Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le numérique méritait un texte de loi dédié à ses nombreux enjeux. Le présent texte était donc attendu.

S’agissant de son élaboration, on peut se réjouir de la méthode utilisée par le Gouvernement, qui a su prendre en compte l’avis d’institutions comme le Conseil national du numérique, la Commission nationale informatique et libertés, la CNIL, ou encore l’Autorité de régulation des communications et des postes, l’ARCEP.

Certains travaux du Sénat ont également constitué des outils de réflexion déterminants.

Par ailleurs, l’élargissement de la consultation aux internautes a été une très bonne initiative. Le numérique appelait en effet ce type de démarche et, comme d’aucuns l’ont souligné lors de nos débats, il est souhaitable que cette expérience soit reconduite à l’avenir pour d’autres textes.

Au demeurant, le groupe UDI-UC regrette l’utilisation, une fois de plus, de la procédure accélérée. Ce regret est peut-être encore plus fondé pour ce texte que pour un autre, en raison de son caractère éminemment technique et des enjeux complexes et essentiels qu’il soulève pour le devenir de nos sociétés.

Cela étant, nos débats ont été riches et des dispositions utiles ont été adoptées sur la reconnaissance d’un certain nombre de droits, sur une plus grande ouverture des données publiques, sur la loyauté des plateformes ou encore sur le droit à l’accès égal au haut débit dans nos territoires.

Le Sénat a ainsi adopté les amendements proposés par la commission du développement durable pour une meilleure couverture du territoire, ce dont nous nous félicitons.

Encore faut-il que cela se traduise concrètement, comme l’a rappelé notre collègue Hervé Maurey.

Des équilibres difficiles ont dû aussi être trouvés : je citerai pour exemple la question de l’ouverture des données scientifiques et de la liberté de panorama.

Je tiens à saluer le travail de ma collègue Colette Mélot, rapporteur pour avis de la commission de la culture, mais aussi celui de nos collègues Jean-Christophe Frassa, Bruno Sido et Patrick Chaize, respectivement rapporteur et rapporteurs pour avis.

Cependant, ce texte reste insuffisant, madame la secrétaire d’État : comme je l’avais déjà déploré lors de la discussion générale, il a été vidé d’une partie de sa substance par d’autres projets de loi antérieurs ou promis à l’agenda gouvernemental.

C’est éminemment regrettable, car les enjeux liés à la mutation numérique, qu’ils soient sociaux, économiques, politiques ou juridiques, nécessitent une approche globale et coordonnée, que justifie pleinement, en outre, le mode de fonctionnement du numérique. L’approche par les usages, caractéristique du texte, manque ainsi d’envergure politique.

Vous le savez, mes chers collègues, l’internet est devenu un terrain d’affrontement mondial ; les questions de cybersécurité, d’intelligence économique et de protection des libertés individuelles sont prégnantes. Cela renvoie à la question de notre souveraineté : il ne s’agit pas de nous refermer sur nous-mêmes, mais d’être pleinement acteurs du cyberespace de demain.

Alors que l’Union européenne tente de dégager le surplus de croissance que laisse espérer le numérique, le Gouvernement devrait développer une approche plus stratégique et politique, comme l’ont fait d’autres pays tels que les États-Unis, la Russie, la Chine ou l’Allemagne.

Pourquoi croyez-vous que les États-Unis ont, dès le début des années quatre-vingt-dix, voté des dispositions fiscales et législatives, si ce n’est pour gagner le leadership de ces nouvelles technologies ?

Ces principes ont inspiré nos amendements, comme ceux sur le Haut-Commissariat au numérique ou sur les marchés publics numériques. Ils n’ont pas été adoptés, et je le regrette.

Je vous rappelle, mes chers collègues, les missions du Haut-Commissariat au numérique qu’il aurait été essentiel de retenir : mieux coordonner au niveau interministériel les actions technologiques au sein de l’État, veiller à la cohérence des stratégies et des outils mis en place par les administrations, favoriser une meilleure diffusion des savoir-faire stratégiques et participer aux négociations européennes et internationales portant sur les normes et sur la gouvernance des technologies.

