compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac,

Mme Valérie Létard.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage à Guy-Pierre Cabanel, ancien sénateur

M. le président. Monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est avec tristesse que nous avons appris hier soir le décès de notre ancien collègue Guy-Pierre Cabanel. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le Premier ministre et M. le garde des sceaux se lèvent.)

Sénateur de l’Isère de 1983 à 2001, Guy-Pierre Cabanel présida le groupe du Rassemblement démocratique et social européen de 1995 à 2001, fonctions au cours desquelles il eut l’occasion de côtoyer le président Claude Estier, dont nous avons évoqué la mémoire hier.

Docteur en médecine, il fut un grand professeur d’université, crédité de près de deux cents publications scientifiques et de soixante-dix directions de thèses de doctorat. Il occupa le poste de doyen de la faculté de médecine de Grenoble de 1969 à 1974.

Guy-Pierre Cabanel s’engagea en politique au sein du parti radical et fut élu député de l’Isère en 1973, mandat qu’il conserva jusqu’en 1981. Élu conseiller général de l’Isère en 1982 et maire de Meylan en 1983, il rejoignit la même année la Haute Assemblée, où il siégea jusqu’en 2001.

Pendant ces dix-huit années de mandat, il fut membre de la commission des affaires étrangères, de la commission des finances et de la commission des lois. Homme de dialogue et de consensus, il incarnait parfaitement la singularité et l’état d’esprit qui font la marque historique et permanente du groupe du Rassemblement démocratique et social européen du Sénat, qu’il présida durant six années.

Au sein de cette assemblée, on se rappelle notamment de ses travaux sur le placement sous bracelet électronique. À la suite de son rapport remis en 1995 en tant que parlementaire en mission et intitulé Pour une meilleure prévention de la récidive, il déposa une proposition de loi en juin 1996, qui aboutit à la loi du 19 décembre 1997 consacrant le placement sous surveillance électronique comme modalité d’exécution des peines, loi qui est toujours en vigueur. C’est lui le « père » du bracelet électronique.

On se souvient aussi du rapport qu’il a signé avec Jean-Jacques Hyest au nom de la commission d’enquête sénatoriale sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France intitulé Prisons : une humiliation pour la République, rapport qui continue de faire référence aujourd’hui et qui est malheureusement encore d’actualité, comme en témoignent les travaux plus récents de Jean-René Lecerf.

Au nom du Sénat tout entier, je veux assurer sa famille et ses proches, ainsi que le président et les membres du groupe auquel il a appartenu, de notre compassion sincère.

Je vous propose d’observer quelques instants de silence en sa mémoire. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le Premier ministre et M. le garde des sceaux observent un moment de recueillement.)

3

 
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de protection de la Nation
Discussion générale (suite)

Protection de la Nation

Discussion d’un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de protection de la Nation
Question préalable

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de protection de la Nation (projet n° 395, rapport n° 447).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a quatre mois, notre pays a été frappé par le terrorisme islamiste, frappé dans sa chair, frappé une nouvelle fois, moins d’un an après la tuerie de Charlie Hebdo, l’assassinat d’une policière municipale à Montrouge et l’attaque de l’Hyper Cacher.

Notre pays a été frappé sur son sol. Il est frappé à l’étranger. Mes pensées vont vers tous ceux lâchement abattus, il y a quelques semaines, à Ouagadougou et, dimanche, en Côte d’Ivoire. Ce pays ami, comme la Tunisie, le Mali, le Burkina Faso, est visé parce qu’il est un symbole de la démocratie et de la réconciliation en Afrique. La France est pleinement, totalement, aux côtés de ses amis ivoiriens !

Notre pays a été frappé, mais c’est toute l’Europe qui vit sous la menace. L’intervention, hier, des forces de l’ordre belges et la traque en cours, liées directement aux attentats de Paris, nous le rappellent.

La cible des terroristes est chaque fois la même : les valeurs démocratiques, la liberté, l’idéal de tolérance, de respect, notre cohésion nationale et, donc, le principe de laïcité. La cible, c’est ce que nous sommes. Je pense en particulier à notre jeunesse.

Il y a quatre mois, jour pour jour, le chef de l’État, au lendemain de l’horreur, s’adressait à Versailles à tous les représentants de la Nation réunis en Congrès. Ce jour-là, jour d’unité, chacun s’est levé et a applaudi pour dire notre engagement commun à assurer la sécurité de nos compatriotes, à mener cette guerre qui nous a été déclarée.

