compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

MM. Jean Desessard,

Claude Haut,

Mme Colette Mélot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures quinze.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Intitulé du projet de loi (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Explications de vote sur l'ensemble (début)

République numérique

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (projet n° 325, texte de la commission n° 535, rapport n° 534, tomes I et II, avis nos 524, 525, 526 et 528).

Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

Explications de vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps de parole attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour le groupe écologiste.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi pour une République numérique est un texte structurant et de grande importance pour notre avenir.

Sur la base d’une méthode originale, les avis ont été confrontés.

En amont, à l’Assemblée nationale, un groupe d’études spécialisé, composé à parité de députés et de personnalités qualifiées, a commencé à « plancher » un an avant l’examen du texte.

Après une consultation sur internet, le texte a été enrichi par de très nombreuses contributions.

Les travaux du Sénat furent suivis en temps réel par des universitaires, des étudiants, des militants des formats libres et ouverts, et par de nombreux collectifs et associations, en plus des internautes qui nous regardent habituellement. Que tous soient ici salués pour leurs contributions.

Cette méthode a permis de montrer au grand jour nos méthodes de travail.

Le Sénat a pris le temps d’une réflexion longue et argumentée. Je tiens à remercier ici les présidents des commissions, notamment le président de la commission des lois, le rapporteur et les rapporteurs pour avis.

De très nombreux sénateurs ont travaillé sur le texte, en commission, puis en séance.

D’une société où la propriété primait, nous arrivons aujourd’hui dans une société où les usages collaboratifs sous leurs différents aspects s’imposent. Dans ce nouveau paradigme, la loi doit à la fois protéger et favoriser les innovations et évolutions en cours. L’exercice est difficile.

Il est des lois qui ont entériné des changements de mœurs et des attentes sociales. Je pense à la contraception, à l’avortement, au droit au mariage pour tous…

En l’espèce, nous devons inventer les règles qui aident à déployer, à diffuser le numérique, sur la base d’orientations qui traceront un cap pour l’avenir. C’est compliqué techniquement, juridiquement et, parfois, éthiquement. Nous avons ainsi eu un passionnant débat sur la mort numérique : doit-elle s’aligner sur la mort vraie ou doit-on la traiter différemment ?

Nous devons, non pas détruire des modèles économiques existants, mais permettre leur évolution via et avec le numérique, et créer les conditions d’une société inclusive avec moins d’inégalités territoriales.

Nous devons aussi rassurer nos concitoyens et concitoyennes, alors que des lieux d’habitations manquent d’une couverture réseau efficace pour les mobiles : comment croire à la promesse des progrès du numérique si l’on se sent exclu techniquement ?

Le numérique est à la fois un bien commun, une promesse et un marché.

Comment anticiper les techniques et les usages que nous ne connaissons pas encore ?

Oui, la libération ou l’ouverture des données publiques, autrement dit l’open data, va créer des opportunités, ainsi que des entreprises et des emplois. Dans le même temps, une politique globale qui préserve les services publics est vitale.

Nous ne devons pas être transformés, dans le monde numérique, en une colonie des GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon. Les enjeux de souveraineté et de sécurité sont très importants. Je veux mentionner, à ce sujet, l’excellent rapport de notre collègue Catherine Morin-Desailly sur les enjeux d’une gouvernance du numérique à l’échelle européenne.

Pour la commission mixte paritaire à venir, plusieurs points appellent notre vigilance.

La mention « si possible », qui s’applique au standard de la publication, ne nous satisfait pas pleinement. Si nous laissons les administrations mettre à disposition les données publiques dans le format qu’elles utilisent habituellement, nous risquons d’atteindre plus lentement l’objectif de réutilisation de ces données.

Ensuite, pourquoi avoir limité la communicabilité des codes sources ? Les entreprises chargées d’une mission de service public dans un secteur exposé à la concurrence ne sont pas tenues de les communiquer. Il convient, selon nous, de revenir à une ouverture plus large.

Enfin, la notion de secret des affaires ne doit pas être introduite dans un texte de ce type : ce serait sonner la fin de l’open data.

L’accès en open data accordé à la jurisprudence judiciaire et à la jurisprudence administrative va dans le bon sens et doit être préservé.

Tout comme les artistes et créateurs, nous sommes soulagés que l’exception de panorama ait pu garantir un certain équilibre. La diffusion des photos de bâtiments ou de sculptures protégées par le droit d’auteur a été réservée aux seuls particuliers, à l’exclusion de tout usage commercial.

