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Débat sur le rôle du bicamérisme

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Bilan et perspectives du rôle du bicamérisme dans nos institutions après la publication du rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions intitulé Refaire la démocratie », organisé à la demande du groupe du RDSE.

La parole est à M. Jacques Mézard, orateur du groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, je l’ai plusieurs fois rappelé à cette tribune, l’existence du groupe du RDSE, héritier de la Gauche démocratique, est consubstantielle à celle du Sénat de la République. Aussi est-il légitime et naturel que notre groupe unanime, ulcéré par les provocations réitérées du président de l’Assemblée nationale contre le Sénat, prenne l’initiative, dans son espace réservé, d’un débat sur l’avenir du bicamérisme en France. (M. Yvon Collin opine.)

M. Philippe Bas. Il était temps !

M. Jacques Mézard. Au moment où l’unité nationale est invoquée heure par heure, à juste titre, est-il bien opportun, depuis janvier dernier et quelques jours après les attentats, que l’on remette en cause formellement l’existence du Sénat pour en faire un « pôle de contrôle parlementaire » sans aucun pouvoir réel ? Une assemblée émasculée dont nous ne doutons pas que les membres seraient désignés à la sauce du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, ce qui se passe de tout commentaire, tant cela pourrait être désobligeant… (Sourires.)

Mme Françoise Laborde. Tout à fait !

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jacques Mézard. Sous prétexte de rénovation, le groupe de travail lancé par M. Bartolone détruit clairement le bicamérisme en reprenant dans sa proposition n° 10 les mêmes arguments fallacieux qui avaient été employés ici même au Sénat le 19 décembre 1968 par le ministre d’État Jeanneney, venu dans cet hémicycle soutenir sans succès le projet de référendum du Président de Gaulle, qui allait entraîner in fine la démission de ce dernier.

J’ai dit que ce groupe de travail reprenait les mêmes « arguments fallacieux » que ceux utilisés en 1968, car sa composition reflète le même penchant partisan que celui de la trop célèbre commission Jospin sur la transparence de la vie publique.

Comment veut-on maquiller la destruction du Sénat ? La citation d’une seule phrase suffit : « La fusion du Sénat et du CESE redonnerait tout son sens à un bicamérisme fondé sur la complémentarité, et offrirait une tribune plus efficace aux forces actives de la nation pour faire entendre leur voix. L’enjeu d’une telle réforme n’est pas de diminuer le rôle du Sénat, mais est de mettre fin aux doublons et aux redondances de la procédure législative. La Ve République établit déjà un bicamérisme inégalitaire, il s’agit d’en tirer enfin les conséquences. » Tout est dit. La manœuvre est grossière, éculée.

Comme le firent le président Monnerville et ses collègues lors du référendum de 1969, il nous revient, au nom du respect de nos institutions – ce mot a encore davantage de sens après ce que notre pays vient de vivre –, à nous, Sénat de la République, d’éclairer nos concitoyens, dans une Ve République qui a dérivé vers une hypertrophie du pouvoir présidentiel au détriment du Parlement, sur la nécessité de préserver et de rétablir un équilibre institutionnel. Pour cela, le Sénat législateur est indispensable.

Mes chers collègues, nous n’allons pas, comme le président de l’Assemblée nationale, embaucher une journaliste du Monde pour écrire un livre d’apologie. (Sourires.) Nous allons ici, mais aussi dans tous les médias et dans chacune de nos circonscriptions, dénoncer une stratégie populiste contraire aux intérêts de la nation, encore plus aujourd’hui qu’hier.

Cette stratégie, ne doutons pas qu’elle sera encore davantage exploitée lors de la prochaine élection présidentielle, et en premier lieu par les extrêmes. Elle a pour principal effet de discréditer et d’affaiblir la représentation nationale et la démocratie représentative. Il est regrettable que l’exécutif, en croyant se protéger, s’y prête, même par intermédiaire, en nous faisant supporter encore une fois une repentance pour autrui.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Jacques Mézard. Je regrette que le Président de la République ait déclaré à Tulle, le 18 janvier 2014 : « Je n’ai jamais été candidat comme sénateur, c’est le seul regret que je peux nourrir – enfin, je ne suis pas sûr que ce soit un regret. » (MM. Yvon Collin et Henri de Raincourt s’exclament.)

Ce débat a un sens, il a un but : que chaque groupe, sans faux-fuyant, exprime clairement sa position sur la proposition n° 10 de ce rapport.

