M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

M. Christian Favier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat de ce jour, devenu une tradition de notre assemblée, pourrait paraître routinier si nous devions nous limiter à l’examen de statistiques plus ou moins complètes sur l’application des lois. Mais la vérité commande de faire quelques remarques sur le processus de formation et de mise en œuvre de la loi dans notre pays.

Tout d’abord, il faut bien constater la réalité d’un nouvel alourdissement de la durée et de la densité des travaux parlementaires.

La session 2014-2015 a en effet été marquée par une nouvelle relance de la durée des séances publiques, avec 1 077 heures constatées. Nous avons ainsi connu 147 jours de séance, bien au-dessus des 120 jours « constitutionnels ».

L’activité a été également marquée par une véritable explosion du nombre des amendements déposés sur les différents textes examinés puisque ceux-ci sont passés de 11 856 sur la période 2013-2014 à 17 306 pour 2014-2015, soit une hausse de 46 %.

La matière législative à examiner le justifiait au demeurant pleinement, notamment pour ce qui concerne la loi NOTRe et la loi Macron.

Notons enfin que le rythme des travaux du Sénat au cours de la session actuelle ne s’est pas à proprement parler réellement ralenti, avec 714 heures de séance constatées avant l’examen, probablement chronophage, du projet de loi « Travail », et une, voire deux sessions extraordinaires qui devraient accroître encore l’intensité des travaux parlementaires.

Une autre observation que je souhaite relever, au-delà de toute considération de fond, porte sur le recours constant à la procédure d’habilitation.

Pas moins de 69 ordonnances ont été promulguées en 2015, soit bien plus que les 41 textes adoptés sur la période 2014-2015.

Ce recours renforcé à la procédure d’habilitation n’est pas sans poser de sérieux problèmes quant au sens que l’on entend donner au travail du législateur.

L’un des autres aspects formels est bien entendu le recours à la procédure accélérée, qui concerne l’essentiel des textes d’origine gouvernementale et se heurte bien souvent au principe de réalité.

Pour prendre l’exemple de la loi Macron, on rappellera que le texte fut déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale en décembre 2014 et a attendu le 6 août 2015 pour être promulgué. Le projet de loi était pourtant assorti de la déclaration de procédure accélérée.

Quant à la loi NOTRe, compte tenu de sa nature, elle a fait l’objet d’un dépôt sur le bureau du Sénat en juin 2014 et sa promulgation définitive, malgré la procédure accélérée, est intervenue le 7 août 2015. Une procédure accélérée qui dure quatorze mois, cela fait tout de même beaucoup !

Un tel phénomène interroge sur le sens que l’on donne aux mots et aux choses, notamment quand on présente en débat des textes comportant, dès l’origine, un nombre d’articles ou de dispositions si élevé qu’un temps significatif est nécessaire pour un examen digne de ce nom.

Le travers de ces textes touffus n’a manifestement pas été abandonné puisque le projet de loi « Travail » comporte, avant le passage en séance au Sénat, plus de 100 articles. On y trouve notamment ce fameux article 2 relatif à l’insécurité juridique des accords collectifs, qui comporte rien moins que 745 alinéas après son examen en commission. Par ailleurs, l’article 3, qui vise à remettre en cause les modalités de congé, compte lui 417 alinéas…

Cette manière de procéder ne nous semble pas présenter les garanties les plus solides quant à la qualité, à la lisibilité et à la compréhension de la loi !

Quoi qu’il en soit, à multiplier les textes complexes, on multiplie aussi les recours et donc les retards de traduction réglementaire, en raison de la publication nécessaire d’un plus grand nombre de décrets et arrêtés d’application.

Ainsi, dans le cas de la loi Macron, plus de 50 dispositions réglementaires diverses et 28 autres mesures dont pas moins de 10 ordonnances, certaines désormais frappées d’une habilitation obsolète, sont restées en souffrance.

Outre le fait que de nombreux rapports prévus par le texte concerné n’ont toujours pas été publiés, on relèvera l’absence de l’ordonnance relative à la création de l’établissement public prévu pour la réalisation du canal Seine-Nord-Europe, tandis que, parmi les dispositions réglementaires prévues, manquent encore des décrets comme celui pour prévenir la conduite d’autocar sous l’empire d’un état alcoolique, ainsi que la plupart des décrets concernant l’évolution de la profession notariale ou l’ensemble relatif au fonctionnement des conseils de prud’hommes.

