M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Courteau, je salue votre travail. Je sais que c’est un sujet qui vous tient à cœur puisque vous avez déjà défendu une proposition de loi pour renforcer la prévention et la lutte contre le cyber-harcèlement.

Votre amendement vise à accroître les peines contre le cyber-harcèlement, notamment lorsqu’il est suivi du suicide de la personne visée. À ce stade, il ne me semble pas nécessaire d’augmenter les peines. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi 4 août 2014 relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui permet d’incriminer spécifiquement les faits de cyber-harcèlement, la Chancellerie m’a confirmé qu’une seule condamnation avait été prononcée sur le fondement de cette loi. Je comprends parfaitement votre intention, qui est d’envoyer un message très clair et très fort. Je partage cette ambition.

Néanmoins, la portée même de l’incrimination existante, qui est extrêmement spécifique, est d’ores et déjà sujette à précaution. Je m’en explique : des dispositifs plus généraux semblent être utilisés sans qu’il ne soit pertinent de recourir au délit très précis de cyber-harcèlement.

Pour des raisons similaires, je ne peux être favorable à l’aggravation des peines du cyber-harcèlement lorsqu’il est suivi, et non lorsqu’il entraîne, le suicide de la personne visée ou concernée. D’une part, le suicide peut ne pas être la conséquence directe et certaine du fait du harcèlement. D’autre part, il semble difficile de créer une circonstance aggravante à ce délit très précis, qui ne dépend qu’indirectement du comportement de l’auteur présumé.

Je rappelle, monsieur Courteau, que la responsabilité pour la mort d’autrui est plus efficacement réprimée sur la base d’autres délits, notamment l’homicide involontaire.

Nous avons tous, hélas ! dans nos connaissances des personnes qui nous rapportent des cas de cyber-harcèlement. De nombreux exemples sont également rapportés dans la presse. Néanmoins, l’état actuel du droit nous permet de pouvoir poursuivre ces cas de cyber-harcèlement sans qu’il ne soit besoin d’ajouter une incrimination supplémentaire.

C’est pourquoi je demande le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement fera la même réponse que la commission. M. le rapporteur a bien décrit les incertitudes quant au niveau d’exigence élevé de précision de la loi pénale.

Pour des situations de cette nature, ce qui importe, surtout une fois que l’infraction a été créée et qu’elle fait l’objet de possibles circonstances aggravantes, c’est la rapidité de la réponse apportée par les pouvoirs publics et par les fournisseurs de services en ligne. C’est en effet l’aspect viral qui rend cette situation d’autant plus préjudiciable à la personne victime. Il faut donc stopper le plus rapidement cette possibilité de viralité, et par conséquent demander au réseau social du jeune auteur de l’infraction de ne pas rediffuser les textes ou les images.

La réponse réside à la fois dans la rapidité, notamment en ce qui concerne le retrait de l’information, et dans la sensibilisation des jeunes concernés.

M. le président. Monsieur Courteau, l’amendement n° 249 est-il maintenu ?

M. Roland Courteau. Je souhaite envoyer un signal par rapport à ce fléau. Je comprends les arguments qui ont été avancés par M. le rapporteur et par Mme la secrétaire d’État. Cependant, est-il juste que ces faits de cyber-harcèlement soient moins sévèrement punis que le vol à l’étalage ou le recel d’une bicyclette ?

J’ai tout à l’heure souligné que le cyber-harcèlement donnait lieu à un véritable lynchage. Ne convient-il pas d’accroître les sanctions pour des faits bien autrement plus graves, en termes de conséquences, que le recel d’un vélo ?

Je maintiens donc mon amendement, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 249.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 43 rectifié est présenté par Mme Jouanno, M. Cadic, Mmes Joissains, Gatel et Loisier, MM. Bockel, L. Hervé, Lasserre, Cigolotti, Maurey, Marseille, Longeot, Gabouty, Guerriau, Chaize et Pellevat, Mme Deromedi et M. Laménie.

L'amendement n° 340 est présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 33 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 226-2 du code pénal, il est inséré un article 226-2-… ainsi rédigé :

« Art. 226-2-… – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, le fait de menacer une personne des actes mentionnés aux articles 226-1 et 226-2 lorsque l’enregistrement ou le document concerne une parole ou une image à caractère sexuel.

« Les articles 312-10, 312-11 et 312-12 s’appliquent sans préjudice de l’alinéa précédent. »

La parole est à M. Patrick Chaize, pour présenter l’amendement n° 43 rectifié.