La dispersion des responsabilités et des expertises est aujourd'hui préjudiciable. On ne peut pas se satisfaire d’un risque de mainmise – ou de la mainmise – américaine sur nos données publiques les plus sensibles. Or, en confiant aveuglément celles-ci, à l’occasion d’attribution de marchés publics, à des entreprises comme Cisco ou Palantir – je souligne au passage que vous n’avez toujours pas répondu à ma question écrite sur le sujet, madame la secrétaire d’État (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) –, dont les connexions avec les services de renseignement américains sont avérées, on se fragilise.

De même, il est choquant que l’éducation nationale ait passé contrat avec Microsoft sans appel d’offres.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que les Allemands ont désormais pris des dispositions pour que leurs données traitées restent sur le continent.

Une véritable prise de conscience doit donc s’opérer au sein de l’État français et de ses administrations. À cet égard, nous avons eu un débat extrêmement intéressant sur l’utilisation des logiciels libres.

Plus largement, il s’agit de ne pas favoriser les positions dominantes en choisissant, par défaut, de grands prestataires ou des solutions commerciales très répandues dans le cadre de marchés publics ou hors procédure. Je pense au moteur de recherche Qwant, acteur européen très innovant, respectueux de la vie privée et de notre législation en général, qui peine à émerger dans le parc informatique face au géant Google. Là encore, il s’agit pour la France et pour l’Europe d’avoir une ambition et une stratégie industrielle fortes.

La labellisation « French Tech » est positive, mais largement insuffisante.

Je ne me réjouis pas du rachat, voilà quelques jours, de Withings, fabricant d’objets connectés liés à la santé, par Nokia, c’est-à-dire Alcatel. Une fois de plus, et à défaut d’un schéma de développement français et européen du numérique, une de nos pépites nous échappe, et c’est encore un pilotage industriel et financier qui se fera depuis la Californie.

Dans ce contexte, pour que nos entreprises puissent assurer leur existence numérique, je suis satisfaite que certains de mes amendements aient été adoptés, notamment celui qui vise à donner une définition légale des moteurs de recherche, accompagnée d’un renforcement des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence en cas d’abus de position dominante. Cette disposition ne va nullement à l’encontre des nécessaires initiatives européennes en cours, dont le cheminement, vous le savez, mes chers collègues, est toujours très long.

Ces questions sont essentielles, et ce sera ma conclusion. En effet, après le « web 3.0 » ou l’internet des objets, qui va contribuer à faire circuler toujours plus de données liées à nos vies et à nos infrastructures essentielles, arrive le « web 4.0 » ou « web généticiel », qui s’intéresse aux données de notre corps et de notre ADN. Il y a là de vraies interrogations sur le traitement spécifique de ces données, de même que sur le transhumanisme, l’intelligence artificielle ou la réalité augmentée appliquée à l’homme.

Comme l’a dit Joël de Rosnay, « l’Internet, c’est nous, en bien comme en mal ». Aussi prenons la peine de définir ce que nous considérons être les conditions et les critères du développement humain. Un texte comme celui-ci, qui est une somme de dispositions essentiellement techniques, doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur la place réservée à l’homme et sur la construction d’un environnement propice à son épanouissement. La technologie pour la technologie et le progrès pour le progrès ne peuvent sous aucun prétexte être considérés comme des fins en soi.

La question du numérique devant également être appréhendée au niveau européen, c’est cette voix que la France doit porter, sans fatalisme, mais sans angélisme non plus.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, forts de ces réflexions, les élus du groupe UDI-UC voteront ce texte, dont nous partageons l’esprit et les objectifs. Il est certes perfectible, mais il a déjà été largement amélioré. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous félicitons tout d’abord de la qualité des débats et de la pédagogie qui les a accompagnés, parfois même de façon un peu excessive… Nos échanges ont été intéressants, et je veux saluer votre disponibilité, madame la secrétaire d’État.

Nous nous réjouissons, car nous sommes passés d’un débat qui aurait pu être technique à un vrai débat politique. En effet, aborder le numérique, ce n’est pas seulement traiter de questions techniques. C’est aussi, et peut-être même avant tout, parler d’enjeux éminemment politiques.

Ces enjeux requièrent une approche et une réponse équilibrée : équilibre entre une ouverture totale des données, dans l’esprit de liberté d’internet, et une approche plus qualitative, équilibre entre la gratuité et la redevance, équilibre entre un axe sécuritaire, comme l’ont illustré les débats sur la loi relative au renseignement, et une approche libérale – sur ce dernier point, le refus de déverrouiller l’accès au code source est symptomatique.

