M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Si j’étais un adversaire des aménageurs, je voterais ces amendements, car tous les projets iront au contentieux et n’aboutiront plus, en France ! Un certain nombre de règles européennes s’imposent et ces amendements constituent un déni de réalité. Tous les exemples cités témoignent d’un déni. Les projets sont bloqués parce que le problème n’a pas été vu en amont, les inventaires ont été mal faits, certains éléments n’ont pas été intégrés. L’adoption de ces amendements va renforcer ce phénomène, pour autant que ceux-ci soient conformes aux réglementations européennes, ce que je ne pense pas.

Je voudrais vraiment vous convaincre, mes chers collègues, que ce projet de loi va faciliter les aménagements par le développement d’une trame verte et bleue fonctionnelle à l’échelle nationale en termes de biodiversité, d’un savoir-faire en matière de compensations beaucoup mieux définies dans la loi. Dès lors, les compensations se feront à des coûts raisonnables et en s’appuyant sur un savoir-faire réel.

Je vous invite d'ailleurs ultérieurement à voter le principe de l’équivalence écologique. Pour reprendre le cas des deux crapauds, avec l’équivalence, s’ils sont venus par des moyens artificiels, il suffira de les transférer dans un parc zoologique.

Si vous continuez d’être dans le déni de la protection de l’environnement, aucun projet ne se fera !

Nous vous proposons au contraire, en amont, de développer une ingénierie environnementale, un savoir-faire d’évitement pour que les projets d’aménagement aboutissent.

Ce que vous proposez avec ces amendements est contraire à tout ce qui se fait en Europe et dans le monde. Alors que les Russes sont en train de communiquer leur fierté d’avoir créé des tunnels pour permettre la migration des tigres et des léopards des neiges en Sibérie, nous en sommes encore au XIXe siècle avec ce type d’amendement ! (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Sans vouloir allonger les débats, nous sommes devant une vraie question à laquelle sont confrontés de nombreux élus souhaitant aménager leur territoire.

Les témoignages qui viennent d’être exposés omettent de souligner que, bien souvent, c’est l’accompagnement public qui a manqué dans la réalisation des différents projets, permettant d’anticiper et peut-être de penser autrement la construction, la réalisation de projets d’aménagement.

Comme Ronan Dantec vient de l’indiquer, la connaissance, la mise en œuvre de certaines politiques, notamment à travers la trame verte et bleue, mais aussi l’évolution de l’inventaire des espèces, pour ce qui concerne tant la faune que la flore, seront de véritables outils qui devront être pris en compte dès la conception du projet, pour ne pas se retrouver dans les situations qui ont été évoquées où l’on se pose, à la fin seulement, la question de la place de la biodiversité.

Seuls les projets qui soulèvent un problème ont été rappelés, mais je tenais à dire que nombre de projets permettant de concilier la présence humaine avec celle des autres espèces sont réalisés en France.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Merci de le dire !

Mme Cécile Cukierman. Sans angélisme, je voudrais tout de même rappeler à toutes et à tous que l’homme n’est qu’un des éléments de la chaîne de la biodiversité. Ne pas respecter les autres maillons revient aussi à remettre en cause à plus ou moins long terme la présence et le développement de l’espèce humaine. Il faut se garder de tomber dans la caricature ! Certains élus sont agacés par ces questions, mais n’oublions pas que nous avons tous besoin de la nature !

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Évelyne Didier. Si nous sommes incapables de nous écouter dans ce genre de débat, nous n’y arriverons jamais ! Tout ce qui a été dit est intéressant, tout ce qui a été dit est juste, et il faut le reconnaître. La plupart d’entre vous, mes chers collègues, exercent des responsabilités d’élu local, sont des bâtisseurs. J’en ai fait partie et j’ai mené à bien plusieurs gros projets. Par conséquent, nous connaissons tous les difficultés rencontrées par les uns et les autres.

