M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, lors de la première lecture du présent texte, le groupe communiste républicain et citoyen avait déposé une motion tendant à opposer la question préalable, afin que soit rejeté l’ensemble du projet de loi…

Cela étant, la version du texte retenue par la droite sénatoriale a été rejetée par les députés, car elle aggravait la précarité de la situation des étrangers en situation régulière et réorientait les dispositions sur la maîtrise de l’immigration irrégulière en renforçant les dispositifs de contrôle, tout en facilitant l’éloignement.

À notre sens, le texte initial du Gouvernement était, quant à lui, loin d’être ambitieux.

Des collègues, sur les travées du groupe socialiste et républicain, ont affirmé, avec raison, que « la droite sénatoriale court après l’extrême droite, en amalgamant réfugiés et immigrés et en voulant faire des étrangers des boucs émissaires ».

M. Roger Karoutchi. Oh là là !

Mme Éliane Assassi. Ce n’est qu’une citation, monsieur Karoutchi !

Cependant, on ne peut manquer de relever que les mêmes qui s’étaient élevés, en d’autres temps, contre la loi Besson de 2011 laissent place aujourd’hui au parachèvement de celle-ci.

Avec cette nouvelle lecture, nous nous retrouvons dans une situation comparable, à ceci près que la droite sénatoriale a considéré inutile de délibérer, une nouvelle fois, sur ce projet de loi, compte tenu des nombreuses divergences avec l’Assemblée nationale et le Gouvernement.

Selon vous, monsieur le rapporteur, « si de nombreux désaccords entre l’Assemblée nationale et le Sénat ont conduit les députés à revenir sur un grand nombre de choix opérés par le Sénat, plusieurs dispositions adoptées auraient pu donner lieu à un accord, notamment l’extension de la durée d’interdiction de retour à cinq ans, au lieu de trois ans. »

Pour notre part, il va sans dire que nous ne sommes pas mécontents du rejet par les députés des mesures aggravantes et sécuritaires inscrites par votre majorité dans ce texte, concernant, par exemple, l’aide médicale pour les étrangers, ou encore les facilités d’éloignement.

Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, nous saluons la modification proposée par le Gouvernement qui vise à élargir les possibilités pour les étrangers d’accéder au service civique, même si je considère, moi aussi, que cette mesure aurait pu être inscrite dans un autre texte que celui-ci.

En revanche, la majorité de l’Assemblée nationale s’est bien gardée de revenir sur le principe de surveillance permanente que met en place ce projet de loi.

Déjà soumise à un dédale d’obligations, de vérifications et de productions de preuves, l’obtention d’un titre de séjour pourra maintenant être remise en cause à tout instant, ce qui crée finalement un climat de doute sur la sincérité de la situation des potentiels fraudeurs.

Les articles 8 et 25 du projet de loi, dont nous proposerons de nouveau la suppression, si la motion tendant à opposer la question préalable n’était pas adoptée – certes, je n’ai guère de doute sur ce point –, créent en effet les conditions de tels contrôles, avec la levée inédite du secret professionnel pour plusieurs organismes et leurs personnels. Pôle emploi, les écoles et les universités, les établissements de santé publics et privés, les fournisseurs d’énergie et les opérateurs de téléphonie, tout comme les établissements bancaires, auront désormais l’obligation, sous peine d’amende, de fournir toute information que les agents de la préfecture jugeront utile pour contrôler la sincérité et l’exactitude des déclarations et l’authenticité des pièces produites par les personnes titulaires d’une carte de séjour. Nul besoin de commenter !

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des dispositifs que comporte ce projet de loi ; nous les avons déjà vertement critiqués et nos propositions ont été doctement battues en brèche en première lecture.

Mais, en définitive, dans la continuité des réformes passées sur le sujet, le Gouvernement a souhaité maintenir l’inversion de la logique d’intégration : les personnes étrangères ont besoin de droits pour s’intégrer, et non de s’intégrer pour mériter des droits. L’immigration « autorisée » est ainsi maintenue dans une situation administrative précaire, qui empêche celles et ceux qu’elle concerne de trouver toute leur place en France.

Monsieur le rapporteur, vous dénoncez la « position laxiste » de l’Assemblée nationale et l’« aveuglement » du Gouvernement sur les questions migratoires. Pourtant, de récentes déclarations du Premier ministre, lors d’une conférence sur la sécurité à Munich, devraient vous rassurer : il a estimé bon de « faire passer un message d’efficacité et de fermeté », selon ses propres termes, et assené que « l’Europe ne peut accueillir davantage de réfugiés ».

