M. Jacques Bigot. J’aimerais m’exprimer sur le contexte dans lequel nous nous trouvons.

On parle aujourd’hui de la lutte contre le terrorisme et de la crainte qu’éprouvent nos concitoyens face à des jeunes armés, prêts à se faire tuer et à trouver la mort afin de détruire la vie des autres. Comment imaginer que l’aggravation des peines ou l’instauration de durées de prison incompressibles réglerait le problème ? Personnellement, je n’y crois pas !

Qu’un terroriste soit condamné à une très longue peine ou à une peine de perpétuité dans les conditions introduites dans le texte sur l’initiative de M. le rapporteur, c’est-à-dire à une peine incompressible, cela ne me dérange pas. Toutefois, pour reprendre votre exemple, monsieur Grand, le jeune condamné à l’âge de dix-huit ans à une peine de trente ans de prison ne pourra bénéficier d’une libération au mieux qu’à l’âge de quarante-huit ans, sans pour autant être sûr de l’obtenir.

Par conséquent, débattre de cette question dans le contexte actuel me semble franchement dérisoire. Même si je ne vise pas ici M. le rapporteur, je crois que l’on cherche à faire de l’affichage en aggravant les sanctions pénales. Pourtant, tout cela ne répond pas aux préoccupations de nos concitoyens. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ceux-ci souhaiteraient plutôt savoir comment nous allons faire pour éradiquer le terrorisme !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 11.

(L'article 11 est adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article 11 (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste
Discussion générale

11

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée est parvenue à l’élaboration d’un texte commun.

12

Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 2 février 2016, une décision du Conseil relative à une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la traversée des propriétés privées par les ouvrages de transport et de distribution d’électricité (n° 2015–518 QPC).

Acte est donné de cette communication.

13

Article 11 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste
Article additionnel après l'article 11

Lutte antiterroriste

Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste.

Dans l’examen du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein du titre II, à l’amendement portant article additionnel après l’article 11.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste
Article 11 bis (nouveau)

Article additionnel après l'article 11

Mme la présidente. L'amendement n° 12 rectifié, présenté par MM. Lemoyne, Bizet, Bonnecarrère, Cardoux, Chaize, Charon et Cigolotti, Mmes Deseyne et Duranton, M. Duvernois, Mme Estrosi Sassone, M. J.P. Fournier, Mmes Garriaud-Maylam et Giudicelli, MM. Grand, Gremillet, Grosdidier, Houel, Joyandet, Karoutchi, Kennel et Kern, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Longeot et Mandelli, Mmes Mélot, Micouleau et Morhet-Richaud, MM. Pellevat, Pierre et Pinton, Mme Procaccia et MM. de Raincourt, Rapin, Reichardt, Savary et Vaspart, est ainsi libellé :

Après l’article 11

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa de l’article 434–1 du code pénal est complété par les mots : « et les actes de terrorisme définis au chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal ».

La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Face aux types d’événements que nous avons connus et, plus largement, à la commission de tout acte terroriste, il faut s’efforcer, autant que faire se peut, d’empêcher les personnes préparant ces crimes d’aboutir. Dans ce cadre, il est évidemment important de disposer de renseignements ou de signalements.

Le code pénal contient justement un article aux termes duquel les personnes ayant connaissance d’un crime en préparation et susceptibles, par la révélation de cette information, de le prévenir ou d’en limiter les effets ont obligation de le faire savoir. À l’heure actuelle, cet article prévoit d’exonérer de cette obligation une liste exhaustive de personnes proches de l’auteur ou du complice, par exemple des frères et sœurs.

Or on a bien vu que, dans des événements récents, l’environnement familial avait manifestement connaissance des projets, sans pour autant y participer directement.

Il semblerait donc utile de prévoir une exception supplémentaire – pour l’instant, il n’en existe qu’une : pour les crimes commis sur mineurs de moins de quinze ans – à l’exonération d’obligation d’information. Cette nouvelle exception, que nous sommes un certain nombre à proposer au travers de cet amendement, concernerait les actes terroristes.

