M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la guerre civile syrienne, l’aggravation du conflit en Libye et la situation dramatique de l’Érythrée ont jeté sur les mers et sur les routes des millions de femmes, d’hommes et d’enfants dont la priorité est de survivre. Ils tentent de gagner l’Europe dans les conditions dramatiques que l’on sait, espérant y trouver protection et sécurité.

En décembre 2015, l’Organisation internationale pour les migrations et le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés faisaient état de 1 005 504 entrées de migrants en Europe par voies maritime et terrestre.

Face à cette situation sans précédent, le Conseil de l’Union européenne a notamment pris la décision, en septembre dernier, de mettre en œuvre une procédure dite de « relocalisation », consistant à transférer les demandeurs d’asile arrivant en Grèce et en Italie vers d’autres États membres, chargés de l’étude de leur demande d’asile.

Cette procédure, qui devait concerner 160 000 personnes en deux ans, semblait constituer un pas en avant vers davantage de solidarité intra-européenne. La France prenait également ses responsabilités, s’engageant à accueillir environ 30 000 réfugiés dits « relocalisés » en deux ans.

Aujourd’hui, près de six mois après la mise en place de cette procédure et alors que notre commission des lois revient d’un voyage en Grèce dans le cadre de la mission de suivi et de contrôle du dispositif d’accueil des réfugiés, qu’en est-il ?

Eh bien, le moins que l’on puisse dire, mes chers collègues, c’est que la mise en place du programme de relocalisation est laborieuse !

Au 10 février, 218 personnes avaient été transférées de Grèce et 279 d’Italie vers les autres États membres ; la France pour sa part en avait accueilli 135. Au vu de tels chiffres, il pourra sembler dérisoire que notre Premier ministre affirme, comme il l’a fait lors de la conférence de Munich sur la sécurité des 12 et 13 février, que la France ne pourra accueillir plus que les 30 000 réfugiés prévus.

Cent trente-cinq personnes ! On est loin de la marée humaine annoncée par certains, parfois à des fins électoralistes. Comment expliquer ce phénomène alors que le cadre réglementaire existe et que la situation demeure si préoccupante ?

Rappelons aussi que la relocalisation ne concerne que les Syriens, les Érythréens et les Irakiens ; par ailleurs, elle ne permet pas le choix du pays de transfert. En fin de compte, environ 40 % des personnes arrivant en Italie et en Grèce ne relèvent pas de cette procédure. Nombre de ceux qui pourraient en bénéficier préfèrent ne pas faire de demande plutôt que de se voir imposer un pays de destination et de risquer de ne pas retrouver leurs proches.

Comme l’ont relevé nos collègues de la commission des lois lors de leur déplacement en Grèce, « le programme de relocalisation est encore trop timide et d’une échelle sans commune mesure avec les besoins réels ». Au rythme où vont les choses, il faudrait plusieurs dizaines d’années pour relocaliser dans les pays de l’Union européenne les 160 000 personnes prévues, et cela sans même compter, bien sûr, les milliers d’autres qui continuent d’arriver.

Il est heureux qu’Angela Merkel, ne cédant ni à la pression de son propre parti ni aux critiques venant de toutes parts, y compris des pays de l’Union européenne, continue de nous donner une leçon d’humanité. Quel contraste avec les déclarations de notre Premier ministre le 13 février ! « Nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés. » Voilà une phrase qui laissera des traces dans l’histoire de notre pays.

Rien de très nouveau, en vérité. Rappelons-nous seulement l’accueil réservé en 1938 aux juifs fuyant l’Allemagne nazie et l’Autriche après l’Anschluss ou, en 1939, lors de la Retirada, aux milliers de Républicains espagnols entassés dans des camps d’internement.

Notre gouvernement a le devoir d’agir. Il est intolérable de durcir le ton dans les sommets internationaux et de recourir à ce fameux langage de fermeté, cédant ainsi au populisme, souvent teinté de xénophobie, qui ronge notre pays.

Au nom de la simple dignité humaine, nous sommes liés par les devoirs incombant à cette « patrie des droits humains » dont nous claironnons les principes sans prendre toujours concrètement soin de nous y tenir.

Essayons, de grâce, de ne pas l’oublier. Les autres pays européens sont également tenus de s’associer au mouvement de solidarité pour accueillir les réfugiés. Les égoïsmes nationaux en la matière risquent à la longue de faire craquer l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me semble tout d’abord nécessaire de souligner que, sous le vocable « réfugié », très vite devenu unique et obligatoire, se cache une très forte disparité d’individus.