Des habitants sont toujours opposés, notamment les riverains qui ne veulent rien à côté de chez eux. À cet égard, je vous citerai l’exemple d’une rue pleine de maisons rongées par l’humidité en train de tomber en ruine, impossibles à reconstruire parce que situées dans le périmètre d’un plan de prévention des risques d’inondation. La seule solution était de tout raser et de construire autre chose, mais les habitants situés en face s’y sont d’abord opposés, tout simplement parce que l’on changeait leur environnement et qu’ils ne comprenaient pas ce qui allait se passer. Il est fini le temps où les élus décidaient avec des experts sans mettre les gens dans le coup dès le départ ! Cet élément me semble vraiment fondamental.

Il est également fini le temps où l’on pouvait ignorer la nature ! On cite toujours le cas caricatural des deux petits crapauds. En réalité, nous savons bien que, lorsque nous bâtissons, lorsque nous appliquons de l’enrobé, nous enlevons des parts de biodiversité.

Comment concilier ces dimensions, en amont, en associant tout le monde, y compris l’administration ?

La plupart du temps, les élus se tournent vers l’administration lorsque le projet est déjà ficelé. À leur décharge, il faut dire que l’administration s’est désengagée. Avant, ils étaient accompagnés en amont puis tout au long du projet par la DDE, à qui ils demandaient conseil. Aujourd'hui, ils se tournent vers des cabinets privés qui cherchent à maximiser la facture sur laquelle ils touchent un pourcentage. Les règles du jeu ont été faussées. Il existe de vraies préoccupations, mais on ne pourra plus faire sans les gens, sans la biodiversité.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Comme cela a été dit, il est important de souligner que deux niveaux de réglementation coexistent : la réglementation française, qui prescrit certaines interdictions et des mesures de compensation ; la réglementation européenne, qui nous coûte infiniment cher si nous ne la respectons pas. La France est tout de même le pays le plus souvent poursuivi devant la Cour de justice de l’Union européenne pour manquement !

Je ne voudrais pas aggraver le ressenti de nos compatriotes par rapport à l’Union européenne, mais ces décisions ont été prises collectivement par les ministres de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans. La directive 92/43/CEE concernant la conservation des habitats naturels date de cette époque-là.

L’administration fait son travail en s’efforçant de faire appliquer la réglementation européenne en matière de protection de certaines espèces décidée collectivement par les gouvernants que nous avons choisis. C’est une donnée dont il faut tenir compte. Il est trop facile de dire maintenant qu’on n’en veut plus : on ne peut pas tout débobiner !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Il est amusant d’observer que, au détour d’un amendement, on touche le fond de la question pour laquelle je me suis engagée en politique. Cette question, absolument essentielle, est la suivante : comment dépasser tout ce qui nous paraît si important sur le court terme pour réussir à préserver le long terme, autrement dit l’avenir de nos enfants ? Cette dernière expression est si commune qu’elle en a presque perdu son sens, mais c’est bien le véritable enjeu.

Aujourd'hui, nous avons la responsabilité de faire en sorte que les aménagements que nous mettons en place ne grèvent pas la vie de ceux qui vont nous suivre. Et ce n’est pas toujours simple quand on est un élu, notamment un élu local qui a un peu le « nez dans le guidon », qui doit répondre à des besoins, parfois subit des pressions, et qui doit montrer, à l’approche des élections – cela peut se produire – qu’il a fait quelque chose.

Toute la question est donc de savoir comment faire pour réussir à penser le présent sans empêcher le futur.

Aussi, lorsque vous évoquez les problèmes sur un certain nombre d’aménagements et dites grosso modo que l’environnement vous empêche toujours d’aménager, il convient tout de même de revenir à la raison. Aujourd'hui, la destruction des habitats est l’un des problèmes majeurs en termes de destruction de la biodiversité. Je le rappelle, chaque année, en France, plus de 60 000 hectares de milieux agricoles ou naturels sont aménagés pour des routes, des bâtiments, des parkings, etc., soit l’équivalent d’un département tous les dix ans !