Au regard de la gravité de ces actes, toute personne ayant connaissance de leur préparation, indépendamment de son lien avec l’auteur, doit être incitée à en informer les autorités judiciaires ou administratives. D’où cette proposition qui vise à compléter l’article 434-1 du code pénal.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Comme vient de l’expliquer M. Jean-Baptiste Lemoyne, cet amendement a pour objet de supprimer l’immunité familiale en cas d’acte de terrorisme.

Le législateur a toujours considéré, dans le code pénal actuel comme dans le précédent, c’est-à-dire celui d’avant 1994, que le contexte familial pouvait être une source d’atténuation des effets de la règle pénale. Ainsi, le principe d’immunité familiale repose sur l’idée selon laquelle la solidarité familiale l’emporte sur l’obligation sociale de dénonciation, sauf pour les crimes sur mineurs pouvant être commis à l’intérieur des familles.

Il est tout à fait possible d’inverser cette logique et de considérer, aujourd’hui, qu’il ne peut y avoir d’immunité familiale en matière de terrorisme.

Toutefois, cette inversion, si elle devait se produire, constituerait une modification profonde de la conception du rôle de la famille dans le domaine pénal et il semble qu’une réflexion supplémentaire soit nécessaire avant de revenir sur un principe aussi essentiel de notre droit en matière de dénonciation.

Je vous propose donc, cher collègue Lemoyne, de retirer votre amendement. Puisque le Gouvernement a annoncé qu’il déposerait prochainement un projet de loi en matière de procédure pénale, nous pourrions examiner, d’ici à l’examen de ce texte, toutes les conséquences de l’éventuelle adoption d’une telle disposition.

Ce serait une bonne chose, me semble-t-il, que vous acceptiez cette façon de procéder, qui ne prendra que quelques jours supplémentaires. Dans le cas contraire, je serais contraint de demander au Sénat de ne pas voter cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. L’avis du Gouvernement est défavorable.

Je note, au passage, la disponibilité dont fait preuve le rapporteur en intégrant le futur texte gouvernemental dans la réflexion collective.

M. Michel Mercier, rapporteur. Nous sommes toujours disponibles !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cela montre bien qu’à un moment donné nos trains parallèles vont converger, dans le sens de l’intérêt général.

M. Michel Mercier, rapporteur. Cela peut tout de même créer un gros accident ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. J’observe, en conséquence, que la multiplication de textes ne nuit pas à l’intérêt du procédé.

Sur le fond, le Gouvernement estime que le droit répond déjà, pour l’essentiel, à la préoccupation exprimée dans cet amendement. En effet, une personne qui ne dénoncerait pas est déjà susceptible d’être poursuivie, notamment pour complicité, y compris concernant l’association de malfaiteurs à but terroriste.

De notre point de vue, il n’existe pas de faille sur ce point. Mais je suis tout à fait prêt à être convaincu du contraire et, comme l’a indiqué le rapporteur, monsieur Lemoyne, le Gouvernement pourrait présenter des amendements ou des propositions susceptibles de vous intéresser.

Mme la présidente. Monsieur Lemoyne, l’amendement n° 12 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Après avoir entendu M. le rapporteur inciter le Gouvernement à être attentif aux propositions du Sénat, je pensais trouver une égale disponibilité de sa part pour les propositions des membres de cette assemblée et, effectivement, il a ouvert une porte.

Je concède que la commission n’a pu examiner cet amendement que très rapidement, au terme d’une séance consacrée aux irrecevabilités de l’article 41 de la Constitution.

Je vois donc tous les avantages à profiter des quelques jours nous séparant de l’examen du futur projet de loi afin de poursuivre la réflexion sur cette question et, peut-être, conclure à ce moment-là, au regard des éléments juridiques que M. le rapporteur et le Gouvernement auront pu mettre sur la table.