S’il existe à n’en pas douter quelques véritables réfugiés qui fuient la guerre, un grand nombre d’entre eux, pour ne pas dire la majorité, constituent en réalité une immigration économique. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)

En outre, les images de ces cohortes humaines – 10 000 entrées par jour, a-t-on entendu ici tout à l’heure –, dont les médias nous inondent chaque jour, démontrent qu’il s’agit là d’une population essentiellement masculine et relativement jeune.

M. Jean-Yves Leconte. Ce n’est pas exact !

M. Stéphane Ravier. Une force qui devrait amener ces populations non pas à quitter leur pays mais, au contraire, à y rester pour le défendre et pour défendre leurs familles, qu’elles ont manifestement laissées derrière elles. (Mmes Esther Benbassa et Éliane Assassi s’exclament.) Ne fait pas Verdun qui veut !

M. Alain Néri. Parlez de ce que vous connaissez !

Mme Éliane Assassi. On va vous y envoyer ! Allez-y et n’en revenez pas !

M. Stéphane Ravier. Quant à l’accueil à proprement parler, force est de constater qu’il est imposé à ceux qui vont devoir, que cela leur plaise ou non, vivre aux côtés de ces populations : j’ai nommé les Français !

Nos compatriotes, celles et ceux qui nous ont élus, sont les grands oubliés, une fois de plus, de ce faux débat…

M. Alain Néri. C’est honteux !

M. Stéphane Ravier. … qui, chacun le sait, se conclura dans un bel élan d’humanisme et, selon la formule consacrée par M. le ministre de l’intérieur, par l’application de la tradition d’accueil séculaire de la France, héritée de 1793…

Mme Éliane Assassi. Que cela vous plaise ou non, c’est ainsi !

M. Stéphane Ravier. … et qui fait l’honneur et les valeurs de la République. Rangez vos mouchoirs !

Nous savons pertinemment que ce gouvernement, comme les précédents, ne s’intéresse plus à ce que souhaitent nos compatriotes, alors qu’il devrait imiter et non fustiger la Hongrie, qui a sagement et démocratiquement appelé son peuple à se prononcer par la voie du référendum, consciente que le phénomène qui la touche engage son avenir comme il engage le nôtre.

Mme Éliane Assassi. Ça vous ressemble bien !

M. Stéphane Ravier. Tant de raisons justifient que nous nous opposions à cette déferlante migratoire !

La première : nous n’avons pas les moyens d’appliquer votre idéologie, avec une dette abyssale, 6 millions de chômeurs, 8 à 9 millions de pauvres, une crise du logement et, à Marseille, des écoles qui s’effondrent. La Déclaration des droits de l’homme et autres discours coupés des réalités ne suffiront pas à absorber cette misère. (Mmes Esther Benbassa et Éliane Assassi s’exclament.)

M. Alain Néri. Il perd la raison !

M. Stéphane Ravier. Nul doute cependant que cette manne bon marché qui acceptera de travailler pour des salaires au rabais fera le bonheur du MEDEF, qui imitera ainsi son modèle allemand.

M. Maurice Vincent. Ce n’est pas le sujet !

M. Stéphane Ravier. Cette concurrence déloyale de l’intérieur, nos compatriotes devront la subir,…

Mme Éliane Assassi. Vous dites n’importe quoi !

M. Stéphane Ravier. … puisque les syndicats, qui sont pourtant censés les défendre, sont favorables à l’accueil et donc à l’exploitation de ces populations.

Mme Éliane Assassi. Vous êtes haineux !

M. Stéphane Ravier. Il n’y a pas que les passeurs qui s’enrichissent sur le dos de la misère.

M. Christian Favier. Il y a le Front National !

M. Stéphane Ravier. Quant à la cohésion et à l’identité nationales, elles n’en seront que davantage fragilisées. Il n’est qu’à observer la guerre qui se déroule à Calais et qui a plongé les habitants ainsi que les forces de police et de gendarmerie dans l’enfer de ce que vous osez encore appeler le « bien vivre ensemble ».

Quant au risque terroriste, il s’est déjà manifesté dans l’horreur que l’on sait au mois de novembre dernier à Paris (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain frappent sur leur pupitre en signe d’impatience.) et Interpol estime aujourd’hui que 5 000 djihadistes ont pu bénéficier de l’anarchie migratoire.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Ravier !

M. Stéphane Ravier. Je conclus, monsieur le président. Merci de me laisser un petit peu plus de temps, comme vous l’avez fait pour les collègues qui se sont exprimés avant moi !