Il ne s’agit pas de discuter ici du droit d’asile – encore que… – ni même du dispositif d’accueil des réfugiés, sur lequel nous reviendrons, dans cet hémicycle, le 1er mars prochain.

Mais ces propos sont tout de même édifiants ! Outre qu’ils sont révélateurs d’un glissement politique certain, ils sont de nature à militer pour une Europe fermée sur elle-même et qui érige en dogme la peur du monde, la peur des mouvements du monde et ce, au nom de sa protection et de sa sécurité.

C’est ainsi que le Parlement danois vient d’adopter, à une écrasante majorité, un projet de loi sur l’immigration, dont plusieurs mesures scandaleuses nous ont heurtés, de même que tous les défenseurs des droits de l’homme. Je pense en particulier à la mesure sur la confiscation d’une partie des biens des migrants. Il est « raisonnable que l’État ne paie pas pour ceux qui peuvent le faire par eux-mêmes », a fait valoir la ministre danoise chargée de l’intégration. Il s’agit d’un dispositif contraire aux « standards européens et internationaux de protection des droits de l’homme », s’est indigné le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Ces dérives identitaires, ces égoïsmes nationaux, tout droit issus de l’ordre économique mondial établi, ne sont pas dignes de notre vieux continent, et encore moins de notre République.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de société – vous le savez – n’est pas le nôtre.

« C’est par la différence et dans le divers que s’exalte l’existence » : j’ose encore croire que l’essence de ces mots du poète breton Victor Segalen puisse alléger le climat lourd des craintes et des replis identitaires nauséabonds, qui sévissent ces temps-ci.

Pour conclure, et vous l’aurez compris, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s’opposeront, de nouveau, à ce projet de loi, qui ne rompt pas avec la logique répressive et suspicieuse du gouvernement précédent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite d’abord bien préciser que nous parlons du droit qui s’applique aux étrangers séjournant légalement sur notre territoire, et non de l’accueil des réfugiés. Ces deux sujets sont distincts.

La réforme qui nous est proposée est absolument indispensable et attendue depuis longtemps. Elle permet d’apporter des améliorations au droit des étrangers dont il convient de se féliciter.

J’évoquerai cependant quelques regrets et les difficultés soulevées par certaines dispositions nouvelles ajoutées par l’Assemblée nationale.

D’abord, il s’agit bien d’une réforme attendue et indispensable du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui comporte plusieurs améliorations.

Les objectifs de la réforme visent à sécuriser le parcours d’intégration des ressortissants étrangers, à contribuer à l’attractivité de la France, en créant une carte propre aux talents internationaux et en simplifiant le parcours des étudiants étrangers, ainsi qu’à garantir la protection des libertés individuelles et l’efficacité des décisions administratives d’éloignement s’agissant des séjours irréguliers.

Le titre de séjour pluriannuel est effectivement une réelle avancée, puisqu’il assure la pérennité du séjour et permet aux étrangers de se projeter dans l’avenir avec davantage de sérénité.

Il évite aussi certaines difficultés – autant d’obstacles à l’intégration – rencontrées par les titulaires d’un titre temporaire d’une durée de validité d’un an, en particulier pour trouver un logement ou contracter un emprunt immobilier.

Enfin, en ce qui concerne les renouvellements, le titre de séjour pluriannuel constitue une solution pragmatique à l’engorgement des services préfectoraux, dont certains sont surchargés de demandes et ne peuvent pas accueillir les ressortissants étrangers dans des conditions décentes. Rappelons que, dans certaines préfectures ou sous-préfectures, les files d’attente se forment dès trois heures du matin, sans aucune garantie pour les personnes qui font la queue d’être effectivement reçues ce jour-là…

On ne peut donc que se féliciter du fait que le Gouvernement ait pris en main cette réelle difficulté des étrangers en France, car intégrer, c’est aussi simplifier !

Il faut également se féliciter que l’attribution de plein droit de la carte de résident pour les familles de Français puisse être une réalité.

En outre, beaucoup de choses ont été faites afin d’augmenter l’attractivité de la France pour les étudiants et les investisseurs étrangers. Je souhaite cependant interroger le Gouvernement sur la question des visas biométriques, qui sont imposés et occasionnent parfois des difficultés dans les grands pays, où il n’y a qu’un poste consulaire. Par exemple, au Japon ou au Brésil, les déplacements sont coûteux ou difficiles. Les visas de long séjour restent une compétence nationale et il faudrait supprimer l’exigence de biométrie pour les étudiants, afin de renforcer encore notre attractivité dans ces pays.