Pour ce qui est de la loi NOTRe, si 23 dispositions réglementaires prévues ont été promulguées, 21 autres n’ont toujours pas été prises.

On relève ainsi que certaines mesures relatives au traitement et à la planification du traitement des déchets n’ont toujours pas été prises. Par ailleurs, on n’en sait pas plus sur le contenu des conventions régionales en matière de construction de logements sociaux.

Le fait que certaines dispositions réglementaires n’aient pas encore été prises peut fort bien provenir de l’opposition durable de certains secteurs professionnels à toute modification des règles en vigueur.

Vu le retard enregistré dans la transformation des professions dites « réglementées », il est évident que d’aucuns poursuivent le combat engagé avant la discussion de la loi, parfois d’ailleurs à juste titre.

Pour ce qui concerne la loi NOTRe, sa mise en œuvre s’est accompagnée d’une nouvelle élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale qui ont, de manière systématique, visé à réduire le nombre d’EPCI existants en vue d’assurer à quelques notables la haute main sur le devenir de territoires toujours plus vastes et bien souvent incohérents.

Cette recentralisation des responsabilités, ce renforcement des échelons régionaux et intercommunaux au détriment des niveaux départementaux et communaux risque, sur la durée, de coûter très cher à la République, noyée dans une nouvelle et coûteuse technocratie totalement coupée des citoyens.

La revivification de notre démocratie passe par un renforcement de la démocratie locale – nous ne sommes pas les seuls à le penser, je vous renvoie notamment aux propos de notre collègue Philippe Bas – et, pour tout dire, un nouveau texte décentralisateur et progressiste reste nécessaire.

Je ne suis pas certain que la loi NOTRe ait jamais répondu à cette définition, surtout accompagnée par des lois de finances grevées par l’austérité.

Il est donc temps, pour faire la loi dans notre pays, de retrouver la voie du dialogue, de l’échange et de la démocratie. Telles sont les remarques que souhaitait le groupe CRC à ce moment du débat.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour le groupe écologiste.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, nos collègues présidents de commission nous ont livré leurs diagnostics rigoureux et précis. Nous apprécions leur travail et le taux énoncé d’exécution. Néanmoins, si nous voulons que les urnes se remplissent et que les rues se vident, c’est aussi au niveau de ce que voient, de ce que vivent, de ce qu’entendent nos concitoyens qu’il nous faut évaluer l’application des lois votées.

Je souhaite donc, au nom du groupe écologiste, attirer votre attention sur des retards préjudiciables.

Le premier retard a été cité : c’est celui qui touche la programmation pluriannuelle de l’énergie. Cette programmation est tout à fait réalisable pour qui veut planifier la maîtrise de la demande et la diversification de la production dans le contexte des accords de Paris. Sa publication ferait cesser les errances médiatiques de certains opérateurs qui sont mus par d’autres intérêts.

Le deuxième, d’une tout autre échelle, concerne le décret d’autorisation d’utilisation et de commercialisation des préparations naturelles peu préoccupantes prévu dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et publié plus d’un an et demi après la promulgation de loi.

Il n’y a pas de mauvaise volonté de la part de la direction générale de l’alimentation, la DGAL, ni effet de lobbying des firmes agrochimiques. Pourtant, malgré ce délai, le décret n’autorise que 100 substances sur 800, privilégiant celles déjà autorisées en pharmacologie humaine, c'est-à-dire les plantes médicinales du code de la santé, qui ne répondent pas aux besoins prioritaires des agriculteurs. Il en reste 700 à autoriser. Ce travail a été délégué à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, avec un an et demi de retard, qui elle-même mettra un certain temps dans son travail d’évaluation des centaines de substances en question.

Nous devons sortir de cet enlisement préjudiciable. Il a commencé par la bataille médiatique du purin d’ortie en septembre 2006. Les Français entendent le plan Écophyto du ministère de l’agriculture, ils approuvent l’objectif de réduire de 50 % les pesticides d’ici à 2018. Une part importante des agriculteurs, soit 40 %, est disposée à utiliser les nouvelles substances, mais ils notent l’extrême lenteur du processus d’autorisation et de diffusion de ces pratiques, et s’interrogent sur un tel symptôme de schizophrénie.