Ces débats nous ont confortés dans la conviction que ce projet de loi ne posait pas complètement les bases d’une République numérique. Il organise ou, plutôt, accompagne ce que certains auteurs ont appelé « la mise en données du monde ». Cette mise en données risque aussi de menacer des libertés fondamentales et d’accroître la fragilité de l’usager-consommateur. Malheureusement, le projet de loi, dans son volet protection des personnes, qu’il s’agisse d’usagers ou de consommateurs, n’est pas à la hauteur des enjeux.

Les débats autour des articles 23 et suivants ont mis en lumière la vacuité des dispositions invitant les plateformes à l’autorégulation, à l’adoption de bonnes pratiques encadrées a minima par l’État.

Encore une fois, nous regrettons que l’aspect fiscalité et économie du numérique n’ait pas été abordé et que la question de la réciprocité des plateformes en termes d’ouverture de leurs données n’ait pas été effleurée.

L’ouverture envisagée dans ce projet de loi renforce de notre point de vue les modèles économiques des multinationales et ne les encadre en rien.

Il est vrai que l’ouverture des données permet une certaine transparence, et donc un renforcement de la démocratie. Mais nous assistons à un phénomène d’hyperinflation qui n’épargne pas les données personnelles, lesquelles devront aussi être publiées, pour peu que cela ne porte pas atteinte à la vie privée. Nous ne reviendrons pas sur les limites des processus d’anonymisation, et nous regrettons ce glissement, qui avait été refusé à l’Assemblée nationale, où, d’une certaine manière, la notion de données personnelles avait été sanctuarisée.

Pour les parlementaires du groupe CRC en effet, dès lors que l’on promeut l’utilisation des données de masse, ce que fait ce projet de loi, il devient nécessaire d’assurer la protection des citoyens contre la prédominance de certains acteurs du marché. Malheureusement, de ce point de vue, le texte n’est pas assez ambitieux.

À cet égard, le vote de notre amendement sur l’obligation de stockage des données sur le territoire européen est une bonne chose, un signal fort. Mais nous ne sommes pas naïfs : nous avons conscience que l’article 56 du projet de traité transatlantique en cours de négociation prévoit l’interdiction de ce type d’obligation. Nous espérons que la France saura porter cet impératif auprès de ses partenaires européens dans la négociation.

De même, l’affirmation d’une neutralité inconditionnelle d’internet est pour nous un impératif incontournable. Sans revenir sur des points que nous avons déjà développés, je voudrais ajouter un élément, en reprenant les réflexions de mon collègue Patrick Abate.

L’indépendance des entreprises de presse en France est incontestablement remise en cause aujourd’hui, avec la mainmise d’une poignée d’hommes d’affaires issus du monde de la finance et de l’industrie.

Quand des opérateurs de téléphonie rachètent des journaux, peut-on parler de neutralité du net ? Quand SFR propose dans ses abonnements un accès gratuit aux journaux détenus par le groupe Altice, peut-on se retrancher derrière l’argument du droit européen ? Nous ne le pensons pas.

La question de la neutralité, comme vous pouvez le voir, mes chers collègues, n’est pas anodine : il y va, tout simplement, de la liberté de la presse.

Les débats ont permis des avancées incontestables, nous ne le nions pas. Je pense notamment à la disparition de la notion de secret des affaires, à la prise en compte de l’accessibilité des personnes en situation de handicap ou de pauvreté, ou encore à la lutte contre la cyberviolence.

Toutefois, le logiciel reste le même. C’est particulièrement vrai du volet aménagement du territoire, où aucun effort financier particulier n’est à noter. Sur le déploiement des réseaux, nous restons dans une logique de socialisation des pertes et de privatisation des profits.

Au final, des questions restent en suspens : veut-on utiliser les outils numériques pour simplifier l’administration et faire des économies d’échelle, ou veut-on au contraire investir pour mener un véritable progrès social ? Ce projet de loi, de notre point de vue, ne répond pas à la question.

