M. le président. Monsieur Mézard, l’amendement n° 129 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de votre sens de l’humour !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est à mon corps défendant !

M. Jacques Mézard. Je vous répondrai sur le même ton : pour conduire les véhicules législatifs que vous évoquiez, encore faut-il avoir son permis ! (Sourires.) Lorsque ce n’est pas le cas, on aboutit aux errements que nous constatons depuis quelques années !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce permis est-il libre ? (Nouveaux sourires.)

M. Michel Mercier. Et qui paie l’amende forfaitaire ? (Mêmes mouvements.)

M. Jacques Mézard. Vous me dites que cet amendement concerne la procédure pénale et n’a pas sa place dans un texte civil. Je vous renvoie à l’amendement n° 222, que vous défendrez tout à l’heure. Chacun constatera que, selon les auteurs de l’amendement, on fait deux poids deux mesures.

Pour le reste, prétendre aujourd’hui qu’une disposition adoptée par le Sénat à la demande de Robert Badinter en 2007 devrait encore mûrir, ce n’est pas raisonnable ! Cette mesure a eu tout le temps nécessaire ! Si elle fait encore partie des recommandations de la Cour de cassation, c’est bien parce que celle-ci a également eu le temps de faire mûrir ses propres propositions !

Une fois de plus, comme il ne vous convient pas que nous intégrions cette proposition dans le présent véhicule législatif, vous nous opposez la nécessité d’une étude d’impact. Autant pour ceux qui ont travaillé sur le sujet voici huit ans, et autant pour la Cour de cassation, qui n’a certainement pas suffisamment réfléchi…

Enfin, vous nous dites que la représentation obligatoire pourrait poser des problèmes. Le Parlement et la Chancellerie ont déjà débattu de la représentation obligatoire devant la chambre sociale de la Cour de cassation. Aujourd’hui, tous les acteurs, en particulier les syndicats, affirment que cela se passe très bien.

Dans un domaine aussi important que le droit pénal, je veux bien que vous nous répondiez en évoquant un manque de maturation, mais vous pourriez simplement nous dire que vous ne souhaitez rien de plus que vous en tenir à votre texte ; nous pourrions l’entendre et les choses seraient claires !

Évidemment, je maintiens mon amendement !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 129 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 15.

L'amendement n° 98 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve et Laborde, MM. Requier, Vall, Barbier, Bertrand et Guérini et Mme Malherbe, est ainsi libellé :

I. – Après l’article 15

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 503 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La déclaration d’appel est adressée le jour même ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, en original ou en copie, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée. Elle est transcrite sur le registre prévu au troisième alinéa de l’article 502, et annexée à l’acte dressé par le greffier, le jour de sa réception ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant. »

II. – En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :

Chapitre …

Dispositions améliorant les procédures pénales

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Lorsque l’on a ouvert une brèche, on est tenté de l’élargir ! (Sourires.)

M. Alain Richard. C’est de la stratégie à l’ancienne ! (Nouveaux sourires.)

M. Jacques Mézard. Cet amendement reprend encore une préconisation présente dans le rapport annuel de la Cour de cassation, dont la réflexion a longuement mûri.

L’article 503 du code de procédure pénale prévoit que la déclaration d’appel faite par la personne détenue auprès du chef de l’établissement pénitentiaire est adressée sans délai au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, le greffier en assurant la transcription.

La chambre criminelle est confrontée de manière récurrente à la question de la combinaison de ces dispositions avec celles de l’article 194, dernier alinéa, du même code qui prévoit les délais d’examen de ces appels par la chambre de l’instruction. Selon sa jurisprudence, le point de départ des délais fixés par ce dernier texte est la date de la transcription de la déclaration d’appel. Or, bien que l’article 503 précise que la transmission doive être faite sans délai, il arrive que le délai effectif entre la déclaration d’appel et le moment où elle est transcrite soit excessif.

Le présent amendement vise donc à préciser les délais applicables à la déclaration d’appel. Son adoption permettra de plus que votre futur texte relatif à la procédure pénale soit plus réduit, puisqu’un certain nombre de dispositions utiles et préconisées par la Cour de cassation auront été adoptées dans le cadre de l’examen du présent texte. C’est donc une œuvre utile que je fais !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Je reprends fidèlement l’avis défavorable qu’a émis la commission ce matin. Comme le précédent, cet amendement vise à introduire une disposition de procédure pénale qui aura plus sa place dans le texte, qui, si j’ai bien compris, devrait nous être présenté dans quelques semaines, madame la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Premier ministre l’a annoncé publiquement !