L’enjeu est aussi d’éviter que les entreprises de production des pesticides ne mettent la main sur les substances alternatives petit à petit, à coup de brevets, sur le biocontrôle. Le vinaigre, par exemple, s’est vu refuser son autorisation par l’EFSA, l’European Food Safety Authority, le temps qu’une firme s’assure le monopole de son autorisation de mise sur le marché !

Troisième inquiétude, aux termes de l’article 22 de la loi ALUR, « avant la fin de l’année 2014, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport évaluant le dispositif de défiscalisation prévu à l’article […] du code général des impôts, portant notamment sur le nombre de logements de chaque catégorie ayant bénéficié du dispositif ». Ce dispositif, c’est le « Censi-Bouvard », à savoir la défiscalisation des meublés locatifs pour les personnes âgées, les étudiants, les personnes en situation de handicap et pour le tourisme. Nous voudrions avoir l’assurance d’une juste répartition : elle ne saurait se faire au seul service du tourisme, et en premier lieu au bénéfice de quelques célèbres opérateurs du secteur, spécialistes de la bétonisation, des logements à fuite thermique et producteurs de lits froids jamais occupés.

Enfin, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, je tiens une fois de plus, jusqu’à ce que vous l’ayez bien mémorisé, à pointer du doigt la non-mise en application de la loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, votée en 2013. Certes, les décrets ont été publiés, mais la commission nationale de déontologie, un outil pourtant essentiel, n’est pas installée, au motif que deux ministères, celui de l’agriculture et celui de la recherche – excusez du peu ! – n’ont toujours pas désigné leurs représentants !

Il est un peu facile d’enrayer ainsi la volonté du Parlement.

Alors que le Gouvernement, par la voix de Michel Sapin, ne manque aucune occasion de communiquer sur le thème populaire et porteur des lanceurs d’alerte, en coulisse, l’outil de contrôle de l’expertise des conflits d’intérêts, des registres d’alertes et du suivi de celles-ci en matière sanitaire et environnementale est bloqué par deux ministères. Le suivi de l’application des lois n’aura d’intérêt, monsieur le secrétaire d'État, que si demain sont mises en œuvre les mesures votées. Il y va de la remédiation au désamour des Français pour la classe politique !

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe de l'UDI-Union centriste.

M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mesdames, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord féliciter, au nom du groupe UDI-Union centriste, le président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et des études, Claude Bérit-Débat, de la qualité de son rapport, qui nous permet de mieux appréhender la réalité de la situation législative dans notre pays.

Si nous percevons certains efforts réalisés par le Gouvernement, beaucoup de chemin reste à parcourir, comme de nombreux orateurs l’ont souligné avant moi, afin que nous arrivions à une production législative qui rejoigne l’attente de nos concitoyens.

À l’heure d’internet, au moment où le Journal officiel dans sa version papier a été supprimé, il est essentiel que nous puissions nous adapter aux attentes de la société. Cela implique notamment que le processus législatif puisse être plus rapide, en particulier une fois que la décision est prise.

Le groupe UDI-Union centriste se félicite aussi que, durant l’année législative écoulée, sur le nombre de textes ayant été validés, 43, soit un total inférieur à ceux des années législatives précédentes, 12 textes étaient d’initiative parlementaire. Il me semble que le Parlement doit prendre une part plus importante dans l’élaboration des lois, c’est son rôle. Il devrait peut-être y avoir moins de textes d’initiative gouvernementale. Cela permettrait sans doute d’améliorer la production législative.

J’ai en mémoire notre débat de la semaine passée sur le statut général des autorités administratives indépendantes issu du rapport élaboré par une commission d’enquête mis en place par le Sénat. Cette commission a produit un travail extrêmement intéressant pour organiser ces entités aujourd'hui importantes dans l’organisation administrative de la France. C’était nécessaire et nous pourrions aller beaucoup plus loin en ce sens.

Les décrets, les différents orateurs l’ont souligné, mettent un peu de temps à être publiés. Je sais bien que leur processus d’élaboration est long : il faut d’abord les rédiger, il faut ensuite se concerter, y compris en Conseil d’État. Cela étant, ces dernières années, la production des décrets d’application demandait neuf mois. À l’heure actuelle, il faut un peu plus de six mois. Il est important que l’on s’attache à respecter les termes de la circulaire de 2008 afin de gagner encore du temps, autant que faire se peut.