Enfin, hier, un statut de joueur professionnel de jeux vidéo a été créé. Nos collègues André Gattolin et Jérôme Durain l’ont défendu avec conviction et brio. La majorité sénatoriale a décidé de proposer l’expérimentation. Peut-être aurait-on pu trouver une voie pérenne. Néanmoins, je tiens à dire que les joueurs vidéo, qui sont très nombreux à nous regarder, semblent satisfaits.

M. Hubert Falco. Très bien !

Mme Corinne Bouchoux. En revanche, nous regrettons vivement, pour les chercheurs et la recherche, la frilosité du Sénat concernant la fouille de textes et de données, appelée aussi TDM. Visiblement, sur ce sujet, certains ont été plus entendus que d’autres…

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. C’est vrai !

Mme Corinne Bouchoux. Si nous avons compris les enjeux en présence, nous regrettons également qu’un amendement relatif aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, les VTC, n’ait pu être adopté dans le cadre du présent projet de loi.

Selon nous, il convient de préserver les équilibres qui ont pu être trouvés. Soyons vigilants, mes chers collègues. Si l’on ouvre d’un côté en fermant de l’autre, nous irons à l’encontre d’une réelle politique d’ouverture et de réutilisation des informations publiques.

De nombreuses avancées ont été adoptées. Le débat a été de qualité. Le Sénat a enrichi le texte. Même si toutes les mesures adoptées ne vont pas dans le sens que nous souhaitions, nous nous félicitons qu’elles soient intervenues après un dialogue très long et très pédagogique, avec des experts et des passionnés.

Notre débat a permis la création de nouveaux droits pour les citoyennes et les citoyens. Je pense notamment à l’avancée historique réalisée au profit des personnes en situation de handicap.

Le projet de loi pour une République numérique est plus que nécessaire et bienvenu ; il répond de manière significative aux attentes de nos concitoyens, qu’il s’agisse de citoyens actifs, d’amateurs d’internet, de passionnés du numérique, de journalistes, d’associations ou d’entreprises qui y voient une promesse.

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste apportera son soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du groupe CRC et sur quelques travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, internet bouleverse l’organisation de notre société et, face à ces évolutions, il faut que la France reste à la pointe du progrès.

Dans son principe, ce projet de loi est donc positif.

En revanche, il comporte une lacune regrettable, dans la mesure où il ne prévoit rien pour protéger nos concitoyens face à l’hégémonie d’internet.

En effet, le Gouvernement pratique une politique de rouleau compresseur afin d’imposer une véritable dictature de l’économie numérique et d’internet, au détriment des libertés de nos concitoyens. Il ne tient absolument compte ni des personnes modestes, qui sont laissées au bord de la route par le développement de l’informatique, ni des personnes âgées qui continuent de vivre selon les anciens schémas de fonctionnement.

Ainsi, par plusieurs décisions récentes, le Gouvernement a imposé unilatéralement une organisation et des rapports administratifs exclusivement basés sur la dématérialisation et sur l’obligation de passer par internet. En cela, il marginalise complètement certains de nos concitoyens, sans aucun égard pour leurs difficultés à s’adapter aux évolutions. Je citerai deux exemples.

Le premier exemple est l’obligation de déclarer ses impôts par internet, alors même que de nombreux contribuables souhaitent pouvoir continuer à utiliser le système traditionnel de déclaration. Cette exigence crée des difficultés inextricables pour ceux des contribuables qui, n’ayant pas une habitude suffisante de l’informatique et d’internet, ne parviennent pas à répondre correctement aux nouvelles exigences.

Le second exemple est la décision du Gouvernement de généraliser au plus vite les paiements dématérialisés par carte bancaire ou par virement, à la place des paiements traditionnels en liquide. On nous dit que l’abaissement de 3 000 à 1 000 euros du seuil maximum de paiement en liquide serait justifié par la lutte contre le terrorisme. C’est faire preuve d’une mauvaise foi absolue, car personne ne nous fera croire qu’un terroriste qui achète une Kalachnikov se fait rédiger une facture et qu’il faut l’obliger à payer par carte bancaire !

De même, je ne vois pas pourquoi l’obligation de payer progressivement tous les impôts de manière dématérialisée faciliterait la lutte contre le terrorisme.

