Mme la présidente. Monsieur le rapporteur pour avis, êtes-vous satisfait ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Oui, et je retire l’amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 49 est retiré.

Article additionnel après l’article 15 bis
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Articles additionnels après l’article 16

Article 16

(Non modifié)

Après l’article 415 du code des douanes, il est inséré un article 415-1 ainsi rédigé :

« Art. 415-1. – Pour l’application de l’article 415, les fonds sont présumés être le produit direct ou indirect d’un délit prévu au présent code ou d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération d’exportation, d’importation, de transfert ou de compensation ne paraissent obéir à d’autre motif que de dissimuler que les fonds ont une telle origine. »

Mme la présidente. L’amendement n° 15, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. Nous avons le plus grand respect pour le travail accompli par l’administration des douanes dans notre pays. Nous estimons que les politiques de réduction des effectifs dont elle a été l’objet ont mis en cause la qualité du service rendu à la Nation par ses fonctionnaires.

Devons-nous pourtant transformer l’administration des douanes en troupe auxiliaire de la police, c’est-à-dire en force supplétive, comblant, par la bonne volonté ou la détermination de ses agents, l’insuffisance des moyens consacrés à la protection du territoire ?

Que la direction générale des douanes et droits indirects prenne toute sa place dans la lutte contre la fraude fiscale ne se discute pas, cela relève de ses compétences ; qu’elle devienne l’instrument d’une action antiterroriste, ce qui la rattacherait de fait au ministère de l’intérieur alors qu’elle est, de droit, une des directions du ministère de l’économie et des finances, nous semble sujet à caution.

C’est ce que nous vous invitons à refuser en supprimant l’article 16.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 15.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 29 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Canevet, Bockel et Gabouty, Mme Billon, M. Roche, Mme Férat et M. Lefèvre, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article 415 du code des douanes est ainsi modifié :

1° Les mots : « deux à dix » sont remplacés par le mot : « cinq » et les mots : « d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants » sont remplacés par les mots : « dont ils ne peuvent justifier de la provenance licite » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« La peine est portée à dix ans d’emprisonnement et à une amende pouvant aller jusqu’à dix fois la somme sur laquelle a porté l’infraction lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou proviennent d’une infraction à la législation sur les stupéfiants ou sont en lien direct ou indirect avec une infraction prévue par le chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Par cet amendement, nous proposons de nouveau, modestement, une autre rédaction de l’article 415 du code des douanes, conformément aux conclusions du rapport de la commission d’enquête sur l’évasion et la fraude fiscales.

Afin de simplifier la recherche et la constatation des infractions de blanchiment douanier et de mieux lutter contre les activités criminelles et le terrorisme, il est donc proposé une rédaction simplifiée et plus large de l’article 415 du code précité, plutôt que l’ajout additionnel d’une présomption de délit de blanchiment tel que le prévoit le projet de loi.

Au lieu d’instaurer une présomption réfragable assez complexe, il nous semble préférable de prévoir une obligation de justification de l’origine licite des fonds en cause en cas d’enquête douanière, ce qui aura pour conséquence de permettre d’appréhender tout mouvement transfrontalier de fonds dont les auteurs ne pourraient justifier la provenance légale, donnant au service des douanes qui est chargé du contrôle des mouvements financiers internationaux le pouvoir de saisir les sommes considérées et de sanctionner beaucoup plus simplement les auteurs en lien avec la criminalité organisée et le terrorisme.

Le texte de l’amendement conserve les dispositions d’incrimination relatives aux infractions au code des douanes, afin d’éviter l’écueil de la rétroactivité.

Cette disposition est conforme aux souhaits, notamment, des services des douanes, lesquels rencontrent des difficultés. La présomption proposée est susceptible de faciliter leur travail.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Je souhaite tout d’abord féliciter Mme Goulet de son effort…

Mme Nathalie Goulet. Bien modeste !