Enfin, il est impossible d’appréhender ce texte sans garder à l’esprit le volet numérique et commerce électronique des négociations en cours sur le traité transatlantique. Ce traité, si nous n’y prenons garde, renforcera la réalité de la dérégulation financière, de l’évasion fiscale, de la surveillance tous azimuts, de la marchandisation des données personnelles et de l’éducation via les plateformes de formation.

De même, nous devons être conscients que le secteur du numérique ne dispose pas encore des contre-pouvoirs sociaux que l’on rencontre dans l’agriculture, l’industrie ou le domaine artistique. Ici, seules les entreprises s’expriment. C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, comme nous l’avions dit dans la discussion générale, nous attendions plus d’ambition d’un projet de loi au titre pourtant prometteur.

En conclusion, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen s’abstiendront sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la secrétaire d’État, j’ai la conviction que cette loi, votre loi, sera une grande loi de la République. En effet, pour la première fois, vous avez fait le choix d’aborder l’ensemble du champ de réflexion qu’appelle cet enjeu considérable du numérique.

D’aucuns ont affirmé haut et fort que la sphère du numérique n’était pas un objet de droit, mais plutôt le lieu du non-droit, que l’on pouvait tout faire dans le cyberespace, qu’il n’y avait pas de droits d’auteur, pas de propriété intellectuelle, pas de respect des données personnelles, pas de protection de la vie privée.

Eh bien, avec cette loi, nous montrons que le droit existe partout, y compris dans le domaine du numérique. Mais, en même temps, nous prenons en compte le fait qu’il ne suffit pas de plaquer certaines règles dans la sphère du numérique pour régler les problèmes.

Nous sommes interpellés et nous devons créer du droit nouveau. C’est ce que nous avons essayé de faire, mes chers collègues, et je crois que ce texte sortira très enrichi du travail du Sénat dans son ensemble.

M. Robert del Picchia. Et du rapporteur !

M. Jean-Pierre Sueur. Ne soyez pas impatient, mon cher collègue, j’y viendrai à la fin de mon intervention ! (Sourires.)

Qu’il me soit permis, en attendant, de saluer les membres de notre groupe qui ont beaucoup œuvré pour introduire des points nouveaux dans ce texte, en particulier Yves Rome, Pierre Camani, Jean-Yves Leconte, Dominique Gillot, David Assouline, François Marc, et de nombreux autres de nos collègues qui ont déposé des amendements retenus par le Sénat.

Beaucoup de points me semblent positifs dans les apports du Sénat.

Je pense tout d’abord à la suppression du secret des affaires, notion mal définie qui pouvait à juste titre soulever des craintes quant au respect du droit à l’information. Sa suppression est une bonne chose, même si nous avons, bien entendu, maintenu le respect des informations économiques et financières, des stratégies industrielles, du droit à la concurrence.

Nous avons aussi pu inscrire dans le texte la promotion du logiciel libre auprès des administrations. Cette grande avancée, que nous avons proposée, a été soutenue par la majorité du Sénat.

Enfin, toujours parmi les aspects très positifs, je veux souligner, sans pouvoir développer, la mention de la souveraineté numérique – elle n’est pas neutre, tant s’en faut –, l’ouverture aux décisions de justice, qui deviennent plus facilement accessibles, la protection des lanceurs d’alerte, grâce en particulier à une coopération avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, la répression de la vengeance sexuelle, la lutte contre le cyber-harcèlement – je souligne à ce sujet le travail de Roland Courteau –, la prise en compte du coffre-fort numérique et de l’identité numérique, ou encore l’encadrement des jeux en ligne – nos amis de la commission des finances ont beaucoup œuvré sur cette question.

Je veux souligner aussi des avancées quant à la téléphonie mobile dans les zones rurales…

M. Alain Bertrand. Ça ne passe toujours pas en Lozère !

M. Jean-Pierre Sueur. … et au pouvoir d’injonction confié à l’ARCEP.

Enfin, ce texte est aussi un grand texte en ce qu’il fonde un droit universel à l’accessibilité au numérique pour toutes les personnes qui souffrent d’un handicap – c’est une grande avancée, à laquelle Mme Gillot a beaucoup contribué.

Bien sûr, il reste des points sur lesquels il faut encore à notre sens avancer.

