, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, une obligation de construction en continuité de l’urbanisation existante, ce qui crée aujourd’hui de très importantes difficultés.

Cet assouplissement n’est certes pas évident à réaliser. Il faut pourtant, à mon sens, se montrer pragmatique, pour permettre à ces collectivités insulaires de remplir les obligations de la loi de transition énergétique, en particulier celles qui sont relatives au traitement des déchets.

Bien évidemment, cet assouplissement doit être encadré de façon très étroite. Nous entendons le restreindre aux projets qui sont strictement nécessaires à la gestion des déchets sur ces territoires et sont en conséquence prévus par les plans de prévention et de gestion des déchets en vigueur. Il est également limité aux installations classées, c’est-à-dire aux projets pour lesquels la procédure de classement aura établi que l’ensemble des impacts est maîtrisé.

Par ailleurs, l’interdiction de bâtir de telles installations dans les espaces proches du rivage et dans les zones qui portent atteinte aux sites et aux paysages remarquables est explicitement maintenue dans cet amendement. La consultation des conseils des sites et leur avis conforme sont également prévus.

En contrepartie, ces territoires devront obligatoirement s’engager dans la démarche des « territoires zéro gaspillage zéro déchet ». Cela signifie la mise en place anticipée de toutes les nouvelles contraintes et normes qui sont prévues dans ce projet de loi et qui améliorent la prévention et le traitement des déchets. Il s’agit en particulier de l’obligation de tri des biodéchets, de la lutte contre le gaspillage alimentaire ou encore de la valorisation matière. Ainsi, le cahier des charges des « territoires zéro gaspillage zéro déchet » devra être mis en place pour permettre cette dérogation à la loi Littoral.

Voilà l’équilibre que je vous propose sur un sujet extrêmement difficile. Vous connaissez bien mon attachement à la loi Littoral ; je crois toutefois que nous devons prendre en compte les contraintes de ces territoires. Ils doivent eux aussi s’engager dans la transition écologique, pour laquelle la question du tri des déchets revêt un caractère exemplaire.

La dérogation offerte se voit équilibrée par l’obligation de diminuer le volume des déchets à la source et par bien d’autres dispositifs contenus dans ce texte, que je ne répéterai pas. Ces territoires verront une application anticipée de ces normes en intégrant l’appel à projets national « territoires zéro gaspillage zéro déchet ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission du développement durable ?

M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Cet amendement n’a pu faire l’objet d’un examen en commission. Le Gouvernement y pose la question délicate de l’élimination des déchets en Corse.

Cette île se trouve effectivement dans une situation extrêmement problématique, dans la mesure où elle ne dispose plus, à l’heure actuelle, d’exutoire pour ses déchets ultimes.

Les projets d’installations envisagés se heurtent aux particularités de l’île. Pour simplifier, l’essentiel de la population et des infrastructures se trouve sur les littoraux, où s’applique le principe d’urbanisation en continu de la loi Littoral. Lorsqu’on entre dans les terres, on tombe sous le coup de la loi Montagne, qui réglemente également la création de telles infrastructures.

Il faut par ailleurs souligner que ces législations particulières sont difficilement compatibles avec les règles existantes en matière d’installations de stockage des déchets, qui interdisent, pour leur part, de placer ces installations dans la continuité des habitations. On est donc en pleine contradiction.

Pour toutes ces raisons, et compte tenu de l’urgence de la situation, le Gouvernement propose par cet amendement une dérogation ponctuelle aux dispositions problématiques de la loi Littoral.

Madame la ministre, il est toujours très délicat de voter des dérogations à cette loi : vous êtes mieux placée que quiconque pour le savoir.

Le dispositif que vous proposez est cependant cadré. Il ne serait par ailleurs pas souhaitable que les déchets soient exportés vers un autre territoire. Vous nous avez en outre précisé qu’il y aurait des contreparties et que les collectivités concernées devraient prendre des engagements. Dès lors, en tant que rapporteur, je serais volontiers favorable à la simple prise en compte de la réalité du terrain que constitue cette dérogation.