J’évoquerai aussi les questions de simplification. Il convient – j’ai bien entendu notre collègue du groupe CRC – de dire un mot du nombre d’amendements.

Tout d’abord, monsieur le président, nous nous réjouissons que le temps de débat ait été réorganisé dans notre hémicycle pour rendre nos échanges plus dynamiques. Il est important que tout le monde puisse s’exprimer. Le Sénat a réussi cette réforme, et je l’en félicite !

Le nombre d’amendements a en effet tendance à croître. Selon nous, chaque groupe doit faire un effort de rationalisation.

Je le dis aussi au groupe communiste républicain et citoyen : le nombre d’amendements déposés sur la loi Macron a retardé le débat. Je sais bien que celui-ci était important, tout comme le sera le débat sur le projet de loi « Travail ». Il serait bon, toutefois, que nous soyons plus efficaces en évitant de présenter des amendements redondants, ce qui permettrait d’améliorer la qualité du débat parlementaire.

Nous devons être attentifs également à ne pas surtransposer en permanence les directives. C’est un mal français que de toujours vouloir faire mieux que les autres à cet égard ! Ce faisant, nous pénalisons notre économie. Or, si nous connaissons aujourd’hui une situation économique particulièrement difficile, c’est bien parce que nous avons parfois tendance à nous imposer des règles que d’autres ne s’appliquent pas.

J’évoquerai aussi les ordonnances. La présidente de la commission des finances a rappelé que, sur les deux ordonnances qui concernaient notre commission, une seule avait été mise en application. Dès lors que le Parlement lui permet de légiférer par ordonnance, le Gouvernement doit profiter de cette possibilité pour gagner du temps.

Par ailleurs, le nombre de rapports demandés dépasse de beaucoup celui des rapports effectivement publiés, ce qui n’est pas logique. Nous avons l’habitude, au Sénat, de rejeter les demandes de nouveaux rapports, considérant qu’il conviendrait avant tout de satisfaire les demandes déjà formulées, étant observé que nombre de dispositions relatives aux rapports contribuent à alourdir les textes de loi, alors qu’elles n’ont parfois rien à y faire.

J’en viens enfin aux questions écrites au Gouvernement, dont le processus mérite d’être amélioré. Il est tout à fait anormal que le délai de réponse à ces questions ne cesse de s’allonger, jusqu’à atteindre aujourd’hui 203 jours !

Le rôle des parlementaires est aussi de contrôler l’action du Gouvernement, ce qui peut se faire par l’interpellation directe – mais le temps de parole est alors limité – ou via les questions écrites. Pourquoi le délai de réponse est-il si long ? Et que dire quand les réponses elles-mêmes sont inconséquentes ?

J’ai ainsi posé, voilà trois mois, une question au Gouvernement sur les conditions d’acquittement par une société de sa TVA. La réponse, que je me réjouissais de recevoir, a consisté à m’opposer le secret fiscal ! Je sais bien que le Gouvernement n’a pas l’obligation de transmettre des informations secrètes, mais il importe tout de même qu’il réponde clairement aux demandes des parlementaires, et non « à côté ». Il y va de la qualité du débat parlementaire et de la satisfaction des attentes du public.

En conclusion, j’espère que les efforts accomplis pour réduire le délai d’application des textes de loi seront poursuivis.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux, à mon tour, mettre en exergue l’utilité et la qualité de ce débat.

Le fait que nous nous réunissions dans cette formation, en salle Clemenceau, ne nuit pas à l’efficacité et à la vitalité de nos échanges. Je constate, en outre, que notre effectif d’aujourd’hui serait considéré comme très flatteur pour un débat dans l’hémicycle. Le degré d’attention du tour de table me paraît même légèrement supérieur à ce qu’il est lorsque nous siégeons sur les fauteuils en velours… (Sourires.) Il y a sans doute quelques conclusions à en tirer. Mais je vous prie de m’excuser pour ce propos impromptu !