M. Michel Mercier, rapporteur. … tout à fait louable de réécriture du texte pour rendre plus simples d’accès les dispositions relatives au blanchiment douanier.

Toutefois, sa position est contraire à celle de la commission, laquelle a adopté le renversement de la charge de la preuve en matière de délits douaniers. C’est la raison pour laquelle la commission suggère le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis de la commission. Il ne lui paraît pas opportun, de surcroît, d’incriminer dans le code des douanes les opérations financières réalisées avec l’étranger portant sur des fonds issus d’actes liés au terrorisme, dès lors qu’il existe déjà des dispositions spécifiques dans le code pénal à ce sujet et que, surtout, les agents des douanes ne sont pas compétents pour rechercher et pour constater de telles infractions.

Il n’y a donc pas lieu de modifier l’article 415 du code des douanes.

Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 29 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Nathalie Goulet. Je suivrai ce dossier avec intérêt, car la justification de la provenance licite de fonds est un vrai sujet. Or cet amendement vise à faciliter la répression, notamment en cas d’interception d’un véhicule sur le périphérique transportant une somme d’espèces très importante dont le conducteur n’est pas en mesure de justifier l’origine licite.

Toutefois, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 29 rectifié bis est retiré.

Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 134 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et M. Reichardt, est ainsi libellé :

Avant l’alinéa 1

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

I. – À l’article 415 du code des douanes, les mots : « délit prévu au présent code ou d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants » sont remplacés par les mots : « crime ou d’un délit ou dont ils ne peuvent justifier de l’origine licite ».

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Dans le même esprit que le précédent, cet amendement vise à élargir les dispositions de l’article 415 du code des douanes, afin d’inverser la charge de la preuve de la licéité des biens sur lesquels pèsent des présomptions d’illicéité.

Mme la présidente. L'amendement n° 50, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Avant l'alinéa 1

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

I. – À l'article 415 du code des douanes, les mots : « délit prévu au présent code ou d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants » sont remplacés par les mots : « crime ou d'un délit ».

La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Cet amendement diffère légèrement de celui que vous venez de défendre, madame Goulet, et la commission des finances souhaite que vous vous y ralliiez.

Il vise à élargir la définition du délit douanier de blanchiment à toutes les opérations financières réalisées entre la France et l'étranger portant sur des fonds provenant de tout crime ou de tout délit.

Aujourd’hui, un délit douanier de blanchiment désigne une opération relative à des fonds que la personne concernée sait provenir d’un délit douanier. Le fait de transporter des sommes issues du trafic d’armes ou de stupéfiants constitue donc un délit de blanchiment douanier susceptible de faire l’objet de poursuites sur le fondement de l'article 415 du code des douanes. En revanche, le transport de fonds qui proviennent non pas d’un délit douanier, mais d’un délit de droit commun entre la France et l’étranger ne peut faire l’objet de poursuites.

Dans le célèbre film Le Corniaud, le conducteur d’une voiture équipée d’un pare-chocs en or et dissimulant un diamant…

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Youkounkoun !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Je vous félicite pour votre culture cinématographique, monsieur le garde des sceaux !

Ce conducteur, donc, qui franchit la frontière n’aurait pas pu être poursuivi par le service des douanes sur le fondement d’un délit de blanchiment douanier, parce que les biens transportés provenaient non d’un trafic de stupéfiants, d’alcool ou de la contrefaçon qui sont des délits douaniers, mais d’un vol.

À travers le présent amendement, la notion de délit de blanchiment douanier et l’incrimination sont élargies à tout ce qui provient, non pas des seuls délits douaniers, mais aussi des délits ou des crimes de droit commun. Cette disposition permettrait ainsi aux douanes d’être plus efficaces.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Tout finit par arriver, et il me semble que j’ai à peu près compris ce que vient de nous dire M. le rapporteur pour avis !