M. Patrick Chaize. Le présent amendement participe à la création du dispositif juridique clair permettant la répression pénale des pratiques dites de « revanches pornographiques ». Il consiste à créer un nouvel article au sein du code pénal afin de couvrir des situations liées aux pratiques de revanches pornographiques, à savoir : le fait de menacer une personne de diffuser des images ou paroles à caractère sexuel la concernant obtenues avec ou sans le consentement de cette dernière ; le fait de recourir au chantage tel que défini à l’article 312–10 du code pénal à l’égard d’une personne en usant d’images ou de paroles à caractère sexuel la concernant avec ou sans le consentement de cette dernière.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour présenter l'amendement n° 340.

Mme Corinne Bouchoux. Cet amendement est identique à celui que vient de défendre M. Chaize et qui avait été cosigné par Mme Jouanno et un certain nombre d’autres membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Sa philosophie a été suggérée par l’audition de seize associations et collectifs féministes, qui souhaitent utiliser cette loi pour attirer l’attention sur un point précis.

Nous avons légiféré pour prévoir la répression pénale de la diffusion d’images ou de vidéos à caractère sexuel sans le consentement de la personne.

Il convient peut-être d’aller plus loin et de renforcer encore la répression en matière de pratiques violentes dites de « vengeances pornographiques ».

Par exemple, en matière de divorce, ce qui peut concerner tout le monde, de nombreux hommes ou femmes, mais plus souvent des femmes, sont victimes de menaces ou de chantage à la diffusion de telles images.

Il est donc important de pouvoir réprimer de façon plus sévère la diffusion d’images ou de paroles à caractère sexuel en créant un nouvel article dans le code pénal, même si le véhicule législatif que constitue le présent projet de loi peut sembler quelque peu éloigné d’une cause qui nous paraît juste.

M. le président. L'amendement n° 248, présenté par MM. Courteau, Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline et Guillaume, Mmes Lepage, Blondin, Monier, Génisson, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 33 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 226-2 du code pénal, il est inséré un article 226-2-… ainsi rédigé :

« Art. 226-2- – Est puni d’un an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende, le fait de menacer une personne de recourir aux actes mentionnés aux articles 226-1 et 226-2 lorsque l’enregistrement ou le document concerne une parole ou une image à caractère sexuel.

« Les articles 312-10, 312-11 et 312-12 s’appliquent sans préjudice de l’alinéa précédent. »

La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Le présent amendement, quasi identique à ceux qui viennent d’être défendus par mes collègues, participe à la création d’un dispositif juridique clair permettant la répression pénale des pratiques dites de « revanches pornographiques ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je comprends tout à fait la démarche de mes collègues. Il s’agit de créer un nouveau délit de menace de « revanches pornographiques ».

Ces amendements visent à punir, au sein d’un délit autonome, le fait de menacer une personne de diffuser des images intimes à caractère sexuel.

Ces dispositions ne semblent néanmoins pas souhaitables au regard de l’organisation actuelle de la répression des menaces.

En effet, les menaces sont visées dans un chapitre autonome du code pénal : le paragraphe 3 de la section 1 du chapitre II du titre II du livre II. Surtout, ces dispositions semblent satisfaites par l’article 222–17 du code pénal, de portée générale, qui incrimine le fait de menacer de commettre un délit dont la tentative est punissable, ce qui est le cas du délit d’atteinte à la vie privée.

Enfin, il n’est pas nécessaire de préciser tous les articles du code pénal qui s’appliquent sans préjudice des autres articles.

Créer un nouveau délit autonome alors qu’existe l’article 222–17 ne paraît pas utile. Aussi, je demande le retrait de ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement demande également de retrait de ces trois amendements, car, à mes yeux, ils sont satisfaits.

Il ne pourra pas être reproché au Gouvernement, monsieur Chaize, de ne pas soutenir une vision progressiste du code civil et du code pénal. Mais quand un texte est déjà applicable et qu’aucun vide juridique n’est constaté, il n’est à mon sens nul besoin d’ajouter une disposition spécifique.

En l’occurrence, le chantage, tel qu’il est prévu dans le droit pénal commun, et la menace sont des outils suffisants pour répondre à la situation liée au cyber-harcèlement que vous souhaitez couvrir.

J’ajoute que les peines encourues à l’heure actuelle sont plus lourdes que celles qui sont prévues dans vos amendements. Pour le chantage, les peines sont de cinq ans et pour la menace elles sont de trois ans, contre un an dans ces amendements.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je suis parfaitement rassuré par les explications de notre rapporteur et de Mme la secrétaire d’État. Je pense que les auteurs de ces trois amendements le sont également – il leur appartiendra de le dire.