Nous voudrions ainsi que la consultation citoyenne que vous avez menée avec bonheur sur ce texte, madame la secrétaire d’État, puisse s’étendre à d’autres textes, avancée qui n’a pas encore été possible.

L’action de groupe, le droit pour les associations de se constituer parties civiles et la communication des normes AFNOR n’ont pas été retenus, et nous le regrettons.

Enfin, pour les scientifiques et universitaires de notre pays, nous pensons que c’est une grande erreur de ne pas avoir retenu le procédé DTM d’extraction des données dans les textes scientifiques, qui est réclamé par tous les chercheurs de ce pays. Si nous maintenions cette position, nous les mettrions en difficulté par rapport à leurs collègues étrangers.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur. De même, nous pensons qu’une avancée est nécessaire sur la question du devenir des données après le décès des personnes.

Mes chers collègues, nous escomptons que la commission mixte paritaire autorisera ces nouvelles avancées, et qu’elle permettra aussi de parfaire encore le texte.

En conclusion, mes chers collègues, nous voterons bien entendu ce projet de loi, avec confiance, et très chaleureusement.

Enfin, pour tenir ma promesse, je tiens à remercier M. le rapporteur Christophe-André Frassa. (Ah ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

En effet, alors que celui-ci avait menacé pendant un temps de consacrer la suppression du mot « République » de l’intitulé, il a accepté hier soir que le texte conserve son intitulé initial, parce que nous sommes tous d’accord pour qu’éclatent dans le numérique, comme partout ailleurs, les valeurs et les principes républicains ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

Ouverture du scrutin public solennel

M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi pour une République numérique, dans le texte de la commission, modifié.

Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.

Je remercie nos collègues Colette Mélot, Jean Desessard et Claude Haut, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je déclare le scrutin ouvert et je suspends la séance jusqu’à seize heures trente, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Proclamation du résultat du scrutin public solennel

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 213 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 323
Pour l’adoption 322
Contre 1

Le Sénat a adopté.

La République est numérique ! (Bravo ! et applaudissements.)

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, chargée du numérique. Mesdames, messieurs les sénateurs, merci à tous pour votre confiance. La République sera numérique ou ne sera pas, avais-je dit : grâce à vous, elle sera !

Au passage, qui est celui qui a voté contre ?… (Rires.)

Plus sérieusement, je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que tous ceux de vos collègues qui ont présidé des débats qui ont été longs et parfois très techniques. Le coût d’entrée dans le numérique peut être élevé !

Merci également aux présidents de commission, qui ont suivi ce texte de très près, ainsi qu’à tous les rapporteurs, Christophe-André Frassa, Philippe Dallier, Patrick Chaize, Colette Mélot et Bruno Sido.

Merci à tous les sénateurs qui ont participé au débat, quelles que soient les travées où ils siègent.

Merci aussi au service de la séance.

Les uns et les autres, vous avez peut-être découvert une attitude un peu moins protocolaire qu’à l’habitude, attitude qui ne s’en accompagne pas moins d’un immense respect pour le Parlement et pour votre institution.

J’ai trouvé ces débats très agréables, très constructifs. Au Sénat, on a un peu le sentiment que le temps s’arrête, alors que le temps du numérique accélère sans cesse. Cependant, pour prendre la mesure des enjeux économiques, sociaux et sociétaux du numérique, qui concernent le village le plus rural comme la gouvernance la plus globale, il faut parfois pouvoir prendre du recul et appuyer sur le bouton « pause ». C’est ce que nous avons fait tous ensemble à l’occasion de ce débat.

Les questions sous-jacentes structurelles très fondamentales qui ont été posées ont trouvé des réponses équilibrées. Faut-il des logiciels libres ou des logiciels propriétaires ? Faut-il une ouverture ou une fermeture ? Faut-il du local ou du global ? Faut-il choisir l’échelle du territoire, de la nation, de l’Europe ou de l’international ? Faut-il réguler ou laisser faire ? Faut-il rassembler, inclure ou diviser de nouveau ? Faut-il protéger l’acquis ou préparer l’avenir ?