M. Yvon Collin. C’est sûr !

M. Jacques Mézard. Toute opinion est respectable en démocratie. Ce qui est condamnable, c’est le double langage au gré des commandes à géométrie variable des appareils partisans.

En guise d’exemple éclairant de double langage, je vous cite une phrase prononcée dans les murs du Sénat en avril 2014, lors d’un débat sur le bicamérisme : « Le bicamérisme est l’alliance de la puissance quasi sacrée du suffrage universel direct et de la richesse de nos territoires ; il est la vie et l’histoire des individus ancrées dans la diversité de notre géographie. Ainsi, le bicamérisme est la traduction institutionnelle de ce qui caractérise notre pays : l’unité dans la diversité. »

Qui a prononcé cette phrase ? Le président de l’Assemblée nationale lui-même ! (Exclamations ironiques sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Mézard. Vais-je y ajouter un extrait du discours d’investiture du président Bel ? J’avais cru, alors, à la sincérité de ses propos.

M. Henri de Raincourt. Cela, c’était une erreur !

M. Jacques Mézard. Je les cite : « Nous avons tous entendu l’appel des grands électeurs pour confirmer le Sénat dans son rôle de représentant et de défenseur des libertés publiques, des libertés individuelles, des libertés locales. »

Mes chers collègues, les Français, dans ces heures graves qui marquent depuis janvier leur vie quotidienne, attendent-ils une énième réforme des institutions ? Peut-on invoquer à juste titre la stabilité des institutions comme rempart à l’accumulation d’événements dramatiques et vouloir, dans le même temps, les bouleverser ?

M. Jacques Mézard. Sécurité, emploi et pouvoir d’achat sont les vrais soucis de nos concitoyens.

Soyons directs : quand un exécutif se fragilise, il cherche naturellement des causes extérieures. Ce fut le cas du général de Gaulle après mai 1968 ; c’est aussi le cas aujourd’hui. Il est trop facile et injuste d’imputer les responsabilités à la représentation nationale, et au Sénat en premier lieu.

Qu’est-ce qui justifierait une strangulation du Sénat ?

Est-ce la qualité de son travail législatif ? Je le dis sans forfanterie, la grande majorité des universitaires, des journalistes spécialisés, des cadres de ce pays et les ministres en exercice eux-mêmes – espérons-le, sans double langage ! – déclarent que le travail du Sénat est, en général, de meilleure qualité que celui de l’Assemblée nationale, par sa réflexion, son analyse technique et sa distance par rapport aux directives de l’exécutif.

M. Yvon Collin. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Aussi, pourquoi réduire quasiment à néant le pouvoir législatif d’un Sénat dont l’action en ce domaine est reconnue comme très performante ?

Supprimer le pouvoir législatif du Sénat rendra-t-elle l’Assemblée nationale plus performante, plus libre, plus efficace et plus tolérante qu’aujourd’hui ? (Non ! sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

Qui représentera les territoires, les collectivités, ce qui est notre mission constitutionnelle ?

Est-ce parce que le Sénat refuserait de se rénover, de se moderniser ? (Mêmes mouvements.) Mes chers collègues, la réponse est dans les actes. Qui a pris des initiatives fortes pour moderniser l’action parlementaire et le Sénat, et cela de façon accélérée tout au long de cette année 2015, pour développer l’utilisation des techniques de communication avec nos concitoyens, améliorer la réactivité lors des questions au Gouvernement, assurer la présence effective des sénateurs en commission, en séance, et accroître encore la qualité des rapports ? (C’est nous ! sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

L’Assemblée nationale a-t-elle fait mieux ? (Non ! sur les mêmes travées.) À ce jour, en tout cas, elle n’a pas fait autant que le Sénat pour se rénover. Avant de donner des leçons aux autres, il est bon de balayer devant sa porte.

M. Yvon Collin. Absolument !

M. Jacques Mézard. Au reste, ce qui se passe aujourd’hui au plus haut de l’Assemblée nationale sur le principe de non-cumul des mandats est révélateur du « Fais ce que je dis, mais pas ce que je fais ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Dans son discours du 19 novembre 1968, le président Monnerville disait, parlant de Clemenceau : « C’est peut-être du jour où il est devenu sénateur qu’il a commencé à être un véritable homme d’État, parce qu’il était plus réfléchi, plus calme, plus posé, sans abandonner aucune de ses idées. » Mes chers collègues, il est plus que temps que nous accueillions en notre sein nombre de hauts responsables de la République, afin qu’ils deviennent plus sages ! (Rires sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Le même président Monnerville déclarait, quelques phrases auparavant, paraphrasant l’exécutif de l’époque : « Le malaise semble s’installer encore davantage dans la vie de la nation, précipitons-nous sur la réforme des régions et du Sénat. » Mêmes causes, mêmes artifices, mêmes vieilles recettes...