Donc ne disons pas, sauf à partir dans des fantasmes, que parce qu’il y a eu un pique-prune ici ou un crapaud là, on ne peut pas aménager dans notre pays. Il faut aussi être raisonnable et dire les choses correctement.

Mme Cécile Cukierman. Il faut dire la vérité !

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Je ne suis pas là pour dire qu’il faut tous se serrer la ceinture en considération de l’avenir, mais il convient tout de même de penser à l’avenir ! C’est ce que nous essayons de faire dans le cadre de ce projet de loi pour que les aménageurs disposent justement des outils nécessaires.

Nous sommes là non pas pour leur mettre des bâtons dans les roues, mais tout simplement pour les aider à prendre en compte ces éléments, qui constituent des contraintes normales.

Il est en effet naturel de ne pas piller l’avenir de nos enfants et nous voulons, à travers ce texte, anticiper ces contraintes, afin que tout le monde puisse travailler dans les meilleures conditions.

De surcroît, aujourd’hui, les populations n’acceptent plus qu’on leur impose un certain nombre d’aménagements sans avoir été associées aux projets en amont. Les ordonnances sont en cours de rédaction et elles permettront, je l’espère, d’avancer aussi sur ces questions.

C’est parfois difficile, je le sais, mais nous ne pouvons plus vivre uniquement dans le présent et faire comme si l’avenir n’existait pas. Nous avons une responsabilité politique à l’égard des générations futures, qui dénonceront notre égoïsme.

Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi est conçu pour vous aider ; ce sera aussi le rôle de l’Agence française de la biodiversité. Ne soyons pas aveuglés par le court terme, ne l’oublions jamais !

Pour conclure, on parle beaucoup de la Suède, le pays où l’on vit bien, que de nombreuses personnes prennent en exemple. Mais c’est précisément un pays où l’on prend le temps lorsqu’il s’agit de faire des aménagements, car la précipitation n’est pas toujours bonne conseillère.

M. le président. Mes chers collègues, nous cheminons au pas de l’escargot (Sourires.), puisque nous avons examiné 5 amendements en une heure, et qu’il nous en reste 128 ! Choisissez l’animal que vous souhaitez prendre en exemple, mais essayons d’avancer ! (Nouveaux sourires.)

La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Les élus locaux ont fait le maximum pour maintenir la biodiversité. Il n’y a qu’à voir les routes et les autoroutes qui traversent nos régions : des passages et des aménagements ont été réalisés pour sauvegarder la biodiversité.

Les dispositions de ces amendements, que je vais voter, ne remettent pas en cause cette dernière, mais tracent le chemin d’une biodiversité raisonnée. En effet, nous ne devons pas dépenser plus qu’il n’est possible de le faire pour conserver la biodiversité.

Les mesures de compensation exigées ne doivent, ni par leur coût ni par leurs délais, conduire à remettre en question un projet.

Les élus locaux ne veulent pas porter atteinte à la biodiversité, mais ils ne veulent pas dépenser plus qu’ils ne le peuvent pour la conserver.

L’avenir de nos enfants, madame la secrétaire d’État, c’est d’abord l’emploi et le développement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Carrère. Je suis quelque peu surpris du tour que prennent nos débats.

Je ne suis pas en désaccord avec une partie des propos de Mme la secrétaire d’État ou de M. le rapporteur. En revanche, leur interprétation des amendements identiques nos 2 rectifié ter et 106 rectifié me préoccupe davantage. Ces amendements sont en effet d’une modération exemplaire et ne visent absolument pas à remettre en cause la biodiversité.