En d’autres termes, je vois dans cette séquence un appel au travail et, compte tenu de l’engagement du rapporteur, je retire mon amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 12 rectifié est retiré.

À titre exceptionnel, et bien que l’amendement n° 12 rectifié ait été retiré, je donne la parole à Alain Richard.

M. Alain Richard. La réflexion ouverte par l’amendement de M. Lemoyne mérite d’être approfondie et il sera judicieux, monsieur le ministre, qu’à l’occasion de l’examen de l’autre texte – celui qui, sans être désobligeant, a plus de chance d’avenir – nous appréciions bien si l’absence de dénonciation en la matière a, aujourd'hui, des suites pénales réelles.

Sur ce sujet, en effet, nous constatons que, dans de nombreuses circonstances, on cherche l’efficacité sans être jamais sûr de la trouver.

Le parcours des personnes qui, aujourd'hui, font l’objet d’une enquête montre à l’évidence que si les membres de famille avaient conscience – et, je crois, cela n’a pas été souvent le cas par le passé – de la responsabilité qu’ils prennent en ne disant rien à personne, nous pourrions peut-être éviter des drames.

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Comme Alain Richard, je voudrais rendre hommage à Jean-Baptiste Lemoyne pour avoir soulevé cette question, qui, en effet, mérite assurément d’être approfondie, ce que Michel Mercier a également fort justement souligné.

Avec ma collègue Nathalie Goulet, sous le contrôle de Jean-Pierre Sueur, en sa qualité de rapporteur de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, nous avons très clairement saisi l’importance du signalement, par la famille, de la radicalisation des jeunes apprentis djihadistes. Cela figure d’ailleurs en toutes lettres dans notre rapport.

Ce signalement, nous l’avons également bien vu, est de nature à dissuader un certain nombre de jeunes de poursuivre dans leurs intentions de départ. Par conséquent, tout ce qui peut être fait pour rappeler aux membres très proches de la famille leurs obligations en la matière, et l’intérêt qui est le leur de travailler contre cette radicalisation, le cas échéant, en « signalant » un certain nombre d’agissements, mérite d’être mis en œuvre.

C’est la raison pour laquelle, même s’il convient en effet d’être particulièrement prudent en la matière, il faut mener une vraie réflexion sur ce sujet. Comme l’a dit tout à l’heure M. le rapporteur, il faudrait mettre à profit le temps qui nous sépare de l’examen du texte gouvernemental pour étudier ce qu’il est possible de faire dans ce domaine et jusqu’où nous pouvons aller. C’est un revirement important et singulier par rapport à ce que nous pratiquons actuellement.

Je soutiens donc totalement la proposition de Michel Mercier.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Sur ce point, je serai un peu plus prudente que les collègues se sont exprimés avant moi.

Selon les chiffres fournis par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, plus de 50 % des signalements émanent des familles. De fait, à la fois cet amendement était légitime, à la fois il tendait à faire peser sur les familles une charge trop importante. Or on compte parmi celles-ci des gens qui ne maîtrisent pas toujours très bien la langue française, qui sont parfois en situation irrégulière ou qui, parce que leurs enfants se sont radicalisés, se trouvent face à un dilemme épouvantable.

C’est pourquoi, je le répète, il faut envisager avec une extrême prudence la pénalisation de l’absence de signalement par la famille.

Loïc Garnier, qui dirige l’UCLAT, vous expliquera sans doute mieux que moi les raisons de cette nécessaire prudence et ce dilemme auquel sont confrontées les familles, que j’évoquais à l’instant : signaler l’acte ou laisser leurs enfants à la dérive.

Tout cela mérite réflexion et c’est ce à quoi nous invite l’amendement de notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne, bien qu’il ait été retiré.