Il existe deux grands régimes, celui du blanchiment de droit commun, qui relève du code pénal, et celui du blanchiment douanier, qui bénéficie de règles particulières tout à fait dérogatoires au droit commun, notamment le renversement de la charge de la preuve, validé par le Conseil d'État. Celui-ci a strictement fixé le cadre dans lequel s’appliquaient ces dispositions spécifiques, qui ne peuvent viser les délits de droit commun.

Le rapporteur pour avis a relevé un angle mort, qui doit être comblé. Sans rien modifier au régime du délit pénal de blanchiment, tel est l’objet de l’amendement n° 50.

Si l’on reste dans le cadre des deux infractions susvisées, la disposition est recevable. En revanche, s’il y a porosité entre les deux délits, l’adoption de cet amendement conduirait à déroger aux règles du droit pénal. La commission sollicite donc l’avis du Gouvernement sur ce point, afin de s’assurer que le partage entre les deux régimes est bien respecté.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement ne considère pas qu’il existe une zone grise. Lorsqu’un agent des douanes constate un acte de blanchiment lié à une infraction de droit commun, l’affaire est immédiatement judiciarisée, transmise au parquet.

Étendre le champ d’application de l’article 145 du code des douanes reviendrait à élargir la compétence des agents des douanes. Ce serait une source d’instabilité et de confusion selon le Gouvernement. C’est pourquoi il souhaite que les agents des douanes et le parquet restent compétents dans leur domaine respectif.

Il émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. L’amendement de la commission des finances est par définition meilleur que le mien. Toutefois, je propose à M. de Montgolfier de le rectifier en ajoutant les mots « ou dont ils ne peuvent justifier l’origine licite ». À défaut, je retirerai le mien et me rallierai à l’amendement n° 50.

Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Votre proposition est satisfaite, ma chère collègue, car, par définition, il y a une présomption d’origine illicite. Il serait donc superfétatoire de le préciser.

Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 134 rectifié est-il maintenu ?

Mme Nathalie Goulet. Non, je le retire au profit de celui de la commission des finances, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 134 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 50.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 16.

(L'article 16 est adopté.)

Article 16 (Texte non modifié par la commission)
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Article 16 bis A (nouveau)

Articles additionnels après l’article 16

Mme la présidente. L'amendement n° 27 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Bonnecarrère, Canevet, Bockel, Gabouty et Médevielle, Mme Billon, M. Roche, Mmes Férat et Gruny et M. Lefèvre, est ainsi libellé :

Après l’article 16

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le chapitre II du titre VIII du code des douanes est complété par un article 215… ainsi rédigé :

« Art. 215… – Ceux qui détiennent ou transportent des sommes, titres ou valeurs pour un montant supérieur au seuil fixé à l’article L. 152-1 du code monétaire et financier doivent, à première réquisition des agents des douanes, justifier de leur origine régulière.

« Ceux qui ont détenu, transporté, vendu, cédé ou échangé lesdites sommes titres ou valeurs sont également tenus de justifier de leur origine régulière à toute réquisition des agents des douanes formulée dans un délai de trois ans à partir du moment où les sommes, titres ou valeurs ont cessé d’être entre leurs mains.

« Lorsque les personnes ne justifient pas de l’origine régulière des sommes, titres ou valeurs, ceux-ci sont saisis en quelque lieu qu’ils se trouvent et les personnes sont poursuivies et punies conformément à l’article 414 du présent code.

« Lorsqu’ils auront eu connaissance que celui qui leur a délivré les justificatifs ne pouvait le faire valablement ou que celui qui leur a vendu, cédé, échangé ou confié les sommes, titres ou valeurs n’était pas en mesure de justifier de leur origine régulière, les détenteurs et transporteurs seront condamnés aux mêmes peines et les sommes, titres ou valeurs seront saisies et confisquées dans les mêmes conditions que ci-dessus, quelles que soient les justifications qui auront pu être produites. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Afin de mieux lutter contre le financement des activités terroristes et criminelles, il est nécessaire de renforcer les moyens de contrôle sur les mouvements physiques d'espèces.