Certains points de ce projet de loi gagneraient à être encore discutés, ce qui ne sera probablement pas le cas puisque, du fait de la majorité sénatoriale actuelle, la motion tendant à opposer la question préalable devrait être adoptée.

Nous souhaitions, par exemple, revenir sur la nouvelle distinction opérée entre les contrats à durée déterminée et ceux à durée indéterminée. Les détenteurs de CDD de douze mois ou plus resteront travailleurs temporaires et ne disposeront pas d’une carte de séjour de salarié.

Les droits des étrangers malades mériteraient d’être encore renforcés. Nous avions d’ailleurs fait des propositions en ce sens, lors de la première lecture.

La question de la sanction encourue par un étranger qui ne se rendrait pas à une convocation sans motif légitime doit également être revue. La personne pourrait en effet se retrouver en situation irrégulière.

Enfin, nous avons proposé de porter à deux jours ouvrés, au lieu de quarante-huit heures, le délai de recours contre les OQTF – obligations de quitter le territoire français – sans délai de départ volontaire et les assignations à résidence prononcées pour quarante-cinq jours renouvelables, afin d’améliorer la mise en œuvre effective de ce droit, notamment durant le week-end.

À titre personnel, j’ai également présenté un certain nombre d’amendements. J’ai ainsi proposé l’attribution d’une carte de résident permanent après quinze ans de présence régulière sur le territoire et l’interdiction totale de la rétention des mineurs en centre de rétention administrative.

J’ai aussi déposé une série d’amendements sur les titres de séjour des jeunes placés sous le contrôle de l’aide sociale à l’enfance. Le Gouvernement avait donné un avis défavorable, au motif qu’une instruction interministérielle était en cours. Finalement, la circulaire du 25 janvier 2016 ne résout malheureusement pas l’ensemble des problèmes de ces jeunes et n’est évidemment pas opposable devant les tribunaux administratifs. Nous risquons ainsi de voir des dispositions continuer d’être appliquées de manière disparate sur le territoire.

Je vous demande, madame la secrétaire d’État, de bien vouloir étudier de nouveau un certain nombre de ces dispositions, parce que la circulaire ne répond pas, je le répète, à l’ensemble des problèmes qui se posent, en particulier pour ce qui concerne les demandes d’autorisation de travail qui peuvent être très compliquées pour les mineurs dans cette situation.

Je regrette aussi certaines mesures nouvelles, introduites par l’Assemblée nationale. Je mentionne, par exemple, celle qui permet le recours aux forces de police et de gendarmerie pour les étrangers non assignés à résidence ; cette mesure, sans relation directe avec les dispositions qui étaient jusque-là en discussion dans le projet de loi, a constitué une surprise.

Le rapporteur a évoqué, de son côté, une disposition relative au droit d’asile qui donne à l’autorité administrative une compétence dont disposait uniquement l’OFPRA jusqu’à maintenant, concernant la recevabilité des demandes. Les alinéas 10 et 11 de l’article 29 du projet de loi portent, ainsi, gravement atteinte au principe de l’exclusivité du rôle de l’OFPRA, ainsi qu’à l’équilibre qui avait été trouvé, au Sénat, en ce qui concerne le rôle respectif de l’autorité administrative et de l’OFPRA.

Cette disposition, insérée en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, est contraire à la directive européenne et n’a pas été discutée lors de la réforme de l’asile au mois de juin dernier. Cela est vraiment dommage !

M. Charles Revet. Tout le monde est contre !

M. Jean-Yves Leconte. Et je regrette que l’adoption probable de la motion tendant à opposer la question préalable ne nous permette pas de revenir sur ce point…

En conclusion et pour revenir à l’esprit de cette réforme, il n’y a pas d’intégration sans égalité des droits. C’est la raison pour laquelle nombre de dispositions – la carte de séjour pluriannuelle, comme l’ensemble des simplifications – sont absolument indispensables pour mieux intégrer. La majorité sénatoriale était à l’encontre de ce mouvement en première lecture.

Nous, à gauche, nous affirmons que, dans des situations précises, c’est de plein droit qu’un certain nombre de droits doivent être reconnus. La majorité du Sénat – M. Mercier l’a encore rappelé – considère que, finalement, c’est l’autorité administrative qui doit décider. Est-ce au prix d’une inégalité des droits sur l’ensemble du territoire ? Nous disons, à gauche, qu’il convient que les droits soient les mêmes pour tous dans une situation donnée.

