M. le président. L'amendement n° 20 rectifié quater, présenté par Mme Primas, MM. Cardoux, Gremillet et Chasseing, Mme Di Folco, MM. Kennel, Charon et Doligé, Mme Imbert, M. Savary, Mme Deroche, M. Genest, Mmes Mélot et Morhet-Richaud, MM. Karoutchi, Lemoyne et Dassault, Mmes Cayeux, Deromedi et Deseyne, MM. Gournac, Chatillon, Grand, Mouiller et Milon, Mme Lamure, M. Houel, Mme Lopez, M. Bouchet, Mme Canayer, MM. Lefèvre, de Raincourt, Husson et Savin et Mme Gruny, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Après l’article L. 253-7-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 253-7-… ainsi rédigé :

« Art. L. 253-7-… – Un arrêté du ministre chargé de l’agriculture interdit les usages des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes, y compris les semences traitées avec ces produits, dès lors qu’une évaluation comparative élaborée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail a démontré qu’il existait pour ces usages des solutions alternatives plus satisfaisantes pour la santé humaine ou pour l’environnement, sans conséquence manifestement préjudiciable pour les cultures.

« Le premier alinéa s’applique à compter du 1er septembre 2018.

« L’évaluation comparative mentionnée au premier alinéa est révisée selon une périodicité définie par voie réglementaire. »

II. – Au dernier alinéa du II de l’article L. 254-7 du code rural et de la pêche maritime, après les mots : « 91/414/CE du Conseil » sont insérés les mots : « et des produits dont l’usage est autorisé dans le cadre de l’agriculture biologique. »

La parole est à Mme Sophie Primas.

Mme Sophie Primas. Il s’agit ici de faire reposer la responsabilité de l’interdiction sur le ministre chargé de l’agriculture, qui prend un arrêté, après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

J’en profite pour apporter une précision. Je suis très sensible au rapport remis par l’ANSES au début du mois de janvier dernier. Si cette agence affirme que certains usages des néonicotinoïdes présentent un danger, il faut interdire ces derniers tout de suite et ne pas se poser de question ! En revanche, si elle admet que certaines prescriptions d’utilisation sont sans risque, il faut être raisonnable.

M. le président. Le sous-amendement n° 320, présenté par M. Vasselle, est ainsi libellé :

Amendement n° 20 rectifié quater, alinéa 3

Après les mots :

sans conséquence

insérer le mot :

économique

La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Il s’agit de prendre en compte la dimension économique au moment où il est décidé de trouver des solutions de substitution à l’utilisation des néonicotinoïdes.

M. le président. L'amendement n° 267 rectifié bis, présenté par MM. Vasselle, Doligé et Houel, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après le premier alinéa de l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Un arrêté du ministre chargé de l’agriculture pris dans les trois mois après la promulgation de la loi n° … du … pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages détermine les conditions d’utilisation des produits contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes susmentionnés, à l’exception des cultures pour lesquels les risques sont acceptables au sens de l’avis de l’Agence nationale de l’alimentation, de l’environnement et du travail du 7 janvier 2016.

« Un arrêté conjoint des ministres concernés définit les usages pour lesquels ces produits restent autorisés en cas de danger grave pour les cultures dès lors qu’une évaluation comparative élaborée par l’Agence de l’alimentation, de l’environnement et du travail démontre qu’il n’existe pas de solution plus satisfaisante pour la santé humaine et l’environnement sans préjudice de l’activité agricole.

« L’évaluation mentionnée au deuxième alinéa est revue chaque année. »

La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Je retire cet amendement au profit de l’amendement n° 20 rectifié quater, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 267 rectifié bis est retiré.

Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements et sous-amendements restant en discussion ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. La commission demande le retrait des amendements nos 57 rectifié et 53.

Elle s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée pour l’amendement n° 104 rectifié quater, mais émet un avis favorable sur le sous-amendement n° 317 rectifié bis.

En effet, la disposition prévue à l'amendement n° 104 rectifié quater, identique à l’amendement n° 299 du Gouvernement, me semble la plus à même d’offrir un compromis acceptable par l’ensemble des parties. Même si elle propose une articulation inversée, cette disposition n’est pas sans lien avec celle que j’ai déposée et qui a été rejetée à la quasi-unanimité. Vous l’avez d'ailleurs soutenue en son temps, monsieur le président de la commission, et je vous en remercie.