En conclusion, je tiens donc à déplorer que, par tous les moyens, la technocratie galopante veuille imposer un mode de vie et un mode de fonctionnement à nos concitoyens. Cela relève d’une immixtion inadmissible dans les choix personnels de chacun. C’est ce que j’appelle la dictature d’internet, et je ne suis absolument pas d’accord avec cette façon d’agir.

Il est urgent qu’une loi soit votée par le Parlement pour protéger les libertés individuelles face à cette hégémonie tentaculaire sur la vie privée des uns et des autres.

M. le président. Il va falloir conclure !

M. Jean Louis Masson. Par exemple, chacun de nous doit avoir la possibilité de déclarer ou de payer ses impôts soit par les moyens traditionnels, soit par le biais de l’informatique et de l’internet. Je ne peux donc en aucun cas cautionner ce projet de loi.

M. Dominique Bailly. On s’en doutait !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi a été l’occasion de débats nourris sur des sujets variés découlant de la révolution numérique qui s’opère dans notre société et qui la transforme.

En tant que législateur, nous avons été confrontés à une question récurrente : le droit existant permet-il d’encadrer ces pratiques ou faut-il adopter des dispositions spécifiques ?

L’émergence de nouvelles techniques de communication réactive souvent de vieilles controverses du droit des personnes. Au sein du groupe du RDSE, nous avons particulièrement veillé à ce que la promesse de publication des données publiques préserve l’intimité de la personne et les secrets légalement consacrés.

Nous avons cependant pris garde à ne pas adopter une posture de méfiance viscérale et orwellienne. Le progrès technique est une chance pour tous, pour nos territoires et pour tous les Français. Le numérique peut et doit devenir le support d’un progrès social, à condition qu’il soit adossé à des institutions et à un cadre juridique adéquats.

À l’évidence, nous partageons cette vision avec vous, madame la secrétaire d’État, et nous tenons à saluer votre engagement et la qualité de vos réponses, toujours fournies et argumentées, qui ont permis à ce débat de tenir toutes ses promesses.

L’examen du projet de loi par notre Haute Assemblée a ainsi permis d’apporter des solutions à de nombreux conflits nés des tensions, que je viens d’évoquer, entre notre héritage juridique et de nouvelles pratiques numériques, régies par des normes numériques parfois incompatibles.

Nous regrettons cependant que le texte issu de la séance publique demeure laconique sur certains aspects essentiels ; j’y reviendrai.

En plus de clarifier le régime de la publication des données publiques, dans le respect des exigences fixées par la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés de 1978, le projet de loi a été enrichi d’un ensemble de dispositions apportant des solutions de droit à des situations conflictuelles nées de nouvelles pratiques numériques.

Comme nous le souhaitions, plusieurs activités novatrices et vectrices de tensions ont été encadrées, afin de permettre leur développement dans un cadre respectueux des opérateurs en place, sans céder à l’illusion selon laquelle la nouveauté serait toujours synonyme de progrès et l’ancien modèle voué, par nature, à disparaître. Les choses sont loin d’être aussi simples. Il s’agit, par exemple, des locations immobilières en ligne, qui pourront faire l’objet de notifications aux autorités communales dans les communes où le marché du logement est en tension.

Le régime de la liberté de panorama a également été affiné pour permettre aux internautes de publier des photographies d’œuvres architecturales, dans le respect des droits des architectes et des concepteurs. Il est nécessaire que la créativité de tous les individus de la « société numérique » soit préservée, celle des internautes comme celle des artisans et des professionnels.

Nos débats ont également permis de satisfaire les attentes du groupe du RDSE concernant la régulation d’internet.

Jusqu’à présent, ce gigantesque réseau a fonctionné selon ses propres normes, intégrant les algorithmes de hiérarchisation de l’information définis par les moteurs de recherche de la Silicon Valley. Les principes de liberté et d’égalité de ses contributeurs ont facilité l’innovation, grâce à l’accélération de la circulation de l’information et la mise en commun des savoirs.

Cependant, internet a aussi détruit des carrières et des vies, en servant de réceptacle aux harcèlements anonymes, exhibant des individus jusque dans leur plus grande intimité. L’anonymat facilite aussi la diffusion des théories du complot les plus rocambolesques et de propos haineux. On le sait, sur internet, on trouve le meilleur et le pire !

Au groupe du RDSE, nous sommes particulièrement attachés à assortir la liberté de l’internaute d’une plus grande responsabilité. C’est pourquoi nous avons obtenu de mieux encadrer les conditions de dépôt d’avis en ligne.