M. Alain Néri. Vous auriez pu ne pas commencer du tout, cela aurait été mieux !

M. Stéphane Ravier. Enfin, et ce point est souvent oublié de vos analyses, ces immigrés représentent les forces vives des pays d’origine. (M. Daniel Raoul frappe sur son pupitre en signe d’impatience.) En les acceptant et en les fixant chez nous, en attendant qu’ils fassent venir leur famille, car ils ne repartiront pas, vous privez ces pays des forces dont ils ont besoin pour se construire ou se reconstruire, et vous participez ainsi à leur appauvrissement (M. Daniel Raoul manifeste de nouveau son impatience.) et, donc, à une nouvelle émigration à venir.

Pour conclure,…

MM. Jean-Yves Leconte et Alain Néri. Ah oui !

M. Stéphane Ravier. … dans l’intérêt de tous, celui de nos compatriotes comme celui de ces populations, et forts du constat de l’échec de l’Europe à maîtriser la situation, retrouvons ici aussi notre souveraineté.

M. le président. Concluez !

M. Stéphane Ravier. En effet, le seul débat que nous devons ouvrir urgemment porte non pas sur l’accueil, mais bien sur le retour de ces populations dans leur pays d’origine.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Daniel Raoul. Cela va changer !

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, déjà peu lisible pour l’observateur moyen – c’est un euphémisme –, la politique migratoire européenne, ou plutôt l’absence de politique migratoire européenne, en train de virer au « sauve-qui-peut » prend un air « surréel » vu de la Grèce qui a accueilli l’année dernière 911 000 réfugiés – jusqu’à 7 000, parfois 10 000 réfugiés certains jours –, en provenance de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, d’Érythrée et de bien plus loin.

Telle est en tout cas mon impression en tant que membre de la mission sénatoriale chargée du suivi du dispositif exceptionnel d’accueil des réfugiés, qui vient de se rendre à Athènes et à Lesbos, cette île de 70 000 habitants qui, à quelques kilomètres des côtes turques, accueillit 500 000 réfugiés en 2015 et enterra leurs morts.

« Surréel », parce que ce phénomène hors norme a été traité et continue de l’être par les responsables européens avec les procédures de routine, c'est-à-dire les procédures légales. Comme on le sait, celles-ci reposent sur la distinction entre les demandeurs d’asile et tous les autres immigrants : les premiers sont accueillis de droit, parce qu’ils sont persécutés ou victimes d’une guerre, les seconds sont immédiatement expulsables s’ils se trouvent en situation irrégulière, ce qui est massivement le cas. D’où l’importance centrale accordée à l’identification des arrivants et de leur pays d’origine, qui permet de distinguer les légitimes demandeurs de « protection internationale » des migrants économiques. D’où la fixation de Bruxelles et des pays d’éventuelle destination sur la mise en place de points de passage – les fameux hotspots –, où les arrivants seront identifiés, triés et enregistrés dans le fichier Eurodac.

Cette question réglée, l’intendance est censée suivre, sauf qu’il faut deux conditions : que les flux de réfugiés restent modérés et pas trop erratiques, d’une part, que les déboutés du droit d’asile puissent être effectivement renvoyés d’où ils viennent, d’autre part. Or ces conditions ne sont plus remplies.

Même la France, dont la situation n’est pas celle de la Grèce, ne parvient pas, malgré tous ses efforts et des moyens bien supérieurs, à renvoyer tous les déboutés du droit d’asile. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2015, sur les 79 914 demandes d’asile qui ont été enregistrées, 26 700 ont été accordées et 53 214 ont été refusées, 17 000 reconduites à la frontière ont eu lieu, ce dernier chiffre étant en augmentation.

Imaginons la Grèce, où étaient déjà installés un million de migrants en 2014, faisant face, quasi seule au départ, à la vague migratoire dont j’ai parlé. François-Noël Buffet l’a souligné, après leur passage dans un hotspot où ils sont identifiés, enregistrés, reconnus ou non comme demandeurs d’asile légitimes, tous les réfugiés se retrouvent sur les ferrys qui les emmènent à Athènes et, un peu plus tard, pour la plupart, en route vers l’Allemagne, la Suède ou le Royaume-Uni, via la Macédoine et les Balkans. Seule les distingue la durée de validité de leur sauf-conduit : six mois pour les demandeurs d’asile reconnus, deux mois pour les autres.