Je mentionnerai quelques cas de mise en application de lois relatives à un domaine sur lequel nous sommes quelques-uns à nous être impliqués : la sécurité et la prévention de la criminalité. Tous ces textes, qui avaient été examinés selon la procédure accélérée – cela pouvait s’entendre, dans le contexte que nous connaissions –, ont été mis en application assez rapidement, dans l’ensemble.

Ainsi, la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, présentée au Parlement en juillet 2014, a été définitivement adoptée le 4 novembre de la même année, soit quatre mois plus tard. Il est vrai que toutes les dispositions relevant du code pénal et du code de procédure pénale étaient d’application immédiate ; cela simplifie les choses. Mais étaient également prévues de substantielles modifications réglementaires du code de la sécurité intérieure, du code monétaire et financier pour ce qui concerne le financement du terrorisme, et du code des transports pour introduire de nouvelles mesures de contrôle : elles ont toutes été mises en œuvre, selon mes informations, dans un délai de huit à dix mois. C’est un résultat, sinon idéal, du moins satisfaisant.

De même, la loi relative au renseignement, qui a certes été examinée par les deux chambres selon la procédure accélérée, était en réalité en maturation bien avant et la concertation avec les parlementaires durait depuis des mois. Promulguée le 24 juillet 2015, elle est entrée en application un peu plus de deux mois plus tard, dans la mesure où il fallait que soit nommé, après avis des deux commissions des lois, le président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR.

Nombre des dispositions de cette loi étaient, là encore, d’application immédiate. Pour ce qui concerne les autres dispositions, les décrets ont été publiés entre septembre 2015 et janvier 2016. Nous avons donc eu le sentiment que l’urgence était réelle, et réellement prise en compte par tous, face aux situations que nous connaissions.

Autre point dont la commission des lois a débattu : la réforme du droit d’asile, promulguée le 29 juillet 2015. Ce texte présente la particularité, du point de vue de l’application des lois, de nous mettre en conformité avec trois directives du « paquet asile », cette fois sans retard de transposition, les délais prévus dans notre engagement communautaire ayant été respectés. Au vu du sujet, c’était souhaitable ! Les différents partenaires législatifs ont donc joué le jeu. Les mesures d’application ont été prises, pour l’essentiel, dans les trois mois.

Nous devons nous rappeler pourquoi nous voulions tous que soit adoptée cette réforme du droit d’asile : la longueur excessive des délais d’examen des demandes du statut de réfugié avait pour effet indésirable le maintien indu sur le territoire de 70 % des demandeurs d’asile, c’est-à-dire de personnes ayant détourné, volontairement ou non, le droit d’asile.

Où en sommes-nous du rattrapage de ces délais ? L’objectif fixé par le ministre de l’intérieur de l’époque, qui est désormais Premier ministre, était la réduction en deçà de six mois de la durée d’examen des demandes d’asile. Cette diminution des délais est amorcée, mais elle est encore insuffisante.

Il faut évoquer, compte tenu du contexte auquel nous sommes confrontés, les lois successives sur l’état d’urgence, lesquelles ne prévoyaient aucune mesure d’application. Mais tous ceux qui ont participé à la commission de suivi de l’état d’urgence, sous la direction de son rapporteur, Michel Mercier, conviennent que le Gouvernement a fourni au Parlement des informations de terrain détaillées. Je ne vais d’ailleurs pas tarder à prendre congé de vous, car ce comité se réunit cet après-midi afin d’examiner de plus près les mesures prises pour assurer la sécurité des premières rencontres de l’Euro 2016 au Stade de France. Là aussi, la collaboration entre le Parlement et le Gouvernement a été bonne.

Je vais faire appel à un souvenir très ancien, celui d’une initiative parlementaire prise en coordination avec le Gouvernement : la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif. Les dispositions de ce texte sont désormais complètement entrées en application. Il serait toutefois judicieux, monsieur le président de la commission des lois, que nous interrogions le ministère de l’intérieur afin de savoir où en sont les actions de prévention menées par la police, la gendarmerie et les douanes. On observe en effet, dans de très nombreuses affaires de délinquance ou de criminalité qui occupent l’actualité – et certaines sont graves –, la persistance d’une circulation d’armes dont la détention est interdite aux particuliers.