La mise en place de quotas à laquelle vous avez procédé…

M. le président. C’est terminé, mon cher collègue !

M. Jean-Yves Leconte. … est contraire au respect du droit, et constitue une provocation à l’égard de l’Assemblée nationale.

M. le président. Veuillez conclure !

M. Jean-Yves Leconte. C’est la raison pour laquelle il était impossible à l’Assemblée nationale et au Sénat de s’accorder sur un texte.

Finalement, en maniant la provocation, vous empêchez le Sénat de faire son travail et d’améliorer le texte de l’Assemblée nationale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous regrettons profondément que l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable, si tel est le cas, ne nous permette pas de revenir sur le fond, surtout que le travail avait déjà été fait…

M. le président. Cela suffit, monsieur Leconte !

M. Jean-Yves Leconte. Votre provocation avec les quotas ne pouvait pas être acceptée en l’état. Je suis au regret de devoir constater que nous sommes en désaccord. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. Roger Karoutchi. Ça suffit !

M. Jean-Yves Leconte. Je le répète, nous aurions dû travailler sur ce texte en collaboration avec l’Assemblée nationale, mais votre attitude lors de la première lecture nous en empêche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Mon cher collègue, en dépassant ainsi votre temps de parole, vous faites preuve d’irrespect envers les autres orateurs !

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner, en nouvelle lecture, le projet de loi relatif au droit des étrangers en France qui, probablement, sera rejeté en l’état. En effet, son rapporteur, M. Buffet, proposera au Sénat, au nom de la commission des lois, de décider qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération.

L’argument principal à l’appui de la motion tendant à opposer la question préalable est que, « en nouvelle lecture, le texte adopté par l’Assemblée nationale ne prend en compte aucune des préoccupations majeures exprimées par le Sénat à travers plusieurs amendements d’importance ».

Rappelons que le Sénat, sur l’initiative de la droite, avait considérablement durci le texte, allant même jusqu’à en changer le titre, lequel est passé de projet de loi « relatif au droit des étrangers en France » à projet de loi « portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration ».

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cela résume bien son ambition !

Mme Esther Benbassa. Tout était dit dans le titre initial, qui évoquait les droits des individus, d’hommes, de femmes, d’enfants immigrés, et auquel la droite sénatoriale a répondu par « maîtrise de l’immigration ».

Nous avons retrouvé la focalisation sur ce thème tout au long des débats au sein de la Haute Assemblée, qui a fini par adopter nombre de dispositions pour le moins problématiques : limitation de l’octroi du nouveau titre de séjour pluriannuel aux titulaires d’un CDI, aux entrepreneurs, aux personnes exerçant une profession libérale et aux étudiants inscrits en master ; restriction des conditions d’accès à l’aide médicale d’État ; restriction des conditions du regroupement familial ; conditionnement du droit au séjour pour raisons médicales à l’absence totale de traitement dans le pays d’origine.

Même s’il faut bien admettre que le texte adopté par l’Assemblée nationale, comme le projet de loi initial, d’ailleurs, était très loin de satisfaire nos attentes, son vote tel quel sera un moindre mal. Le groupe écologiste avait toutefois des propositions à défendre pour l’améliorer, surtout qu’il comporte encore des dispositions que nous ne pouvons cautionner.

Exemple le plus emblématique : les articles 8 et 25, qui y figurent encore, imposent à une longue liste d’administrations ou d’entreprises publiques et privées de fournir toute information que les agents de la préfecture jugeront utile au contrôle « de la sincérité et de l’exactitude des déclarations souscrites ou au contrôle de l’authenticité des pièces » des personnes titulaires d’une carte de séjour, sous peine d’une amende de 7 500 euros.

Ces dispositions ont été dénoncées par nombre de professionnels et d’institutions, notamment la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui relève « une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale garanti à l’article 8 de la CEDH », la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et le Défenseur des droits, pour qui il s’agit de « la disposition la plus contestable du texte ».

Autre exemple d’importance : l’article 19, qui, en encadrant la rétention des mineurs, permet la légalisation de cette pratique indigne de notre pays. Faut-il rappeler, mes chers collègues, que l’enfermement d’enfants en centre de rétention a déjà été plusieurs fois considéré par la Cour européenne des droits de l’homme comme un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH ? En 2014, malgré cela, 5 692 enfants ont été enfermés, dont 110 en métropole et 5 582 à Mayotte.