La réponse collective que vous avez donnée a été oui à l’avenir, oui à la préparation de demain. Vous avez dit non au lobby de l’impuissance publique qui voudrait que, parce qu’il s’agit du numérique, il n’y ait pas de place pour la politique, que parce qu’il s’agit du numérique, il faudrait rester passif et renoncer à agir.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Vous avez donc donné une réponse politique à toutes ces questions, et je vous remercie du fond du cœur de votre confiance. Grâce à vous, la République avance ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Secrétaire :

M. Jean Desessard.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
 

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges nos valeurs essentielles, notamment le respect des uns et des autres, ainsi que celui du temps de parole, dont je suis le gardien.

Je saisis cette occasion pour excuser M. le Premier ministre, retenu à l’Assemblée nationale par l’examen du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.

partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (i)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Didier Guillaume. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Elle concerne le traité transatlantique. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Depuis très longtemps, les pays de l’Union européenne débattent, discutent, essaient de négocier un traité ayant pour objectif d’améliorer les échanges entre les États-Unis et l’Europe, afin de soutenir la croissance et la création d’emplois. Or force est de constater aujourd’hui que le compte n’y est pas.

Depuis 2012, le Gouvernement travaille. Je tiens à saluer notre collègue Nicole Bricq, qui, avant vous, monsieur le secrétaire d’État, avait entamé les discussions au nom du Gouvernement. C’est maintenant vous qui défendez avec brio la position de la France.

Nous devons nous demander s’il faut interrompre ces discussions. Je n’emploie pas le mot « négociations » puisque, trop souvent malheureusement, les oukases qui nous sont présentés font qu’il n’y a justement pas de négociation, mais plutôt des décisions qui pourraient nous être imposées.

Notre groupe estime que, si nous devons poursuivre ces discussions, il faut poser des conditions.

La première condition, qui nous semble essentielle, est celle de la transparence. À l’heure de la mondialisation, au moment où l’on parle partout d’open data, il est absolument inacceptable, inadmissible, que l’on ne puisse pas avoir accès à ce traité, sinon de façon très confidentielle. Les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Il faut donc que le gouvernement de la France pose cette première condition à la poursuite des discussions.

La deuxième condition, c’est un équilibre en termes culturels, économiques, agricoles. Il n’est pas possible que la France soit aujourd’hui à ce point dénigrée !

M. Didier Guillaume. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous rappeler clairement la position du Gouvernement ?

J’ai écouté attentivement les déclarations de M. le Président de la République et de vous-même, ce matin : faut-il, oui ou non, arrêter ces négociations ? En tout cas, en l’état actuel des choses, nous pensons que ce traité ne peut absolument pas être signé ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Monsieur le sénateur, je sais que vous êtes très impliqué sur ce sujet, comme l’ensemble de votre groupe politique (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), et comme d’ailleurs l’ensemble des groupes de la Haute Assemblée. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

J’ai eu de nombreuses occasions de m’exprimer sur cette question devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que ce soit en séance publique ou lors de réunions de commission, et vous avez adopté de nombreuses résolutions et signé de nombreux textes afin de faire le point sur ce sujet.

Vous avez eu parfaitement raison, monsieur Guillaume, de rappeler l’impératif catégorique de transparence des négociations commerciales. Il n’est plus possible de négocier derrière des portes closes : les citoyens sont concernés au premier chef par ces négociations, ils ont le droit de savoir et ils doivent donc avoir accès aux informations.

À la demande de la France, les parlementaires ont accès, depuis le début de cette année, aux documents de négociation, mais ce n’est pas suffisant, car les conditions de consultation de ces documents sont trop restrictives. Je suis favorable au recours à l’open data sur un tel sujet. En effet, il ne s’agit plus simplement de discussions tarifaires, mais de discussions sur les normes. Ces discussions concernent les citoyens, et ils doivent donc avoir accès à tout !

M. Marc Daunis. Très bien !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. De la même manière, les lignes rouges de la France sont connues. Le Président de la République les a rappelées avec force.

Nous défendons notre agriculture. C’est l’objet de la diplomatie des terroirs que je mène avec Stéphane Le Foll pour défendre nos secteurs productifs, nos indications géographiques et nos appellations.

Nous sommes favorables à ce que nos PME puissent travailler avec les États-Unis et avoir accès au marché américain, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

En outre, nous souhaitons des règles communes sur la finance et sur la question des services.