Enfin, le plus important, ce qui doit, au-delà de nos différences de sensibilité, nous rassembler pour enfouir ce mauvais rapport dans les poubelles de l’histoire, et ce qui a toujours été l’honneur du Sénat, c’est la défense des libertés publiques et des libertés individuelles ! C’est là le cœur du bicamérisme à la française. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)

Après Georges Clemenceau, François Mitterrand et Michel Debré ont siégé au Sénat dans le groupe que j’ai l’honneur de présider. François Mitterrand a toujours défendu le Sénat, et je ne citerai qu’une phrase de Michel Debré, extraite de son ouvrage Refaire la France : « S’il y avait la chambre unique, le Gouvernement perd son premier appui : il devient simplement la réunion des commissaires de la majorité. »

M. Pierre-Yves Collombat. C’est exact. Et c’est le but !

M. Jacques Mézard. Le Sénat est-il moins sensible aux évolutions sociétales ? Bien sûr que non ! Le souvenir, encore si présent dans nos murs, d’Henri Caillavet, de Robert Badinter et de tant d’autres, en est la marque : avortement, divorce, abolition de la peine de mort, mariage pour tous et, plus récemment, sur l’initiative de notre groupe, recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Le Sénat a majoritairement voulu voter ces réformes. Dois-je rappeler à nos collègues socialistes que le Sénat a adopté, voilà trois ans, le droit de vote des étrangers et que l’Assemblée nationale est restée muette ?

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Jacques Mézard. Disons-le, souvent, les exécutifs n’apprécient pas le Sénat et le marginalisent, encore aujourd’hui, considérant qu’il est une perte de temps, un obstacle, une assemblée où l’expression de votes libres, traduisant l’insoumission vis-à-vis des apparatchiks de tous poils, est une tradition, facilitée par l’élection au deuxième degré.

Être libre de son vote, être capable de dire à un gouvernement, à ses propres amis politiques : « Je pense que vous vous trompez, je ne vous suivrai pas dans cette voie », c’est l’essence même du bicamérisme, c’est l’honneur du Sénat de la République.

Mes chers collègues, les sénatrices et sénateurs de mon groupe défendront le bicamérisme et le Sénat de la République, parce qu’ils défendent l’équilibre des institutions, l’expression des territoires et, par-dessus tout, les libertés publiques – cette liberté qui est le premier mot de notre devise nationale et qui, en cette heure, est plus universelle que jamais. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – MM. Éric Jeansannetas et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe écologiste.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cher Jacques Mézard, je vais m’efforcer, en tant que modeste membre de la représentation nationale, de rester au niveau du plaidoyer que nous venons d’entendre.

Monsieur Mézard, je souscris à vos propos condamnant la manœuvre quelque peu populiste, je tiens à le dire, du président de l’Assemblée nationale.

M. Jacques Legendre. Très bien !

M. Joël Labbé. « Refaire la démocratie », voilà tout un programme, en une période où il est nécessaire de refaire le monde ! Ce programme ne me convient pas vraiment. Et si nous nous préoccupions, d’ores et déjà, de faire fonctionner la démocratie ?

En effet, si des réformes sont nécessaires, pour autant, nous disposons de tous les éléments pour faire fonctionner notre belle, notre noble démocratie, ce modèle envié dans nombre de pays, ce modèle qui est copié et qui inspire les jeunes démocraties. Ainsi recevions-nous au Sénat, la semaine dernière, une délégation de sénateurs du Cambodge, membres de la Haute Assemblée, âgée de quinze ans tout juste, de ce pays, et qui venaient voir comment fonctionne le parlement français.

Faire fonctionner la démocratie, c’est reconnecter la politique avec la population, c’est rendre tout son sens et toute sa noblesse à l’action politique, c’est démontrer par nos comportements, par nos actes et par nos positionnements que nous, responsables politiques, avons pour rôle essentiel de représenter la population, en défendant, avant tout, l’intérêt général, le bien public et les intérêts des générations futures, qui sont aujourd’hui remis en cause.

Pour avancer et bien faire fonctionner la démocratie, nous avons de nouveaux outils. Je pense, notamment, aux outils numériques.

