Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Avant de nous séparer un peu tôt ce matin, nous avons débattu de la question du TDM et décidé de maintenir des dispositions permettant aux chercheurs d’effectuer une fouille de texte par la voie contractuelle.

L’amendement n° 457 vise à rétablir le texte de l’Assemblée nationale. Or, comme je le rappelais hier soir lors de l’examen de l’amendement de suppression déposé par le Gouvernement, la rédaction de l’article 18 bis retenue par l’Assemblée nationale revenait à créer en droit français une exception au droit d’auteur non prévue par la directive du 22 mai 2001.

La solution proposée par notre commission me semble constituer un compromis satisfaisant pour développer le TDM sans contrevenir au texte de cette directive. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement, ainsi que sur l’amendement analogue n° 544 rectifié.

Il est absolument impossible, tant du point de vue technique que financier, de créer une exception au droit d’auteur en matière de TDM.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous avez raison !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Je me suis déjà longuement exprimée cette nuit sur la possibilité de recourir à la technique de la fouille de données par les chercheurs.

Le Gouvernement reste sur sa position et émet un avis défavorable sur ces deux amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Hier, nous avons entendu Mme la secrétaire d’État prononcer une sorte de plaidoirie en faveur du TDM.

Il me semble que la question qui nous est posée est celle de savoir si nous prendrons la responsabilité d’offrir à ceux qui veulent faire de la recherche en France les mêmes moyens que ceux dont ils pourraient disposer dans les grands pays de recherche scientifique – les États-Unis, le Japon, mais aussi la Grande-Bretagne – pour accéder au savoir de manière légale.

Allons-nous accepter un compromis ou essayer de donner à ces chercheurs les moyens d’innover pour que la France puisse être une grande puissance de la recherche ? Or, sur cette question, je crois qu’il n’est pas de compromis possible, au risque de voir les plus grandes capacités scientifiques françaises partir travailler à l’étranger ou rester en France pour mener leurs travaux, veuillez me pardonner cette expression, grâce à des « proxy » étrangers, ce qui reviendrait à renforcer les institutions d’autres pays où il est possible de faire ce qu’il n’est pas permis en France.

Par ailleurs, Mme Gillot a souligné hier combien les responsables des grands instituts publics de recherche tenaient à la rédaction de l’Assemblée nationale. C'est la raison pour laquelle il me semble important de soutenir ces amendements, qui visent à rétablir l’esprit du texte de nos collègues députés. Il ne s’agit pas d’un compromis, mais d’une impulsion. D’une impulsion pour faire en sorte que la recherche française soit au meilleur niveau, que le génie français n’ait pas besoin de s’expatrier pour pouvoir travailler et que la France se dote des capacités de se projeter vers l’avenir.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Je voudrais rappeler ce que nous avons voté hier, je crois, à l’unanimité.

J’ai proposé, au nom de la commission, de rendre obligatoire, dans les contrats conclus entre éditeurs et organismes de recherche ou bibliothèques, l’autorisation d’accès aux données et aux textes du corpus de publications scientifiques appartenant à l’éditeur, à des fins exclusives de fouille électronique pour la recherche publique et à l’exclusion de tout usage commercial.

Cette clause contractuelle ne pourrait donner lieu à rémunération complémentaire pour l’éditeur ni à limitation du nombre de requêtes autorisées.

Enfin, la conservation et la communication des copies techniques issues de ces traitements, au terme des activités de recherche pour lesquelles elles ont été produites, seraient assurées par des organismes désignés par décret.

Je sais bien que les chercheurs auraient préféré qu’une exception au droit d’auteur soit créée, mais nous ne pouvons pas – pour l’instant – leur donner satisfaction. Nous ne pouvons qu’espérer qu’une nouvelle directive vienne très rapidement conforter leur souhait.

La solution que nous avons proposée me semble un bon compromis, qui pourra s’appliquer immédiatement, de façon transitoire.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 457.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 544 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 18 bis.

(L'article 18 bis est adopté.)

Article 18 bis
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 18 ter

Articles additionnels après l'article 18 bis

Mme la présidente. L'amendement n° 459, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 18 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le chapitre III du titre III du livre Ier de la première partie du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :

1° L’article L. 133-1 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« De même, lorsqu’une œuvre a fait l’objet d’un contrat d’édition en vue de sa publication et de sa diffusion sous forme de livre numérique tel que défini à l’article 1er de la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, l’auteur ne peut s’opposer au prêt d’exemplaires numériques de cette édition par une bibliothèque accueillant du public, à leur acquisition pérenne et à leur mise à disposition, sur place ou à distance, par une bibliothèque accueillant du public.