Les choses sont simples : il y a le délit et il y a la menace de délit. Le délit, nous venons de le poser et nous l’avons voté à l’instant pour cette pratique au sujet de laquelle nous n’avons pas trouvé de meilleure expression que celle de « revanche pornographique » inspirée de l’anglais revenge porn.

Après avoir créé le délit, nous nous demandons à juste titre – et je remercie les auteurs de ces amendements – s’il ne faudrait pas que la simple menace de commettre le délit soit réprimée également. Heureusement, nous avons trouvé la réponse : c’est l’article 222–17 du code pénal. Chaque fois que le Parlement introduit un nouveau délit, nous savons que, grâce, à cet article la menace de commettre le délit est déjà réprimée.

On nous reproche parfois, à nous parlementaires, dans nos départements d’ajouter sans cesse des dispositions qui gonflent les codes. C’est vrai pour le code du travail, c’est également vrai pour le code général des impôts, mais aussi pour le code pénal. Soyons simples si nous voulons être efficaces pour permettre aux magistrats de sanctionner, car le code contient plusieurs centaines de délits. Si chaque fois qu’un délit est modifié ou ajouté il fallait prévoir la répression de la menace de ce délit, on n’en sortirait pas. Il est donc de bonne rédaction pour le code pénal de s’en tenir à la formulation actuelle.

Je demande, moi aussi, le retrait de ces amendements. À défaut, notre assemblée ne pourra que les repousser dans le souci de permettre à la justice de fonctionner sans qu’il n’y ait trop de « kystes » dans le code pénal.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mon souci était rigoureusement identique. La préoccupation émise est très salutaire. Je souhaitais demander de viser mieux, en me référant à l’article 222–17 ou à l’article 222–18 du code pénal.

M. le président. Monsieur Courteau, l’amendement n° 248 est-il maintenu ?

M. Roland Courteau. J’ai été convaincu et rassuré : je retire mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 248 est retiré.

Monsieur Chaize, qu’advient-il de l’amendement n° 43 rectifié ?

M. Patrick Chaize. Devant cette unanimité dans l’argumentaire, je ne peux que retirer mon amendement, en insistant sur le fait que notre objectif est à la fois fort et partagé.

M. Bruno Sido. Il est louable !

M. Patrick Chaize. Je remercie le Sénat de nous suivre au moins sur l’idée.

M. le président. L'amendement n° 43 rectifié est retiré.

Madame Bouchoux, qu’en est-il de l’amendement n° 340 ?

Mme Corinne Bouchoux. Je vais le retirer, monsieur le président.

On parle tout le temps, et on le fait assez bien, de ce qui nous oppose, de ce qui ne va pas. En l’occurrence, il est important d’acter que notre assemblée, sur toutes ses travées, est d’accord. Qu’il s’agisse de Brigitte Gonthier-Maurin, ancienne présidente de la délégation aux droits des femmes, de Chantal Jouanno ou de Patrick Chaize, nous avons tous consacré du temps à cette question. Certes, il serait peut-être superflu d’ajouter la menace au délit qui est déjà prévu.

Néanmoins, toutes les associations féministes qui ont passé des heures à convaincre tout le monde auront entendu qu’il s’agit d’un combat que nous menons tous, car la cause est noble.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

Mme Corinne Bouchoux. Ce véhicule législatif n’était pas le meilleur et ces amendements risquaient de faire plus de dégâts que de bien, mais il était important de poser le débat à travers leur examen.

Je retire l’amendement.

M. le président. L'amendement n° 340 est retiré.

Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 179 rectifié ter est présenté par M. Grand, Mme Garriaud-Maylam, MM. Mandelli, Revet et Raison, Mmes Deromedi et Hummel, MM. Laménie et Charon, Mme Gruny et MM. de Nicolaÿ et Husson.

L'amendement n° 296 rectifié ter est présenté par MM. Détraigne et Bonnecarrère, Mme Férat et MM. Kern, Marseille, Guerriau et Maurey.

L'amendement n° 361 rectifié est présenté par M. Yung.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 33 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 9 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …° Les personnes publiques ou morales agissant dans le cadre de recherches à des fins de prévention ou de développement de l’écoconduite subventionnées par des fonds publics. »

La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour présenter l'amendement n° 179 rectifié ter.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. L’article 9 de la loi Informatique et libertés réserve le traitement des données relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté à des personnes morales détentrices de mission de service public.