Mme Chantal Jouanno. Moi aussi !

M. Jérôme Bignon, rapporteur. C’est vrai, madame Jouanno.

L’amendement n° 104 rectifié quater vise à prévoir un calendrier avant une interdiction totale des néonicotinoïdes à compter du mois de juillet 2020 ; cela constitue un premier pas dans la bonne direction. D’ici à la fin de l’année 2016, l’ANSES devra remettre un bilan sur les usages des néonicotinoïdes au regard des solutions de remplacement existantes.

Par conséquent, sur cette base, d’ici au mois de juillet 2018, l’ANSES interdit les usages des néonicotinoïdes qui peuvent être remplacés de manière satisfaisante. De juillet 2018 à juillet 2020, date de l’interdiction totale des néonicotinoïdes, l’ANSES ajustera les interdictions en fonction de l’apparition de nouvelles solutions de remplacement, qu’il s’agisse de produits de substitution ou de pratiques culturales.

Le calendrier apporte visibilité et clarté aux acteurs, sans pour autant perdre de vue l’objectif final, qui est l’interdiction.

Il reste tout de même un bémol, selon moi ; ce n’est pas grave à ce stade de nos discussions et nous pourrons trouver une solution le moment venu. En effet, le ministère de l’agriculture, comme le ministère de l’écologie, confie l’ensemble des responsabilités à l’ANSES. Or, dans l’architecture de la gestion du risque phytosanitaire issu de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, l’ANSES est certes compétente pour autoriser les pesticides ou retirer leur autorisation, mais c’est le ministère de l’agriculture, en tout cas l’autorité exécutive, qui est compétente pour en réglementer les usages.

M. Jean-Jacques Filleul. C’est vrai !

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Il convient de distinguer l’autorisation des pesticides de l’autorisation des usages. Or, pour les néonicotinoïdes, la question qui se pose est bien celle des usages. Il faudra donc probablement procéder à des ajustements.

La date me semble également poser problème : 2020 me semble proche. Je le dis sans ambages, dans la mesure où je proposais explicitement dans mon amendement une interdiction en 2022. Il est vrai que je n’ai alors rencontré qu’un succès d’estime, comme je viens de le rappeler, mais je constate que les choses évoluent et que la date n’est plus prioritaire par rapport au principe de l’interdiction. C’est bien là l’essentiel : tout cela va dans le bon sens. Il faut maintenant que la recherche et les industries s’y mettent et que tout le monde travaille dans la bonne direction.

Les amendements identiques nos 104 rectifié quater et 299 me semblent donc les plus à même de permettre un compromis, même si des améliorations sont possibles.

La commission émet par ailleurs un avis favorable sur le sous-amendement n° 317 rectifié bis, qui tend à supprimer le dernier alinéa de l'amendement relatif à l’interdiction.

Par conséquent, elle émet un avis défavorable sur les sous-amendements nos 321 et 318, ainsi que sur l’amendement n° 20 rectifié quater et le sous-amendement n° 320.

Je précise enfin que la commission demande le vote par priorité de l’amendement n° 104 rectifié quater et des sous-amendements déposés à cet amendement.

Mme Chantal Jouanno. C’est logique !

M. le président. Je suis donc saisi, par la commission, d’une demande de priorité portant sur les amendements identiques nos 104 rectifié quater et 299, ainsi que sur les sous-amendements nos 321, 317 rectifié bis et 318.

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Avis favorable.

M. le président. La priorité est ordonnée.

Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements et les sous-amendements restant en discussion, à l’exception de l'amendement qu’il a lui-même déposé ?

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Je comprends la volonté exprimée par les auteurs de l’amendement n° 57 rectifié. Néanmoins, à ce stade, chacun doit faire un pas pour rejoindre l’autre et trouver une solution dont nous pourrons tous tirer fierté. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, au profit de l’amendement n° 299.

Il en est de même pour l’amendement n° 53, pour les mêmes raisons. Même si chacun a ses préférences et ses convictions, il me semble que la politique, c’est aussi l’exercice du compromis. C’est d’ailleurs pourquoi je remercie Mme Jouanno d’avoir fait preuve d’un esprit constructif en retirant l’amendement n° 170 rectifié.