Nous devons toutefois faire preuve d’une extrême prudence en la matière. Il faut toucher avec prudence à la loi Littoral ; nous le savons tous, et vous venez vous-même d’évoquer une série de contreparties, madame la ministre. Tout ce que je demande – c’est important pour que notre assemblée vote cet amendement du Gouvernement –, c’est que les engagements formulés devant le Sénat soient tenus.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Je le précise d’emblée, nous n’avons pas eu le temps d’expertiser cet amendement. Il faut tout de même savoir que, actuellement, en Corse, pour un certain nombre de projets de décharges, la situation est extrêmement tendue. Certaines entreprises de traitement des déchets ont des réputations sulfureuses – je n’en dirai pas plus !

Je découvre cet amendement et suis donc incapable de me faire une opinion. Toutefois, il me semble extrêmement dangereux de prévoir que de toutes petites communes pourraient prendre elles-mêmes des décisions dans ce domaine.

Aux termes de cet amendement, « le présent article s’applique sans préjudice de l’obligation pour le territoire de mener une politique ambitieuse de transition vers une économie circulaire, visant à améliorer notablement la prévention des déchets. » Cela veut-il dire que le territoire s’engage plus que les autres ? C’est très compliqué !

Je vais m’abstenir sur cet amendement, que je suis incapable d’expertiser à ce stade de nos discussions. Cette mesure devait-elle obligatoirement passer par cette loi ? Ne pouvait-on pas nous le soumettre à un autre moment, après avoir procédé à une véritable expertise ?

Je le répète, la question des déchets et des décharges est extrêmement sensible en Corse, et c’est presque un euphémisme.

Mme Évelyne Didier. Pas seulement en Corse !

M. Ronan Dantec. Donner un avis politique ici sans avoir expertisé cet amendement avec les associations corses, c’est, pour moi, absolument impossible.

Faute de pouvoir faire mieux, je vais m’abstenir sur cet amendement. Surtout, je me demande, madame la ministre, si nous n’aurions pas pu utiliser un autre moment du calendrier parlementaire, par exemple profiter d’une niche, et travailler sur ce sujet. Cette demande me met extrêmement mal à l’aise, et je crois que je ne suis pas le seul ici dans ce cas.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Requier. Je souhaite saluer l’initiative du Gouvernement qui, par cet amendement, remédie avec pragmatisme à un problème bien réel.

Notre collègue Joseph Castelli avait déposé un amendement dont les dispositions allaient dans ce sens, mais celui-ci a été déclaré irrecevable en application de la règle de l’entonnoir.

En Corse et en outre-mer, la forte concentration de la population sur le territoire, conjuguée à un accès difficile à l’arrière-pays et à l’obligation de respecter les dispositions de la loi Littoral de 1986, qui consacre le principe d’extension de l’urbanisation en continuité, rend pratiquement impossible l’implantation des installations de traitement ou de stockage des déchets, incompatibles avec le voisinage des zones habitées.

Ainsi, le permis de construire d’une unité de traitement mécano-biologique des déchets non dangereux avec installation de stockage à Tallone, en Haute-Corse, vient d’être annulé par le tribunal administratif de Bastia pour non-conformité avec la loi Littoral.

Or le centre d’enfouissement de Tallone est saturé, alors qu’il traite la moitié des déchets de l’île de Beauté, ce qui rend la situation intenable.

En permettant à ces territoires d’implanter de telles installations dans les communes du littoral de Corse et d’outre-mer, en dehors des espaces proches du rivage et sous certaines conditions, l’amendement du Gouvernement ne tend pas à remettre en cause l’équilibre et les vertus protectrices de la loi Littoral. C’est la raison pour laquelle notre groupe le soutient.

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.

Mme Chantal Jouanno. Je suis très réservée vis-à-vis de cet amendement, voire hostile, pour deux raisons : une raison de fond et une raison de forme.

La raison de fond, c’est que, comme l’a très bien expliqué mon collègue Ronan Dantec, la question des déchets en Corse est sulfureuse. Ce n’est pas la première fois que nous assistons à ce genre de tentative. On dépasse ici la question de l’économie circulaire, même si on l’a utilisée pour habiller cet amendement. Ce dernier vise en effet « les ouvrages et installations nécessaires au traitement ou au stockage des déchets ».