Monsieur le garde des sceaux, je me rends la semaine prochaine dans les services afin de procéder à une évaluation – c’est une nécessité – de tous ces dispositifs mis en place par les lois votées dernièrement. C’est seulement à l’issue de ces évaluations que nous pourrons valider ou non une proposition de ce type.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Mercier, rapporteur. Je remercie M. Lemoyne de la décision qu’il a prise de retirer son amendement. Je renouvelle devant vous formellement mon engagement d’étudier quelles seraient les conséquences de la mesure qui y était proposée. On l’a bien vu dans les interventions des uns et des autres, on confond parfois signalement administratif et dénonciation judiciaire. Or ce n’est pas tout à fait la même chose et, à dire vrai, ce sont même là deux mesures très différentes. Ainsi, des familles, dans une sorte d’appel à l’aide (M. André Reichardt opine.), signalent la radicalisation de leur fils ; c’est cela le signalement administratif, et cela n’a rien à voir avec la dénonciation judiciaire.

Il faut prendre du temps pour analyser les choses ; or nous n’avons pris connaissance de cet amendement que ce matin. Avant l’examen de ce texte en deuxième lecture, et même avant que ne nous soit transmis le texte du Gouvernement dans une version améliorée (Sourires.), nous aurons l’occasion de le parfaire grâce à vous.

M. André Reichardt. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Le fait que cet amendement ait été cosigné par de nombreux collègues est un signe fort. Le mérite de cette réflexion revient notamment à nos collègues de la commission des lois.

On parle beaucoup de prévention, de devoirs surtout. C’est une première étape pour sensibiliser, dans l’attente de la modification du code pénal que la propose notre collègue.

Après avoir entendu ses explications, je m’associe à la démarche que propose le rapporteur.

Article additionnel après l'article 11
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Article 12

Article 11 bis (nouveau)

Le chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal est complété par un article 421-7 ainsi rédigé :

« Art. 421–7. – Les personnes coupables des infractions définies aux articles 421-1 à 421-6 peuvent également être condamnées à un suivi socio-judiciaire selon les modalités prévues par les articles 131-36-1 à 131-36-13. » – (Adopté.)

Article 11 bis (nouveau)
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Article 13

Article 12

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après l’article 421-2-6, il est inséré un article 421-2-7 ainsi rédigé :

« Art. 421–2–7. – Constitue un acte de terrorisme le fait d’avoir séjourné intentionnellement à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes afin d’entrer en relation avec un ou plusieurs de ces groupements, en l’absence de motif légitime. » ;

2° Après le quatrième alinéa de l’article 421-5, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« L’acte de terrorisme défini à l’article 421-2-7 est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.

« La tentative du délit défini à l’article 421-2-7 est punie des mêmes peines. »

Mme la présidente. L'amendement n° 20, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. L'article 12 de la présente proposition de loi crée un nouveau délit qui sanctionne de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le séjour intentionnel sur un théâtre étranger d'opérations terroristes.

Il semble alors que le seul séjour suffise à caractériser cette infraction, sans qu’il soit nécessaire de démontrer la réalisation ou la prévision d’un acte de terrorisme. Nous considérons que cela revient à sanctionner une hypothèse ou une éventuelle intention, ce à quoi nous sommes résolument opposés.

De surcroît, et comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, la définition de « groupements terroristes » nous semble pour le moins floue et pouvoir être utilisée à d’autres desseins que ceux qui sont les nôtres aujourd’hui.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. À travers cet amendement, Mme Benbassa propose de supprimer l’article 12, qui crée un délit de séjour intentionnel à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes.

Cette incrimination pouvant paraître un peu complexe, je voudrais en deux mots expliquer les raisons qui nous ont conduits à la créer : tout simplement pour permettre le suivi judiciaire des personnes qui reviennent de l’étranger et, pour être encore plus précis, pour éviter l’assignation à résidence administrative en la remplaçant par un suivi judiciaire.

Aussi, madame Benbassa, vous ne pouvez qu’être favorable à un amendement tendant à renforcer le rôle du juge judiciaire dans le suivi des individus susceptibles de commettre des attentats.

Par conséquent, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; dans l’hypothèse où je ne serais pas parvenu à vous convaincre, ce qui m’attristerait beaucoup, je serais obligé d’émettre un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat dans la mesure où il est assez défavorable à cet article 12.