Le Gouvernement émet naturellement un avis favorable sur l’amendement n° 104 rectifié quater, qui est identique à l’amendement n° 299.

Certes, le sous-amendement n° 321 est très intéressant, puisqu’il vise à associer l’Institut national de la recherche agronomique et l’Institut technique de l’agriculture biologique aux organismes chargés d’établir avec l’ANSES le bilan bénéfice-risque des néonicotinoïdes.

L’ANSES a la compétence pour l’évaluation des molécules et les autorisations de mise sur le marché. Pour conduire son analyse, elle s’appuie déjà sur les expertises des autres instituts de recherche, sans que cela soit précisé par la loi. Le faire aujourd'hui serait donc superfétatoire. C’est pourquoi le Gouvernement demande le retrait de ce sous-amendement. Évidemment, je veillerai à ce que les expertises utiles soient mobilisées en tant que de besoin.

En revanche, le Gouvernement émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 317 rectifié bis, dans la mesure où la fixation d’une date butoir est pour moi un point absolument essentiel du dispositif. En effet, nous savons tous que l’absence d’une telle limite crée une forme d’inertie et empêche la situation d’évoluer. Il faut donc un objectif.

J’y suis d’autant plus attachée que cela non seulement évite l’inertie, mais recrée une dynamique pour mener des recherches de substitution, en plus d’offrir une visibilité. Celle-ci est très importante pour le secteur économique en général et pour le secteur agricole en particulier.

Trop souvent, les agriculteurs nous expliquent, avec raison, qu’ils ne s’en sortent pas, parce que les normes changent et qu’ils ne savent pas où ils vont, etc. Or ils savent – ils me l’ont dit, ils vous l’ont dit également – qu’ils devront gérer la question des néonicotinoïdes. Certes, ils préféreraient que la date butoir soit la plus éloignée possible dans le temps, mais ils jugent important de la connaître.

Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur le sous-amendement n° 318. Certes, une date est fixée, mais c’est vraiment au cas où il n’y a rien d’autre. Si une autre solution est trouvée, cette date est supprimée. Il ne s’agit donc pas véritablement d’une date butoir.

Enfin, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 20 rectifié quater et le sous-amendement n° 320, dans la mesure où leurs dispositions ne s’inscrivent pas dans l’esprit du dispositif que le Gouvernement défend.

M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.

M. Michel Raison. Je remercie et félicite Mme la secrétaire d’État d’avoir accepté la priorité sur l’amendement n° 104 rectifié quater. Nicole Bonnefoy a en effet accompli un excellent travail, et c’est un signe de respect du Gouvernement pour la Haute Assemblée. La disposition prévue dans cet amendement est responsable et reflète l’esprit d’une majorité de sénateurs. Qui plus est, cet amendement est judicieusement modifié par le sous-amendement n° 317 rectifié bis.

Je ne reviendrai pas sur un certain nombre de débats techniques. Je préfère faire un peu d’histoire. Derrière cette discussion précise sur des molécules bien spécifiques, il y a un débat sur les types d’agriculture.

À mon avis, il n’y aura jamais de grand soir, avec un seul modèle d’agriculture. Alexis de Tocqueville n’affirmait-il pas que « lorsque le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres » ? Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il est bon de rappeler ce qui se passait dans la seconde moitié du XIXe siècle, quand l’industrie prenait un essor considérable, mais que l’agriculture avait encore du mal à trouver sa façon de fonctionner.

La documentation sur le fonctionnement de l’agriculture à cette époque en atteste : le désarroi des agriculteurs était souvent plus fort que celui des agriculteurs d’aujourd’hui, même si ces derniers traversent une crise importante. En effet, ils n’avaient pas de méthode pour assurer l’alimentation régulière et saine de la population. Celui qui est chargé de soigner les patients aime les sauver ; celui qui est chargé de nourrir la population aime le faire de façon saine et régulière. Or cette époque connaissait encore des famines, des maladies en tout genre transmises par des pathologies des céréales – l’ergot de seigle était mortel –, des maladies animales nombreuses.

M. Jean Bizet. C’était le bio temps ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Ah, le mythe de la lampe à pétrole… Quelle caricature !