C’est cette même unité qui a présidé à l’adoption, dès le 20 novembre, de la prorogation de l’état d’urgence – un texte adopté dans cette chambre à l’unanimité. Et le 9 février, à une large majorité, vous avez voté une nouvelle prolongation, jusqu’au 26 mai.

Cette même unité, les députés de la majorité et de l’opposition l’ont démontrée lorsqu’ils ont adopté ensemble, à plus de trois cinquièmes des voix, le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis à présent. Oui, dans l’hémicycle, droite et gauche, malgré les débats en leur sein – tout le monde les connaît –, ont su dépasser les clivages et se rassembler ! C’est ce même chemin que nous devons prendre ici.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’exigence d’aujourd’hui est exactement la même que celle qui prévalait il y a quatre mois. Rien ne serait pire que d’avoir la mémoire courte, de céder à cette fâcheuse tendance de notre époque, celle qui veut qu’un événement chasse l’autre. N’oublions pas l’état d’esprit de novembre. Ne laissons jamais retomber – nos compatriotes ne le comprendraient pas – cette exigence d’efficacité contre la menace terroriste et cette exigence d’unité, une unité sans faille.

Car la menace est plus forte que jamais. Depuis leurs bastions de Syrie, d’Irak ou du Yémen, depuis certaines zones de repli au Maghreb ou au Sahel, Daech – l’État islamique –, Al-Qaïda ou AQMI et leurs succursales sont à l’offensive, embrigadant de jeunes combattants, asservissant les peuples, détournant des richesses, spoliant les populations, pratiquant la contrebande pour se financer. Leur volonté, c’est d’étendre leur emprise territoriale et de déstabiliser les États. C’était le but de l’attaque menée, la semaine dernière, depuis la Libye, contre la ville tunisienne de Ben Gardane ou encore, je l’ai évoquée, de la fusillade de Bassam en Côte d’Ivoire.

L’ennemi, ce sont ceux qui pillent, violent, tuent, réduisent en esclavage ; ceux qui, là-bas, commettent des attentats et en planifient d’autres sur notre sol.

L’ennemi, ce sont aussi ces individus embrigadés, ces cellules plus ou moins autonomes, plus ou moins organisées, qui peuvent agir ici, en France, au cœur de notre société. Ce sont ces ressortissants français, radicalisés, imbibés de propagande, prêts à prendre les armes pour frapper d’autres Français, prêts à retourner les armes contre leur propre pays.

À ce jour – le ministre de l’intérieur cite régulièrement ces chiffres –, plus de 2 000 Français ou individus résidant en France ont été recensés pour leur implication dans les filières djihadistes syro-irakiennes. Depuis le début de l’insurrection en Syrie, plus d’un millier d’entre eux ont rejoint cette zone de combat. Plus de 600 s’y trouvent toujours, dont environ un tiers de femmes ainsi que de nombreux mineurs, et 167 y ont trouvé la mort.

La justice et les services de police agissent sans relâche : depuis le début de l’année – Bernard Cazeneuve rappelait ce chiffre ce matin en conseil des ministres –, 74 personnes ont été interpellées au titre de leur implication dans la mouvance djihadiste ; 28 d’entre elles ont été placées en détention provisoire.

Face au terrorisme islamiste, nous devons agir à la racine, en frappant militairement au Sahel et au Levant.

Nous agissons en renforçant les moyens, les effectifs de nos forces de l’ordre, de nos services de renseignement et de justice, en mobilisant nos soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle, en luttant, bien sûr, contre la radicalisation et en adaptant notre droit. Nous l’avons fait, ensemble, au Parlement, en votant des dispositions renforçant l’efficacité de la lutte antiterroriste et en donnant – enfin ! – un véritable statut légal aux techniques de renseignement, assorti du contrôle nécessaire. Nous continuons de le faire, notamment à travers le projet de loi porté par le garde des sceaux, lui aussi adopté par une large majorité à l’Assemblée nationale, et que vous examinerez très prochainement. Je ne doute pas, là encore, que le Sénat prendra toute sa part, comme il l’a déjà fait. Je pense aux dispositions contenues dans la proposition de loi portée par Philippe Bas et Michel Mercier.

Adapter notre droit, c’est aussi adapter notre Constitution.

Le projet de loi qui vous est soumis prévoit, dans son article 1er, l’insertion dans la Constitution d’un nouvel article, l’article 36-1, concernant l’état d’urgence. Il s’agit de donner à ce régime de crise un fondement incontestable. Je rappelle que le Conseil d’État a lui-même souligné, en décembre dernier, l’intérêt juridique de cette modification constitutionnelle.