Je vous en rappelle les termes, mes chers collègues : « Lorsqu’un projet d’intérêt général conduit par une collectivité publique est susceptible de porter une atteinte réparable à la biodiversité, les mesures de compensation exigées ne doivent ni par leur coût, ni par leur délai, être de nature à remettre en cause le projet. »

De telles mesures peuvent donc exister ; elles doivent en tout état de cause permettre de replacer la biodiversité sur ses deux pieds, tout en prenant en considération certaines exigences de réalisation du projet.

Mes chers amis, pour avoir été chargé des infrastructures et des transports au conseil régional d’Aquitaine, j’ai pu constater, lors de la réalisation par l’État de la liaison autoroutière entre Langon et Pau – sans même parler du problème des animaux –, des dérives préoccupantes qui ont coûté beaucoup d’argent à la collectivité publique.

Enfin, mes chers collègues, je préfère choisir la France comme modèle en matière de biodiversité. C’est pourquoi je soutiendrai en grande partie ce projet de loi et que je n’irai pas prendre exemple sur la Russie, fût-ce par référence aux tigres qui peuvent aller de région en région. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.

M. Alain Houpert. Vous avez parlé de vision à court terme, madame la secrétaire d’État. Mais ce qualificatif ne s’applique pas à la gestion de la biodiversité en France, puisque notre pays est un exemple et en fait déjà trop.

Ce qui m’inquiète pour mes enfants, ce n’est pas tant le sort de certaines écrevisses à pattes blanches ou autres chauves-souris que celui du Toit du monde. Le Tibet devient noir, l’Himalaya est en train de fondre. Et nous nous préoccupons de quelques espèces pour arrêter nos projets !

Le plus important, à court terme, c’est l’avenir de la planète, et il passera par ces pays comme la Chine qui polluent.

À Paris, 50 % des microparticules proviennent des usines à charbon d’Allemagne et de Grande-Bretagne.

Mme Chantal Jouanno. C’est faux !

M. Alain Houpert. Nous devons demander à Mme Merkel d’arrêter ses usines !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 rectifié ter et 106 rectifié.

(Les amendements sont adoptés.) (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 35 rectifié, présenté par M. Antiste, Mme Claireaux, MM. Cornano, Desplan et J. Gillot, Mme Jourda et MM. Karam, G. Larcher et Patient, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire tendent vers un gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultat, être additionnelles et être effectives pendant toute la durée des atteintes. Elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d’évitement et de réduction. Si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé.

La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Il est important que les mesures compensatoires soient additionnelles, de manière qu’elles s’ajoutent à des mesures déjà existantes de conservation de la biodiversité sur des sites identifiés pour la compensation, et qu’elles ne s’y substituent pas ou ne les remplacent pas.

La compensation doit en effet être mise en place pour créer des projets nouveaux ou pour améliorer des projets existants, à condition de remplir des objectifs supplémentaires pour la biodiversité, et sans se substituer à eux.

M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 91 est présenté par Mme Bonnefoy, MM. Filleul, Madrelle, Guillaume, Bérit-Débat, Camani et Cornano, Mme Herviaux, MM. J.C. Leroy, Miquel et Roux, Mmes Tocqueville et Claireaux, M. Lalande et les membres du groupe socialiste et républicain.

L'amendement n° 168 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau et Capo-Canellas.

L'amendement n° 236 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire tendent vers un gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultat et être effectives pendant toute la durée des atteintes. Elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d’évitement et de réduction. Si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé.

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour présenter l’amendement n° 91.

Mme Nicole Bonnefoy. Cet amendement vise à rétablir l’alinéa, supprimé en commission par le rapporteur, et qui précise que les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire tendent vers un gain de biodiversité.

En effet, le principe même guidant la création de ces mesures de compensation est de faire en sorte que les activités humaines aient le moins d’impact possible sur l’environnement et, lorsqu’elles en ont, que ces effets soient compensés.

Je tiens à rappeler que ce projet de loi vise une reconquête de la biodiversité.