Lorsque j’avais rédigé, voilà deux ans, une proposition de loi tendant à limiter l’utilisation des pesticides, j’avais proposé que celle-ci soit soumise à l’évaluation citoyenne, via la plate-forme Parlement & Citoyens. J’ai alors reçu plus de 3 000 contributions, qui ont permis d’enrichir ce texte basique et simple. Ce sont autant de nos concitoyens qui ont pu donner leur avis, et je me suis servi de ces avis pour tenter de vous convaincre, mes chers collègues.

Lorsque son groupe compte dix membres, il n’est pas toujours simple de rassembler une majorité. (Sourires.)

M. Jacques Mézard. C’est vrai !

M. Joël Labbé. Or nous en avions trouvé une alors, justement parce que cette proposition de loi avait été véritablement travaillée.

J’ai proposé à Jérôme Bignon, rapporteur du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, ainsi qu’aux membres du cabinet de Ségolène Royal, de soumettre ce texte à l’avis citoyen, pour que nos concitoyens se sentent concernés, de telle sorte qu’ils ne nous fassent pas un chèque en blanc pour l’élaboration de la loi, mais qu’ils contribuent à cette dernière, chacun assumant sa responsabilité propre. Néanmoins, la responsabilité finale, c’est bien nous qui l’assumerons, car nous sommes soumis au suffrage universel.

Pour en revenir au rapport de MM. Bartolone et Winock, ce texte comporte un certain nombre de propositions intéressantes, qui représentent des avancées : la limitation des mandats dans le temps, l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives, l’évolution du référendum, notamment au travers d’un référendum d’initiative populaire, l’inversion du calendrier électoral entre les élections législatives et l’élection présidentielle, la redéfinition du rôle du Président de la République, l’amélioration des droits de l’opposition.

D’autres propositions ne nous conviennent pas plus qu’à vous, monsieur Mézard, notamment la fusion du Sénat et du CESE. Celui-ci est présidé par une grande personnalité, Jean-Paul Delevoye, qui, avec ses équipes, mène brillamment ses travaux.

M. Joël Labbé. Je fais partie de ceux qui se déplacent régulièrement au CESE. Un véritable travail de fond y est fait, et il serait nécessaire de mieux connecter nos travaux avec les leurs. En revanche, nous considérons, tout comme vous, que l’idée de la fusion ne tient pas du tout.

Pour conclure, s’il est évident que le bicamérisme à la française et notre système de gouvernement nécessitent d’être quelque peu repensés, une chose doit être préservée : cette forme de lenteur dans l’écriture de la loi, qui permet à toute la société, au travers de ses différentes composantes – associations, syndicats, entreprises, mais aussi ONG et simples citoyens –, de poser un regard sur notre travail de législateur et de nous éclairer utilement en partageant leur perception.

Notre démocratie est en transition. Si nous y sommes attentifs, cette transition sera citoyenne et permettra au plus grand nombre de se sentir à nouveau pleinement représenté ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe du RDSE.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après le rapport Balladur en 2007, le rapport Jospin en 2012, le rapport du groupe Bartolone-Winock d’octobre 2015 vient d’arriver. En toute modestie, ses auteurs nous préviennent qu’il s’agit de « la première mission de réflexion sur les institutions d’importance qui n’ait pas été réunie par un Président de la République, mais par le Parlement lui-même ». De la même veine que ses prédécesseurs, ce ne sera certainement pas le dernier ! (Sourires.)

Au départ, un constat lucide du blocage institutionnel de la Ve République vieillissante et de ses conséquences sur l’opinion est dressé : « L’hyperprésidentialisation des institutions de la Ve République a contribué à accentuer la défiance des citoyens vis-à-vis des institutions en concentrant les pouvoirs entre les mains d’un seul homme que le peuple investit d’attentes démesurées. » Cela expliquerait l’impression d’impuissance du politique, ainsi que la montée de l’abstention électorale et de la défiance envers le politique.

Effectivement, tout le pouvoir politique est à l’Élysée. Son locataire, devenu le véritable chef de la majorité, politiquement irresponsable, mais ayant le pouvoir de dissoudre le Parlement, désigne un chef du gouvernement théorique qui, lui, est responsable devant l'Assemblée nationale. Comme si c’était le Premier ministre et le Parlement qui étaient responsables devant le chef de l’État, et non l’inverse !

Contrairement à la formule habituellement utilisée, il s’agit non pas d’« hyperprésidentialisme », mais d’une sorte de consulat, système dans lequel, selon la formule de Sieyès, « le pouvoir vient d’en haut ».

