M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement sollicite le retrait des amendements nos 476 et 339 au profit de l’amendement n° 245, dont la rédaction me semble plus équilibrée.

Nous sommes favorables au fait de donner la possibilité d’engager une action devant le juge pénal aux associations agissant pour la protection des données personnelles des individus.

Simplement, cette capacité d’action doit être conditionnée à un délai de deux ans – c’est le choix que nous faisons – et à l’obtention d’un agrément dans les conditions fixées en Conseil d'État pour les autres types d’actions au pénal.

Mme Corinne Bouchoux. Je retire l’amendement n° 339, monsieur le président !

M. le président. L'amendement n° 339 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 476.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 245.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 33 ter demeure supprimé.

Article 33 ter (supprimé)
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Article 33 quater

Article additionnel après l’article 33 ter

M. le président. L'amendement n° 246, présenté par MM. Courteau, Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 33 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie est complété par une section 12 ainsi rédigée :

« Section 12 :

« Lutte contre le cyber-harcèlement

« Art. L. 312-20. – Une information consacrée à la détection et la lutte contre le cyber-harcèlement est dispensée à tous les stades de la scolarité. Les établissements scolaires, y compris les établissements français d’enseignement scolaire à l’étranger, peuvent s’associer à cette fin avec des associations et des personnels concourant à la prévention et à la répression du cyber-harcèlement. » ;

2° À la deuxième phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 721-2, après les mots : « la lutte contre les discriminations », sont insérés les mots : « et le cyber-harcèlement. »

La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Selon nous, le comportement des mineurs sur l’internet mobile rend urgente la prise de mesures préventives et éducatives, afin d’aider les jeunes en difficulté.

Certes, l’internet mobile participe à la construction de l’identité et de la personnalité de nos enfants. Mais les jeunes Français doivent souvent faire face à des menaces virtuelles aux conséquences bien trop réelles. Je signale que 40 % des élèves disent avoir été victimes d’une agression en ligne.

Du fait de leurs différences ou de rumeurs sur leur activité sexuelle, certains adolescents deviennent la cible d’un lynchage, conduisant certains d’entre eux à mettre fin à leurs jours.

D'ailleurs, le problème ne concerne pas que les jeunes ; il va bien au-delà. Les conséquences du cyber-harcèlement n'en sont pas moins graves.

La prévention me semble être le premier moyen de lutter contre toutes formes de harcèlement. Ainsi, toute personne doit être initiée à la protection de ses informations personnelles et à la gestion de ses paramètres de confidentialité. Et l’utilisation du téléphone mobile au sein des établissements scolaires doit être encadrée. La prévention du cyber-harcèlement doit faire partie intégrante de la politique de gestion du harcèlement et de la violence à l’école comme sur le lieu de travail.

Afin de sensibiliser les élèves dès leur plus jeune âge, un module relatif à la lutte contre le cyber-harcèlement doit être intégré dans la formation des élèves comme des enseignants.

Ainsi, à travers cet amendement, il est proposé de compléter la définition de l’enseignement d'éducation civique, prévue à l'article L. 312–15 du code de l'éducation, ainsi que les missions des instituts universitaires de formation des maîtres, fixées à l'article L. 721–1 du code de l'éducation. Les personnels enseignants pourront s’adjoindre des intervenants extérieurs pour les aider à dispenser un tel enseignement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Cet amendement vise à introduire une information sur la détection du cyber-harcèlement et la lutte contre ce phénomène.

Je ne suis évidemment pas opposée à une telle proposition sur le principe. Mais je tiens à signaler qu’il existe déjà deux textes réglementaires sur le sujet : la circulaire du 13 août 2013 relative à la prévention et à la lutte contre le harcèlement à l’école et la circulaire du 26 novembre 2013 relative à la prévention et au traitement de la cyber-violence entre élèves.

Le Gouvernement semble conscient du danger ; il a entrepris plusieurs actions pour lutter contre le cyber-harcèlement. Il ne nous paraît donc pas nécessaire d’introduire une disposition législative à cet égard.

Par conséquent, la commission de la culture émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Informer pour prévenir le cyber-harcèlement est une priorité de l’action du Gouvernement.