Donner aux mesures de compensation un objectif d’absence de perte nette de biodiversité tombe sous le sens. C’est l’essence même de cet article.

C’est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, de rétablir l’alinéa susvisé.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 168 rectifié.

Mme Chantal Jouanno. Cet amendement est identique au précédent. Mais pourquoi continuer à défendre ces amendements, alors que le vote intervenu précédemment nous fait prendre le chemin inverse ? On peut se poser la question…

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l'amendement n° 236.

M. Ronan Dantec. Je prie tout d’abord mes collègues qui avaient préparé leurs bulletins de vote pour un scrutin public sur les amendements identiques nos 2 rectifié ter et 106 rectifié de bien vouloir m’excuser. Je me suis trompé de numéro d’amendement en déposant la demande de scrutin.

Le vote de ces amendements constitue toutefois un signal très net : nous sommes maintenant dans un exercice de détricotage du projet de loi, et les équilibres sont rompus. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) C’est une évidence, mes chers collègues, et tout le monde le comprendra ainsi hors de ces murs !

Nous allons peut-être sortir de cette discussion avec toujours les deux mêmes voies qui s’entremêlent d’alinéa en alinéa, mais il me semble que nous devrions plus franchement assumer les mesures de compensation. Sinon, les projets seront de plus en plus souvent bloqués.

M. le président. L’amendement n° 292, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire tendent vers un gain de biodiversité.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Monsieur le président, avec votre permission, je présenterai simultanément les amendements nos 285 et 284.

M. le président. J’accède bien volontiers à votre demande, madame la secrétaire d’État, et appelle donc en discussion les deux amendements.

L’amendement n° 285, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les mesures compensatoires doivent se traduire par une obligation de résultat et être effectives durant toute la durée des atteintes.

L’amendement n° 284, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité ne peuvent pas se substituer aux mesures d’évitement et de réduction.

Veuillez poursuivre, madame la secrétaire d’État.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Je défendrai vaillamment ces trois amendements. Ne perdez pas espoir, madame Jouanno !

Nous étudions un article clé, qui garantit que les atteintes à l’environnement sont effectivement et durablement compensées. Je considère que, pour atteindre cet objectif, des principes fondamentaux doivent être inscrits dans la loi. C’est le sens des trois amendements que je présente, au nom du Gouvernement.

L’amendement n° 292 tend à ce que les mesures compensatoires visent à atteindre une absence de perte nette, voire un gain pour la biodiversité.

La séquence « éviter, réduire, compenser » vise à ce que les atteintes des projets à la biodiversité soient les plus faibles possible. Afficher un objectif ambitieux revient à rechercher l’absence d’atteinte à la biodiversité. C’est le sens de la notion de « perte nette ».

J’ai entendu hier les inquiétudes sur la difficulté à définir précisément cet objectif. Il est effectivement juste de dire que la mesure exhaustive des pertes de biodiversité induites par un projet est scientifiquement complexe. Mais nous parlons ici d’un objectif à viser, d’un principe qui doit sous-tendre les actions à mener. Et je tiens à rassurer la Haute Assemblée : les mesures compensatoires sont déjà définies dans un objectif de non-perte nette, ce qui est applicable dans la réalité. Ne pas l’inscrire dans la loi constituerait un recul.

Je terminerai en rappelant que cet objectif apparaît dans plusieurs conventions internationales, sur lesquelles la France s’est engagée. Il s’agit donc de transposer cet engagement international dans notre droit.

L’amendement n° 285 a pour objet de prévoir que les mesures compensatoires portent une obligation de résultat, et non une simple obligation de moyens.

La difficulté à compenser des atteintes au vivant est une réalité indéniable. L’étude du fonctionnement des écosystèmes et le génie écologique apportent des solutions, mais des incertitudes demeurent sur la réussite et la pérennité réelles des mesures compensatoires, notamment en matière de création d’un milieu naturel, ou de reconstitution d’un habitat favorable à telle ou telle espèce.