M. Michel Raison. Il n’y a pas eu de génération spontanée de firmes venues escroquer les agriculteurs avec des matières nocives. C’est tout le contraire ! Ce sont les écoles d’agriculture, l’INRA de l’époque et les agriculteurs eux-mêmes qui se sont regroupés et ont cherché des solutions pour soigner leurs plantes et se débarrasser des insectes nocifs engendrant maladies, baisses de récolte, etc. Lisez le Journal de l’agriculture de l’époque !

Petit à petit – c’est pour cette raison qu’il n’y a pas de grand soir –, cette agriculture a évolué ; elle continue et continuera de le faire. Elle a commis des erreurs, elle en commet toujours et en commettra encore d’autres, mais elle est en correction permanente.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Michel Raison. L’agriculture dite « productive », qui est tant décriée par certains, est née de la volonté d’offrir des produits sains et en quantité régulière à la population. C’est aussi cela qu’il faut retenir dans ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour explication de vote.

M. Rémy Pointereau. Je souscris tout à fait aux propos de Michel Raison : il faut non pas opposer les différentes formes d’agriculture – biologique, raisonnée, etc. –, mais faire en sorte que chacun puisse vivre sa vie.

Je rappelle que, en première lecture, le Sénat avait pensé avoir trouvé une position équilibrée en votant l’amendement de Nicole Bonnefoy. Malheureusement, l’Assemblée nationale en a décidé autrement et a modifié considérablement le sens de cet article. Grâce aux amendements que j’ai déposés, tout comme Gérard César, et avec l’appui des membres du groupe socialiste et républicain, la commission y est revenue, l’objectif étant de renvoyer à un décret du ministre de l’agriculture et de déterminer des conditions d’utilisation en tenant compte de l’avis de l’ANSES. M. Jean Bizet l’a souligné : nous ne sommes pas des scientifiques, et il faut faire confiance à l’ANSES.

Si nous autorisons ce système d’interdiction, nous serons sollicités pour d’autres molécules, d’autres médicaments et serons tout à fait en dehors du droit européen. Je vous renvoie à l’intervention du ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, cet après-midi, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement : « Je ne peux pas mettre la France dans des interdictions qui ne s’imposent même pas à nos voisins. Mieux vaut un processus long et rationnel. »

Il faut donc être à la fois rationnel et pragmatique. Je suis tout à fait d’accord pour faire un pas par rapport à ce que le Sénat a voté en première lecture au Sénat. C’est pourquoi je soutiens l’amendement n° 104 rectifié quater, modifié par le sous-amendement n° 317 rectifié bis. Ce dispositif va tout à fait dans le bon sens et offre un compromis permettant de parvenir à une solution commune en commission mixte paritaire.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

M. Daniel Gremillet. Nous vivons un moment très important s'agissant des signes que nous pouvons adresser à notre pays, notamment à l’activité agricole et, par ricochet, à la santé publique et à la reconquête de la biodiversité, puisque c’est tout l’enjeu de ce projet de loi.

Je remercie le Gouvernement d’avoir accepté l’initiative de la commission et le vote de cet amendement par priorité, qui permet d’avoir un débat serein et de trouver un accord. Sur ces questions, à ce stade, nous ne devons pas nous opposer : personne ici ne peut considérer que l’on peut mettre sur le marché des produits qui seraient dangereux pour la santé, même si les substances de remplacement n’existent pas encore. Notre pays a créé l’ANSES justement pour qu’un organisme scientifique indépendant éclaire le législateur, avant que ce dernier ne prenne ses responsabilités.

Je voterai le sous-amendement n° 317 rectifié bis et l’amendement n° 104 rectifié quater, car ils se complètent. Une date n’a pas de sens. Si un produit est dangereux, il faut l’interdire tout de suite ! Or, aujourd’hui, nous sommes tous sous pression. Certains ont parlé de lobby, mais, des lobbys, il y en a des deux côtés ! Il n’y a pas que le lobby des firmes.

Mme Évelyne Didier. Moi, je ne suis pas un lobby !

M. Daniel Gremillet. Il y a aussi le lobby d’organisations qui n’ont pas plus de données que de certitudes scientifiques. Il faut donc en revenir à l’essentiel.