Pour l’heure, la foule indifférenciée des nouveaux réfugiés ne fait que passer en Grèce et dans les pays qui les séparent de leur point de chute final, tant que les frontières ne se fermeront pas, ce qui est en train de se passer. Actuellement, quelque 70 000 réfugiés seraient pris au piège de la frontière macédonienne ouverte au compte-gouttes.

« Surréel » aussi est le plan de relocalisation des réfugiés péniblement adopté au mois de septembre 2015. Il est non seulement obsolète avant même de naître, puisque sont concernés seulement 120 000 réfugiés – je maintiens ce chiffre, même si celui de 160 000 a été évoqué –, dont 66 000 en provenance d’Italie et de Grèce, alors que c’est là que sont les flux principaux, mais aussi poussif au démarrage, faute de places offertes et d’appétence des réfugiés eux-mêmes au regard des délais d’instruction et de l’ignorance de leur destination finale. À la date du 17 janvier 2016, seules 597 places étaient offertes et 621 demandes étaient enregistrées !

« Surréelle » enfin est la facilité de la bureaucratie et des dirigeants politiques européens à se dédouaner de toute responsabilité. Pour eux, l’origine d’une situation aussi catastrophique ne saurait résulter de leur immobilisme, de leur manque d’anticipation, encore moins de l’insuffisance des règlements et des traités, mais serait la conséquence de l’incapacité, voire de la mauvaise volonté, des exécutants, en l’espèce la Grèce.

Ainsi, dès l’été 2015, un procès en sorcellerie pour insuffisance fut-il préventivement instruit à l’encontre de la Grèce, alors que celle-ci, écrasée par les « restructurations » imposées par la Troïka, faisait face quasi seule avec ses dix millions d’habitants et à ses frais – au moins 600 millions d'euros – à une catastrophe humanitaire majeure. Le maire de Mytilene – commune de 28 000 habitants – nous l’a dit : « On s’est sentis très seuls, humiliés par les visites étrangères d’inspection et les critiques de la commission permanente de contrôle de la mise en œuvre des règles de Schengen en novembre 2015 ».

Pour l’heure, je le dis tout net, on est accablé de devoir constater que le seul chef d’État à avoir le courage d’appeler, comme elle vient de le faire il y a quelques jours encore, à ne pas abandonner la Grèce, à ne pas la laisser plonger dans le chaos, c’est Mme Merkel ! (Mmes Françoise Férat et Catherine Di Folco ainsi que M. Jean-Pierre Sueur applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour beaucoup de Français, la crise des migrants, c’est d’abord la vision insoutenable de la « jungle » de Calais. Avec les membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, je m’y suis rendue voilà quelques semaines.

Jamais, monsieur le ministre, jamais, mes chers collègues, alors que j’ai visité de nombreux camps de réfugiés en Syrie, en Jordanie, en Turquie, en Irak, jamais je n’ai vu de conditions de vie aussi inhumaines, une telle saleté, une telle misère. Cette situation honteuse n’a que trop duré et je salue le démantèlement du bidonville. Attention toutefois à ce que les migrants ne se retrouvent rapidement de nouveau à la rue, à la merci des réseaux de traite des êtres humains, susceptibles de les acculer au travail forcé ou à l’exploitation sexuelle. Il est indispensable d’assurer le suivi de ces personnes, en particulier celui des mineurs isolés. Monsieur le ministre, je serais heureuse que vous nous indiquiez les dispositifs prévus à cette fin.

Pour nos sociétés, la grande question est celle de l’insertion des migrants. Au mois de mai dernier, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile, j’ai déposé des amendements visant à faciliter l’accès au travail des demandeurs d’asile durant la période d’examen de leur dossier. Dans ce domaine, la France est très en retard par rapport à la Suède, à l’Allemagne ou aux États-Unis.

L’exclusion du marché du travail pendant de longs mois empêche les migrants de vivre dignement. Elle a aussi un coût élevé pour notre société en favorisant l’économie clandestine. Il faut lever ce tabou. C’est d’autant plus urgent que le nombre de migrants s’accroît à une vitesse sidérante. En France, les migrants se comptent par milliers, en Grèce, par centaines de milliers, en Turquie, en Jordanie ou au Liban, en millions…

Dans certains pays, les réfugiés pèsent désormais pour un quart de la population, ce qui, pour les petits pays, entraîne une fragilisation potentiellement explosive de leurs structures économiques et sociales. Il est indispensable d’aider ces pays pour leur permettre d’accueillir plus de réfugiés, qui, en restant près de chez eux, pourront y retourner plus facilement pour reconstruire leur vie et leur pays. Il faut de nouveaux accords de Bretton Woods.