Ces incertitudes doivent nous conduire à la prudence, donc à éviter et à réduire les atteintes à la biodiversité au maximum avant d’avoir recours à la compensation. Toutefois, dès lors que des atteintes sont autorisées, les mesures compensatoires doivent impérativement constituer une obligation de résultat.

N’en retenir qu’une simple obligation de moyens n’est pas dans l’esprit de la législation déjà existante. Ainsi, l’article L. 122 du code de l’environnement prévoit déjà explicitement l’obligation de suivi dans le temps de l’efficacité et de l’effectivité des mesures compensatoires. C’est donc bien que celles-ci impliquent une obligation de résultat.

Concrètement, un maître d’ouvrage doit réaliser des suivis réguliers et les transmettre à l’autorité qui a autorisé le projet et entériné les mesures compensatoires. Celle-ci, sur la base de ces suivis, vérifie que les objectifs sont atteints et définit d’éventuelles mesures correctrices. Les modalités de ce mécanisme sont par ailleurs précisées à l’article 33 A du présent projet de loi.

Revenir sur cet aspect fondamental de la législation constituerait une véritable régression. Il est donc indispensable de réintroduire la mention explicite de l’obligation de résultat des mesures compensatoires, et tel est précisément l’objet de l’amendement n° 285.

Enfin, l’amendement n° 284 vise à ce que les mesures compensatoires ne puissent pas se substituer aux mesures d’évitement et de réduction.

Il est important de le rappeler, parce que la séquence « éviter, réduire, compenser » implique un ordre de priorité.

Premièrement, le plus en amont possible de la décision d’engager un projet, il s’agit d’éviter des atteintes à la biodiversité. Cela peut se faire au niveau de l’opportunité même d’engager un projet, ou bien par des mesures d’évitement géographique – par exemple, le choix du tracé de moindre impact pour une route –, ou encore par des mesures d’évitement technique – ainsi, le choix des technologies de moindre impact pour la faune.

Deuxièmement, il s’agit de réduire au maximum les atteintes, par exemple en diminuant via des clôtures ou des passages à faune la mortalité induite par certaines infrastructures qui portent atteinte aux continuités écologiques.

Troisièmement, et en dernière étape de la séquence, il convient de compenser les impacts résiduels significatifs qui n’ont pu ni être évités ni être réduits.

J’y insiste, les mesures compensatoires, loin d’être une solution à mettre en œuvre en priorité, sont au contraire le dernier recours de la séquence, et il est dans l’intérêt des maîtres d’ouvrage de concevoir le plus en amont possible des projets de moindre impact, ce qui leur permettra aussi de gagner beaucoup d’argent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je commencerai par une bonne nouvelle, madame la secrétaire d’État : je suis favorable à l’amendement n° 285. Cette disposition, issue de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, me paraît solide et mérite d’être préservée. L’obligation de résultat s’impose en effet et doit être effective durant toute la durée des atteintes.

En revanche, je suis défavorable à tous les autres amendements.

J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer que le projet de loi contenait de nombreuses dispositions déclaratives, à commencer par le principe dont nous avons discuté durant de longues heures. Nul besoin d’en ajouter une louche !

L’objectif d’absence de perte nette voire de gain de biodiversité a été supprimé par la commission. Le principe selon lequel la compensation peut se substituer à l’évitement et à la réduction est purement déclaratif. Personne n’a jamais contesté la séquence « éviter, réduire, compenser ». Quel est l’intérêt de la répéter dix fois dans le texte ? Ce principe est posé à l’article 2 du projet de loi qui vise à modifier certaines dispositions du livre Ier du code de l’environnement ; il doit être respecté.

Enfin, l’abandon du projet en cas de mise en œuvre insatisfaisante de la séquence « éviter, réduire, compenser » empiète sur le principe général d’évaluation environnementale qui demeure une composante adossée à différents processus d’autorisation.