L’état d’urgence est le régime de crise le plus fréquemment utilisé sous la Ve République. Vous l’aviez justement constaté dans un rapport produit par votre assemblée au mois de février. Il serait incohérent de ne pas l’inscrire dans notre loi fondamentale, au même titre que les régimes prévus aux articles 16 et 36 de la Constitution. Ce n’est pas qu’une question de cohérence formelle. La Constitution, cette règle que nous nous fixons souverainement, ce texte qui garantit les droits des individus et qui fonde la démocratie, pouvait-elle rester muette sur l’état d’urgence ? Non !

Cette inscription, qui avait déjà été souhaitée voilà quelques années par le comité présidé par Édouard Balladur, apportera davantage de garanties. Les dispositions relatives à l’état d’urgence ne pourront plus être modifiées par la loi ordinaire. Désormais, ses motifs et ses conditions de déclaration, sa durée initiale et les modalités de sa prorogation seront fixés dans la Constitution, de même que les conditions dans lesquelles le Parlement contrôlera sa mise en œuvre.

Je le dis ici, comme je l’ai dit devant l’Assemblée nationale, l’état d’urgence n’est pas contraire à l’État de droit, à nos libertés fondamentales. C’est une modalité d’application de l’État de droit. Inscrire dans la Constitution ce régime dérogatoire et provisoire, aujourd’hui prévu par la loi, c’est conforter notre démocratie.

La semaine dernière, votre commission des lois a examiné le texte tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale. Elle s’est prononcée en faveur de plusieurs amendements, qui seront présentés en séance publique par le président-rapporteur Philippe Bas ; nous en débattrons. Ces amendements visent à modifier le projet existant sur plusieurs points.

Tout d’abord, ils rappellent les prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, même si je tiens à souligner le contrôle strict exercé par la justice administrative sur les mesures mises en œuvre depuis le 14 novembre dernier.

Ensuite, ils prévoient la possibilité pour le Parlement de débattre, à tout moment, en séance publique, de l’état d’urgence, le cas échéant en examinant une proposition de loi visant à y mettre fin.

En outre, ils limitent à trois mois la durée maximale de prorogation, contre quatre mois dans la version adoptée par l’Assemblée nationale.

Enfin, ils prévoient que les mesures prises en application de l’état d’urgence seront définies par une loi organique, et non par une loi ordinaire.

Je rappelle d’ailleurs que ces mesures, en particulier les perquisitions administratives et les assignations à résidence, seront précisées et mieux encadrées par un projet de loi – un avant-projet a déjà été rendu public – qui vous sera soumis à l’issue de cette procédure de révision constitutionnelle. Nous poursuivrons ainsi la modernisation de la loi de 1955, initiée avec le projet de loi adopté le 20 novembre dernier. Cette modernisation est nécessaire, en particulier au regard de la mise en œuvre actuelle de l’état d’urgence. Il faut l’adapter à la menace et au monde actuels.

Ces nouvelles dispositions créeront des mesures de contrainte individualisées et amélioreront le régime juridique des perquisitions administratives. Elles prendront bien évidemment en compte les exigences que le Conseil constitutionnel a fixées dans sa décision du 19 février dernier à propos des copies de données informatiques réalisées lors des perquisitions administratives. Cette décision, par ailleurs, lève définitivement, me semble-t-il, l’interrogation sur la nécessité de la constitutionnalisation de l’état d’urgence.

Nous examinerons, Jean-Jacques Urvoas et moi-même, tous ces amendements dans un esprit constructif, dès lors qu’ils seront conformes aux principes qui ont guidé notre travail sur cette révision constitutionnelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, mardi dernier, avec le garde des sceaux, j’ai également exposé devant votre commission des lois la position du Gouvernement concernant l’article 2 de ce projet de loi.

Nous abordons ces débats dans le même esprit que lors des discussions à l’Assemblée nationale : celui du rassemblement autour des valeurs qui fondent notre vie en société, celui aussi de l’unité nationale. C’est en gage de cette unité nationale que le Président de la République a proposé la déchéance de nationalité, qui était demandée, faut-il le rappeler, dans les rangs de l’opposition.

Le texte qui vous est soumis est le fruit de débats très riches, passionnés, ce qui est bien normal dès lors qu’on aborde ces sujets. Des débats qui, en fin de compte, ont répondu à cette question : qu’est-ce pour nous, dans notre héritage, dans notre tradition, une nation ?