Parmi ces infractions figurent les excès de vitesse, le franchissement de ligne continue ou le bouclage de ceinture de sécurité.

Par conséquent, seules des personnes morales détentrices de mission de service public peuvent faire des recherches à partir de données publiques relatives aux infractions sur la vitesse instantanée, le franchissement des lignes continues et le bouclage des ceintures.

De plus en plus fréquemment, dans le domaine de la recherche, la collecte et le traitement de certaines données d’infraction sont indispensables à la compréhension des mécanismes étudiés. Dans de tels cas, les données collectées et traitées le sont uniquement à des fins de recherche et sont conservées pour une durée non supérieure à ce qui est strictement nécessaire pour atteinte des objectifs de l’étude.

L’utilisation de ces données est notamment indispensable dans le domaine de la recherche en matière de sécurité routière ou dans le développement de la conduite écoresponsable.

Plusieurs pays européens autorisent la collecte et le traitement de ces données sous certaines conditions. La France, elle, l’interdit au titre de l’article 9 de la loi Informatique et libertés.

Afin de permettre ces recherches d’intérêt général et d’éviter que certains projets de recherche n’échappent aux laboratoires français, il est proposé de lever ce frein en inscrivant dans le droit la possibilité pour les personnes publiques ou morales d’effectuer des recherches à partir des données d’infraction. Cet amendement vise à permettre une réponse rapide.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour présenter l'amendement n° 296 rectifié ter.

M. Hervé Maurey. Cet amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 361 rectifié n'est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur les deux amendements restant en discussion ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ces amendements visent à permettre aux personnes publiques ou morales de mettre en œuvre des traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté, lorsqu’elles concourent à la recherche à des fins de prévention ou au développement de l’écoconduite.

Je perçois mal la pertinence de cette disposition. Pourquoi une personne morale devrait-elle avoir accès à un traitement de données à caractère personnel et non à de simples données agrégées pour des fins de recherche en matière de prévention ?

Actuellement, n’ont accès à ces fichiers d’infractions pénales que les juridictions, les autorités publiques et les personnes morales gérant un service public, agissant dans le cadre de leurs attributions légales, ainsi que les auxiliaires de justice et certaines personnes morales spécifiquement visées, notamment les sociétés de perception et de répartition des droits, pour la défense des droits d’auteurs et de la propriété intellectuelle.

On ne saurait ouvrir trop largement l’accès à ces fichiers, qui contiennent des informations sensibles puisqu’elles sont relatives à des infractions pénales. Le Conseil constitutionnel est très vigilant sur cette question « en raison de l’ampleur que pourraient revêtir les traitements de données personnelles ainsi mis en œuvre et de la nature des informations traitées » qui pourrait affecter « le droit au respect de la vie privée et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

Aussi le Conseil constitutionnel a-t-il censuré dans une décision du 29 juillet 2004 une disposition de la loi relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Cette disposition visant à permettre à certaines personnes morales d’accéder à ces traitements a été jugée par le Conseil constitutionnel « ambiguë » puisqu’elle laissait « indéterminée la question de savoir dans quelle mesure les données traitées pourraient être partagées ou cédées, ou encore si pourraient y figurer des personnes sur lesquelles pèse la simple crainte qu’elles soient capables de commettre une infraction ; qu’elle ne dit rien sur les limites susceptibles d’être assignées à la conservation des mentions relatives aux condamnations ».

L’absence de définition de garanties par le législateur alors même qu’il donnait un accès à une personne morale a été jugée comme étant entachée d’incompétence négative.

Je ne crois pas que la rédaction de cet amendement réponde à toutes les exigences du Conseil constitutionnel en la matière.

À titre d’exemple, ces amendements, s’ils étaient adoptés, permettraient à un constructeur automobile d’avoir accès au fichier des personnes ayant provoqué un accident de voiture. Je ne comprends pas quelle serait la finalité de tout cela pour un constructeur automobile, ou plutôt je ne la saisis que trop bien.

Je suis donc extrêmement réservé sur ces deux amendements. Je demande leur retrait ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable, bien que plus nuancé dans la mesure où il ne s’agit pas de transmettre des fichiers de police, notamment à des constructeurs automobiles, relatifs à des infractions, mais bien de communiquer des données relatives à des infractions : je pense à la possibilité d’installer des capteurs sur les voitures pour transmettre automatiquement les informations en cas de franchissement d’une vitesse maximale autorisée.