Sur aucune de ces questions, les conditions ne sont aujourd’hui réunies. Voilà plus de dix-huit mois que je construis la stratégie française en la matière, et celle-ci n’a jamais varié. Le Président de la République a affirmé ce matin, de manière forte et précise, qu’en l’état, pour la France, c’était non ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)

partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (ii)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

Mme Sophie Joissains. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

Le traité que Didier Guillaume vient d’évoquer nourrit des inquiétudes fort légitimes, à tous les niveaux. En effet, la vie économique de l’Europe et de la France, notre vie quotidienne et de nos choix de société pourraient s’en trouver totalement bouleversés.

L’objectif revendiqué de la Commission européenne est pourtant une harmonisation respectueuse et équilibrée des normes. Cela suppose de la confiance. Cela suppose de la transparence.

La transparence, vous venez d’en parler, monsieur le secrétaire d’État. De transparence, il n’y en a pas ! Les journaux bruissent d’une actualité dérobée : est-elle juste, fantasmée ? Comment savoir ?

Les parlementaires nationaux sont bafoués. Vous avez parlé de la possibilité de consultation qui leur était ouverte. Il faut savoir qu’il s’agit d’un simulacre de consultation : chapitres choisis, temps limité, pas d’accompagnant !

Cette consultation – et c’est là le point crucial – se fait sur le texte juridique et technique original en langue anglaise, sans que l’on ait droit à l’aide d’un dictionnaire et, encore moins, d’un traducteur. Combien d’entre nous parlent anglais couramment ? (Marques d’approbation.) Combien d’entre nous sont des juristes anglophones ?

Mme Sophie Joissains. Comprendre les finesses et les implications d’un traité dans sa propre langue suppose déjà d’être un spécialiste de bon niveau !

Vous avez parlé des citoyens, monsieur le secrétaire d’État, mais je trouve dommage que vous n’ayez pas parlé de leurs représentants, c’est-à-dire des parlementaires, et des conditions qui leur sont offertes. Il n’y a là ni consultation ni transparence, mais un simulacre. Or le pire, avec ce simulacre, est que l’on pourra dire que nous avons été consultés, comme vous venez de le faire, monsieur le secrétaire d’État.

J’ai demandé au président du Sénat, Gérard Larcher, de faire en sorte qu’une consultation digne de ce nom soit organisée à l’intention de l’ensemble des parlementaires qui souhaiteraient s’impliquer. Mais en a-t-il le droit ? La Commission européenne et les États-Unis lui laissent-ils seulement la possibilité ?

La population est inquiète et les autres États membres commencent à s’agiter. Je demande donc au Gouvernement quelle est sa position face à ce simulacre de consultation des parlementaires, à ce mépris affiché pour l’État français et pour les parlementaires nationaux.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Sophie Joissains. Comment pense-t-il intervenir, le cas échéant, pour rétablir enfin une situation acceptable ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Madame la sénatrice, vous interpellez le Gouvernement sur la transparence, qui est effectivement un sujet essentiel dans ces négociations.

Sur demande de la France, relayée par d’autres États membres, nous avons obtenu, à la fin de 2014, la transparence sur le mandat de négociation. C’était déjà une demande de mes deux prédécesseurs, Nicole Bricq et Fleur Pellerin, et nous avons obtenu une réponse positive alors que l’Italie assurait la présidence de l’Union.

J’ai réformé le comité de suivi stratégique que Mme Bricq avait mis en place, alors à Bercy et qui relève maintenant au Quai d’Orsay, puisqu’il s’agit de diplomatie économique, afin qu’il puisse recevoir les parlementaires qui travaillent sur ce sujet, ainsi que les représentants de la société civile, des syndicats et des ONG, et leur rendre régulièrement des comptes.

Depuis le début de cette année, les parlementaires ont accès à l’ensemble des textes, dans des conditions il est vrai trop restrictives – le Gouvernement en convient tout à fait –, mais les règles internationales nous contraignent aujourd’hui sur ce point.

Je suis favorable à ce que ces documents soient disponibles en open data, pour que tout le monde ait accès à l’ensemble des informations. Je rappelle que, au Sénat, un groupe de travail spécifique sur le traité transatlantique a été mis en place, sous la présidence de M. Jean-Claude Lenoir. Par ailleurs, l’ensemble des groupes politiques s’impliquent et votent des résolutions sur ce sujet, souvent à l’unanimité.