Après ce constat lucide, le rapport Bartolone-Winock, comme les précédents, contourne l’obstacle au lieu de traiter le problème de fond : se refusant à choisir entre un régime présidentiel qui instituerait une véritable séparation des pouvoirs et un régime parlementaire réel, il opte pour le statu quo, que « le groupe » a cherché à améliorer, « dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs » entre le Président de la République et le Premier ministre, ainsi que d’un ajustement à la marge de la procédure législative et des pouvoirs de contrôle du Parlement.

Les auteurs sont clairs : il n’y aura « pas de propositions mettant en cause les pouvoirs essentiels du Président de la République ». Effectivement, depuis la présidence du conseil des ministres jusqu’au droit de dissolution, en passant par la nomination du Premier ministre, tout le dispositif du présidentialisme est conservé, y compris le domaine réservé ; à peine le rapport envisage-t-il un contrôle sur les nominations faites par le chef de l’État…

Comme on a pu l’observer lors des précédentes révisions de la Constitution – session unique, quinquennat, inversion du calendrier électoral, réforme de la procédure législative lors de la révision de 2008 –, faute de traiter le problème de fond, ces « modernisations » n’apportent aucune amélioration, voire produisent l’effet inverse de celui qui est recherché. Ce sera le cas de la réforme du Sénat qui nous est proposée.

Si les rapporteurs renoncent à supprimer cette « anomalie démocratique » – dixit Lionel Jospin –, c’est pour l’embaumer, en lui ôtant tout pouvoir réel. Finalement, ce n’est pas avec le CESE qu’ils devraient proposer de fusionner le Sénat, c’est avec le musée de l’Homme ! (Rires.)

Selon les auteurs, cette solution aurait un double avantage : celui de régler la question du CESE, dont apparemment ils ne savent pas trop quoi faire, et celui « de mettre fin aux doublons et aux redondances de la procédure législative », comme si plusieurs lectures d’un même texte, par des représentants du peuple élus selon des modalités différentes, n’était que temps perdu.

Les compétences législatives de la seconde chambre seraient limitées au contrôle, à l’évaluation et à l’expertise, et son pouvoir d’amendement supprimé de fait, puisque l’Assemblée nationale pourrait ne pas en tenir compte.

Le Sénat perdrait le pouvoir constitutionnel de s’opposer à toute réforme le concernant et sa composition serait modifiée : une partie des sénateurs seraient élus à la proportionnelle régionale, ce qui permettrait « de corriger la surreprésentation des communes rurales » – tout le malheur vient de là ! – ; l’autre partie de cette chambre plus ou moins corporative serait, quant à elle, élue par « les membres des corps et organismes qu’ils ont vocation à représenter ».

Le paradoxe, c’est qu’en marginalisant ainsi le Sénat sans toucher aux pouvoirs du Président de la République, les auteurs aggravent les dysfonctionnements qu’ils prétendent combattre. En effet, la seconde chambre, que son mode d’élection rend moins sensible aux émotions médiatiques que l'Assemblée nationale et davantage indépendante des organisations claniques plus connues sous le nom de partis politiques (Sourires sur les travées du RDSE.), et que la Constitution met à l’abri d’une dissolution présidentielle, est le seul vestige de contre-pouvoir politique de cette Ve République crépusculaire.

À considérer l’ensemble des propositions du rapport sur lesquelles je ne peux – à regret ! – m’attarder, c’est à se demander si le but n’est pas là : supprimer tout ce qui peut réduire la marge de manœuvre des partis, faiseurs exclusifs de présidents de la République, de députés et, parfois, de sénateurs.

Cela expliquerait l’engouement des auteurs du rapport pour la proportionnelle dans des circonscriptions régionales, leur volonté de marginaliser les élus ruraux, qui sont l’expression d’un territoire avant d’être celle d’un parti, leur aversion pour le cumul des mandats, qui donne à l’élu une légitimité personnelle et, partant, une plus grande indépendance, l’importance accordée au sexe des candidats et à leur origine sociologique, contraintes fortes pour les candidats indépendants, mais bénédiction pour les appareils, qui y trouvent des raisons avouables d’éliminer des listes les indésirables et les mal pensants. C'est une technique que nous connaissons bien !

Tout cela est, bien sûr, proposé au nom du renforcement de la démocratie. Toutefois, comme on le sait, plus un mensonge est gros, plus il a de chances de passer pour une vérité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)