Nous nous félicitons également de la protection relative qui a été trouvée à l’issue d’un compromis pour les « hackers blancs », qui contribuent utilement à la mission de service public de sécurisation des sites officiels.

Nous nous contentons également des dispositions adoptées en matière de droit à l’oubli, encore que nous aurions souhaité un peu plus.

Dans le réseau mondialisé, nous considérons que la France doit défendre son identité juridique et sa conception de la liberté d’expression. Nous accueillons donc favorablement l’aggravation du quantum des sanctions que la CNIL peut prononcer à l’encontre des géants du numérique qui tenteraient d’y déroger. Jusqu’à présent, nos institutions n’ont pas été un obstacle à l’innovation numérique, puisqu’un rapport présenté aujourd’hui même au Quai d’Orsay, produit par une agence de conseil britannique et intitulé The soft Power 30, situe notre pays au quatrième rang des puissances influentes en ligne.

Mes chers collègues, malgré la qualité de nos débats, qui ont permis bien des améliorations, les sénateurs de mon groupe considèrent que, sur certains aspects, le projet de loi pourrait être encore complété.

Les dispositions concernant la mise en œuvre du nouveau service public des fameuses « données de référence », notamment les procédures d’anonymisation des données à caractère personnel avant publication, demeurent vagues. Elles sont pourtant essentielles et auraient pu être clarifiées au niveau législatif plutôt que reportées au niveau réglementaire.

Il faut également attirer l’attention sur l’importance de la recherche dans notre société numérique, importance que le projet de loi sous-estime. Nous regrettons ainsi qu’un droit d’embargo minimum ait été maintenu au profit des éditeurs. La recherche est essentielle, et les nouveaux moyens de communication peuvent servir d’accélérateur et de multiplicateur dans de nombreux domaines.

Enfin et surtout, nous voulons insister sur la nécessité de conduire une transition numérique sur l’ensemble de notre territoire. En effet, il est paradoxal que le Gouvernement établisse un plan d’action destiné à promouvoir la construction de réseaux numériques dans des pays étrangers – le plan Développement et numérique – quand on connaît la situation dans laquelle se trouvent nombre de nos territoires ruraux et insulaires en la matière.

Le numérique est une chance pour ces territoires ; il n’est pas question que cette chance ne soit pas saisie ! Associée au phénomène de dématérialisation des relations professionnelles, elle pourrait permettre d’accélérer le repeuplement des territoires isolés et de rééquilibrer la création de richesses sur l’ensemble de notre territoire.

M. Alain Bertrand. L’hyper-ruralité !

M. Jean-Claude Requier. Si nous ne sommes donc pas complètement satisfaits par toutes les dispositions contenues dans le texte issu de nos riches et longs travaux, et même si un trop faible nombre de nos amendements ont été adoptés, nous apporterons notre soutien unanime au projet de loi pour une République numérique, dans sa version aujourd'hui soumise au vote du Sénat. En effet, ce texte constitue un réel progrès législatif : le progrès technique était déjà accompli, mais ce progrès législatif restait à faire. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, oui, la révolution numérique est en marche.

Le numérique et ses usages transforment notre économie, redéfinissent nos espaces publics et privés, construisent le lien social.

Le numérique représente aussi une formidable opportunité de croissance économique.

Pour autant, on ne peut pas véritablement reprendre, s’agissant de ce texte, les mots de Steve Jobs lorsqu’il parlait de « révolution ».

Je veux plutôt citer un esprit tout aussi éclairé en la matière, à savoir notre rapporteur, Christophe-André Frassa (Exclamations amusées.), dont je tiens à saluer le travail : « Sans constituer la révolution qu’annonce son intitulé », ce texte « comporte un certain nombre de dispositions utiles pour assurer une meilleure régulation de la société numérique et pour améliorer la protection des droits des individus. »

Pour autant, et je saisis l’occasion pour remercier également nos rapporteurs pour avis, il était nécessaire que le Sénat renforce l’adaptation du cadre juridique proposé initialement par le Gouvernement afin de respecter nos engagements européens, tout en veillant à ne pas créer plus de risques, s’agissant des droits de nos concitoyens et des entreprises, que de bénéfices pour la société tout entière.

Les travaux de notre Haute Assemblée ont permis une évolution notable du texte.