S’agissant des textes relatifs à la décentralisation et à l’administration locale, le code général des collectivités territoriales comprend peu de décrets. Ces lois ont cependant des « suites » administratives. Comme l’ont dit plusieurs collègues, lorsque le texte législatif présente quelques travers, soit parce qu’il est imprécis – il a bien fallu trouver un compromis ! –, soit parce qu’il est complexe, ses suites sont parfois inattendues.

Je prendrai un exemple dont j’ai eu à connaître par mes responsabilités au sein du Conseil national de la transition écologique, le CNTE, celui du fameux schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire, le SRADDT, qui englobe la quasi-totalité des autres schémas et sur lequel nous avons légiféré à l’occasion de la loi NOTRe du 7 août 2015.

Le SRADDT fait l’objet d’un décret qui n’est pas encore publié et sur lequel nous délibérons au sein du CNTE. En outre, il a fallu prendre une ordonnance pour résorber les anciens schémas et vérifier que tout était articulé. Or je crains que cette ordonnance ne soit pas encore publiée l’été prochain, alors même que les régions, désormais en place depuis six mois, devraient se mettre au travail pour élaborer, souvent à partir de l’existant, ces schémas régionaux.

La procédure selon laquelle les régions devront adopter les schémas régionaux ne sera donc pas précisée avant la fin du mois d’août. On voit bien l’interaction entre une loi pour laquelle on n’a pas craint la complexité et sa mise en application, qui peut être difficile.

Je ferai pour conclure deux ou trois observations transversales, rejoignant ainsi les propos de Jean-Claude Lenoir sur l’impact des circulaires.

Nous devons être vigilants, chacun dans le domaine que nous suivons, tout comme les collaborateurs de nos commissions, pour attirer l’attention de l’ensemble du Gouvernement sur la divergence d’interprétation dont font l’objet certaines circulaires. Or « l’unité de base » de celles-ci représente tout de même 30 pages, quelle que soit la taille du texte législatif d’origine ! Il y a en effet un risque sérieux de réinterprétation de certains textes par les circulaires.

Je rejoins aussi Christian Cambon sur la question du retard pris dans les ratifications, qui jette tout de même le discrédit sur notre pays et qui est dû, pour l’essentiel, au sous-dimensionnement de l’équipe chargée de cette mission au quai d’Orsay.

Ce qui m’amène au « back office » du travail d’application de la loi. Celui-ci repose sur les services juridiques des différents ministères, qui présentent d’assez grandes disparités… Lorsqu’on s’intéresse à ces questions, on finit par disposer d’une sorte de guide Michelin de ces services de production des textes réglementaires, dont certains sont correctement armés, et d’autres plus squelettiques.

Monsieur le secrétaire d’État, puisque vous êtes en prise directe avec l’hôtel Matignon, vous conviendrez avec moi que le Premier ministre n’aura pas de mal à se faire expliquer ces disparités dans les capacités des services juridiques ministériels par le Secrétariat général du Gouvernement, qui en sait tout. Quelle que soit la limitation actuelle des emplois dans nos administrations centrales, il faut trouver les moyens de combler ces déficits de potentiel humain, qui sont ensuite la cause de retards et d’anomalies dans l’application des textes.

Pour terminer tout à fait, je vous livre un sujet de curiosité. Dans les délais nécessaires pour mener jusqu’à son terme l’application réglementaire, il est une composante qui justifierait une étude particulière : le délai nécessaire à la préparation du contreseing du ministre du budget ou du ministre des finances. Si l’on pouvait analyser le temps nécessaire à la conclusion du débat entre le ministre porteur principal du texte et son collègue des finances, on pourrait expliquer certains retards d’application. Cela irait dans le sens de l’intérêt général.

M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue. Je rappelle que si notre réunion a pris cette forme, c’est grâce au travail que vous avez conduit avec M. Roger Karoutchi. Le bon déroulement de nos travaux démontre que les réflexions collectives que nous avons menées étaient positives. Le président Claude Bérit-Débat et moi-même nous en réjouissons.

Avant de céder la parole à M. le secrétaire d’État, je tiens à souligner que le nombre de pages des seuls projets de loi, études d’impact comprises, est passé de 4 000 en 2010-2011 à 7 318 aujourd’hui. Il y a peut-être un effet de lentille grossissante, mais il n’y a pas que la lentille qui est grossissante… (Sourires.)

La parole est à M. le secrétaire d’État.