M. Yves Détraigne, rapporteur. Cela étant, je ne suis pas persuadé qu’il y ait un problème de fond, puisque la rédaction actuelle de l’article 503 du code de procédure pénale prévoit déjà qu’une personne détenue faisant appel puisse recourir à une déclaration auprès du chef de l’établissement pénitentiaire, ce dernier devant alors transmettre cette déclaration sans délai au greffe.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au risque de déplaire une fois de plus à M. Mézard, qui sait bien que je n’ai nullement l’intention de lui être désagréable, et bien que j’apprécie son souci de prendre de l’avance sur les textes à venir, je rappellerai, à l’instar du rapporteur, que l’article 503 du code de procédure pénale prévoit déjà une obligation de transmission sans délai.

Quant au présent amendement, il tend à imposer que cette transmission se fasse au plus tard le lendemain, sans prendre en considération les jours fériés ou chômés. Dans ces conditions, un décret d’application pourrait préciser que la transmission de la demande d’appel doit intervenir dès le lendemain si le lendemain est un jour ouvrable.

Quoi qu’il en soit, je vous le répète, mais vous n’en conviendrez pas, cette disposition aurait davantage sa place dans le texte relatif à la procédure pénale. Je vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable. J’observe toutefois que vous parvenez à convaincre l’hémicycle. Peut-être que cet amendement connaîtra le sort heureux du précédent !

M. le président. Monsieur Mézard, l'amendement n° 98 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. Madame la garde des sceaux, j’ai subi tant de défaites depuis hier soir ! Pour une fois que le Sénat ne vous suit pas, il faut faire bonne figure !

En ce qui concerne cet amendement, pour vous être agréable, je le retire.

M. le président. L'amendement n° 98 rectifié est retiré.

L'amendement n° 175, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

I. – Après l’article 15

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le paragraphe 2 de la section 2 du chapitre II du titre III du livre IV du code pénal est complété par un article 432-7-… ainsi rédigé :

« Art. 432-7-... – Est puni des peines prévues à l’article 432-7 le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public d’exercer un des droits de préemption définis par le code de l’urbanisme afin d’empêcher l’acquisition par une personne physique ou morale d’un des biens ou droits énumérés aux 1° à 3° de l’article L. 213-1 du même code en raison de l’un des motifs de discrimination visés aux articles 225-1 et 225-1-1 du présent code. »

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :

Chapitre ...

Dispositions relatives aux abus du droit de préemption

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Le présent amendement vise à combler une lacune du droit en matière de discrimination. Il s’agit de punir pénalement l’exercice abusif, par une personne exerçant une fonction publique, du droit de préemption, fondé notamment sur l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou encore sur l’orientation ou l’identité sexuelle.

Ce vide juridique a été illustré par deux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation des 17 juin 2008 et 21 juin 2011, dans lesquels le juge a considéré que l’exercice d’un droit ne peut constituer un acte discriminatoire, et ce même si l’exercice de ce droit est abusif.

En l’espèce, un maire s’était vu reprocher d’avoir évincé d’une vente de biens immobiliers des acquéreurs en raison de la consonance de leur patronyme, qui laissait supposer leur origine étrangère ou leur appartenance à l’islam, en usant de son droit de préemption à leur encontre. Dans les deux affaires, la volonté du maire avait été démontrée.

Cet amendement vise donc à compléter par un nouvel alinéa l’article 432-7 du code pénal qui sanctionne le délit de discrimination commis par une personne exerçant une fonction publique.

Ainsi, le fait, pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, d’exercer un droit de préemption afin d’empêcher une personne de se porter acquéreur en raison de l’un des motifs de discrimination visés aux articles 225-1 et 225-1-1 du code précité serait puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Il s’agit d’un amendement de bon sens. J’ajouterai que son adoption permettrait d’appliquer concrètement la proposition n° 4 du rapport relatif à la lutte contre les discriminations que j’ai rendu avec mon ancien collègue Jean-René Lecerf, proposition qui préconise d’« introduire dans le code pénal une disposition incriminant l’usage abusif du droit de préemption à des fins discriminatoires ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. La commission a déjà débattu de ce sujet au moment de l’examen du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. Si un amendement identique à celui que nous examinons ce jour avait été présenté par le rapporteur pour avis, M. Vandierendonck, il n’avait pas été adopté en séance publique, les rapporteurs de la commission des affaires économiques s’étant déclarés tous deux réservés.