Cependant, de ces dispositions, pas plus que de celles qui concernent les étrangers malades ou les conjoints de Français, nous n’aurons probablement pas l’occasion de débattre davantage. Je le regrette, car il s’agit de sujets importants, qui méritent un débat démocratique.

J’avoue néanmoins que je suis un peu soulagée de ne pas avoir à revivre les débats auxquels nous avons assisté en première lecture et qui ont été surtout l’occasion de postures parfois relativement violentes.

M. Roger Karoutchi. Des deux côtés !

Mme Esther Benbassa. Cher Roger Karoutchi, je suis contente de voir que vous êtes là ! (Sourires.)

Ces derniers mois, nous avons constaté que, lorsque l’on parle d’immigration, il est difficile pour certains de raison garder et de résister aux discours chargés d’amalgames, avec une tendance à la diabolisation de l’étranger. Les raisons électoralistes n’échappent pas à grand monde. Au moins ces discours nous seront-ils épargnés aujourd’hui… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, naturellement, je partage pleinement l’avis de M. le rapporteur : un certain nombre de modifications issues d’amendements du Gouvernement vont tomber sous le coup de la censure du Conseil constitutionnel. C’est une évidence, ces dispositions n’ayant pas été ajoutées conformément aux règles en la matière et étant trop éloignées du texte. Le Gouvernement s’est fourvoyé en soutenant un certain nombre de mesures.

Ensuite, comme M. le rapporteur, je rappelle que nous avons beaucoup débattu du présent projet de loi. Certes, nous l’avons aussi beaucoup transformé, et tout le monde n’était pas d’accord, mais cela relève du travail parlementaire, que ce soit en commission ou en séance plénière, au travers des amendements.

Se retrouver avec un texte totalement désossé, reprenant uniquement les positions de l’Assemblée nationale et du Gouvernement, revient à nier le rôle du Sénat. Nous n’allons donc pas recommencer le débat pour, en tout état de cause, voir finalement l’Assemblée nationale ne pas tenir compte de nos travaux. Cela n’a pas de sens, et, par conséquent, je soutiendrai naturellement la motion tendant à mettre un terme au débat.

Néanmoins, je pense que le Gouvernement vient de rater un magnifique rendez-vous.

M. André Reichardt. Absolument !

M. Roger Karoutchi. Lorsque Manuel Valls, alors encore ministre de l’intérieur, a annoncé la discussion de ce projet de loi, personne n’était gêné, en tout cas pas lui, de dire qu’il s’agissait d’un texte sur l’immigration. Il a d’ailleurs employé le terme à cette tribune.

Nous attendions donc un texte sur l’immigration, mais il n’est jamais arrivé, ou, plus exactement, après les circonvolutions internes à la gauche, nous avons vu sortir un projet de loi définissant ici ou là, et à la marge, des nouveaux droits des étrangers très limités en matière administrative ou juridique.

Immigration : on n’en parle plus ! Comme si le mot et le sujet étaient tabous !

Mes chers collègues, à mon sens, le pire est justement que le Parlement ne puisse pas clairement débattre de ces thèmes.

M. Philippe Kaltenbach. Eh bien, débattons-en !

M. Roger Karoutchi. Si nous voulons éviter les fantasmes et les excès, parlons-en ! Disons les choses clairement !

Nous avons débattu pour savoir s’il fallait établir des quotas d’étrangers pouvant entrer sur le territoire national. En quoi est-ce une attitude sectaire et raciste ? Nous devons faire face à une réalité qui est différente de celle de l’Allemagne…

M. Jean-Yves Leconte. C’est un déni de réalité !

M. Roger Karoutchi. Mon cher collègue, je n’ai interrompu personne !

L’Allemagne a une situation démographique et budgétaire, ainsi qu’un marché de l’emploi qui ne sont pas les nôtres.

Selon vous, nous ne pourrions même pas évoquer la situation de la société et de l’économie françaises pour évaluer le nombre d’entrants que nous pouvons accepter, au regard de notre capacité et de nos moyens à les intégrer, c’est-à-dire faire en sorte qu’ils deviennent de bons citoyens.

Pour ma part, j’ai toujours protesté contre la faiblesse des moyens de l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui fait un travail essentiel en parallèle à celui de l’OFPRA, mais qui a de moins en moins de crédits, ne serait-ce que pour organiser les formations à la citoyenneté.