Il est absolument nécessaire aujourd’hui d’apporter de la visibilité. Ceux qui imaginent que, sans date butoir, les firmes ne seront pas incitées à bouger se trompent. (Mme la secrétaire d’État le conteste.) Si, madame la secrétaire d’État ! Nous connaissons tous les délais nécessaires à la mise au point d’un produit ou d’une molécule et à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché.

M. Jean Bizet. C’est au minimum huit ans !

M. Rémy Pointereau. Voire dix ans !

M. Daniel Gremillet. Je suis très confiant : j’en suis persuadé, les signes que nous allons adresser en adoptant cet amendement et ce sous-amendement qui vont dans le bon sens sont véritablement constructifs pour notre pays.

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Il n’est pas question ici de principe de précaution – à aucun moment. Nous sommes face à des risques connus et mesurés par la communauté scientifique.

M. Jean Bizet. Non ! C’est de l’enfumage.

Mme Évelyne Didier. Bien sûr que si !

M. Ronan Dantec. Le rapport de l’ANSES date du mois de janvier dernier. Ce n’est donc pas la question.

M. Jean Bizet. Votre famille politique n’a pas voté le principe de précaution !

M. Ronan Dantec. Face à un produit dont on connaît la nocivité, comment s’organiser collectivement pour en sortir ? C’est la seule question qui vaille aujourd’hui.

Il faut s’appuyer sur ce que l’on peut mesurer. À ce titre, l’étude de Natureparif, qui a été rendue publique avant-hier, est extrêmement inquiétante : en termes de biodiversité et de chaîne alimentaire perturbée, le krach irait beaucoup plus vite que ce que l’on avait jusqu’à présent envisagé. Des études ont même été menées dans le cadre du Centre vétérinaire de la faune sauvage et des écosystèmes de l’École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Nantes-Atlantique.

Ce qui importe aujourd'hui, c’est notre capacité collective à nous mettre en ordre de marche pour sortir le plus vite possible de cette impasse.

Un certain nombre de pays ont pris des mesures, notamment l’Italie et l’Allemagne. L’exemple allemand est intéressant : le gouvernement allemand a déjà interdit l’utilisation des néonicotinoïdes dans un certain nombre de cultures, et la production ne s’est nullement effondrée.

Mme Sophie Primas. C’est parfait, alors !

M. Ronan Dantec. D’ailleurs, aujourd'hui, les céréaliers allemands produisent beaucoup. On est donc loin de la catastrophe annoncée et on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de solution ! Autour de nous, d’autres vont plus vite et montrent que l’on peut sortir de cette utilisation.

Ce qui est en cause aujourd'hui, c’est notre capacité à nous mettre en mouvement pour résoudre le plus vite possible ce problème. Cela concerne l’économie française, puisque l’agriculture en fait partie.

Sur nombre de sujets – le débat que nous avons aujourd'hui n’a rien d’unique –, nous montrons surtout notre capacité à essayer de ralentir les échéances et à rester le plus longtemps possible dans un système dont nous connaissons pourtant la nocivité. Voilà le problème.

C'est la raison pour laquelle l’amendement n° 104 rectifié quater n’est probablement pas très bon en termes d’environnement : au regard du niveau de risque, il faudrait interdire très vite l’utilisation des néonicotinoïdes.

Reste que ce dispositif a l’avantage de prévoir une méthodologie et, en fixant une date de fin, de dire à l’ensemble des acteurs – agriculteurs, industries chimiques, consommateurs – qu’ils doivent agir. Si l’on supprime le délai, on fait comme d’habitude, on attend. Je le répète : c’est ce genre d’attitude qui provoque nombre de déclins dans l’activité économique française.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.

Mme Marie-Christine Blandin. Il a beaucoup été fait référence à l’ANSES et à la confiance en cette agence. J’ai confiance dans les chercheurs qui travaillent et dans leurs conclusions.

Je tiens néanmoins à rappeler que tout le monde avait confiance dans l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, qui a autorisé le Mediator… Quand on s’est penché de près sur le sujet, on s’est aperçu que les dégâts, la mortalité, l’hypertension pulmonaire étaient passés au travers des mailles du filet, tout simplement parce que le risque de conflits d’intérêts n’avait pas été écarté.

Ce n’est toujours pas le cas à l’ANSES, la commission créée par la loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte n’ayant toujours pas été installée.