En outre, cette proposition constitue une atteinte à la loi Littoral. Or tous les amendements visant à assouplir ce texte ont, dans un premier temps, été examinés avec beaucoup de réserve ; puis, à chaque fois, ils ont été retoqués.

Enfin, ce que l’on va faire en Corse, on va le faire ailleurs.

M. Charles Revet. Bien sûr ! Il n’y a pas de raison.

Mme Chantal Jouanno. Ce que l’on va faire en Corse, on va le faire outre-mer. Je connais la situation difficile de Mayotte, par exemple. On imagine bien que ce qui est possible en Corse sera possible dans d’autres territoires.

La raison de forme, c’est que nous découvrons cet amendement à ce stade de la discussion. Nous ne sommes plus en première lecture. La commission mixte paritaire s’est réunie. Et c’est maintenant que nous découvrons cet amendement qui, loin d’être rédactionnel, vise des questions de principe !

Je suis donc extrêmement réservée. Il serait plus judicieux d’essayer de trouver un autre véhicule législatif pour nous donner le temps d’expertiser ces dispositions.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Poher, pour explication de vote.

M. Hervé Poher. Je suis d’avis de voter cet amendement, car son dispositif présente une double sécurité. J’ai la faiblesse de croire à l’efficacité du premier verrou : je fais confiance aux pouvoirs et à la justesse des avis de la commission départementale en matière de nature, de paysage et de site. Dans mon département, cela marche bien. Je ne vois pas pourquoi cela ne marcherait pas bien en Corse, même si je sais que ce n’est pas un territoire comme les autres…

En outre, l’amendement tend à poser un second verrou de sécurité : « Ces ouvrages et installations ne peuvent pas être implantés s’ils sont de nature à porter atteinte aux sites et paysages remarquables. » La limite imposée est évidente, puisque la Corse n’est qu’un ensemble de sites et de paysages remarquables ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l’amendement du territoire et du développement durable. Moi non plus, je ne suis pas très à l’aise avec cet amendement.

Tout d’abord, je pense qu’il n’est pas recevable au titre de la règle de l’entonnoir. À mon avis, si nous l’adoptions, il ne pourrait pas dépasser le stade du Conseil constitutionnel, parce que nous sommes dans un cas manifeste d’irrecevabilité. Ce premier point se suffit à lui-même.

Ensuite, nous découvrons cet amendement très tard, en séance. La commission n’a pas eu le temps de l’examiner. Il va de soi qu’il n’y a eu aucune étude d’impact. Or les dispositions proposées – on touche à la loi Littoral, on prévoit d’installer des lieux pour stocker des déchets – sont bien de nature à nécessiter une étude d’impact.

Ma réserve porte aussi sur le dispositif lui-même : il reviendrait aux conseils municipaux et aux EPCI de se prononcer. Or je ne suis pas certain qu’une collectivité, quelle qu’elle soit, soit la mieux placée pour prendre ce type de décisions.

En ce qui concerne cet amendement, je rejoins tout à fait le camp des sceptiques – pour ne pas dire davantage.

M. Ladislas Poniatowski. C’est au président de la commission de décider !

M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. La commission ne s’est pas réunie !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Ségolène Royal, ministre. J’ai été très attentive au débat et aux échanges qui viennent d’avoir lieu.

Personne n’est à l’aise quand il s’agit de déroger à la loi Littoral. J’ai eu l’occasion, dans d’autres circonstances et sur d’autres sujets, de défendre farouchement, et avec succès, la loi Littoral, contre un certain nombre de tentatives visant à l’assouplir. On l’a vu notamment dans le cadre des installations des énergies renouvelables.

J’en conviens, mesdames, messieurs les sénateurs, cet amendement vous est soumis tardivement. Si tel est le cas, c’est parce qu’il a fallu du temps pour l’élaborer. Voilà des années que ce territoire attend un certain nombre de décisions pour permettre un traitement correct des déchets.

Nous avons été saisis d’une demande des élus, une demande unanime du syndicat de traitement des déchets, le syndicat mixte pour la valorisation des déchets de Corse, le SYVADEC, qui regroupe l’ensemble des collectivités de Corse, quelle que soit la sensibilité politique des élus. C’est bien le moment de faire preuve de pragmatisme et de donner des moyens aux collectivités territoriales, sous le contrôle des préfets.