« Ces actes de prêt et de mise à disposition ouvrent droit à rémunération au profit de l’auteur selon les modalités prévues à l’article L. 133-4, en prenant en compte la rémunération équitable des usages et la nécessité de préserver les conditions d’exercice des missions des bibliothèques. » ;

2° Le premier alinéa de l’article L. 133-3 est ainsi rédigé :

« La rémunération prévue aux deuxième et dernier alinéas de l’article L. 133-1 au titre du prêt d’exemplaires de livres imprimés comprend deux parts. » ;

3° L’article L. 133-4 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« La rémunération au titre du prêt d’exemplaires délivrés imprimés en bibliothèque est répartie dans les conditions suivantes : » ;

b) Il est ajouté un 3° ainsi rédigé :

« 3° Concernant les livres édités sous forme numérique, les conditions de mise à disposition ainsi que les modalités de la rémunération prévue au second alinéa de l’article L. 133-1 sont fixées par décret, au terme d’une consultation publique nationale conduite par le Médiateur du livre avec tous les acteurs professionnels concernés. »

La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. Le prêt de livre imprimé en bibliothèque est régi depuis 2003 par un mécanisme de licence légale. En l’état actuel du droit, ce système ne s’applique pas au livre numérique. Ainsi, les éditeurs proposent aux bibliothèques des offres de livres numériques sur une base contractuelle, dans des conditions souvent peu suffisantes.

Les bibliothèques ne peuvent aujourd’hui effectuer leurs achats qu’à partir d’une offre réduite, qui ne représente que 14 % de l’offre commerciale disponible pour le grand public – 86 % de la production éditoriale leur est totalement inaccessible. L’évolution de cette proportion dans les années à venir restera soumise à la volonté des éditeurs.

Le livre numérique ne doit pas occasionner de régression pour les bibliothèques : à l’instar du livre papier, les usagers doivent pouvoir trouver en bibliothèque tous les livres numériques. Ainsi, pour assurer pleinement leur mission, les bibliothèques publiques devront notamment pouvoir accéder à l’ensemble de l’édition numérique dès sa parution, constituer une offre de livres numériques issue de catalogues de tous les éditeurs nationaux, sélectionner les livres titre par titre, y compris dans le cadre du bouquet, et consulter les ouvrages avant de les ajouter à leur collection.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous proposons d’adopter cet amendement, qui vise à étendre le mécanisme de licence légale prévu par la loi de 2003.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à étendre le mécanisme de la licence légale aux livres numériques prêtés par les bibliothèques, afin de développer cette offre, aujourd’hui fort limitée, dans le cadre des contrats conclus avec les éditeurs.

Le dispositif proposé, pour intéressant qu’il pourrait s’avérer, n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact s’agissant de ses conséquences sur la rémunération des auteurs et des éditeurs. Je me tourne donc vers Mme la secrétaire d’État pour connaître l’avis du Gouvernement. En tout état de cause, la commission ne peut que s’en remettre à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Les auteurs de cet amendement proposent d’étendre au livre numérique le mécanisme de licence légale prévu par la loi de 2003.

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement pour les raisons, déjà évoquées, de calendrier des discussions européennes. Il s’agirait en effet d’une encoche dans le mécanisme du droit d’auteur prévu par la directive européenne. Le droit européen n’offre pas, à ce jour, la possibilité de déroger au droit exclusif de l’auteur pour le prêt public numérique.

Il est important, face à un marché encore en émergence, de ne pas déséquilibrer les modèles économiques. J’aimerais toutefois souligner que le Gouvernement a fait du développement des collections numériques des bibliothèques publiques l’une de ses priorités. Il a, par exemple, signé le 8 décembre 2014 avec les représentants de toute la profession – huit associations professionnelles de la chaîne du livre – et la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture douze recommandations pour une diffusion du livre numérique par les bibliothèques publiques, réaffirmant ainsi la nécessité, pour ces bibliothèques, d’accéder à une offre qui soit la plus exhaustive possible au regard de celle proposée aux particuliers.