Croyez-vous faire preuve de dignité lorsque vous refusez de fermer les frontières et d’organiser des contrôles, tout en sachant que les étrangers devront se débrouiller une fois qu’ils seront là, car vous êtes bien conscients que nous n’avons pas de travail ni de logement à leur donner et que nous n’avons de toute façon pas les moyens de les former à la citoyenneté ?

Qu’est-ce que cela veut dire ? Ce n’est pas là ma conception de la République ! La République, avec son droit d’asile et sa tradition de tolérance et d’ouverture, accepte les étrangers qui entrent lorsqu’elle sait pouvoir les former et les intégrer à la citoyenneté française.

Si nous n’en sommes pas capables et si nous n’en avons pas les moyens, nous sommes en permanence dans le mensonge, à l’égard tant des entrants que des citoyens français.

En votant notre version du texte, nous avons demandé instamment au Gouvernement d’avoir une politique migratoire digne de ce nom, c’est-à-dire contrôlée.

M. Philippe Kaltenbach. C’est le cas !

M. Roger Karoutchi. La France n’a évidemment pas les moyens actuellement d’accueillir massivement des personnes venant de l’extérieur. Contentons-nous déjà de former, d’éduquer, d’intégrer ceux qui entrent légalement. Donnons-leur un logement, un emploi, sinon tout cela n’a pas de sens.

La véritable tradition de tolérance, d’ouverture, de liberté et d’intégration à la nation française est défendue ici par ceux qui disent que nous ne pouvons pas accepter massivement de personnes, et qu’il faut, au contraire, fixer un certain nombre de règles, règles qui, une fois acceptées sur notre territoire, permettront à ces personnes d’accéder à la citoyenneté.

Il n’y a pas, d’un côté, les durs, les méchants, les fantasmatiques, et, de l’autre, les partisans de l’ouverture et de la liberté. La première des libertés, c’est la dignité, et elle de notre côté ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, quelle déception que la majorité gouvernementale n’ait su entendre, une fois de plus, la voix du Sénat !

La position de la Haute Assemblée sur la question migratoire a toujours été forte : elle l’est d’autant plus que l’actualité, malheureusement, nous y incite.

Cette position se résume en trois points : proposer une politique juste et équitable pour les étrangers qui demandent à vivre sur notre territoire dans la légalité ; combattre l’immigration irrégulière ; préserver nos valeurs dans un intérêt national bien compris.

Dès 2004, la Cour des comptes avait posé clairement les enjeux en écrivant : « La situation d’une bonne partie des populations issues de l’immigration la plus récente est plus que préoccupante. Outre qu’elle se traduit par des situations souvent indignes, elle est à l’origine directe ou indirecte de tensions sociales et raciales graves, lourdes de menaces pour l’avenir. »

Depuis, la situation – c’est le moins que l’on puisse dire – ne s’est pas améliorée : l’immigration clandestine n’a cessé d’augmenter. Même si son évaluation est complexe, on peut s’en faire une idée en comptabilisant le nombre de bénéficiaires de l’AME, l’aide médicale d’État – ce nombre a augmenté de 35 % en trois ans – et le nombre de déboutés du droit d’asile. Mes chers collègues, le système du droit d’asile fabrique chaque année près de 50 000 clandestins supplémentaires dans notre pays.

La France ne peut pas, ne doit plus régulariser et laisser se maintenir sur le territoire national les personnes qui y entrent et y demeurent illégalement ! Et pourtant, madame la secrétaire d’État, le Gouvernement refuse de regarder cette réalité en face, et de prendre les mesures adéquates.

Lors de la discussion au Sénat, en première lecture, du présent texte, nous avions adopté des dispositions fortes : le principe des plafonds annuels, la transformation de l’AME en aide médicale urgente, ou AMU, l’alignement des délais relatifs au regroupement familial et aux départs volontaires sur ce que prévoient les directives européennes.

Nous avions aussi fait le choix de maintenir les équilibres de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, réitérant notre opposition au titre pluriannuel de séjour, supprimant les cas de délivrance de certains titres de séjour et imposant – cela a été dit tout à l’heure – la condition de l’inexistence du traitement dans le pays d’origine pour être admis au séjour au titre du dispositif des étrangers malades.

Le Gouvernement et sa majorité se sont au contraire inscrits, madame la secrétaire d’État, dans la continuité des décisions successives prises depuis 2012 : assouplissement des conditions de régularisation et des procédures de naturalisation, et même suppression du droit de timbre pour l’AME.