À ce jour, seule une déclaration au moment du franchissement des frontières, en entrée comme en sortie du territoire, est exigée des personnes transportant plus de 10 000 euros en espèces. La situation est tout à fait différente de celle des personnes qui n’ont pas de carte de crédit ni de compte bancaire ! Or aucun contrôle n'est juridiquement possible en dehors des frontières.

Il est proposé de doter les agents de contrôle de l'outil juridique nécessaire pour appréhender les sommes transportées en espèces sur l'ensemble du territoire national lorsque le montant des fonds est supérieur à ce seuil de 10 000 euros et que la personne est dans l'incapacité d’en justifier l’origine légale.

Je le précise, cette disposition résulte également des rapports des commissions d’enquête sénatoriales menées sous la houlette d’Éric Bocquet.

La justification des fonds, notamment des espèces au-delà de 10 000 euros, constitue une véritable entrave pour les services, qui, à défaut d’une telle disposition, sont obligés de restituer les fonds, y compris lorsqu’une présomption de fraude pèse sur la somme transportée.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à étendre le dispositif proposé à l’article 16 quater, applicable seulement en cas de transfert transfrontalier, à l’ensemble du territoire.

Cette obligation de justifier en permanence de l’origine régulière des fonds peut poser un problème au regard des directives européennes. En effet, le dispositif applicable aux zones frontalières ne peut pas, en l’état, être transposé sur le territoire national. Une telle mesure relèverait du droit commun des dispositions pénales ou de l’administration fiscale.

La commission sollicite donc le retrait de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 27 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Nathalie Goulet. Alors que nous avons passé la journée à plafonner les dépenses, les cartes prépayées, les comptes Nickel, laisser des individus circuler avec 10 000 euros ou plus – somme relativement importante – en cas de présomption de fraude semble inconséquent. Aussi, je maintiens cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 27 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 165 rectifié, présenté par M. Bocquet, Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 16

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le début du premier alinéa de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales est ainsi rédigé : « À peine d’irrecevabilité, hors les cas de connexité avec d'autres infractions faisant l'objet d'une procédure judiciaire ou de découverte incidente dans le cadre d'une procédure pénale, les plaintes (le reste sans changement)

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. À la lumière des présents débats, il est évident que la confusion des genres entre grande fraude fiscale économique et financement du terrorisme est une réalité que nous devons appréhender et dont nous devons nous préserver à travers l’adoption de dispositions à la fois efficaces et respectueuses des règles démocratiques élémentaires de notre République.

Même si nous pouvons avoir bien des raisons de ne pas être satisfaits, au regard des attentes, des politiques publiques menées depuis 2012, constatons tout de même que la constitution d’un parquet financier doté d’un certain nombre de prérogatives a représenté l’une des avancées les plus significatives de notre droit ces dernières années.

Instrument essentiel de la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance financière, dont les réseaux, dans leur complexité, peuvent aussi financer les activités terroristes, le parquet financier demeure confronté au problème posé par l’article L. 228 du livre des procédures fiscales qui fait de la commission des infractions fiscales, organisme placé auprès du ministre de l’économie et des finances, le « juge d’instruction » des affaires de fraude pouvant justifier une transmission au pénal.

Il importe donc que cette exclusive à la nécessaire prolongation de l’investigation lancée dans le cadre d’autres contrôles ou enquêtes soit levée, afin que les administrations et les services qui, dans leur activité courante, auraient repéré une situation constitutive d’une fraude fiscale avérée puissent engager les poursuites nécessaires, quitte à mettre en œuvre des mesures conservatoires et à aviser l’administration fiscale au plus haut niveau du produit de leurs investigations.