La réponse, ce n’est pas seulement le droit du sang ou du sol ; c’est d’abord une exigence permanente qui vaut pour chacun d’entre nous. Être français, appartenir à la communauté nationale, ce n’est pas seulement partager une langue – même si c’est beaucoup – ou un territoire : c’est avoir une histoire et un destin communs ; c’est partager un même amour de la patrie ; c’est un serment sans cesse renouvelé au pacte républicain, aux valeurs qui le fondent – Liberté, Égalité, Fraternité –, qui doivent bien sûr s’incarner dans les faits et dans les politiques publiques.

Notre conception de la Nation ne peut pas être à géométrie variable. Elle s’applique de la même manière que l’on soit mononational ou plurinational, né français ou naturalisé. C’est cela, le sens de l’article 2, un sens que le Gouvernement assume, en étant pleinement conscient de la gravité attachée à toute privation de nationalité – en la matière, il n’y a pas de place pour la légèreté. Car écarter de la communauté nationale un individu sans autre nationalité, c’est prendre le risque de l’apatridie !

Je veux aborder ce sujet très directement, sans détour, avec franchise.

Le Gouvernement a d’abord voulu exclure ce risque en limitant la déchéance de nationalité aux seuls binationaux – c’était le sens de l’intervention du Président de la République le 16 novembre –, comme le proposent, à nouveau, par amendements, certains d’entre vous. Mais, vous le savez, il y a eu un débat, des voix se sont fait entendre, sur divers bancs de l’Assemblée nationale et, bien au-delà, dans le débat public. Certains ont même dit que ce débat durait trop, mais c’est l’agenda de toute réforme constitutionnelle. En outre, ces questions sont graves : comment la France ne pourrait-elle pas aborder ces questions franchement, lucidement, alors que les Français, au mois de janvier 2015, se sont plus que jamais emparés de ces valeurs de la République et que, au lendemain des attentats du 13 novembre, ils se sont de nouveau emparés pleinement de ce qu’est la Nation ?

Des voix se sont élevées pour contester la distinction faite entre les Français commettant des actes terroristes, selon qu’ils aient ou non une seconde nationalité.

Face à la violence de l’attaque, face à la barbarie des attentats qui ont frappé notre pays, tous considèrent, à raison, que le risque d’apatridie ne peut en aucune manière affranchir de cette sanction ceux qui, avec les armes, ont déchiré, ont rompu le pacte républicain. C’est d’ailleurs ce que le Sénat avait considéré comme sage en 1998, à un moment où la menace terroriste n’était pourtant pas ce qu’elle est aujourd’hui.

C’est pourquoi, après ces débats, le Gouvernement a proposé non plus d’exclure, mais de limiter ce risque d’apatridie.

Le limiter, d’abord, par les conditions posées par l’article 2 pour prononcer la déchéance de nationalité : condamnation pénale préalable, ce que n’exige pas la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, convention que nous souhaitons ratifier ; limitation aux crimes et délits – c’est ce que prévoyait le texte initial proposé par le Gouvernement, et non pas la version du Conseil d’État, et l’Assemblée nationale a modifié celui-ci, sur proposition de l’opposition – constitutifs d’atteinte à la vie de la Nation ; ajout de la possibilité pour le juge de prononcer la déchéance des droits attachés à la nationalité afin de proportionner la réponse de l’État à la dangerosité des individus concernés.

Limiter le risque d’apatridie, ensuite, dans l’avant-projet de loi rendu public : je l’ai indiqué à votre commission des lois, la semaine dernière, ce texte d’application opère deux choix très importants.

En premier lieu, il définit ce qui constitue une atteinte à la vie de la Nation : ce sont les crimes et délits constitutifs d’actes terroristes ou attentatoires aux intérêts fondamentaux de la Nation, prévus au livre IV du code pénal. Pour les délits, seuls les plus graves ont été retenus, ceux qui sont passibles d’une peine de dix ans d’emprisonnement. C’est d’ailleurs cohérent – et il faut de la cohérence sur ces sujets – avec les six déchéances prononcées depuis 2014 – à la suite d’actions engagées par moi, lorsque j’étais ministre de l’intérieur, puis par Bernard Cazeneuve –, toutes pour des délits d’association de malfaiteurs à visée terroriste. Ces mesures de déchéance de la nationalité concernaient des binationaux et n’avaient soulevé alors aucune remarque ou contestation particulière.