Les enfants ou jeunes adolescents doivent le comprendre : faire circuler des photos de camarades nus, par exemple, par SMS ou sur les réseaux sociaux, ce n’est pas anodin ; cela peut blesser profondément. Des jeunes gens peuvent être très impressionnés par des propos ou des images qu’ils voient circuler ou reçoivent. Le phénomène évoqué par l’auteur de cet amendement est une réalité. Il est effectivement nécessaire d’éduquer les publics concernés.

Pour autant, il n’est pas certain que cela soit de nature législative et qu’il faille l’intégrer dans le code de l’éducation. Le principe d’égalité entre les femmes et les hommes y figure déjà. Des circulaires réglementaires sont parues. Surtout, je crois qu’il faut mener des actions de sensibilisation sur le terrain.

Des mesures normatives ont été adoptées ou sont sur le point de l’être. L’infraction de cyber-harcèlement a été créée par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, et le présent projet de loi introduit la nouvelle infraction de « revanche pornographique », afin de répondre à des situations très concrètes.

Cependant, comme toute déclaration d’intention est bonne à prendre sur le sujet, je m’en remets à la sagesse du Sénat.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Vous le savez, le sujet nous tient particulièrement à cœur, y compris au sein de la délégation aux droits des femmes.

Pour ma part, je crois qu’il n’est pas indifférent d’introduire ou non un tel principe dans la loi. J’ai bien entendu que des circulaires avaient été prises. Mais je pense que nous devons affirmer notre exigence dans la loi. Cela lui donnera plus de force, plus d’amplitude. La loi, c’est tout de même autre qu’une circulaire…

Je sais bien que le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes figure déjà dans le code de l’éducation. Mais je pense qu’il est également important d’y mentionner le cyber-harcèlement, car c’est une vraie cause de violences, notamment à l’égard des femmes.

Je soutiens donc fermement cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.

M. Roland Courteau. Si les circulaires qui ont été prises avaient fait la démonstration de leur efficacité, cela se saurait !

M. Roland Courteau. Pour ma part, je préférerais qu’une telle mesure figure dans la loi.

Je le rappelle, en 2010, j’ai fait adopter une disposition similaire lors de l’examen du texte sur les violences faites aux femmes. Le code de l’éducation nationale prévoit désormais qu’une « information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple » est « dispensée à tous les stades de la scolarité ». Il s’agit de sensibilisation, de prévention, d’éducation. Je peux en attester, dans les établissements scolaires, cette information, lorsqu’elle est dispensée, porte ses fruits. Tous les chefs d’établissement jugent positivement la démarche.

Je demande simplement une mesure similaire pour lutter contre le fléau du cyber-harcèlement, qui est une forme de violence tout aussi dévastatrice.

Je le précise, en 2010, le Sénat avait adopté la disposition concernée à l’unanimité. Pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui sur un sujet semblable et tout aussi préoccupant ? Je propose simplement de compléter le dispositif qui avait été voté alors.

Je vous avoue mon incompréhension. Pourquoi une vérité de 2010 serait-elle une erreur en 2016 ? Il serait très regrettable, me semble-t-il, que le Sénat rejette une telle disposition.

Le cyber-harcèlement est un véritable fléau ! Encore une fois, des jeunes menacent parfois de mettre fin à leurs jours ! Il faut avoir conscience de l’enfer qu’ils vivent !

Certains préfèrent se contenter de simples circulaires… Je pense que ce sera bien plus efficace si le dispositif est gravé dans le marbre de la loi et entre réellement en application dans les faits. Croyez-moi, cela en vaut la peine !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 246.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l’amendement.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 33 ter.

Article additionnel après l’article 33 ter
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Articles additionnels après l'article 33 quater

Article 33 quater

L’article 226-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au dernier alinéa, les mots : « les actes mentionnés au présent article ont été accomplis » sont remplacés par les mots : « la captation, la fixation, l’enregistrement de paroles ou d’une image ont été accomplis » ;

2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende lorsque sont captés, fixés, enregistrés, transmis des paroles ou une image, à caractère sexuel, prises dans un lieu public ou privé. »

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, sur l'article.

Mme Hélène Conway-Mouret. Le présent projet de loi pose prioritairement le droit à internet pour tous et à un égal accès pour garantir l’insertion, la vie professionnelle et sociale. Aujourd’hui, pour toutes les générations, les liens passent aussi par les réseaux sociaux et la communication virtuelle. Ces nouveaux usages appellent de nouvelles règles pour prévenir – nous venons d’en discuter avec Roland Courteau il y a un instant – et combattre les risques qu’ils entraînent, à commencer par le développement des cyber-violences.