Par ailleurs, l’AFSSA a autorisé le Mediator dans le cadre du traitement du diabète. Or il en a été fait un mauvais usage, puisque ce médicament a été prescrit pour soigner l’obésité. Aujourd'hui, l’ANSES valide l’usage des néonicotinoïdes, mais seulement dans tel ou tel cas. Mes chers collègues, croyez-vous que, dans chaque champ, chacun respecte bien ces préconisations ?

Le problème est que les néonicotinoïdes agissent pendant plus de vingt ans. Certes, ces neurotoxiques agissent sur les pollinisateurs ; mais ils touchent aussi les nappes phréatiques et atteignent nos récepteurs d’acétylcholine. Il faudra un jour ou l’autre chercher d’où viennent toutes ces maladies neurodégénératives… Lorsque ce moment arrivera, j’espère que l’on cherchera le lien avec les dates butoirs.

Les dates butoirs ne sont pas taboues à droite. En 2004, Hervé Gaymard a fixé une date pour le retrait du gaucho. Ce n’est donc pas un principe qui doit cliver l’hémicycle. Les dates butoirs sont des facteurs d’innovation, que Jean Bizet appelle de ses vœux.

Mme Sophie Primas. Pas vous ?

Mme Marie-Christine Blandin. En effet, quand une date butoir est fixée, on devient vite innovant.

Reculer les dates butoirs est un facteur de coût et de dégâts. Souvenez-vous de l’amiante, dont l’usage a été prolongé pendant vingt ans ou vingt-cinq ans. Maintenant, on ramasse les morts ou les gens dans la rue, avec leurs bouteilles d’oxygène et leurs tuyaux dans le nez.

Plus l’amendement sera ambitieux, plus je serai contente de le voter. S’il est tiré vers le bas, je soutiendrai tout ce que l’on peut gratter. Reste que je vous aurai mis en garde, chers collègues, quant aux coûts futurs, au manque d’innovation et aux dégâts à venir si l’on retarde trop.

M. Ronan Dantec. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Évelyne Didier. J’ai apprécié en première lecture que l’on se soit écouté et que l’on n’ait pas cédé à la caricature. J’ai été très intéressée par ce que viennent de dire à la fois Mme Blandin et d’autres collègues, que j’ai écoutés attentivement.

Monsieur Pointereau, vous affirmez que chacun doit faire un pas, mais nous en avons faits en première lecture ! Nous nous sommes mis d’accord, souvenez-vous, même si cela n’a pas convenu à certains. Nous nous sommes rencontrés. Ne caricaturez donc pas la position de ceux qui n’aiment pas vraiment ces produits.

On aurait pu admettre des variantes, un délai supplémentaire, mais là, nous jouons les girouettes. C’est curieux !

Par ailleurs, vous n’êtes pas les seuls à vous appuyer sur la science. Il n’y a pas d’un côté ceux qui s’appuient sur la science et sur l’ANSES (Mme Sophie Primas s’exclame.) Madame Primas, laissez-moi parler, écoutez-moi, essayez de me comprendre, et nous discuterons ensuite !

Je fais partie de ceux qui n’imaginent pas ne pas travailler avec la science, qui est un facteur de progrès dans notre société. Il faut bien entendu fonder nos positions sur la science, mais il ne faut pas pour autant être dans le déni.

Par ailleurs, la science va de pair avec la recherche. On ne trouve pas si on ne cherche pas. Certains produits, bien installés, sont aujourd'hui des rentes pour leurs fabricants, qui n’essaient surtout pas de leur trouver des remplaçants. C’est cela aussi, le problème. Il faut donc davantage encourager la recherche, bien plus qu’aujourd'hui.

Monsieur Bizet, nous avons tous ici pris la parole sur différents sujets que nous ne maîtrisons pas parfaitement. Qui a dit que les parlementaires, et les citoyens d’une manière générale, ne devraient s’exprimer que sur des questions sur lesquelles ils sont compétents ? Si tel était le cas, cela signifierait que les décisions ne peuvent être prises que par des experts que personne ne viendrait contredire.

Or la contradiction est importante, ne serait-ce que parce qu’il existe des conflits d’intérêts, on le sait, même s’ils ne sont pas systématiques. Il faut donc des contrepouvoirs. Cette idée me tient à cœur.

J’en viens maintenant au modèle économique. Oui, bien sûr, la question a une dimension économique.