J’imagine parfaitement qu’il peut être intéressant pour des constructeurs, afin de développer des systèmes plus préventifs à intégrer dans les automobiles, de connaître les conditions dans lesquelles un véhicule est amené à franchir une vitesse supérieure à 130 kilomètres à l’heure.

Je perçois d’autant mieux l’intérêt d’une telle mesure que le texte prévoit déjà d’autoriser l’appariement de fichiers par l’intermédiaire du « NIR statistique » pour les chercheurs. Par ailleurs, nous avons également permis l’accès pour les chercheurs à des bases nationales afin d’utiliser au mieux les données publiques.

Néanmoins, il s’agit tout de même d’ouvrir à des entreprises privées l’accès à des données sensibles. Il convient donc d’élaborer un régime concerté et très protecteur, avec des garde-fous. Le dispositif proposé n’a pas pu faire l’objet d’une analyse approfondie, d’autant que des exceptions relatives aux données sensibles sont prévues expressément dans le règlement européen sur les données personnelles. Il conviendrait d’étudier l’articulation entre un tel dispositif et les dispositions du règlement européen.

À ce stade, il me paraît trop prématuré de donner un blanc-seing en adoptant ces amendements. En revanche, je suis disposée à travailler avec les personnes intéressées pour étudier l’opportunité et la faisabilité d’un dispositif permettant d’avancer sur ce sujet.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 179 rectifié ter et 296 rectifié ter.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L'amendement n° 542 rectifié bis, présenté par Mme Laborde, MM. Requier, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve et Malherbe et MM. Mézard et Vall, n'est pas soutenu.

L'amendement n° 587, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l'article 33 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires :

1° À la mise en conformité de la législation française à la proposition 2012/2011/COD de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données), ainsi que les éventuelles mesures d'adaptation nécessaires pour l’application de cette proposition de règlement ;

2° Pour adapter aux caractéristiques et contraintes particulières des collectivités régies par l'article 73 de la Constitution, les dispositions prises en application du 1° ;

3° Pour adapter à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon les dispositions prises en application du 1° ;

4° Pour étendre, avec les adaptations nécessaires, à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et aux Terres australes et antarctiques françaises les dispositions prises en application du 1°, sous réserve des compétences dévolues à ces collectivités.

Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. J’ai beaucoup parlé du règlement européen relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qui a été adopté tout récemment par l’ensemble des vingt-huit États membres de l’Union européenne et par les institutions communautaires. Il sera applicable dans le courant du second semestre de 2018.

Ce règlement aura pour effet de s’appliquer directement, et donc un certain nombre de dispositions de la loi Informatique et libertés de 1978 deviendront obsolètes ou nécessiteront d’être mises à jour.

Certaines dispositions nationales ont notamment vocation à disparaître du fait de l’effet direct du règlement. En revanche, certains articles du règlement permettent au droit national de prévoir des mesures spécifiques.

La mise en conformité et l’adaptation du droit national soulèvent des questions techniques. Tous les sujets identifiés par le Gouvernement comme relevant de choix liés à l’intérêt général, de choix politiques, ont été inscrits dans le projet de loi pour une République numérique. Cependant, le travail d’adaptation de la loi Informatique et libertés au contenu du règlement européen sera très technique et assez fastidieux.

C’est pourquoi, à travers le présent amendement, le Gouvernement demande au Sénat une habilitation législative pour prendre par voie d’ordonnance les dispositions permettant de finaliser la mise en conformité de la législation française avec le règlement européen.

C’est la méthode que j’avais décrite dès le départ à l’Assemblée nationale. Finalement, c’est une façon proactive d’essayer de construire notre droit, qui est très articulé avec le droit européen sur ces sujets. Nous tentons d’influer sur l’issue des négociations à Bruxelles, parfois avec succès puisque certaines des positions françaises ont été intégrées dans le règlement européen tel qu’il a été adopté.

Nous anticipons, lorsque les marges de manœuvre nous sont données, l’intégration de ce règlement dans notre droit national. Nous allons au-delà lorsque c’est possible, parce que nous y sommes autorisés. Dans ce projet de loi, le Parlement a décidé un travail d’intégration immédiate sur certains sujets, notamment en ce qui concerne les sanctions de la CNIL. Néanmoins, ce travail d’intégration devra être poursuivi sur des points très techniques jusqu’à l’entrée en vigueur effective du règlement européen dans le droit français. Telle est l’objet de cette demande d’habilitation.