L’article 33 quater, qui a été ajouté à l’Assemblée nationale, concerne une forme particulière de cyber-violence : le revenge porn, c’est-à-dire, littéralement, la vengeance pornographique. Cette pratique consiste à diffuser, par dépit ou par vengeance, le plus souvent sur internet, des images intimes de son ex-compagne ou de son ex-compagnon sans l’accord de l’intéressé.

Je veux souligner la qualité du travail effectué sur ce point par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Dans un rapport d’information, elle a dressé un état des lieux du phénomène, beaucoup moins marginal qu’il n’y paraît. J’en retiens particulièrement un chiffre, selon une enquête réalisée au mois d’avril 2014, en France, un homme sur dix n’exclurait pas de se livrer à de tels actes. Cette statistique est inquiétante ; elle démontre combien la gravité de ces faits est sous-estimée.

Le rapport met en lumière le désarroi des victimes, qui sont dans la très grande majorité des femmes et des jeunes filles, mais il s’agit parfois aussi d’hommes. Il donne aussi de précieux renseignements sur la complexité des procédures pour obtenir, notamment, le retrait des contenus diffusés sur internet sans le consentement des victimes.

L’article 33 quater vise à aggraver les peines susceptibles d’être prononcées à l’encontre de celles et de ceux qui se livrent à de tels agissements. Selon les dispositions en vigueur, en l’occurrence l’article 226–1 du code pénal, la peine pour toute atteinte à l’intimité de la vie privée est d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Le présent article porte à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende le fait de transmettre ou de diffuser sans le consentement exprès de la personne son image ou sa voix, prise dans un lieu public ou privé, dès lors que cela présente un caractère sexuel.

L’exposition de leur intimité à un large public pousse certaines victimes jusqu’au suicide. Nous ne pouvons pas rester insensibles à leur humiliation et à leur détresse. La confirmation de la pénalisation expresse des vengeances pornographiques est attendue par nos collègues de l’Assemblée nationale, mais aussi, bien plus largement, par nos concitoyens, que l’ampleur du phénomène inquiète.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 651, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° L'article 226–2 est ainsi modifié :

a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Est puni des mêmes peines le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226–1. » ;

b) Au dernier alinéa, les mots : « l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « le premier alinéa » ;

2° Après l’article 226–2, il est inséré un article 226–2–1 ainsi rédigé :

« Art. 226–2–1. – Lorsque les délits prévus aux articles 226–1 et 226–2 portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et 60 000 € d’amende.

« Est puni des mêmes peines le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès de la personne ou par elle-même, à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226–1. » ;

3° À l’article 226–6, la référence : « et 226–2 » est remplacée par la référence : « à 226–2–1 ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Nous abordons à présent ce que l’on appelle communément le revenge porn.

Cet amendement de la commission des lois vise à rédiger intégralement l’article 33 quater, afin d’améliorer à la fois qualitativement et quantitativement le dispositif de répression de la diffusion sans consentement de la personne d'images ou de paroles à caractère sexuel.

Pour une meilleure intelligibilité de la loi, nous proposons de clarifier le texte que la commission avait adopté, en déplaçant dans un nouvel article spécifique du code pénal la circonstance aggravante liée au revenge porn. Nous voulons également compléter le texte en réprimant la rediffusion d’images à caractère sexuel même lorsqu’elles ont été diffusées par la personne elle-même. Cela concerne notamment les selfies.

Mon amendement est très proche de l’amendement n° 247, que Mme Conway-Mouret présentera dans quelques instants. Il y a simplement quelques différences rédactionnelles et d’organisation des articles du code pénal.

D’une part, il me semble important de prendre acte de l’arrêt du 16 mars 2016 de la Cour de cassation pour l’ensemble des diffusions d'images portant atteinte à la vie privée, et pas seulement pour les images à caractère sexuel.

D’autre part, dans un souci de conformité au principe d’interprétation stricte de la loi pénale, je souhaite également modifier l’article 226–2 du code pénal pour qu’aucune présomption de consentement prévue à l’article 226–1 du code pénal n’empêche de poursuivre pénalement la diffusion d’images portant violation de l’intimité d’autrui.