Je sais que l’aide publique au développement ne relève pas de votre compétence, monsieur le ministre, mais il est véritablement indispensable de mieux épauler le Liban et la Jordanie, qui demeurent exclus des financements concessionnels, réservés aux pays les plus pauvres.

M. Jacques Legendre. C’est vrai !

M. Bruno Retailleau. Très bien !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Quant au mécanisme de relocalisation, il commence à peine à fonctionner avec la Grèce. Ce mécanisme ne devrait-il pas être élargi à la Turquie, à la Jordanie ou au Liban, afin de court-circuiter les réseaux de passeurs ?

Par ailleurs, où en est-on du mécanisme d’examen des visas pour l’asile dans nos consulats en Irak et en Syrie ? Les délais, me dit-on, se sont beaucoup allongés.

Il est évidemment urgent de démanteler les réseaux de passeurs, d’autant que ceux-ci contribuent au financement du terrorisme. Cela nécessite une politique pénale rigoureuse et une véritable coopération européenne. La coopération entre FRONTEX et l’OTAN en mer Égée est un progrès. L’ayant réclamée depuis le mois d’avril dernier, je m’en réjouis, mais il faut aller plus loin dans la coopération avec les pays les plus concernés.

Au mois d’octobre dernier, l’Union européenne et la Turquie ont signé un plan d’action de lutte contre les passeurs : où en sommes-nous ? Il semblerait aussi que les contrôles d’identité réalisés dans les hotspots en Grèce soient peu fiables, faute notamment de recoupement entre les informations de la police grecque, celles de FRONTEX, d’Europol et celles du système d’information Schengen, ce qui laisse le trafic de faux documents prospérer. Qu’est-il prévu pour améliorer le dispositif ?

La cohésion européenne est aujourd’hui à rude épreuve, alors qu’une véritable coopération s’impose plus que jamais. La libre circulation des biens et des personnes est menacée. C’est pourtant un pilier de la construction européenne, son incarnation la plus tangible pour les citoyens et un enjeu économique énorme.

Sachons discerner les priorités. Ne laissons pas les égoïsmes triompher, alors même que la violence obscurantiste est à nos portes. Notre pays, patrie historique des droits de l’homme, se doit d’être leader en Europe sur cette question. C’est un devoir pour nous tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que, à une exception près – heureusement, ce fut bref –, nous ayons un débat de qualité, montrant ainsi que la représentation nationale est consciente de l’importance et de la difficulté du sujet. Tous, nous affirmons cette obligation de solidarité à l’égard des réfugiés, même si elle est difficile à mettre en œuvre, notamment parce que nos populations – comme de nombreuses autres en Europe – n’y sont pas aussi favorables que l’on pense. Même en Allemagne, la Chancelière est critiquée, alors que, de là où je vis, je vois comment des communes allemandes accueillent facilement 400 réfugiés. Reste que les populations commencent à s’inquiéter.

On oublie vite, trop vite, l’image de cet enfant mort sur une plage de Méditerranée, qui a suscité un émoi extraordinaire ; tout le monde en parlait. Tout cela semble avoir disparu aujourd'hui. Je ne suis pas sûr que les populations, sauf celles qui sont directement concernées, soient aussi sensibles aux difficultés de vie des réfugiés à Calais et des populations voisines.

La solidarité de nos populations n’est pas au rendez-vous. Il est vrai que celles-ci souffrent aussi : difficultés économiques, chômage… Ce n’est certainement pas le meilleur moment pour avoir le sens de l’accueil.

La solidarité, cela a été dit, c’est d’abord la solidarité européenne. L’Europe est-elle capable de construire effectivement une politique commune qui lie chacun des États alors que, pour être clair, certains refusent de s’engager et d’autres acceptent que certains pays, notamment la Grèce, mais très souvent également l’Italie, soient confrontés plus que d’autres à des difficultés ? Disant cela, je pense à la situation que vivent souvent les maires en matière d’accueil des gens du voyage, chacun espérant que ces gens s’arrêtent sur le terrain des autres et pas sur le sien !

La solidarité en Europe est indispensable. La proposition de Jean-Yves Leconte et d’autres de travailler sur une identification unique est la seule solution, bien que sans doute difficile à mettre en œuvre.