J’entends bien la façon dont vous réagissez – à juste titre – par rapport à la rédaction du texte. Toutefois, celle-ci ne remet pas en cause la procédure des installations classées. Vous vous interrogez sur les avis des coopérations intercommunales ou des conseils municipaux ; je vous réponds que vous avez satisfaction, car le processus se situe bien dans le cadre extrêmement rigoureux des installations classées, c’est-à-dire qu’il y a enquête publique, contrôle de la conformité avec le plan d’élimination des déchets, contrôle de l’impact environnemental de ces installations et avis des commissions des sites.

De plus, le moment est propice pour engager des partenariats intelligents et constructifs. En effet, le projet de loi sur la transition énergétique dont nous discutons prévoit des normes plus fortes en matière de traitement des déchets. C’est précisément l’occasion d’imposer aux territoires qui demandent une dérogation l’obligation d’anticiper ces différentes normes et de devenir des territoires exemplaires avant l’heure en matière de « zéro gaspillage zéro déchet ».

Il a fallu négocier ; il n’était pas question de lâcher rapidement, si je puis dire, une dérogation à la loi Littoral. On a même négocié pied à pied. J’ai attendu d’avoir des engagements écrits de la collectivité corse pour vous présenter cette mesure. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cet amendement vous est soumis tardivement ; je vous prie de m’en excuser, mais ses dispositions se rapportent parfaitement à la question de l’économie circulaire.

Dans une lettre datée du 8 juillet dernier, que j’ai ici et que je peux bien évidemment vous transmettre, le SYVADEC s’engage à prendre plusieurs mesures : réduction du gaspillage alimentaire, avec un lancement d’appels à projets dès maintenant ; compostage individuel ou de proximité ; réemploi, en exploitant, notamment, les conditions de mise en place de la consigne ; déclinaison des principes de consommation, d’achat et d’utilisation responsables ; expérimentation d’une tarification incitative ; réduction de plus de 30 % du volume de déchets enfouis ; réduction des déchets produits de 16 000 tonnes ; optimisation de la collecte sélective des emballages ménagers et des journaux ; accompagnement de la rénovation des déchetteries ; soutien à la création et à l’optimisation de centres de tri.

Ce syndicat a également des objectifs en termes de traitement des déchets dans le secteur du bâtiment, tels que l’accompagnement des initiatives liées à la valorisation des déchets.

Bref, tout un travail a été fait, et les financements nécessaires devront faire l’objet d’une délibération en bonne et due forme, afin que le préfet, sous le contrôle du ministère de l’écologie, soit assuré que les engagements pris sur un « territoire zéro gaspillage zéro déchet » – ce territoire s’impose à lui-même des normes qui deviendront obligatoires dans quelques années – puissent lui servir de base lors de la demande de dérogation, dans le cadre d’une enquête publique concernant une installation classée. On est vraiment là dans une dynamique constructive.

Par ailleurs, on ne peut pas faire comme si les problèmes n’existaient pas. Cela ne me fait pas forcément plaisir de devoir me retrousser les manches pour régler cette difficulté, car je suis très attachée à la loi Littoral. Néanmoins, je ne peux pas demander à notre pays d’être à l’avant-garde et d’être exemplaire dans le domaine du traitement des déchets si, parallèlement, je refuse de répondre de manière pragmatique à certaines préoccupations.

En la matière, c’est moi qui prends un risque, en accordant une dérogation à la loi Littoral. Croyez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, il n’est pas facile pour moi de prendre cette mesure eu égard à la façon dont je défends cette loi, aux rapports de force qui se font parfois jour et aux différentes pressions qui s’exercent pour défendre cette loi. Toutefois, je veux que mon action soit cohérente avec les efforts que je demande.

On peut sortir de ce problème par le haut, en faisant en sorte que la Corse et les outre-mers, qui rencontrent également des problèmes importants, avec des décharges sauvages, soient des territoires exemplaires.

Certes, on peut fermer les yeux : on peut choisir de ne pas modifier le dispositif et de laisser ces collectivités se débrouiller seules sur le terrain.