M. le président. L'amendement n° 247, présenté par Mme Conway-Mouret, MM. Courteau, Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline et Guillaume, Mmes Lepage, Blondin, Monier, Génisson, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après l’article 226-2, il est inséré un article 226-2-1 ainsi rédigé :

« Art. 226-2-1. – Lorsque les délits prévus par les articles 226-1 et 226-2 portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et 60 000 € d’amende.

« Dans ce cas, le délit prévu par l’article 226-2 est également constitué lorsque les actes mentionnés à l’article 226-1 ont été accomplis avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, dès lors que ces paroles ou images sont diffusées sans son accord. » ;

2° À l’article 226-6, la référence : « et 226-2 » est remplacée par la référence : « à 226-2-1 ».

La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Ainsi que M. le rapporteur l’a souligné, le 16 mars 2016, la Cour de cassation a jugé, par une interprétation exagérément restrictive de l’article 226–2 du code pénal, que si l’enregistrement de photos sans le consentement de la personne concernée était bien interdit, il n’en allait pas de même de leur diffusion.

Autrement dit, en l’état du droit actuel, quelqu’un qui a donné son accord à la réalisation d’une photo ou d’un film ne peut pas s’opposer ultérieurement à sa diffusion, notamment sur internet.

Une telle décision montre bien l’urgence qu’il y a à modifier le code pénal pour l’adapter à la réalité du cyber-harcèlement et de la vengeance pornographique. Pour autant, si cet objectif ne peut qu’être pleinement partagé, il apparaît que les modifications proposées de l’article 226–1 du code pénal ne sont pas adaptées. Je me réjouis que la commission et son rapporteur se soient saisis de cette difficulté.

En effet, en maintenant dans l’article 226–1 la présomption de consentement, donc l’absence de délit, en cas d’enregistrement d’images ou de paroles, le texte adopté par la commission ne permet pas de réprimer leur diffusion ultérieure. Nous le voyons bien, la lutte contre le cyber-harcèlement suppose que la diffusion d’une image ou d’un film soit interdite quand bien même l’enregistrement initial aurait été fait avec le consentement de la personne concernée. En effet, on peut être d’accord avec la réalisation d’un film ou d’une image sans pour autant approuver sa diffusion ultérieure.

Mon amendement vise au maintien du principe du consentement implicite prévu au deuxième alinéa de l’article 226–1 du code pénal, assorti de la création d’une nouvelle infraction. Le nouvel article 226–2–1 du code pénal aggraverait les peines en cas d’enregistrement de paroles ou d’images à caractère sexuel, ainsi qu’en cas de diffusion de celles-ci sans le consentement de la personne, quand bien même l’enregistrement initial aurait été fait avec son accord exprès ou présumé.

Nous prévoyons également que le délit soit également constitué lorsque l’enregistrement initial est un autoportrait, une pratique très répandue, plus connue sous le nom de selfie.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 247 ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Nous partageons évidemment l’objectif de Mme Conway-Mouret : inscrire les dispositions relatives au revenge porn dans un cadre juridique spécifique.

Cela étant, l’amendement de notre collègue me paraît satisfait par le mien, qui reprend toutes ses dispositions, mais est plus large et plus complet. Mon amendement vise à mettre en place un dispositif global prenant acte de la jurisprudence de la Cour de cassation – ce n’est pas le cas de l’amendement n° 247 – pour toutes les atteintes à la vie privée, et pas seulement les images à caractère sexuel.

Je sollicite donc le retrait de l’amendement n° 247, au profit de celui de la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Pour ma part, j’aurais tendance à suggérer le retrait de l’amendement de la commission au profit de celui de Mme Conway-Mouret.

Je voudrais d’abord me féliciter que nous cherchions tous à atteindre le même objectif. Nous voulons tous créer une nouvelle infraction pénale pour appréhender les phénomènes de revanche pornographique que l’on constate parfois sur internet, via les réseaux sociaux ou l’utilisation de smartphones. Plusieurs pays, comme le Royaume-Uni, ont fait évoluer leur législation en ce sens. C’était aussi une nécessité pour la France, comme la Cour de cassation l’a indirectement rappelé dans son arrêt du 16 mars 2016.