En second lieu, le texte d’application modifie le régime de la déchéance, pour en faire une peine complémentaire. Nous proposons ainsi que la compétence pour prononcer une sanction qui aujourd’hui revient à l’autorité administrative, toujours après avis conforme du Conseil d’État, ressortisse à l’autorité judiciaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a bien noté les amendements déposés par Philippe Bas et Michel Mercier, qui proposent, au contraire, de figer l’état du droit actuel jusque dans la Constitution. Je respecte le bicaméralisme, je respecte profondément le Sénat (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.) et je connais son indépendance. Il est libre, faut-il le rappeler – et encore davantage dans le cadre d’une révision constitutionnelle, qui, pour aboutir, nécessite un vote conforme des deux chambres, puis une majorité des trois cinquièmes au Congrès – de proposer, d’amender, d’enrichir tout texte. Aucun texte n’est à prendre ou à laisser. Mais nous sommes au début de ce débat, ici, au Sénat, et je veux vous poser directement ces questions : quelles sont les intentions de la majorité sénatoriale ? Quel message est ici envoyé aux Français ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hubert Falco. C’est le débat qui le dira !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Souhaitez-vous vraiment remettre en cause une décision qui a su rassembler, à l’Assemblée nationale, les deux grandes familles politiques ? Dans quel but ?

Ces questions, je vous les pose, et je ne doute pas un seul instant que vous y répondrez. Je le dis ici très tranquillement, très sereinement : c’est une très lourde responsabilité !

Monsieur le président Bas, monsieur le ministre Mercier, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai entendu la remarque : il ne sert à rien – évitons les sophismes – d’abriter cette posture derrière les propos du Président de la République devant le Congrès. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ce n’est pas une posture !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ces propos, tous ici, nous les avons entendus et, tous ici, nous savons que le chef de l’État a confié au Parlement – c’est son rôle de constituant…

M. Michel Mercier. Tout à fait !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … et c’est l’honneur et la responsabilité de la démocratie – la tâche d’élaborer un consensus.

Ce consensus, à défaut duquel il ne saurait y avoir de révision, nous l’avons construit à l’Assemblée nationale : Gouvernement, majorité, mais aussi une très large part de l’opposition.

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Ah bon ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce n’est pas un « compromis entre députés de gauche à l’intérieur du groupe socialiste de l’Assemblée nationale », comme j’ai pu l’entendre ce matin sur une radio. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Quand même un peu !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Le texte qui vous est soumis aujourd’hui, ce n’est plus celui du Gouvernement, ce n’est pas celui du groupe majoritaire de l’Assemblée nationale, ce n’est pas la victoire d’un camp sur un autre ; ce texte est le fruit d’un consensus responsable, méticuleux et exigeant. Et c’est le résultat – en tout cas pour ce qui concerne l’Assemblée nationale – d’un pas que chaque camp a su faire vers l’autre !

Vous le savez, ce consensus a été difficile, parfois douloureux, dans ma propre famille politique, comme dans les groupes d’opposition. Je m’y suis profondément et personnellement engagé, parce que je pense qu’il est important de construire ce type de consensus. Et plus des trois cinquièmes des députés l’ont adopté,…

M. Philippe Dallier. Ceux qui ont voté !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … de la majorité comme de l’opposition, avec, bien sûr, des différences, des divisions au sein de chaque famille. Tous ont su se dépasser. Alors, je regrette profondément, à ce stade, que cette construction collective ne puisse pas être confortée au Sénat.

À l’Assemblée nationale, nous avons cherché et construit un accord ; au Sénat, encore une fois à ce stade, vous ne l’avez pas cherché. Avec personne ! Et je m’en étonne. Vous refusez ainsi, à ce stade, sur la base de ce qu’elle a voté, un accord avec l’Assemblée nationale. Or, vous le savez parfaitement – parlons-nous directement –, votre proposition ne sera jamais adoptée par une majorité de députés. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je serai très direct : l’amendement adopté par votre commission des lois prend le contre-pied du consensus. Je ne vois pas là de respect de la parole du Président de la République… (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Pourtant, on fait tout ce qu’on peut…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vous remercie de vous faire le meilleur porte-parole du Président de la République, monsieur Karoutchi, mais laissez-moi en sourire un tout petit peu. Je croyais que vous portiez ici la parole d’un ancien Président de la République. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hubert Falco. Votre remarque est déplacée dans ce débat !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je dis cela en souriant…

Face à cette position, je veux exposer les raisons qui ont justifié le choix du Gouvernement, en accord avec les trois cinquièmes des députés, car je veux vous convaincre de participer à la construction de ce consensus.

M. Bruno Retailleau. C’est bien parti…

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est bien parti, force est de le reconnaître…

M. Bruno Retailleau. C’est un problème de méthode !