Très concrètement, ce travail porte ses fruits. Grâce au dispositif PNB – prêt numérique en bibliothèque –, l’offre ne cesse de croître : 60 000 titres, sur les 180 000 disponibles pour les particuliers, sont désormais accessibles.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 459.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 460, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 18 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le livre Ier de la première partie du code de la propriété intellectuelle est complété par un titre IV ainsi rédigé :

« Titre IV

« Les Communs

« Art. L. 141-1. – Relèvent du domaine commun informationnel :

« 1° Les informations, faits, idées, principes, méthodes, découvertes, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une divulgation publique licite, notamment dans le respect du secret industriel et commercial et du droit à la protection de la vie privée ;

« 2° Les œuvres, dessins, modèles, inventions, bases de données, protégés par le présent code, dont la durée de protection légale, à l’exception du droit moral des auteurs, a expiré ;

« 3° Les informations issues des documents administratifs diffusés publiquement par les personnes mentionnées à l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration et dans les conditions précisées aux articles L. 312-1 et L. 312-2 du même code, sans préjudice des articles L. 311-4, L. 321-1, L. 324-1 à L. 324-5, L. 325-1 à L. 325-4, L. 325-7 et L. 325-8 dudit code.

« Les choses qui composent le domaine commun informationnel sont des choses au sens de l’article 714 du code civil. Elles ne peuvent, en tant que tel, faire l’objet d’une exclusivité, ni d’une restriction de l’usage commun à tous, autre que l’exercice du droit moral.

« Les associations agréées ayant pour objet la diffusion des savoirs ou la défense des choses communes ont qualité pour agir aux fins de faire cesser toute atteinte au domaine commun informationnel. Cet agrément est attribué dans des conditions définies par un décret en Conseil d’État. Il est valable pour une durée limitée, et peut être abrogé lorsque l’association ne satisfait plus aux conditions qui ont conduit à le délivrer.

« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende le fait de porter atteinte au domaine commun informationnel en cherchant à restreindre l’usage commun à tous.

« Art. L. 141-2. – Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle, de quelque nature que ce soit, peut autoriser l’usage commun d’un objet auquel ce droit est rattaché par le biais d’une manifestation de volonté à portée générale, à condition que celle-ci soit expresse, non équivoque et publique. Cette manifestation de volonté peut notamment prendre la forme d’une licence libre ou de libre diffusion. Elle ne peut être valablement insérée dans un contrat d’édition tel que défini à l’article L. 132-1.

« Le titulaire de droits est libre de délimiter l’étendue de cette autorisation d’usage commun pour la faire porter uniquement sur certaines des prérogatives attachées à son droit de propriété intellectuelle. L’objet de cette manifestation de volonté fait alors partie du domaine commun informationnel, tel que défini à l’article L. 141-1, dans la mesure déterminée par le titulaire de droit.

« Cette faculté s’exerce sans préjudice des dispositions de l’article L. 121-1 relatives à l’inaliénabilité du droit moral. »

La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. À travers cet amendement, nous voulons montrer notre attachement à une définition positive des communs informationnels. Cette définition est absente du texte, alors qu’il s’agit d’une question importante, soulevée non seulement par les internautes et les associations, mais aussi par vous-même, madame la secrétaire d’État.

Vous aviez pourtant inscrit dans l’avant-projet de loi la protection pour tout ce qui n’est pas couvert par la propriété intellectuelle – informations, faits, idées, principes, méthodes ou œuvres passées dans le domaine public… Cependant, faute de compromis, vous avez renvoyé cette question à une mission générale, ce dont nous ne pouvons nous satisfaire.

Nous sommes particulièrement convaincus de la nécessité d’inscrire la protection des communs dans le code de la propriété intellectuelle. Comme le résume le collectif Savoircom1 : « Violer le droit d’auteur, c’est porter atteinte aux droits d’un seul ; violer le domaine commun informationnel, c’est porter atteinte aux droits de tous. » En effet, ce que nous appelons les « communs informationnels » appartiennent à tous en ce qu’ils n’appartiennent à personne. Depuis toujours, les biens communs nourrissent la réflexion et la création.

L’un des progrès d’internet fut de permettre la circulation des connaissances, des informations, des données et des œuvres. Les risques d’entrave, d’appropriation excessive de certains biens, de revendication illégitime de droits exclusifs sur une œuvre – ce qu’on appelle le copyfraud – sont de plus en plus grands. Il faut protéger les communs informationnels et empêcher que certains ne trouvent dans ces biens communs une source de profits et d’appropriation.

Je finirai mon propos en évoquant une nouvelle d’Alain Damasio dans laquelle l’auteur imagine que les mots que nous utilisons au quotidien pourraient être restreints parce que soumis à des brevets. Bien que fantaisiste, ce récit doit nous alerter sur le risque d’une société où l’appropriation n’aurait plus de limite.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Les auteurs de cet amendement visent à la reconnaissance, dans le code de la propriété intellectuelle, d’un domaine commun informationnel. Il s’agit d’un véritable serpent de mer depuis la genèse de ce projet de loi. Cette question figurait d’ailleurs dans certains avant-projets. Des débats d’une grande radicalité entre partisans et opposants aux Commons ont notamment animé la consultation publique préalable au dépôt du texte à l’Assemblée nationale.