Cette question est soulevée par un mémorandum remis en référé par le Premier président de la Cour des comptes à l’attention du Premier ministre au mois d’août 2013, soulignant notamment la nécessité d’un renforcement de la coopération entre la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects, ce, sans préjuger d’aucune sorte les décisions et orientations finalement prises par les uns et par les autres.

C’est ce qu’il convenait de rappeler à l’occasion de la défense de cet amendement, que je ne peux qu’inviter le Sénat à adopter, afin de nous doter d’outils efficaces d’assèchement des circuits de financement du terrorisme.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Actuellement, les poursuites pénales pour fraude fiscale ne peuvent être engagées que sur plainte préalable de l’administration fiscale, après avis conforme de la commission des infractions fiscales. Autrement dit, il y a un privilège de l’administration fiscale en la matière. Nous avons abondamment débattu de ce sujet au Sénat il y a quelques années.

Ce monopole en matière de déclenchement de l’action publique a prouvé son efficacité et demeure aujourd’hui pleinement justifié.

Il semble toutefois à la commission que cet amendement vise à exclure de ce dispositif de plainte préalable les infractions connexes à d’autres infractions faisant l’objet d’une procédure judiciaire. C’est pourquoi elle émet un avis favorable.

Néanmoins, à titre personnel je souhaite que cette question soit soumise à débat, et je sollicite à cette fin l’avis du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Je remercie le rapporteur d’avoir ouvert le débat.

Il est tout d’abord légitime de s’interroger sur le rapport de la mesure qui nous est proposée avec le texte dont nous débattons. La disposition vise toutes les infractions connexes, ce qui met fin au monopole de l’administration fiscale en matière de poursuites. Au-delà de cette remarque, des raisons à la fois de fond et de forme conduisent à s’opposer à cet amendement.

Sur le fond, quelle est la voie des poursuites la plus efficace ? Par l’administration fiscale ou par le juge judiciaire ?

En matière de lutte contre la fraude fiscale, un certain nombre de dispositions prévoyant des pénalités de 40 %, voire de 80 % en cas de mauvaise foi avérée, et les moyens de recouvrement de l’administration établis dans le livre des procédures fiscales sont sans doute plus efficaces que la voie judiciaire, laquelle – je prie M. le garde des sceaux de bien vouloir excuser cette remarque – est souvent plus longue et offre des voies de recours également longues. Pour d’autres infractions, notamment en matière boursière, les poursuites de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, sont plus rapides et plus efficaces que des poursuites judiciaires, dont certaines s’achèvent au bout de dizaines d’années.

Sur la forme, une question de calendrier se pose. Aujourd'hui même, le président du Sénat a été informé par le Conseil constitutionnel que la Cour de cassation lui avait adressé deux questions prioritaires de constitutionnalité concernant les deux célèbres affaires Wildenstein et Cahuzac.

Le Conseil constitutionnel va devoir se prononcer très prochainement sur une question simple : peut-on poursuivre une même infraction à la fois sur le plan fiscal et sur le plan pénal ? C’est une question essentielle, qui fera d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi prochainement. Je suis moi-même l’auteur d’une proposition de loi en la matière.

Si le Conseil constitutionnel devait valider le principe non bis in idem, comme il l’a d’ailleurs fait dans d’autres cas, notamment pour les délits boursiers, l’adoption de cet amendement nous placerait devant une difficulté. L’administration fiscale n’aurait plus le monopole de la poursuite, et nous serions confrontés à des situations de conflit, puisque la même infraction fiscale ferait l’objet de poursuites à la fois par le fisc et par le juge judiciaire.

Compte tenu de l’actualité, la décision de la Cour de cassation datant d’aujourd'hui, il me semble tout à fait prématuré d’adopter cet amendement avant la décision du Conseil constitutionnel.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je ne partage pas tout à fait le point de vue du rapporteur pour avis sur la rapidité des poursuites judiciaires. Sous cette réserve, ce sujet a longuement été discuté par le Parlement au moment de la création du procureur de la République financier au mois de décembre 2013. Le Gouvernement souhaite s’en tenir au point d’équilibre qui avait été trouvé.