Très réceptif aux inquiétudes manifestées par les acteurs économiques, le rapporteur avait fixé comme objectif de les rassurer en dissipant leurs craintes – fondées – relatives aux nouvelles obligations en matière d’ouverture des données publiques.

Certains d’entre eux craignaient ainsi que l’anticipation de la réglementation européenne ou la création de nouvelles obligations ne désavantagent nos entreprises par rapport à leurs concurrents européens. Attentif à cette inquiétude, le Sénat a prévu que l’ensemble de ces dispositions entrerait en vigueur en même temps que le règlement européen, afin que nos entreprises ne soient pas lésées par une contrainte que ne subiraient pas encore leurs concurrents européens.

J’en viens à la question du devenir des données personnelles après le décès de l’intéressé, qui est nouvelle dans nos pratiques liées au numérique. Elle permet d’illustrer le degré de « conversion » de nos sociétés à la technologie numérique.

À cet égard, nous avons refusé que la question de la succession numérique soit traitée différemment de la mort numérique, et nous avons voulu nous montrer plus en conformité aux principes qui régissent notre droit de la protection de la vie privée. En effet, il nous est apparu contradictoire de soutenir que les droits sur les données personnelles devaient s’éteindre avec le décès de l’intéressé et, dans le même temps, de permettre leur survie grâce aux directives formulées par le défunt. C’est pourquoi nous avons souhaité ne pas créer de césure entre la succession physique et la succession numérique.

J’en viens à un autre sujet : sensible aux arguments développés par les représentants des personnes sourdes et malentendantes qui militent en faveur du centre relais téléphonique, la commission des lois, dans sa grande sagesse, avait souhaité permettre la création d’un centre relais téléphonique généraliste mettant réellement en œuvre l’obligation d’accessibilité de l’ensemble des services téléphoniques pour toutes les personnes sourdes, malentendantes, sourdaveugles, aphasiques ou handicapées de la communication.

Si nous avons accepté, en séance, la proposition de modification du Gouvernement, c’est parce qu’elle ne revenait pas sur l’essentiel, à savoir la mise en place d’un dispositif couvrant tous les appels, entrants et sortants, concernant les personnes aphasiques et sourdaveugles, sans surcoût, organisé sous le contrôle de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, et conservant le principe de la mutualisation, par l’intermédiaire d’un groupement interprofessionnel. Nous nous satisfaisons de ce grand pas législatif, qui permet de concilier les positions des différentes parties prenantes et de faire enfin progresser l’accessibilité.

Par ailleurs, je veux saluer le travail de notre collègue Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui a assigné deux priorités aux travaux du Sénat en la matière, à savoir l’accélération du déploiement des réseaux fixes à très haut débit et l’amélioration de la couverture mobile.

Élu d’un département rural et connaissant les difficultés rencontrées par nos concitoyens dans ces zones souvent mal couvertes, je fais partie des nombreux sénateurs à qui il apparaissait fondamental de ne pas écarter la dimension territoriale de l’outil numérique.

Ainsi, le Sénat a judicieusement simplifié la création d’un syndicat de syndicats pour la commercialisation des réseaux publics, renforcé le rôle de l’ARCEP dans la mise en œuvre du statut « zone fibrée », de manière à accélérer la transition du cuivre vers la fibre optique, et créé une contribution de solidarité numérique afin de pérenniser le financement des réseaux déployés par les collectivités territoriales et renforcer la péréquation entre zones urbaines et zones rurales.

J’en viens à la délicate question du juste équilibre qu’il convient de maintenir entre le respect de la propriété intellectuelle et le développement de la recherche publique, dans un contexte où le numérique modifie les pratiques en profondeur.

Cet équilibre, qui aura nécessité toute l’habileté de notre collègue Colette Mélot, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, est le résultat d’un compromis entre les intérêts des parties. Il n’a certes pas été aisé à trouver, la liberté des uns ne devant pas entraîner de trop lourds inconvénients pour les autres.

Enfin, je tiens à souligner l’apport de notre collègue Michel Magras sur la partie du texte concernant les problématiques propres à l’outre-mer,…

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Très bien !

M. Mathieu Darnaud. … en particulier son amendement sur les surcoûts liés à l’itinérance ultramarine des clients installés en outre-mer, qui a été adopté.

C’est pour ces raisons et grâce à l’apport du Sénat, aiguillé par l’impressionnant travail réalisé par Mme et MM. les rapporteurs, que les membres de mon groupe voteront ce projet de loi, désormais plus proche de l’ambition qu’il entend porter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)