Le droit de préemption étant relativement complexe à mettre en œuvre, j’avoue être un peu surpris d’entendre que l’on peut le détourner. Compte tenu de la qualité du travail que vous avez effectué avec Jean-René Lecerf, ma chère collègue, je m’en remets néanmoins à votre jugement.

Je demeure malgré tout réticent à l’insertion d’une disposition aussi spécifique et ne relevant pas à proprement parler du domaine pénal dans le texte dont nous débattons.

La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame la sénatrice, la disposition que vous proposez d’introduire relève effectivement à la fois du code de l’urbanisme et des codes pénal et de procédure pénale.

Je suis un peu gênée de renvoyer au projet de loi qui va modifier la procédure pénale, car j’entends votre préoccupation, mais cette disposition y aura davantage sa place dans la mesure où nous avons notamment prévu dans ce texte de transférer la caractéristique générale aggravante de racisme, d’antisémitisme et de discrimination sexiste ou de toute autre nature dans le code pénal.

Cela nous permettrait, de plus, de prendre le temps de lister, outre la préemption immobilière que vous visez spécifiquement, toutes les situations relevant soit de cette circonstance aggravante, soit d’une sanction pour abus de droit de position, notamment dans une instance publique.

Je vous demande donc de retirer cet amendement.

M. le président. Madame Benbassa, l’amendement n° 175 est-il maintenu ?

Mme Esther Benbassa. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse, mais je regrette que cette disposition soit à chaque fois renvoyée à un prochain projet de loi. Dans le cadre de l’examen du texte relatif à la politique de la ville, M. Lamy y était favorable, mais nous avons fait face à l’incompréhension par la commission des affaires économiques de la portée de ce texte. Cela relevait d’un malentendu.

Nous voilà de nouveau face à un renvoi, alors que des affaires prouvent qu’une discrimination réelle existe. On ne peut pas l’ignorer !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 175.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 222, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Après l’article 15

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 441-2 du code de l’organisation judiciaire est ainsi rédigé :

« Art. L. 441-2. -- La chambre compétente de la Cour de cassation se prononce sur la demande d'avis.

« Lorsque la demande d'avis porte sur une question de principe ou relevant normalement des attributions de plusieurs chambres, la formation de la Cour de cassation qui se prononce sur la demande d'avis est présidée par le premier président ou, en cas d'empêchement, par le président de chambre le plus ancien. »

II. - En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :

Chapitre …

Disposition tendant à renforcer l’efficacité de l’action judiciaire

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement vise à faciliter la saisine de la Cour de cassation pour avis par les juridictions. Le droit prévoit actuellement que la Cour de cassation se prononce dans ces cas par décision d’une formation spéciale présidée par son premier président.

Cette procédure lourde a un effet dissuasif sur les juridictions, qui ont pourtant besoin de l’éclairage de la Cour de cassation sur certains points de droit ou certaines interprétations du droit.

Nous proposons de réserver cette formation spéciale aux situations très particulières, par exemple un nouveau point de droit nécessitant une jurisprudence afin d’harmoniser son interprétation sur l’ensemble du territoire, et de permettre aux chambres de droit commun de statuer dans les autres cas.

Il s’agit donc de faciliter la saisine de la Cour de cassation, ce qui ne pourra laisser indifférent M. Mézard, qui a pour la Cour de cassation, cette nuit en tout cas, les yeux de Chimène...

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la garde des sceaux, nous ne pouvons pas travailler dans ces conditions ! Cet amendement soulève des questions de principe importantes et intéressantes. Mais l’ayant reçu très tardivement, la commission, qui a délibéré encore toute la matinée sur les amendements déposés sur ce texte, n’a pas pu procéder aux auditions nécessaires ni approfondir sa réflexion.

Je veux rappeler au Gouvernement, qui prend tout le temps nécessaire avant le dépôt de ses textes, que le fait qu’un instrument législatif soit en discussion n’est pas une motivation suffisante pour y ajouter jusqu’à la dernière minute des amendements sur des sujets aussi importants.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. M. le président de la commission a dit l’essentiel. Nous avons été saisis hier soir de cet amendement et n’avons donc pas pu l’examiner. Par conséquent, pour une question de principe, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. L’échange qui vient d’avoir lieu a l’attrait de la nouveauté. C’est si rare que ce genre de circonstances se présente !