D’une part, de notre point de vue, la mesure prévue à cet article est satisfaite par le droit en vigueur. Les auteurs de la proposition de loi, et singulièrement le rapporteur, laissent entendre qu’il y aurait un vide juridique empêchant de placer en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire les individus dès leur retour de Syrie. Or tel n’est pas le cas, ce que n’ignore pas le rapporteur, puisque l’infraction d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste répond à cette finalité et couvre largement les comportements visés par ce texte. De fait, il est souvent fait recours à cette faculté.

Il y a donc un risque de redondance notamment avec l’article 421-2-6 du code pénal, qui définit l’entreprise terroriste individuelle.

D’autre part, le champ de cet article est très large puisqu’il dispose que constitue un acte de terrorisme le fait d’avoir séjourné intentionnellement à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes afin d’entrer en relation avec un ou plusieurs de ces groupements. Or il nous semble difficile d’apporter la preuve contraire de cette finalité de contact. Qu’arriverait-il par exemple si les individus en question étaient liés avec les peshmergas ou l’Armée syrienne libre ? L’incrimination semble donc difficile à étayer. De plus, le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste permet déjà de sanctionner des actes préparatoires à la commission de crimes ou de délits.

Mes propos ne sont pas nouveaux puisque cette même proposition avait été formulée lors de l’examen de la loi du 13 novembre 2014, suscitant un avis négatif du ministre d’alors, avec les mêmes arguments.

Le Gouvernement est donc constant dans son opposition à cette mesure.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 20.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 12.

(L'article 12 est adopté.)

Article 12
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Article 14

Article 13

L’article 132–45 du code pénal est complété par un 22° ainsi rédigé :

« 22° En cas d’infraction aux articles 421-1 à 421-6, faire l’objet d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique. »

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le rapporteur pratiquant une écoute sélective et ne retenant que les réserves du Gouvernement (Sourires.), je ne voulais pas me priver du plaisir que j’ai à annoncer que, sur l’article 13, l’avis est favorable,…

Mme Nathalie Goulet. Après le dîner, c’est beaucoup mieux !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. … et presque enthousiaste. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Le Gouvernement souhaitait porter à la connaissance de votre assemblée sa disponibilité…

M. Alain Richard. C’est bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. … pour accepter la création d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative et psychologique si un sursis avec mise à l’épreuve devait être prononcé dans le cas d’une condamnation pour infraction terroriste.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 13.

(L'article 13 est adopté.)

Article 13
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Article 15 (Texte non modifié par la commission)

Article 14

Au premier alinéa de l’article 131–4–1 du code pénal, après les mots : « cinq ans », sont insérés les mots : « , à l’exception des délits prévus aux articles 421-1 à 421-6, ».

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 21 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

L'amendement n° 31 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 21.

Mme Esther Benbassa. L'article 14 exclut du champ de la peine de contrainte pénale toutes les infractions susceptibles d’être considérées comme terroristes.

Je l’ai dit à de nombreuses reprises, nous ne sommes pas favorables à l’incarcération automatique. Je rappelle également que la contrainte pénale est une peine qui exige un suivi intense des condamnés. Elle est, par ailleurs, réservée aux délits.

De surcroît, nous considérons qu’il revient aux magistrats de décider de la peine la plus pertinente selon la personnalité de l’individu qu’ils ont à juger.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 31.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Comme je l’indiquais dans mon propos liminaire, le Gouvernement est hostile à l’idée de supprimer la contrainte pénale, pour les motifs que j’ai déjà avancés.

Par cohérence, d’abord, le Gouvernement est extrêmement attaché à la contrainte pénale au regard des potentialités qu’elle offre. Ensuite, nous faisons confiance aux magistrats : libre à eux d’utiliser la palette de potentialités fort utiles qu’offre la contrainte pénale. Enfin, chacun le sait ici, le système d’évaluation et de suivi intrinsèque à la contrainte pénale est beaucoup plus étroit que pour le sursis avec mise à l’épreuve.