Nos collègues députés n’ont pas manqué de poursuivre le débat engagé, et la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a même adopté la création du domaine commun informationnel contre l’avis de son rapporteur. Finalement, eu égard aux réticences de la commission des lois et du Gouvernement, le texte transmis au Sénat n’en fait nulle mention.

L’introduction d’une telle disposition pose plusieurs difficultés d’ordre politique – les avis en présence demeurent irréconciliables et aucune expertise n’a, à ce jour, réussi à les départager – et juridique – au regard du droit de propriété et compte tenu de la référence à l’article 174 du code civil –, ainsi qu’en termes d’opportunité – le droit positif permet d’ores et déjà à un auteur d’autoriser l’utilisation de ses œuvres. Au reste, en Grande-Bretagne comme en Italie, nos voisins européens peinent également à trouver un équilibre satisfaisant leur permettant de légiférer sur cette question. Il convient donc de continuer à travailler à une traduction juste de ce principe.

Pour ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.

Nous avons eu des débats homériques à l’Assemblée nationale sur ce sujet. Monsieur Leconte, vous parliez, voilà quelques instants, de « plaidoirie » ; c’est peut-être à propos de la thématique des communs que ce terme s’appliquerait le mieux.

Les communs, c’est une manière d’embrasser la culture numérique du copartage, de la coconstruction des œuvres, des écrits – en particulier des écrits scientifiques –, des faits et des informations qui correspond à des pratiques que seul le numérique a permis d’amplifier.

Mais entre l’idéal vers lequel nous pouvons souhaiter tendre, en tant que collectif humain, mais aussi pour faire émerger de nouveaux modèles d’innovation porteurs de création économique, et la réalité juridique, le fossé est encore trop grand. Il nous faut le combler avant de faire entrer la notion de « communs » dans nos codes.

Nous n’avons pas trouvé de définition juridique satisfaisante, à la fois stable et sécurisée. Les difficultés techniques ont été trop grandes. Dès lors, le Gouvernement estime que la voie législative n’est pas adaptée. Pour autant, nous soutenons – à l’instar, je n’en doute pas, de l’ensemble des sénateurs – cette vision d’une culture du partage, et pas uniquement de l’appropriation, voire de la privatisation, de la sphère numérique.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Je voudrais d’un mot expliquer les raisons pour lesquelles je suis défavorable à cet amendement et élargir le débat à ce qui reste le droit d’auteur, à tout ce que représente, dans un pays comme le nôtre, dont la pensée a été renouvelée par les Lumières, la protection de l’œuvre intellectuelle.

Le droit au respect de la production intellectuelle est central dans notre vie nationale. Contrairement à certaines approximations que j’ai pu entendre, faire partager à l’Union européenne une conception du droit d’auteur qui donne la priorité au respect de l’œuvre a constitué un très grand succès de la France.

Je me souviens très bien que, en 1984 et 1985, alors que j’étais le rapporteur, à l’Assemblée nationale, de la loi de réforme des droits d’auteur, devant l’essor des entreprises de communication audiovisuelle, beaucoup des partenaires de la vie intellectuelle de notre pays étaient convaincus que la conception commerciale du copyright finirait par l’emporter. Ce ne fut pas le cas.

Aujourd’hui, si l’on respecte pleinement les principes de ce qu’est le droit d’auteur, c’est-à-dire la propriété de l’œuvre et son respect, il existe un commun : tout le reste ! Pourquoi légiférer sur cette question ? Je rappelle que le principe cardinal, l’épine dorsale du droit, c’est la cohérence. Or il n’est pas cohérent, dans un système juridique, d’énumérer, d’un côté, ce qui fait l’objet d’une règle et, de l’autre, ce qui n’entre pas dans le champ de cette règle. Procéder ainsi, c’est la certitude d’aboutir à une incohérence !

Le droit européen pose en principe la protection du domaine du droit d’auteur, c’est-à-dire la protection de tout ce qui a objectivement et authentiquement le caractère d’une œuvre. Tout le reste est libre et nul n’est besoin de légiférer pour affirmer quelque chose que nous savons déjà.

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote.