Une fois un mécontentement légitime exprimé, il n’y a selon moi que des arguments en faveur de cette disposition. M Bas connaît très bien le fonctionnement d’une cour suprême. On le sait, lorsque des questions nouvelles apparaissent, vouées à cheminer de degré de juridiction en degré de juridiction, le fait que la première juridiction saisie puisse saisir la juridiction suprême représente un gain d’efficacité et d’unité. Dans la mesure où un tel dispositif était relativement nouveau à la Cour de cassation, on avait prévu qu’une formation spéciale était compétente dans ce cas, alors que la logique aurait été que les chambres le soient.

Il n’y a pas besoin de faire un gros effort de réflexion ou de préparation ni de procéder à de multiples auditions pour considérer que cette disposition relève du simple bon sens.

Mais, si l’on va jusqu’au bout du bon sens, j’ai un peu de mal à comprendre l’une des conditions prévues pour réunir une formation spéciale. De quoi diable une juridiction de base pourrait-elle saisir la Cour de cassation qui ne soit pas une « question de principe » ? Je comprends qu’on ait recours à la formation spéciale lorsque l’affaire relève « normalement des attributions de plusieurs chambres ». Mais pourquoi écrire que cette formation se réunit lorsqu’il s’agit d’une question de principe ? Il sera assez rare, madame la garde des sceaux, que la Cour de cassation soit sollicitée sur une question d’espèce !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. Je me rangerai à l’avis de la commission sur cet amendement. Toutefois, je voudrais souligner l’intérêt qu’il présente. En effet, au moment où le système de cassation, tel qu’il existe aujourd'hui, est remis en cause, le fait de reconnaître la compétence de chacune des chambres de la Cour de cassation pour donner des avis est un moyen efficace de conserver ce système.

Je le reconnais, le cinquième alinéa de cet amendement est un peu obscur et il conviendrait sans doute de le préciser. La précipitation est toujours mauvaise conseillère !

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. On peut comprendre le courroux du président de la commission des lois et le mécontentement du rapporteur. Mais l’efficacité est importante. Nous reprochons tellement souvent à la justice de délibérer lentement ! Par conséquent, si les choses sont simples, qu’est-ce qui nous empêche, ce soir, d’adopter cet amendement, si nous pensons tous qu’il répond à l’exigence d’une meilleure efficacité de la Cour de cassation ?

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 222.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Titre IV

RECENTRER LES JURIDICTIONS SUR LEURS MISSIONS ESSENTIELLES

Chapitre Ier

Dispositions relatives aux successions

Articles additionnels après l’article 15
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle
Article 16 bis (nouveau)

Article 16

(Non modifié)

I. – L’article 1007 du code civil est ainsi modifié :

1° Après la troisième phrase du premier alinéa, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :

« Dans le cas prévu à l’article 1006, le notaire vérifiera les conditions de la saisine du légataire au regard du caractère universel de sa vocation et de l’absence d’héritiers réservataires. Il portera mention de ces vérifications sur le procès-verbal. » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Dans le mois suivant cette réception, tout intéressé pourra s’opposer à l’exercice de ses droits par le légataire universel saisi de plein droit en vertu de l’article 1006. En cas d’opposition, ce légataire se fera envoyer en possession. Les modalités d’application du présent alinéa sont déterminées par décret en Conseil d’État. »

II. – L’article 1008 du même code est abrogé.

M. le président. L'amendement n° 21 rectifié, présenté par MM. Mézard, Amiel, Arnell, Barbier, Castelli, Collin et Fortassin, Mme Laborde et MM. Requier, Vall, Bertrand, Collombat et Guérini, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. L’article 16, qui concerne le droit des successions, n’est pas un article banal, sans conséquence. Il s’agit de modifier la procédure des envois en possession. Pour avoir rédigé, madame la garde des sceaux, plusieurs centaines de requêtes d’envoi en possession dans ma carrière, y compris les projets d’ordonnance, je ne crois pas que votre proposition constitue un progrès.

En effet, le présent article tend à abroger l’article 1008 du code civil et à supprimer ainsi la mise en œuvre systématique de la procédure judiciaire d’envoi en possession du légataire universel désigné par testament olographe ou mystique, en l’absence d’héritiers réservataires. Depuis l’origine du code civil, lorsqu’il n’y a pas d’héritiers réservataires et que le testament désigne un légataire universel, il faut se faire envoyer en possession.

Le fait de soumettre la requête au président du tribunal de grande instance est une mesure de protection. Il est vrai que, dans la grande majorité des cas, le projet d’ordonnance est validé, mais il arrive qu’il ne le soit pas.