Il serait donc dommage de renoncer ici à une peine qui offre tant de possibilités.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Ces deux amendements visent donc à supprimer l’article 14 de cette proposition de loi, qui exclut les délits terroristes du champ de la contrainte pénale.

Je suis assez d’accord avec vous, monsieur le garde des sceaux, il faut toujours se méfier des symboles, aujourd’hui comme à l’occasion des prochains textes dont nous serons saisis. Si vous êtes contre les symboles ce soir, alors vous le demeurerez les prochains jours, notamment lorsque nous examinerons le prochain projet de loi constitutionnelle… À défaut, je serai obligé de vous rappeler cette hostilité.

Mais bon, passons !

La contrainte pénale est une mesure nouvelle qui, pour l’instant, comme vous l’avez vous-même peu ou prou reconnu, n’a pas su séduire les magistrats. Ainsi, 80 mesures de contrainte pénale par mois en moyenne depuis la création de cette nouvelle peine ont été prononcées par 23 tribunaux principalement, tandis que l'on comptait 140 000 décisions de sursis avec mise à l’épreuve.

On peut se disputer à l’infini pour savoir si la contrainte pénale est une bonne chose ou non. Or ce n’est pas forcément le moment.

En tout état de cause, je ne pense pas qu’un juge, quel qu’il soit, prononce une peine de contrainte pénale à l’égard d’un terroriste. Toutefois, il serait judicieux de ne pas permettre au juge de prononcer la contrainte pénale sur des délits passibles de dix ans, tel que le prévoit cet amendement. Il existe une gradation dans la gravité des faits. On peut discuter du bien-fondé de la contrainte pénale pour des petits délits punis de petites peines, mais non pour le terrorisme, qui est assorti de peines importantes. Tel est l’objet du texte qui vous est aujourd’hui soumis.

C’est la raison pour laquelle la commission est défavorable aux deux amendements de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Nous soutiendrons ces amendements de suppression. Je précise que l’auteur du texte, M. le président de la commission des lois, avait lui-même déclaré : nous sommes contre la contrainte pénale ; on l’interdit ici puisque, de toute façon, plus tard, nous la supprimerons. À condition que, plus tard, on ait l’occasion de la supprimer… L’avenir le dira.

Honnêtement, je ne comprends pas très bien la cohérence entre les articles 13 et 14.

À l’article 13, qui vient d’être adopté, vous acceptez, en cas d’acte de terrorisme, un sursis avec mise à l’épreuve, et vous refusez la contrainte pénale, alors qu’elle présente des aspects plus contraignants dans la mesure où elle peut être assortie de sanctions, comme l’emprisonnement, si les obligations ne sont pas respectées.

Tout cela, je le redis, ne me paraît pas très cohérent, à moins de vouloir poser une pétition de principe idéologique qui n’a pas place dans ce texte grâce auquel nous souhaitons, nous, parvenir à lutter contre le terrorisme.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21 et 31.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 14.

(L'article 14 est adopté.)

Article 14
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Article additionnel après l'article 15

Article 15

(Non modifié)

L’article 422–4 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 422–4. – L’interdiction du territoire français est prononcée par la juridiction de jugement dans les conditions prévues à l’article 131-30, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable de l’une des infractions définies au présent titre, à l’exception des infractions définies aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2.

« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »

Mme la présidente. L'amendement n° 22, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. L'article 15 de la présente proposition de loi rend obligatoire la peine complémentaire d'interdiction du territoire français en cas de condamnation pour certaines infractions terroristes.

Je l’ai déjà rappelé, nous sommes résolument opposés à toute automaticité des peines.

De surcroît, la peine d’interdiction du territoire français, dans son régime actuel, prévoit déjà un régime dérogatoire pour les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et pour les actes de terrorisme.

Nous proposons donc la suppression de cette disposition.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?