Vous l’avez compris, monsieur le ministre, une initiative franco-allemande est fortement attendue. Alors que la Chancelière a clairement affirmé sa volonté d’accueillir des réfugiés, elle connaît quelques difficultés dans son pays. L’État français est lui aussi prêt à en accueillir, mais notre pays n’est pas la terre préférée des réfugiés, qui déclarent régulièrement qu’ils ne veulent pas rester en France.

Une solidarité des territoires, localement, est également nécessaire. Vous avez, les uns et les autres, mes chers collègues, évoqué un partenariat avec les collectivités locales. Je pense, monsieur le ministre, qu’il y a lieu de mieux construire ce partenariat. Il n’est pas forcément simple, pour les élus locaux, de demander à leurs administrés de bien vouloir accueillir des réfugiés, surtout lorsque les logements sociaux sont déjà pleins. C’est un peu plus facile de le faire en Alsace, car on peut rappeler aux Alsaciens qu’ils étaient contents, en 1939, d’être réfugiés notamment en Dordogne ou dans le Limousin, mais les générations qui ont vécu cette période tendent à disparaître.

Permettez-moi d’évoquer la manière dont les services de l’État en région se comportent à l’égard des communes, car il faut en parler. Un vrai partenariat est nécessaire. Lorsque vous mettez des logements à disposition pour l’accueil des réfugiés, on vous dit : Signez une convention avec une association. Or, en tant que maire, je veux un écrit avec l’État !

Ce partenariat suppose également que l’accueil des enfants à l’école soit garanti. Or, alors que le nombre d’enfants que la commune s’apprête à accueillir devrait permettre le maintien d’une classe, on m’annonce sa fermeture ! C’est un détail, mais il est important. En effet, les maires qui font l’effort de convaincre leur population d’accueillir des réfugiés doivent être soutenus par l’État. Ceux qui ont répondu à votre invitation, monsieur le ministre, qui ont ensuite fait des efforts et qui constatent aujourd'hui qu’ils n’ont pas de réponse ne manquent pas de s’interroger.

Les maires de Grande-Synthe et Calais sont interpellés par leur population et ont besoin d’une présence de l’État afin de ne pas avoir le sentiment d’être seuls face à leurs administrés. À défaut, certains maires pourraient très vite être enclins à partager, parfois de manière démagogique, les discours xénophobes et sectaires que l’on entend parfois.

Enfin, et cela fait longtemps que l’on en parle, les territoires doivent être solidaires en matière d’accueil des mineurs isolés étrangers. Des départements se plaignent depuis longtemps d’avoir beaucoup trop de charges quand d’autres n’en ont pas. Pour respecter nos engagements internationaux, nous devons accueillir ces mineurs étrangers, même si nous savons que certains sont victimes de trafic et de réseaux et dont les parents ont payé en pensant les envoyer vers un eldorado. Ces enfants ont vécu tellement de choses qu’ils sont admirables. Une solidarité de l’ensemble des territoires, je le répète, est nécessaire.

Ce débat a permis de montrer, monsieur le ministre, que la représentation nationale, dans sa très grande majorité, à une exception près, avait conscience de ce besoin de solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’évidence, le problème auquel l’Europe est confrontée est sans précédent, tout du moins dans son histoire récente. Il ne se réglera pas par des incantations, encore moins par des imprécations. Il faut avoir l’honnêteté et l’humilité de dire qu’il trouve son origine dans les conflits qui dévastent le Proche-Orient et que nous n’avons pas à nous seuls la clef de la solution à ces conflits. Ce problème trouve également son origine dans l’émigration de la misère, car il serait faux de dire que le flux d’un million de personnes ayant rejoint l’Europe l’année dernière serait constitué à plus de 50 % de demandeurs d’asile ayant de bonnes chances d’obtenir l’asile. Nous sommes confrontés au cumul d’une migration de la misère et d’une immigration de réfugiés authentiques.

La source vive de ces migrations est plus active que jamais. Nous assistons à une véritable déstabilisation de certains pays européens. Les efforts de nos États, de l’Union européenne, sont restés sans grands résultats, hélas !

Les capacités d’accueil d’un certain nombre de nos voisins parmi les plus allants, revendiquant pour eux-mêmes leur générosité, sont déjà dépassées. Les retours vers les pays d’origine sont pratiquement inexistants. La Grèce, les États des Balkans sont débordés par la traversée en masse de leur territoire et guettés par le chaos.

La commission des lois du Sénat a mis en place dès le mois de septembre un suivi du dispositif européen de relocalisation. Il a été confié à François-Noël Buffet, notre rapporteur spécial, qui a ouvert ce débat au nom du groupe Les Républicains. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à la qualité de son travail.