Par ailleurs, je précise que ma prédécesseur et le ministre de l’économie et des finances avaient signé une circulaire en 2014, de façon à assurer la bonne information des deux administrations, qui partagent l’objectif commun de lutter efficacement contre la fraude fiscale.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. J’aimerais avoir des précisions de la part du rapporteur pour avis de la commission des finances.

Pour ce qui concerne les poursuites pénales en matière fiscale, sont appliqués les articles 1741 et suivants du code général des impôts qui visent la dissimulation volontaire de sommes sujettes à l’impôt au-delà d’une somme minimale.

Devant les juridictions pénales, le ministère des finances – dans un lointain passé, il m’est arrivé de plaider, en son nom, des dizaines et des dizaines d’affaires – se borne à demander au juge pénal de constater l’infraction, de fixer la contrainte par corps, au mieux, mais n’a pas la possibilité de solliciter de ce magistrat une condamnation au paiement de pénalités et de l’impôt, une mesure qui relève strictement de la compétence du juge administratif. Voilà la réalité ! Et c’est toujours ainsi que cela se passe. C’est pourquoi je suis un peu surpris, je l’avoue, par les explications que vient de nous donner Albéric de Montgolfier.

Depuis le milieu des années soixante-dix, ces poursuites pénales ne peuvent être lancées qu’après avis favorable de la commission des infractions fiscales, qui a été créée à cet effet. Celle-ci fait un tri entre les raisons qui justifient la saisine de la juridiction pénale et celles qui ne la justifient pas, en dehors de tout arbitraire, agissement qui était reproché à l’administration fiscale : elle choisirait un ou deux contribuables par département, pour l’exemple.

Je ne vois donc pas la dualité ni le conflit entre les deux poursuites. Ce sont deux choses tout à fait différentes.

Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.

M. François Pillet. Le débat relatif à l’intervention de la commission des infractions fiscales, la CIF, est récurrent à chaque fois que nous abordons la question de la répression de la fraude fiscale. Il donne matière à faire le procès, non pas des avis qu’elle émet, ni de sa composition, mais de l’existence de cette commission. De quoi s’agit-il ?

L’administration fiscale n’est jamais obligée de saisir cette commission, qui a été créée en quelque sorte pour rendre des avis transparents. C’est une espèce de procureur qui a l’opportunité des poursuites. Un curieux procureur, puisqu’il est partie au procès, s’agissant de la question des réparations du préjudice que l’administration a subi !

Mais si l’administration ne saisit pas la CIF, il ne peut y avoir aucune poursuite, et là réside la critique fondamentale formulée à l’encontre de cette commission. Toutes les critiques selon lesquelles l’administration pourrait poursuivre qui elle veut si bien qu’une commission est nécessaire pour rendre les choses transparentes deviennent littéralement irrecevables, puisqu’il suffit que l’administration ne saisisse pas cette commission si elle ne veut pas engager de poursuite.

Ce n’est pas parce que la CIF a été saisie que l’administration ne peut pas, pour autant, au cours de la procédure, rechercher une transaction. Il conviendra alors que le procureur donne son avis quand le tribunal n’a pas encore été saisi, ce qui est tout à fait normal, et que le tribunal donne son avis dès lors qu’il a été saisi.

La commission des infractions fiscales est une curiosité dans notre droit en matière de fraude fiscale, d’autant que, si elle était saisie par l’administration fiscale de toutes les fraudes fiscales – petites, moyennes, grandes –, elle serait incapable, avec la meilleure volonté du monde, d’examiner tous les dossiers qui lui seraient alors transmis.

Personnellement, je rejoins la position de la commission des lois. Je considère que l’amendement de notre collègue Éric Bocquet vient squeezer l’existence de cette commission. Aussi, je le soutiendrai.