Mais j’ai une interrogation quant à la rédaction proposée par la commission. Je viens juste de prendre connaissance de l’amendement n° 651, compte tenu de son dépôt tardif. (M. le rapporteur s’exclame.) J’ai le sentiment que cet amendement couvre moins de situations – c’est sans doute juste un problème de rédaction juridique – que celui qui est proposé par Mme Conway-Mouret.

En effet, l’idée est de couvrir toutes les situations, par exemple si le consentement a été donné de manière expresse ou implicite lors de l’enregistrement de photos, mais n’a pas été recueilli lors de leur diffusion au public. Il est donc très important que cette notion de consentement exprès ou implicite n’apparaisse plus au moment de la diffusion. C’est tout l’intérêt de créer une nouvelle infraction.

À mon sens, le fait de renvoyer à l’article 226–1 au lieu de tout concentrer au sein d’un seul et unique article crée une confusion. Sur le fond, nous sommes évidemment d'accord.

Je suggère donc le retrait de l’amendement de la commission, afin de couvrir le maximum de situations possible. Je m’engage à retravailler avec vous la rédaction de l’article dans la perspective de la commission mixte paritaire.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je précise que mon amendement reprend l’intégralité des dispositions figurant dans celui de Mme Conway-Mouret. Si l’on peut me reprocher quelque chose, c’est d’en avoir mis plus !

La seule différence, mais elle est de taille, c’est que j’ajoute une disposition permettant de prendre acte de la décision de la Cour de cassation du 16 mars 2016. Mon amendement va donc plus loin.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je ne pense pas.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 651.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 33 quater est ainsi rédigé et les amendements nos 247 et 306 n’ont plus d'objet.

Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de l’amendement n° 306.

L'amendement n° 306, présenté par M. Courteau, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par les mots :

sans le consentement exprès de la personne

Article 33 quater
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 34

Articles additionnels après l'article 33 quater

M. le président. L'amendement n° 249, présenté par MM. Courteau, Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline et Guillaume, Mmes Lepage, Blondin, Monier, Génisson, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 33 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les avant-dernier et dernier alinéas de l’article 222-33-2-2 du code pénal sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende :

« a) Lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 3° ;

« b) Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.

« Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende lorsqu’ils ont été suivis du suicide de la personne harcelée. »

La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Tout comme les harceleurs en chair et en os, les cyber-harceleurs font intrusion dans les vies de leurs victimes de manière imprévisible et menaçante. Ce harcèlement a des conséquences sur tous les aspects de la vie et de la réputation d’une personne, notamment sa santé physique et psychique. Le plus souvent, le harceleur n’est pas identifié et demeure inconnu de sa victime. L’imprévisibilité qu’ajoute l’anonymat rend encore plus difficile pour la victime d’évaluer les risques au quotidien, ce qui peut accroître son degré d’anxiété et de peur.

L’univers numérique implique qu’un harceleur ait accès aux informations à tout moment. Non seulement cela nourrit son obsession, mais cela lui fournit aussi les outils dont il a besoin pour surveiller, contacter, intimider ou humilier sa victime. Les harceleurs n’ont plus besoin d’être physiquement présents, ni de faire l’effort de poster une lettre pour importuner une victime. Il leur suffit de se servir de leur ordinateur ou de leur téléphone portable pour se livrer à de tels agissements.

C’est donc bien la publicité donnée à cette présentation déformée et peu flatteuse de la victime qui explique l’importance du préjudice, fonde la gravité du comportement et justifie l’importance de la sanction.

Au cours des travaux préparatoires à l’élaboration de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le Sénat avait introduit par amendement un article incriminant spécifiquement le cyber-harcèlement. Cette initiative n’a finalement pas vu le jour. Aujourd’hui, la répression du cyber-harcèlement est assurée par référence au délit général de harcèlement prévu à l’article 222–33–2–2 du code pénal. Mais, j’y insiste, ces faits sont moins sévèrement punis que le vol à l’étalage ou le recel d’une bicyclette. Remédier à une telle situation, c’est aussi reconnaître les victimes dans leurs droits.

Aussi, à travers cet amendement, je propose de porter la peine encourue à trois ans lorsqu’il est fait usage d’un réseau de communication au public en ligne et à cinq ans lorsque les faits ont été suivis du suicide de la victime.