Corrélativement à l’abrogation de l’article 1008 du code civil, vous complétez l’article 1007 du même code pour remplacer l’envoi systématique en possession par une vérification par le notaire du caractère universel de la vocation à succéder du légataire universel et de l’absence d’héritiers réservataires.

Cette disposition inverse la logique actuelle de la procédure. À la place d’un envoi systématique en possession, elle prévoit de n’y recourir qu’en cas de contestation. Mieux vaut une vérification préalable du magistrat, d’autant que cela prend peu de temps. Et c’est une mesure de protection. De surcroît, ces procédures ne font pas perdre de temps aux magistrats, puisque, dans la quasi-totalité des cas, le projet d’ordonnance leur est soumis pour vérification.

Nous pensons que la procédure que vous proposez peut porter préjudice aux droits des personnes pouvant être intéressées à la dévolution de la succession. Vous les forcez, même si elles ne savent pas trop comment s’y prendre, à faire opposition.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 16, qui simplifie la procédure d’envoi en possession du légataire universel désigné par testament olographe ou mystique, en l’absence d’héritiers réservataires.

Il est contraire à la position de la commission, qui a estimé que cette simplification était utile et préservait le droit des personnes souhaitant s’opposer à l’exercice des droits du légataire universel, l’article 16 inversant seulement la logique actuelle de la procédure. À la place d’un envoi systématique en possession, il est prévu de n’y recourir qu’en cas de contestation. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je comprends la préoccupation de M. Mézard, qui s’attendait, je pense, à un avis favorable de ma part. Effectivement, il ne s’agit pas d’un contentieux massif. On sait aussi, vous l’avez dit vous-même, monsieur le sénateur, que, dans la très grande majorité des cas, il n’y a ni conflit ni contestation. Je ne vois pas pourquoi vous pensez que la vérification effectuée par le notaire impliquerait une sécurité moindre. Ce dernier peut en effet accéder aux différents éléments d’information. L’article 16 préserve les intérêts des tiers. La contestation est donc possible.

Le Gouvernement souhaite que soient soumises au juge les situations conflictuelles et non pas systématiquement toutes les procédures d’envoi en possession. Tenant à cet article 16, il vous demande, monsieur Mézard, de bien vouloir retirer votre amendement, à moins que vous ne soyez moins contrarié par un avis défavorable…

M. le président. Monsieur Mézard, l’amendement n° 21 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. Ce dialogue est extrêmement intéressant, madame la garde des sceaux.

Si j’insiste, ce n’est pas pour le plaisir de ne pas être de votre avis, ou plutôt de l’avis de vos services et, surtout, de celui des notaires.

Que tend en effet à instaurer la réforme que vous proposez ? En fait, vous transférez l’examen de ces requêtes du magistrat du tribunal de grande instance qui les reçoit au notaire. Or le notaire a tout de même un client ! Il est difficile de défendre des personnes dont les intérêts sont contradictoires !

Pour ma part, je pense défendre l’intérêt de l’ensemble des justiciables. Je considère que la disposition en question ne constitue pas un progrès. Mais peut-être suis-je en train de vous faire un procès d’intention, madame la garde des sceaux. Dans ce cas, pardonnez-moi par avance.

La loi Macron comportait des dispositions qui ne plaisaient pas aux notaires ; ils l’ont exprimé assez fortement. Avec ce texte, vous allez plutôt leur faire plaisir, mais je ne pense que ce soit l’axe prédominant de cette réforme. Vous voulez simplement supprimer l’examen de ce type de dossiers par les magistrats, dans les palais de justice.

Je persiste à penser, pour avoir rédigé de nombreuses requêtes d’envoi en possession, que cette évolution ne constitue pas un progrès. En effet, dans ces questions de succession, grâce aux documents qui sont fournis au magistrat, notamment le testament, qu’il soit olographe ou mystique, le juge a la possibilité de renvoyer la requête pour telle ou telle raison, si le cas pose problème. Le temps qu’il doit consacrer à cette tâche n’est pas en cause, puisque, en général, les projets d’ordonnance sont préparés.

Je maintiens donc cet amendement visant à supprimer l’article 16, qui ne constitue pas, je le répète, un progrès.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 21 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 35 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

…° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le premier alinéa ne s’applique pas lorsque le testament a été établi par acte sous seing privé contresigné par un avocat, dans les conditions visées aux articles 66-3-1, 66-3-2 et 66-3-3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme certaines professions judiciaires et juridiques. » ;

…° Au second alinéa, après les mots : « le notaire », sont insérés les mots : « ou l’avocat » ;

La parole est à M. Jacques Mézard.