M. Patrick Abate. Je ne doute pas, madame la secrétaire d’État, que vous partagiez cette vision.

J’ai également bien entendu les arguments de notre collègue. Nous comprenons la difficulté de faire le droit.

Par cet amendement, nous voulions réaffirmer un principe, rappeler ces engagements et cette richesse de notre histoire et de notre droit. Cela étant, nous le retirons.

M. Jean-Pierre Sueur. Bonne idée !

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme la présidente. L’amendement n° 460 est retiré.

Articles additionnels après l'article 18 bis
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 18 quater

Article 18 ter

Après le second alinéa du 9° de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un 10° ainsi rédigé :

« 10° Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique par des personnes physiques ou des associations constituées conformément à la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, à l’exclusion de tout usage à caractère directement ou indirectement commercial. »

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, sur l'article.

M. Patrick Abate. La liberté de panorama, maintes fois évoquée, sujet de maints débats souvent repoussés, doit aujourd’hui nous permettre de poser cette question fondamentale : comment juger le conflit entre les droits d’expression et de création et le droit de paternité ?

Quinze ans après la directive européenne sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, un an avant le probable marché numérique unique, la France fait partie des sept pays du continent – non pas de l’Union Européenne, mais de toute l’Europe – à ne pas avoir légiféré sur cette liberté, se reposant sur une jurisprudence pour le moins étoffée. Or cette dernière ne saurait être aussi précise et stable que la loi. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons que nous féliciter de l’existence de cet article, dont la rédaction, par contre, ne peut nous satisfaire.

Le plus gros problème est aujourd’hui celui de l’exercice à titre gracieux de la liberté de panorama sur des plateformes numériques, lesquelles engrangent sans contrepartie – nous n’allons pas refaire la démonstration « Facebook » – de l’argent sur les œuvres reproduites, par le biais de la vente de données ou d’espaces publicitaires.

Pour revenir sur la portée générale de cet article et sur le conflit de droits qu’entraîne la liberté de panorama, il nous semble important de rappeler la place que doivent occuper la culture et les arts dans notre société. À nos yeux source d’émancipation, ces domaines ne sauraient être restreints par une minorité de personnes du fait d’un droit d’auteur hégémonique, auquel il ne pourrait être dérogé.

Toutefois, si la liberté de panorama permet une dérogation, elle ne doit pas se muer en spoliation de l’œuvre au détriment de l’artiste. De fait, la richesse créée par la liberté de panorama doit être partagée entre le créateur et le bénéficiaire.

Dans ce cadre, nous serons amenés à nous opposer aux amendements tendant à généraliser cette liberté, à ouvrir les vannes de la marchandisation sans contrepartie pour les créateurs.

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.

M. David Assouline. Il s’agit d’un débat important dont nous devons bien comprendre les enjeux.

Le droit d’auteur est entré dans notre loi fondamentale après un long combat, ce qui a permis de protéger les créateurs et la création française. Aujourd’hui, la révolution numérique vient percuter la façon dont nous appréhendions ce droit.

Nous avons eu le même débat à propos de la musique ou du cinéma. Il s’agit aujourd’hui de la liberté de panorama.

L’Assemblée nationale a été sage en créant une exception au droit d’auteur afin de tenir compte des usages. Car l’objet de ce projet de loi est d’accompagner cette révolution numérique, de ne pas ériger de barrages conservateurs, tout en permettant à la République de continuer d’asseoir ses principes, au sein de cette révolution numérique, et de nous protéger.

L’Assemblée nationale n’a pas voulu qu’un particulier puisse être poursuivi pour avoir pris une photo d’un monument ou d’une œuvre dans l’espace public et l’avoir ensuite postée sur Facebook et envoyée à sa famille ou à ses amis. Nos collègues députés ont voulu mettre fin à cette possibilité, à cette petite hypocrisie, en créant cette exception.

Mais, comme toujours, certains ont voulu utiliser cette liberté donnée aux particuliers pour faire valoir des intérêts visant à spolier et fragiliser les créateurs, les artistes plasticiens, les arts visuels en général. Nous les connaissons tous, je parle de lobbies qui militent depuis longtemps en ce sens – je songe, par exemple, à Wikimedia…

Je rappelle tout de même que les responsables de Wikimedia ont refusé de signer un accord garantissant les droits d’auteur en échange d’un accès à toute la bibliothèque des œuvres. Ils veulent pouvoir bénéficier du dispositif sans se soucier du sort d’artistes qui – je le souligne devant la Haute Assemblée – sont particulièrement fragilisés et ne peuvent vivre que des droits d’auteur. J’aurai l’occasion d’y revenir.